mardi 30 octobre 2018

Betty Boob - Vero Cazot et Julie Rocheleau.





Elle a perdu 
son sein gauche, 
son job
et son mec.
Elle ne sait pas encore,
mais c'est le meilleur jour de sa vie.





« No body is perfect »

C'est l'histoire d'Elisabeth, une jeune femme comme les autres, avec un travail, un copain, une vie tout à fait normale… jusqu'au jour où le crabe vient l'attaquer et qu'elle se réveille un jour sur son lit d'hôpital, un sein en moins. C'est l'histoire d'une jeune femme à qui on a enlevé une partie d'elle et qui va devoir réapprendre à vivre, avec cette différence…

Comme souvent, c'est sur Livraddict que j'ai découvert ce titre. Ce qui interpelle avant tout quand on commence la lecture, c'est l'absence quasi-totale de texte, de dialogue, un peu à la manière d'un film muet, ainsi que l'absence de cadre dans lequel le dessin « s'enferme », comme dans les bandes-dessinées classiques. Niveau dessin, c'est très coloré ! Nous avons une abondance de rouge, de blanc, de rose, de noir. Peut-être une explosion de couleur pour symboliser la force de vivre, de renaître après la maladie.

Il y a aussi beaucoup de mouvement, de situations burlesques, parfois un peu étranges, mais avec beaucoup de fantaisie ! Car malgré le sujet de l’œuvre, l'histoire est plutôt optimiste, ponctuée de moments drôles, décalés et tendres. Le cancer est une terrible épreuve, et si on a la chance d'y survivre, ce n'est pas sans quelques séquelles. Notre héroïne y laissera quelques plumes puisqu'elle perd son travail et son conjoint, mais dans ses malheurs elle retrouvera progressivement le bonheur. C'est donc perdre quelques plumes pour mieux reprendre son envol.

Cette histoire nous fait se poser la question : comment vivre avec un sein en moins ? Ce n'est pas une simple partie de notre corps, c'est un attribut de notre identité, de notre féminité pour beaucoup d'entre nous, et l'absence de cet attribut peut causer des séquelles psychologiques. Comment se reconstruire ? Comment ne pas avoir le sentiment d'avoir perdu une part de sa féminité ? Comment supporter le regard des autres ? Comment vivre avec cette différence ? Ce n'est évidemment pas facile pour Élisabeth qui hurle de désespoir quand elle s'aperçoit que son sein gauche lui a été retiré, et elle tente de trouver un substitut : glisser un fruit rond dans son soutien-gorge, essayer un sein artificiel que l'on peut coller à la poitrine. Et comme s'il n'était pas assez difficile d'avoir vécu cette terrible épreuve qu'est le cancer, il y a le regard extérieur – celui des proches, du conjoint, des collègues, des inconnus – qui pèse et qui rend le quotidien difficile.

Pourtant Élisabeth essaye de reprendre une vie normale : elle se pomponne, porte de jolies robes, se dandine, prépare un dîner aux chandelles pour son compagnon mais lui n'ose la regarder ou la toucher, il est penaud, il ne sait pas comment s'habituer… Un premier coup dur pour la jeune femme qui sera vite accompagné par un second lorsqu'elle se fait licencier de son travail, son physique n'étant plus considéré comme harmonieux depuis la perte d'un sein. Pourtant, dans ces malheurs, Élisabeth va se reconstruire petit à petit. Suite à une course poursuite rocambolesque après sa perruque, elle va faire une rencontre qui va changer sa vie, rencontrer des gens, des danseuses burlesques. Soutenue par cette troupe de danseuses, la jeune femme va découvrir que l’amour de soi peut prendre toutes sortes de formes et, de ce fait, va tant bien que mal se réapproprier son corps et se reconstruire.

Je n'ai pas grand-chose à ajouter, le cancer est un sujet épineux sur lequel je peine à parler, à trouver les mots justes. J'ai cependant trouvé cette bande-dessinée magnifique, qui parle de ce sujet douloureux et délicat avec beaucoup de justesse, et qui nous apporte une histoire optimiste, comme pour nous prouver que oui, il est possible de se reconstruire, de se réapproprier son corps, et de goûter de nouveau à la vie comme notre héroïne...

vendredi 26 octobre 2018

Jamais - Bruno Duhamel.



Troumesnil, Côte d’Albâtre, Normandie. 

