vendredi 25 juin 2021

La supplication - Svetlana Alexievitch


"Des bribes de conversations me reviennent en mémoire... Quelqu'un m'exhorte : - Vous ne devez pas oublier que ce n'est plus votre mari, l'homme aimé qui se trouve devant vous, mais un objet radioactif avec un fort coefficient de contamination. Vous n'êtes pas suicidaire. Prenez-vous en main !"
Tchernobyl. Ce mot évoque dorénavant une catastrophe écologique majeure. Mais que savons-nous du drame humain, quotidien, qui a suivi l'explosion de la centrale nucléaire ? Svetlana Alexievitch nous fait entrevoir un monde bouleversant : celui des survivants, à qui elle cède la parole. L'évènement prend alors une toute autre dimension.
Pour la première fois, écoutons les voix suppliciées de Tchernobyl.



Tchernobyl… C’est une guerre au-dessus des guerres. L’homme ne trouve son salut nulle part. Ni sur la terre, ni dans l’eau, ni dans le ciel.

Je ne connaissais pas grand chose de Tchernobyl, que ce soit l'accident en lui-même ou toute l'envergure de cette catastrophe, avant d'avoir découverte l'excellente série télévisée Chernobyl, ce qui m'amène à vouloir découvrir des lectures sur le sujet. La supplication ne s'intéresse pas tant à la catastrophe en elle-même mais aux témoignages des personnes qui ont vécu cet événement, et les conséquences sur leurs vies. Rien ne m'avait préparé à de tels témoignages, aussi bouleversants.

L'auteure a recueilli de nombreux témoignages venant de sources différentes : des anciens travailleurs de la centrale nucléaire, les épouses et enfants de ces employés, anciens fonctionnaires du parti, des médecins, des soldats, des liquidateurs, qui ont été envoyés gérer la catastrophe, paysans, intellectuels. Toutes celles et à ceux qui ont subi, et subissent, encore des dégâts matériels et surtout physiques et psychologiques irréparables. Peu importe la condition de vie de la personne, ce qui ressort de ces témoignages, c'est la souffrance. De nombreuses vies ont été brisées, la terre polluée, et la ville de Pripiat, qui habitait les employés de la centrale et leurs familles, devenue une ville fantôme.

L'auteure nous parle d'eux, de ceux et celles à qui on a arraché brutalement à leur domicile, sans comprendre exactement pourquoi, sans mesurer la gravité de la situation car une bonne partie de la population ne savait pas vraiment ce qu'est le nucléaire, ce que sont les radiations, car si elles sont dangereuses, elles sont invisibles aux yeux humains. Comment mesurer l'ampleur du danger quand celui-ci n'est pas visible et qu'on ne comprend pas tout à fait ce que sont les radiations, le nucléaire ?

Il y a également ceux et celles qui ont perdu un conjoint, un enfant, on retiendra notamment le témoignage de Lyudmilla Ignatenko, l'épouse du pompier Vasily Ignatenko parti combattre l'incendie de la centrale et qui périt, comme beaucoup d'autres, dans d'atroces souffrances, jamais abandonné par son épouse, alors enceinte et consciente que demeurer auprès de son époux mettait en danger sa vie et celle de son enfant. Son histoire est racontée dans la série Chernobyl.

Il y a les mamans qui, à peine accouché, ont demandé à tenir leur enfant pour le tâter, vérifier s'il avait bien tous ses doigts et ses orteils, voir s'il était entier, connaître la douleur d'un enfant mort né ou né avec un ou plusieurs malformations à cause des radiations. Il y a ceux et celles à qui on empêche de cultiver leur terre et récolter leurs légumes, car ils sont empoisonnés à cause de la radiation, idem pour le lait des vaches ou les œufs. La nature est contaminée, polluée, les arbres changent de couleur, l'air est contaminé. Il y a ceux et celles qui se sentent abandonnés, qui recherchent le confort dans la religion.

