lundi 27 novembre 2017

Le Mystère Sherlock - J.M. Erre.


Meiringen, Suisse. Les pompiers dégagent l’accès à l’hôtel Baker Street. Cet hôtel, charmant et isolé, a été coupé du monde pendant trois jours à cause d’une avalanche. Personne n’imagine que, derrière la porte close, se trouve un véritable tombeau. Alignés dans les frigidaires, reposent les cadavres de dix universitaires. Tous sont venus là, invités par l’éminent professeur Bobo, pour un colloque sur Sherlock Holmes. Un colloque un peu spécial puisque, à son issue, le professeur Bobo devait désigner le titulaire de la toute première chaire d’holmésologie de la Sorbonne. Le genre de poste pour lequel on serait prêt à tuer





Avec Le Mystère Sherlock, j’avais envie de retourner vers mes premiers amours, à savoir Sherlock Holmes et la littérature policière. Pour autant, je n’ai pas cherché à me renseigner davantage sur ce livre avant sa lecture, outre la quatrième de couverture donc je n'avais pas de grosses attentes en particulier.

Ce qui frappe en premier, c'est le ton qu'emprunte le roman : de l'humour, souvent noir, dès les premières lignes et jusqu'à la fin ; ce qui est plutôt original pour un roman policier qui se veut une parodie moqueuse de la littérature policière, mais surtout du phénomène Sherlock Holmes et ses fans. Le ton est donné dès le début :

En ce joli mois de mai, la neige était tombée dru, juste pour énerver le réchauffement climatique. Dans la vallée suisse de Meiringen, dame Nature avait revêtu son blanc manteau. Sur le voile immaculé, saupoudré çà et là de fleurettes hardies, des marmottons pelucheux batifolaient gaiement. Des mésanges nonnettes enrobaient la scène de pépiements sucrés, de violons et de hautbois [...] Tous les clichés étaient convoqués pour faire de cette scène un moment inoubliable de beauté, de pureté et de Walt Disney. Mais heureusement pour l'amateur de polar, friand de sang chaud et de frissons d'échine, tout ça ne dura pas...

Autre couverture proposée par Pocket
Il arrive de reprocher au roman beaucoup trop d'humour noir et de vannes pour un roman policier, ce qui fut mon cas, car l'humour a parfois retiré à l'intrigue criminelle son sérieux. Les crimes ne sont pas présentés de façon tragique ou dramatique, les personnages sont de véritables caricatures difficiles à prendre au sérieux, mais… le fait est que le roman n'est pas censé être pris au sérieux car c'est une œuvre parodique. Dans un sens, j'ai trouvé ça… un peu dommage. L'humour était parfois lourd, et n'avait pas sa place à certains moments, même si j'ai beaucoup apprécié certaines vannes ou phrases. Je pense cependant que le roman aurait pu gagner avec un peu plus de finesse, de subtilité, avec une intrigue policière qui se prenait un peu plus au sérieux, d'autant plus que la « morale de l'histoire » s'y prêtait [spoiler] à savoir, ne pas se laisser trop influencer par ce qu'on lit dans les romans policiers [/spoiler].

Si j'ai souhaité avoir pu lire une intrigue plus complexe et sérieuse, j'ai néanmoins été prise dans l'affaire : un huit clos, avec une panoplie de personnages grotesques coupés du monde pendant quatre jours et assassinés un à un, en se demandant qui sera le prochain, comment le coupable va procéder et qui est le coupable et son motif, tout en voyant les personnages commencer à perdre peu à peu la raison et se soupçonner les uns les autres. Ce n'est pas une intrigue policière qui cherche à être complexe, mais elle reste suffisamment intéressante et divertissante pour qu'on ait envie de découvrir le fin mot de l'histoire, et celui-ci est surprenant et original, tout comme le coupable en lui-même [spoiler] Le fait que les meurtres soient tous des accidents et qu'il n'y ait aucun coupable, sinon la littérature policière et notre manie de tout ramener au meurtre et vouloir faire comme dans les polars même si, à la toute fin, un personnage s'interroge et se demande si ce n'est pas le détective venu résoudre le crime qui a commis les meurtres [/spoiler]. Je ne pense pas, d'ailleurs, qu'on puisse parler de ce roman comme un roman policier car il n'en a pas vraiment la prétention, il n'y a aucune enquête à proprement parler, on ne fait que suivre ces quatre jours de psychose en même temps que les victimes grâce aux notes d'un des personnages. Ce roman s'accompagne également d'une réflexion sur le roman policier et sur l'appropriation de la figure de Sherlock Holmes, que j'ai trouvé intéressante et pertinente.