La falaise, grignotée par la mer et le vent, recule inexorablement de plus d’un mètre chaque année, emportant avec elle les habitations côtières. Le maire du village parvient pourtant, tant bien que mal, à en protéger les habitants les plus menacés. 

Tous sauf une, qui résiste encore et toujours à l’autorité municipale. Madeleine, 95 ans, refuse de voir le danger. Et pour cause. Madeleine est aveugle de naissance.







De retour avec une nouvelle bande-dessinée, qui se déroule en Normandie, dans le village de Troumesnil dont la falaise, grignotée par la mer et le vent, recule inexorablement d'un mètre chaque année. Le maire a toutes les peines du monde à convaincre une irréductible vieille dame qui résiste encore et toujours aux autorités municipales qui refuse de voir la menace qui pèse sur sa maison. Sa petite maison, elle y tient ! Elle ne compte pas la quitter de sitôt, et sous aucun prétexte ! Malgré l'insistance et les efforts du maire pour la déloger, Madeleine ne se montre pas prête à partir, malgré la menace pesant sur sa chère petite maison… Madeleine ne veut rien entendre, prétextant ne pas voir la falaise diminuer… et pour cause, elle est aveugle de naissance !

Le point central de cette histoire, c'est son héroïne. Madeleine. Une dame aveugle et âgée, certes, mais à qui on ne le fait pas ! Au fil des pages, nous découvrons le quotidien de cette dame : elle part faire les courses, arrose ses rosiers, nourri son chat, prépare le repas pour elle et pour son défunt mari, disparu en mer il y a des années, à qui elle parle comme s’il était toujours en vie et chaque jour, un pan de la falaise s'en va rejoindre le fond de la mer et les autorités municipales ont peine à lui faire comprendre le danger qu'elle risque en restant dans sa maison.

Le personnage de Madeleine est attachant. C'est une femme forte qui ne se laisse pas faire et à la langue bien pendue ! Il y a de quoi apprécier, voire admirer sa franchise et sa force de caractère. Pourtant c'est un personnage que j'ai eu du mal à cerner. Tout le long de la lecture, je me suis demandée si elle était consciente du danger, que sa falaise était grignotée chaque jour, si elle refusait vraiment de croire en la mort de son époux et qu'elle l'attendait encore… C'est au fil des pages que l'on découvre le fin mot de l'histoire, tous ces petits détails qu'elle ne montre à personne et au final, on en vient à ressentir encore plus d'empathie pour cette femme si forte, si courageuse et lucide. Derrière ce « fichu caractère », son ton bourru et son entêtement se cache une personne brisée par la vie qui survit tant qu'elle peut, avec sa solitude et ses souvenirs [spoiler] je trouve ça juste triste qu'elle est prête à laisser son chat mourir avec elle, même si personne ne meurt dans cette histoire ; eh oui, même si c'est de la fiction, je ne pourrais jamais supporter la mort d'un animal [/spoiler]


Je ne retiendrais pas cette bande-dessinée comme un coup de cœur, mais je ne peux pas être insensible à son message, celui de l'importance de laisser les gens décider de leur vie, ainsi que l'évocation de l’attachement à son domicile et la volonté de rester avec ses repères et ses souvenirs. Même si le sujet est, au fond, assez triste, l'histoire ne va pas dans le pathos puisque Madeleine n'est absolument pas le genre de personne à se lamenter sur son sort. Malgré les malheurs qu'elle a vécu et la solitude pesante, elle reste une véritable force de la nature… un peu à l'image de la mer bordant sa petite maison. De plus, j'ai apprécié les traits d'humour présents dans cette bande-dessinée, pas seulement à travers le caractère bien trempé de Madeleine, mais aussi celui des villageois qui ne sont pas sans rappeler ceux du village d'Astérix, ce qui n'est pas une surprise car l'auteur a ajouté quelques petits clins d’œil à Astérix, à travers les villageois dont les disputes se transforment en bagarre, ou les clients critiquant la fraîcheur des poissons du poissonnier.

L'histoire est simple, mais efficace. Le trait de Duhamel est assez classique, mais ses personnages sont très expressifs, sans oublier le décor qui donne envie de découvrir la Normandie ! On peut regretter que l'histoire reste assez courte au final, mais elle va à l'essentiel, et aborde avec efficacité des thèmes durs comme l'isolement, le handicap, le choix, etc. Je ne peux pas trop en dire sous peine de spoilers, mais j'ai passé une lecture agréable, même si peu mémorable en ce qui me concerne. Je ne regrette cependant pas ma lecture, et c'est un titre que je recommande !