Je chante à la chorale de l'église. Je lis l'Evangile. Je vais à l'église parce qu'on y parle de la vie éternelle. C'est réconfortant pour les gens. On n'entend pas de tels mots ailleurs et j'ai tellement besoin d'être consolée. Je fais souvent un rêve : je marche avec mon fils dans Pripiat ensoleillée. Maintenant, c'est une ville fantôme. Nous marchons et regardons les roses. Il y avait beaucoup de roses, là-bas, d'énormes parterres de roses... J'étais si jeune... Mon fils était si petit... J'aimais...

Il y a également ceux et celles qui ont refusé de quitter leur domicile, ou qui sont revenus des années plus tard, en dépit du danger, pour retrouver leurs racines, leur vie. Il y a ceux qui supplient qu'on les laisse chez eux, dans la maison qu'ils ont toujours connue avec leurs animaux et leurs souvenirs mais on les forcent à partir, alors il y a ceux qui partent se cacher. Ceux-là n'ont plus de pays, plus de patrie, l'Union soviétique n'existe plus. Mais ils continuent à vivre, plutôt à survivre. Il y a ceux et celles qu'on a emmené loin de Tchernobyl, et qui ont été traités comme des pestiférés par les autres habitants de Russie, d'Ukraine et de Biélorussie, car ils ont été sujets aux radiations. Comment la vie de ces parias n'a plus jamais été la même à cause du regard des autres, à cause des conséquences sur la santé... comment il était dit que ceux de Tchernobyl ne pouvaient se marier qu'entre eux, que c'était un péché d'enfanter...

À travers les témoignages, on découvre comment l'état soviétique n'a pas dit toute la vérité, a voulu amoindrir le danger, et qu'ils ont caché le nombre exact de dose de radiation que le population a reçue pour éviter l'affolement générale. On découvre que des fonctionnaires d'état ont parcouru les villages pour être en contact avec la population mais qui sont incapables de répondre aux questions sur les radiations ou comment mieux se protéger, car ils n'ont aucune notion scientifique, c'est les choses d'un autre monde, ils font des discours sur l'héroïsme des soviétiques, sur le courage des militaires, et qui menacent si des doutes sont exprimés. Sans oublier ceux qui se sont sacrifiés, ils n'appartiennent plus à leur famille, mais à l'état, et la famille n'a pas forcément eu son mot à dire concernant l'inhumation de leur défunt.

L'auteure a également recueilli les témoignages des liquidateurs et le travail qu'ils ont effectué, ce furent les pages les plus dures à lire... d'ailleurs j'ai sauté de nombreuses pages... car leur travail n'était pas seulement de nettoyer, mais aussi de tuer les animaux domestiques et errants, par peur de voir se propager les radiations.

Pour résumer, c'est un recueil de témoignages bouleversants dont on ne ressort pas indemnes. Un méli-mélo de sentiments : la peur, l'incompréhension, la crédulité, le désespoir... mais aussi la survie, la foi. Chaque témoignage rapproche la catastrophe à la seconde guerre mondiale, et il est vrai qu'il y a certains parallèles : la population évacuée, le déploiement de l'armée, le sentiment de vaincre, se construire des abris contre les atomes, sauf que l'ennemi est invisible et qu'il est méconnu, d'une part parce que la population connaît peu de choses sur les radiations, et de l'autre parce que le gouvernement a délibérément choisi de les laisser dans l'ignorance.

Ce livre est un concentré de douleur et d'amour, d'humanité et de monstruosité, de résignation et de colère, d'héroïsme et de lâcheté. Il n'y a pas de jugements sur les évènements et les causes. C'est arrivé. Chacun tente de survivre, et de vivre avec...


Je me demande pourquoi on écrit si peu sur Tchernobyl. Pourquoi nos écrivains continuent-ils à parler de la guerre, des camps et se taisent sur cela ? Est-ce un hasard ? Je crois que, si nous avions vaincu Tchernobyl, il y aurait plus de textes. Ou si nous l’avions compris. Mais nous ne savons pas comment tirer le sens de cette horreur. Nous n’en sommes pas capables. Car il est impossible de l’appliquer à notre expérience humaine ou à notre temps humain…

Alors, vaut-il mieux se souvenir ou oublier ?

vendredi 18 juin 2021

Dent de dinosaure - Michael Crichton


1875. Dandy désoeuvré, le jeune William Johnson, après avoir perdu un pari, doit partir pour le Far West. Quittant son univers privilégié, l’étudiant de Yale rejoint une expédition à la recherche de fossiles préhistoriques dans les territoires reculés et hostiles du Wyoming.