Quant à moi, je me fis la réflexion que plus j'entendais parler de Holmes et moins je le cernais. Chacun semblait projeter sur lui sa propre personnalité, ses propres désirs. Chacun se l'appropriait, se voyait comme le gardien jaloux de sa mémoire, et vivait douloureusement les prétentions des autres à la garde du bébé... C'était une passion qui les habitait, qui les grandissait, qui les faisait vivre.
Mais qui était aussi en train de les détruire.

Pour parler des personnages, je dirais qu'ils ne sont pas spécialement attachants. Pas détestables, mais pas attachants non plus ainsi leur mort n'attriste pas le ou la lecteur/rice. Tous allumés les uns que les autres, parfois méprisables, ils manquent de crédibilité et pour cause, ils incarnent tous (ou presque) un stéréotype, ainsi que le Holmésien extrême. Souvent ridicules et parfois lourds, on les suit et les découvre un à un, sans éprouver un quelconque attachement, mais là encore était-ce voulu par l'auteur, puisque son roman est une parodie ? J'admire cependant les idées loufoques concernant Sherlock Holmes auxquelles ils ont adhéré [spoiler] Arsène Lupin, fils de Sherlock Holmes ? Mrs Hudson, épouse et collègue dans le crime de Sherlock Holmes ? Sherlock Holmes, personnage ayant vraiment existé et ayant été filmé ? [/spoiler] J'ai également apprécié les petits post-it du professeur Bobo et les notes et réflexions de la journaliste Audrey (la moins allumée de tous).

Au final, les deux points noirs relevés concernant les personnages et l'humour ne sont pas si dérangeants et si je n'ai pas été convaincu au début de ma lecture, j'ai fini par me faire une meilleure opinion du roman sitôt passé les premières longueurs du début et que les meurtres ont commencé (ce qui est un peu inquiétant, lorsqu'on se dit qu'un roman devient plus intéressant une fois que les meurtres commencent), et j'ai fini par m'habituer au ton déjanté du roman et aux personnages, du moins pour certains. De plus, on peut sentir le travail de documentation de l'auteur concernant le canon holmésien et les nombreux pastiches qui ont suivi, et c'est un point appréciable !


- Vous n'avez jamais lu autre chose que Sherlock Holmes ou quoi ? lâcha Oscar d'un ton méprisant (...). L'intrigue de Dix Petits Nègres, c'est dix personnes bloquées sur une île, sans possibilité de s'échapper et qui sont assassinées une par une. Ça ne vous rappelle rien ?
- Maintenant que tu en parles..., souffla Dolorès.
- Tu penses qu'un fou nous a réuni ici pour nous tuer un à un, comme dans le roman ? dis-je. Tu crois que c'était prémédité ?
- Personne ne pouvait prévoir que l'hôtel serait bloqué par la neige ! répliqua Eva.
- Et si c'était une action terroriste des poirotphiles destinée à éradiquer les holmésiens ? lança tout à coup Perchois (...).
- Hercule Poirot n'apparaît pas dans Dix Petits Nègres, fit Oscar, d'un ton redevenu conciliant.
- Justement ! s'excita Perchois. C'est pour masquer leurs traces : le poirotphile est sournois !