jeudi 14 avril 2022

L'art d'aimer - Ovide.



La séduction : un art subtil, un rite mis à l'honneur pendant la Renaissance avec les cours d'amour, mais déjà chanté par Ovide. La femme étant libre de ses sens et de ses sentiments, comment la conquérir ? Où tendre ses filets ? Compliments, promesses, larmes, baisers, hardiesse... Toutes les armes sont bonnes. Celle que l'on aime une fois séduite, comment la retenir ? 

Au terme d'un jeu dont le prix est le plaisir, l'amant raffiné a plus d'une corde à son arc... Quant à la femme, il lui appartient de garder son éternel féminin, ce qui n'est pas le plus facile... 

Au-delà de l'artifice, l'art doit gouverner l'amour. Un art dans lequel Ovide est passé maître.



L'art d'aimer se veut être un guide d'initiation à l'amour mais surtout à la séduction pour les Romains et les Romaines de son temps. Il est divisé en trois livres, assez courts :



Le premier livre enseigne aux hommes à comment séduire les femmes (Ovide ne parle pas des amours homosexuelles, les considérant comme non-naturelles) en décrivant notamment où faire des rencontres à Rome (le cirque, le forum, le théâtre, lors de repas, etc.), les périodes les plus favorables pour séduire selon le calendrier romain, comment engager la conversation. Par exemple : si la rencontre se fait au cirque lors des jeux, il suggère de demander à la personne désirée quel est son cheval préféré parmi ceux qui font la course et ce cheval doit devenir le préféré de l'amoureux transit ; ou encore, enlever la poussière de ses vêtements, ramasser un pan de manteau qui traîne à terre afin qu'il ne se salisse pas, etc. Il parle également des lettres d'amour ainsi que le soin à porter à sa tenue et à sa personne afin de mieux séduire, par exemple : pas de tenue large, pas de coupe de cheveux maladroite, être bien coiffé, bien rasé ou sinon une barbe bien taillée, avoir bonne haleine, l'importance des compliments mais ne pas parler sous l'influence du vin, etc.



Le second livre apprend à transformer sa conquête en amour durable, notamment en étant aimable car la beauté ne suffit pas pour continuer à plaire et la beauté est une chose fragile, éphémère ; ne pas s'arrêter aux obstacles, se dépouiller de son orgueil ; offrir également des cadeaux, faire preuve de dévouement, et bien d'autres conseils.



Le troisième livre s'adresse aux femmes, comment elles peuvent séduire et faire durer leur couple, comment prendre soin d'elles, le maquillage, la coiffure, les vêtements et autres artifices pour dissimuler les défauts physiques (par exemple, ne pas rire si les dents sont en mauvais état), toutefois sans se laisser paraître en train de s'apprêter, car il considère cela désagréable pour ces sensibles messieurs. Ovide leur parle également les hommes à éviter (les beaux parleurs qui font promesses sur promesses, les hommes volages et vaniteux, ceux dont l'amour papillonne et ne sait se fixer nulle part), comment ne pas traiter pareillement un homme expérimenté d'un novice. Ovide parle également de l'importance pour une Romaine de savoir chanter, danser, faire la conversation, jouer (le jeu étant très important dans la société romaine), comment se comporter en présence d'une rivale, et encore bien d'autres choses.


L'écriture d'Ovide est très imagée, il y a de très nombreuses références à la nature, la chasse, l'agriculture mais aussi et surtout à la mythologie qu'il cite très régulièrement, utilisant des épisodes de la mythologie comme exemples pour illustrer ses propos, ce qui peut être intéressant pour tout féru de mythologie mais aussi déconcertant si l'on est moins familier avec ces mythes.


Ovide


J'ai été frappée de constater, le long de ma lecture, des conseils souvent très misogynes. Les femmes y sont décrites comme des âmes légères, un cœur délicat, qui aiment qu'on leur fasse la cour même si elles résistent. C'est une créature qui a l'art de s'approprier l'argent de son amant, lui demande des choses en se faisant câline.