Mais la plus sanglante des guerres indiennes vient d’éclater. Et avec elle un autre conflit, opposant deux célèbres paléontologues prêts à tout pour déterrer d’inestimables vestiges de dinosaures et accéder à la gloire.


Pactes secrets, trahisons et meurtres rythmeront l’épopée de Johnson, peuplée de figures mythiques de l’Ouest : chasseurs de bisons et chasseurs de primes, généraux en déroute et Sioux sanguinaires, as de la gâchette et danseuses de saloon.



Michael Crichton, le regretté auteur de Jurassic Park et d’autres romans, nous a quitté en 2008, ce qui n’a pas empêché la publication d'œuvres posthumes telle que Dent de dinosaure sorti cette année mais 2017 aux Etats-Unis (une honte, oui, une honte !). Un livre de l’auteur de Jurassic Park parlant de chasse aux fossiles de dinosaures se situant au Far West, c’est plus qu’il n’en fallait pour que je me jette sur ce roman et le dévore en quelques jours (et encore, je me suis contenue pour faire durer le plaisir, comme pour mes barres de chocolat)


Ce roman est un véritable western sur fond de chasse aux fossiles ! Il s’appuie sur des faits réels : la guerre des os, qui a opposé de nombreux paléontologistes de l’époque et notamment les professeurs Marsh et Cope, respectivement de l’université de Yale et de Pennsylvanie, deux paléontologues de renom à la rivalité farouche, avec pour volonté de trouver le plus de fossiles que l’autre, et il est difficile de chercher des fossiles dans le grand ouest américain alors que les Indiens se montrent souvent hostiles face aux visages pâles… notamment ceux qui viennent fouiller dans leurs plaines.


L’auteur insère son personnage principal (un être fictif, à ma déception, car il donne l’impression d’avoir existé), William Johnson, dans ce contexte historique. Jeune dandy, étudiant à l’université de Yale, William Johnson fait le pari avec un autre étudiant qui le met au défi de passer trois mois dans l’Ouest en compagnie de l’équipe de fouille du professeur Marsh. Afin de lui prouver qu’il en est capable, Johnson se prétend photographe pour intégrer l’équipe de Marsh et prend des cours de photographie avant d’embarquer pour l’Ouest, sous le regard méfiant de Marsh qui voit d’un mauvais œil l’arrivée de cet étudiant de dernière minute, l’imaginant espion pour le compte de son rival, le professeur Cope. La paléontologie est une science encore balbutiante et Johnson se rend vite compte des dangers et des durs labeurs qui l’attendent… 




À gauche, Edward Cope ; à droite, Charles Marsh


De l’est américain, nous entrons rapidement dans le Far West et rien ne manque à l’appel des plaines de l’Ouest : Indiens, Cavalerie, desperados, duels, des fossiles et encore des fossiles… Il y a des embuscades, des courses poursuites, des duels, des attaques indiennes, etc. Malgré tous les ingrédients pour en faire un “western spaghetti”, l’auteur n’en oublie pas moins la science et nous raconte les processus de fouille, le monstre de patience à déployer pour dégager les fossiles de la roche, les découvertes de dinosaures tels l’Allosaure, le Stégosaure… mais aussi les techniques de photographie, Johnson étant le photographe de l’équipe de fouille, prenant en photo les différents fossiles, le site de fouille… La paléontologie est alors une science encore balbutiante, Johnson faisant la rencontre de personnages dubitatifs face à cette ruée vers l’os, entre celles qui ne comprennent pas l’intérêt de l’étude de vieux os, ou alors qui n’envisagent pas l’existence d’animaux préhistoriques qui se sont éteints il y a des milliers d’années (selon la logique que tout ce que Dieu a crée est parfait, Sa création est parfaite et Il ne peut pas faire d’erreur, dans ce cas, comment imaginer l’existence d’animaux qui se sont éteints ?) 


À travers les descriptions sur les techniques de photographie et les fouilles, on sent que l’auteur s’est beaucoup documenté pour l’écriture de son roman, ce qui m’a donné l’occasion d’en apprendre un peu plus sur l’époque et le contexte historique du Far West et de la guerre des os… comment Marsh et Cope se sont connus, étaient amis avant de devenir rivaux, les combats qu’ils se sont menés, entre actions violentes, illégales ou perverses (vol, sabotage des fossiles, pots de vin, menaces, duels, etc) par les deux camps, en vue de découvrir un maximum de fossiles tout en mettant des bâtons dans les roues de l'autre équipe !



On y croise de nombreux personnages historiques, outre Marsh et Cope. Le roman évoque le Général Custer et sa défaite face aux Indiens lors de la Bataille de Little Big Horn, de Sitting Bull, de Red Cloud, du Président Ulysse Grant, de Calamity Jane et de bien d'autres... Nous sommes vraiment plongés dans une Amérique en plein changement, où les guerres entre Indiens et Blancs font rage, où les Bisons sont en déclin, où les dangers de toutes formes sont nombreux. Rien de bien étonnant à ce qu’au fil des pages, la tension ne faiblit pas. C’est d’autant plus intéressant d’avoir un personnage comme Johnson, qui a vécu toute sa vie dans l’Est plus “civilisé”, et qui voit le contraste entre l’Est dit civilisé et l’Ouest plus dangereux. On voit bien que les situations sont nouvelles pour lui et il ne sait pas forcément comment réagir ou comment faire, il essaye de s’affirmer et, en même temps, ne veut pas se mettre à dos qui que ce soit car le voyage est long et il n’est pas bon de se faire des ennemis dans une terre inconnue… Toutefois, il n’y a aucun jugement de la part de Johnson et on le sent grandi et plus hardi suite à son séjour dans l’ouest.



Si je n’avais qu’un reproche à faire, ce serait concernant les micro-spoils que l’on retrouve de temps à autre dans le récit, lorsque l’auteur insère des formulations telles que “s’il avait su que…”, “il ne le savait pas encore, mais tel périple allait l’attendre”, qui est un procédé littéraire auquel je n’accroche pas et qui spoilent un peu la suite, même sans trop dévoiler, mais c’est là mon seul grief car Dent de dinosaure s’est révélé être un roman historique et d’aventure captivant, qui présente un bon équilibre entre la science et l’histoire, divertissant et enrichissant, avec une écriture fluide. J’espère voir un jour une adaptation !



Alors commencèrent les négociations les plus interminables que j'aie jamais expérimentées dans ma vie. Les Indiens adorent parler et ne sont jamais pressés. Leur curiosité, la solennité ampoulée de leur protocole, et cette absence de sentiment d'urgence par rapport au temps qui leur est propre contribuèrent à faire de cette première rencontre un événement qui allait manifestement durer toute la nuit. Tout fut passé en revue : qui nous étions (y compris nos noms et la signification de nos noms) ; d'où nous venions (les villes, la signification du nom des villes, notre trajet pour venir jusqu'ici, comment nous l'avions déterminé, et comment s'était déroulé notre voyage) ; la raison de notre présence (la raison de notre intérêt pour les ossements, comment nous comptions nous y prendre pour les exhumer, ce que nous comptions en faire) ; quels vêtements nous portions et pourquoi ; que signifiaient nos bagues, nos breloques et nos boucles de ceinturon, et ainsi de suite, ad infinitum et ad nauseam.

Blanc autour - Wilfrid Lupano et Stéphane Fert

1832, Canterbury. Dans cette petite ville du Connecticut, l'institutrice Prudence Crandall s'occupe d'une école pour filles. 

Un jour, elle accueille dans sa classe une jeune noire, Sarah. La population blanche locale voit immédiatement cette « exception » comme une menace. 

Même si l'esclavage n'est plus pratiqué dans la plupart des États du Nord, l'Amérique blanche reste hantée par le spectre de Nat Turner : un an plus tôt, en Virginie, cet esclave noir qui savait lire et écrire a pris la tête d'une révolte sanglante. 