Il est également fait mention d'une forme de séduction forcée, dans laquelle il conseille de ne pas hésiter à forcer car la femme finira par céder, qu'elle cache souvent son amour sous le voile de l'amitié. Il nous présente une vision de l'amour semblable à une chasse où la femme est une proie farouche à emprisonner dans ses filets.



Il prodigue également des conseils plus que douteux notamment en proposant de ne pas hésiter à tromper (par exemple, en se rapprochant de la servante pour séduire la maîtresse, si l'homme désire la servante, qu'il possède d'abord la maîtresse avant de coucher avec la servante) ou comment la moisson plus riche dans le champ d'autrui ; ou encore, si l'homme est infidèle, qu'il s'arrange pour cacher ses infidélités et si elles sont découvertes, nier tout, ne pas se montrer coupable ou câlin car ça prouve l'infidélité. Il conseille également de rendre la femme aimée jalouse pour raviver la flamme car son amour languit sans rivale, faire craindre à la femme de lui être infidèle, cela réveillera l'ardeur de son cœur attiédi. Macho, vous avez dit macho ?



Pourtant, tout n'est pas à jeter dans les conseils du cher poète, et il a mis un point d'honneur à parler de l'importance du désir féminin dans les rapports intimes, nous offrant un texte libertaire sans pour autant être érotique. Le plaisir ne doit pas être uniquement celui de l'homme mais aussi et surtout celui de la femme, il est important pour l'amant de se concentrer sur le plaisir de la femme, ne pas presser l'acte d'amour mais découvrir là où elle aime être embrassée et caressée. Il évoque également son mépris pour les amours forcés, que les femmes ne doivent pas s'appliquer à l'acte d'amour parce qu'elle le doit, que c'est un devoir, mais par plaisir, ce qui est un peu contradictoire avec certains conseils misogynes évoqués plus haut...



Sans doute s'agit-il d'une œuvre à replacer dans son contexte. Dans la Rome antique, la société était une société patriarcale stricte dans laquelle la femme était une éternelle mineure sous l'autorité de son père puis de son époux puis le fils si elle devient veuve, elle n'était jamais autonome même si l'on a des exemples de figures romaines féminines puissantes, des exceptions (les vestales par exemple).



J'ai toutefois du mal à considérer, à l'instar de nombreux commentaires sur cette œuvre, qu'il s'agit d'une œuvre encore très moderne ou encore "d'une fraîcheur incroyable", sauf si l'on se dit qu'en effet, nombreux sont encore les hommes à forcer et à avoir cette mentalité (les mouvements #MeToo, #Balancetonporc et autres, le prouvant bien). Après, peut-être n'ai-je pas bien saisi le sens de cette œuvre. Au cours de mes lectures des différentes critiques, certaines affirment qu'il s'agit ni plus ni moins qu'une parodie, que l'œuvre n'est pas à prendre au sérieux et qu'Ovide a utilisé la satire (celle des mœurs de son époque) et l'ironie. Peut-être s'agit-il effectivement d'une parodie (pourvu que ce soit une parodie...) mais il n'est pas donné à tout le monde de le découvrir ou le deviner, peut-être une étude de cette œuvre m'aurait permis de mieux la comprendre et en saisir l'humour et les subtilités... 


Crois-moi, il ne faut pas hâter le terme de la volupté, mais y arriver insensiblement après des retard qui la diffèrent. Quand tu auras trouvé l'endroit que la femme aime à sentir caressé, la pudeur ne doit pas t'empêcher de la caresser. Tu verras les yeux de ton amie briller d'un éclat tremblant, comme il arrive souvent aux rayons du soleil reflétés par une eau transparente. Puis viendront des plaintes, viendra un tendre murmure et de doux gémissements et les paroles qui conviennent à l'amour. Mais ne va pas, déployant plus de voiles [que ton amie], la laisser en arrière, ou lui permettre de te devancer dans ta marche. Le but, atteignez-le en même temps ; c'est le comble de la volupté, lorsque, vaincus tous deux, femme et homme demeurent étendus sans force.

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