Pour les habitants de Canterbury, instruction rime désormais avec insurrection. Ils menacent de retirer leurs filles de l'école si la jeune Sarah reste admise. Prudence Crandall les prend au mot et l'école devient la première école pour jeunes filles noires des États-Unis, trente ans avant l'abolition de l'esclavage.



Aucune journée dans cette école n’est éprouvante. C’est le monde tout autour de nous qui est une épreuve.


Blanc autour est une bande-dessinée qui évoque l’histoire vraie de Prudence Crandall, une institutrice américaine qui a ouvert en 1832, dans une Amérique touchée par la ségrégation raciale, l’une des toutes premières écoles destinées à l’éducation des Afro-Américaines. Tout commence, alors que Prudence Crandall enseignait à de jeunes filles blanches, lorsque Sarah, une jeune fille Afro-Américaine, demande à entrer dans l’école pour apprendre, ce qui n’est pas sans plaire à la population qui voit d’un très mauvais œil la volonté d’une Noire à s’instruire, surtout après l’attaque de Nat Turner, un esclave noir qui a massacré des Blancs dont les desseins venaient, d’après la population, du fait qu’il savait lire et écrire. En protestation, ces habitants décident  de retirer leurs filles de l’école. Loin de décourager Prudence Crandall, celle-ci décide de transformer son école afin d’instruire les femmes Afro-Américaines qui le souhaitent…


J’ai trouvé cette bande-dessinée très instructive car elle relate des événements réels dont nous, Occidentaux, ne connaissons pas forcément l’existence. Si les stigmates du racisme envers les Noirs (toujours d’actualité, malheureusement), l’esclavage, l’abolutionisme et la ségrégation raciales ne me sont pas inconnus, j’ignorais tout de Prudence Crandall, de ses actions, et de l’existences d’écoles pour l’instruction des Afro-Américaines. Le scénario est très instructif, abordant des thèmes tels que l’éducation, l’accès au savoir, le féminisme, le racisme, la ségrégation contre les noirs qui restent persécutés dans cette Amérique du XIXe siècle. J’ai pu apprendre bien des choses sur ces sujets, et le combat que Prudence Crandall a dû mener pour mener son projet à bien, défendre ses convictions et le droit à l’instruction de ces femmes. Car nombreux sont ceux à lui mettre des battons dans les roues : contestations, sabotages, menaces… jusqu’à l’intervention de la justice. Les auteurs évoquent également les élèves de Prudence Crandall, leur volonté de s’instruire, leurs vies, leurs convictions, leurs doutes comme leurs désillusions.


Même si l’histoire ne se situe pas dans un Etat esclavagiste d’Amérique, les auteurs nous montrent bien comment les mentalités et le racisme sont encrés, comment l’indignation, la peur et la discrimination attendent ces jeunes filles dont le seul péché est d’être une femme et, pire que tout, une femme noire. Le combat racial se double donc d’un combat féministe, car les femmes blanches encouragent leurs maris à refuser cette nouvelle institutions et à renvoyer ces jeunes filles à la condition de servante.


Outre Prudence Crandall, nous avons ses élèves qui m’ont amusé et émue avec leurs caractères si différents, leur façon de voir le monde, leurs répliques bien placées, leur courage. J’ai aimé la sororité qui s’est crée entre elles. Elles sont uniques et adorables, chacune à leur façon, intelligentes et pleines d’espoir, et continueront leur combat pour leurs engagements, des années après l’école… Le chemin est long, difficile et parfois violent face à la stupidité humaine.


Si je devais exprimer un grief, ce serait le suivant : j’aurais aimé plus de pages pour plus d’approfondissement, je trouve en effet que plus de profondeur aurait profité à l’histoire dont j’ai trouvé la fin assez abrupte. J’ai néanmoins apprécié découvrir les dossiers en fin d’ouvrage qui apportent des précisions sur la vie des héroïnes, et comment elles ont évolué et vécu après avoir quitté l’école. Je n’ai pas grand chose à redire concernant les graphismes, les couleurs sont douces, le dessin un peu brouillon mais cela fait parti de son charme, tout en rondeur et en douceur, et des teintes pastel. En somme, une bande-dessinée instructive qui met en lumière les actions d'une femme méconnue mais dont le combat et les convictions se doivent d'être reconnus.





Kheti, fils du Nil - Dazan et Isabelle Dethan


En essayant de rattraper leur chat, Kheti et Mayt se retrouvent dans le monde des dieux.

Dans cet endroit, où les hommes et leurs créations n'existent pas, les deux enfants sont chargés d'une importante mission : prévenir la déesse Sekhmet d'un complot qui se trame contre elle.

De leur succès dépend l'avenir des Égyptiens, car la déesse retient les eaux du Nil en otage... 





Kheti, Fils du Nil est une bande-dessinée qui se situe dans l’Egypte Ancienne et qui met en scène deux jeunes enfants : Kheti, apprenti scribe (il faut croire que, finalement, c’est une bonne situation, scribe... ) et Mayt, fille de paysans, dont la particularité est, comme elle et Kheti le découvriront, d’avoir un chat, et pas n’importe quel chat mais un passeur. C’est-à-dire qu’il a la capacité de passer d’un monde, celui des humains, à l’autre, celui des dieux, auprès de qui il se fait le messager. C’est en voulant récupérer son chat que Mayt et Kheti sont entraînés dans le monde des dieux et vont vivre de nombreuses péripéties là où aucun mortel n’était encore jamais allé...  


Une jolie découverte que cette bande-dessinée ! Elle nous offre une sympathique plongée dans l’Egypte ancienne, avec ses coutumes et ses nombreuses divinités tantôt pacifiques, tantôt querelleuses. J’ai beaucoup apprécié suivre les aventures de Kheti et de Mayt et de faire connaissance avec les divinités présentes. Il y a des scènes fort sympathiques, comme le combat de Sekhmet, la déesse lionne, avec le serpent géant Apophis, la scène d’introduction de Seth, dieu rouge du chaos ou encore le périple des morts jusqu’à leur jugement avec la balance et la plume.


Bien qu’il s’agisse d’une bande-dessinée avant tout destinée à la jeunesse, elle sait se faire apprécier par les plus grands également, notamment les personnes qui s’intéressent de près ou de loin à l’Egypte ancienne. L’auteur nous plonge avec efficacité dans cette époque et sait rendre son récit captivant, sans niaiserie ni explications historiques trop lourdes pour un public jeune, avec de jolis traits tout en couleur. On remarque bien toutefois que cela s’adresse avant tout à la jeunesse, notamment à travers les nombreuses disputes, parfois puériles, des divinités, même si ces dernières sont naturellement querelleuses, comme peuvent l’attester certains mythes, mais cette bande-dessinée nous offre un beau voyage en Egypte, qui ne sert pas uniquement comme simple décor de fond puisque l’on découvre une bonne partie du panthéon égyptien ainsi que certaines coutumes des Égyptiens.


C’est notamment pour cette raison que j’ai le plus aimé les tomes 3 et 4 car il nous plonge dans un autre monde, celui des morts, et qu’ils nous permettent d’en apprendre davantage sur la façon dont les anciens Égyptiens imaginaient la mort et l’au-delà et comment se déroulaient les rites funéraires en fonction de la classe sociale du défunt. Une fois décédé, le défunt doit traverser un long parcours semé d’embûches et le défunt doit se défaire de ses obstacles en s’aidant de parchemins contenant des formules, et qui auront été laissés dans son sarcophage, à condition d’avoir appartenu à une classe privilégiée, les plus modestes ayant droit à des funérailles moins grandioses et le strict minimum dans son sarcophage, mais ceux sans formule sont condamnés à être des âmes errantes. N’oublions pas non plus la scène du jugement où le cœur du défunt est mis sur une balance, et où il est jugé en fonction de ses actions de son vivant, avec les dieux pour témoins.


Une bande-dessinée sympathique, je déplore toutefois que l’auteure se soit arrêtée au tome 4. Fin définitive ou long hiatus, ce n’est pas clair, mais je suis restée sur ma faim et j’aurais aimé retrouver Kheti et Mayt dans plus d’aventures et de rencontrer d’autres divinités...