dimanche 16 mai 2021

Elinor Jones (T.1 à 3) - Aurore et Algésiras.

La jeune Elinor doit faire ses preuves dans un monde où aucun faux pas n'est admis !

La maison de couture Tiffany crée des robes pour les ladies les plus fortunées d’Angleterre. Elinor n’en revient pas d’avoir été embauchée : désormais, elle sera sous les ordres de Bianca, la célèbre adolescente surdouée ! Mais Elinor doit s’adapter rapidement. Ici, on fabrique du sur-mesure pour mesdames les baronnes et duchesses ! Et Mrs Tiffany mise toute sa réputation sur d’incroyables bals, pour lesquels les costumes des invités sont réalisés sur mesure.

Un huis clos victorien, où les secrets de chacun se dissimulent parmi soies et taffetas...


Elinor Jones est une bande-dessinée qui se compose de trois tomes : Le bal d’hiver, Le bal de printemps et Le bal d’été. Il se situe à l’époque victorienne et nous suivons tout d’abord Elinor qui vient de décrocher un travail de couturière dans la prestigieuse maison Tiffany dont les créations sont renommées dans toute l’Angleterre pour la beauté et l’originalité des robes destinées aux femmes les plus fortunées du pays. Elle s’intègre vite au groupe de couturière et travaille sans relâche, d’autant plus que la maison Tiffany organise à chaque saison de somptueux bals, chacun devant égaler le précédent. Mais, sous la soie et la dentelle se dissimulent des secrets, de la tension et des rivalités. Elinor s’aperçoit bientôt que, derrière les apparences idylliques, tout n’est pas si rose au manoir Tiffany (il n’y aurait pas d’histoire sinon, vous me direz)

Ce qui saute avant tout aux yeux, ce sont les graphiques. Les dessins d’Aurore sont sublimes et apportent beaucoup au récit. C’est un vrai régal pour les yeux, avec une palette de couleur très riche et beaucoup de détail, notamment au niveau des robes que beaucoup rêveraient de porter ! Que ce soit au niveau des personnages, des décors, de la précision des accessoires ou encore la beauté des robes, ce sont des graphismes très soignés qui nous permettent de se glisser facilement dans l’univers et de rêver les yeux grands ouverts.

Au niveau de l’histoire, nous suivons tout d’abord Elinor Jones et son travail en tant que nouvelle couturière, nous la voyons découvrir cet univers avec émerveillement avant de découvrir les faces plus sombres ou cachées, qu’il s’agisse des secrets de la famille Tiffany ou des bals à organiser ainsi que leurs enjeux et toutes les lourdes préparations afin que tout soit parfait. Elinor doit s’habituer à ce nouvel environnement, et nous la voyons se consacrer à son travail avec talent et sans relâche, allant jusqu’à négliger une santé déjà fragile. Toutefois, ce n’est pas seulement l’histoire d’Elinor mais aussi celle de la maison Tiffany. Nous assistons aux tensions et au stress qui s’accompagnent aux préparatifs du bal car tous doivent se surpasser, nous assistons également aux pressions et attentes familiales car Abel mais surtout Bianca, les enfants de Mrs Tiffany, doivent prendre sa relève.




L’histoire se fait de plus en plus grave et menaçante au fil des albums. Nous apprenons  à connaître la famille Tiffany et ses employés, on s’immisce dans les secrets et failles de la Maison. Les apparences se fissurent et dévoilent une réalité bien moins resplendissante que les robes qui y sont cousues. J’ai apprécié ce huis-clos oppressant qui se déroule sous le règne des apparences et des illusions.

Les personnages nous réservent bien des surprises. Abel, qui se montrait froid et sévère au début, se montre être un jeune homme talentueux, honnête et juste. Bianca, qui se montrait amicale au début pour se révéler exigeante, sournoise et capricieuse, est finalement montrée comme une jeune fille avec des insécurités qu’on ne peut s’empêcher de prendre en sympathie vers la fin, et va devenir plus mature et consciente de ses actes. Les domestiques de la famille se révèlent énigmatiques et jouent un rôle clé dans l’intrigue, notamment le majordome Chao. C’est plus qu’une histoire de couture et de jolies robes, car au fil de l’histoire se dévoilent des pressions, des secrets, des histoires de deuil, d’image de soi et de choix à faire. L’atmosphère si parfaite et raffinée du début va devenir qu’illusion et les masques vont tomber. Chaque personnage va se révéler être différent de ce qu'on peut en voir au premier regard.

Elinor est une jeune femme génialement attendrissante et touchante. Elle est déterminée à réussir, à monter dans sa carrière de couturière, mais jamais elle ne se défait de son grand cœur et de sa gentillesse pour cela.

Chaque tome nous apporte son lot de questions et nous paraît court jusqu’au tome trois et, je dois l’avouer, ça retombe un peu comme un soufflé car, ce troisième tome, s’il répond à nos questions, ajoute une note amère à l’histoire, et par Elinor qui brille par son absence car, à l’inverse des deux premiers tomes, elle se fait plus discrète et moins présente. Si on découvre enfin le pourquoi de son problème et de sa lente dégradation, le fait d'avoir eu très peu de retours d'elle, de ne pas avoir eu son ressenti vis-à-vis de tout ça est dommage. Sa maladie n’a été abordée que légèrement et que les auteures auraient pu consacrer un peu plus de temps à l’histoire d’Elinor. Elle est un personnage attendrissant, talentueux et touchant, qui est déterminée à réussir, et à faire carrière dans la couture, et qui a un grand cœur, mais finalement elle reste un personnage effacé et énigmatique, ce que j’ai trouvé dommage.

On suit une histoire intéressante et plaisante, aux dessins sublimes qui nous mettent des étoiles plein les yeux, mais l’essentiel manque d'approfondissement. Je pense surtout aux personnages, que ce soit la famille Tiffany ou encore les couturières, que que j’aurais aimé voir davantage, de voir les couturières se côtoyer plus et surtout d'entrer plus profondément dans l'intimité d'Elinor qui reste trop effacée, au final. 

Nous avons eu des scènes pourtant émouvantes et fortes avec la plupart des personnages, et c'est pour ça que j'en aurai aimé plus par moments. Au final, cette série, de par son troisième tome, laisse un goût amer à cause d'un dénouement assez surprenant qui, s’il nous offre des moments forts et émouvants, n’en demeure pas moins “bittersweet”. Cela étant, le récit est toujours aussi bien mené, avec une montée en tension particulièrement bien retranscrite, mais une histoire qui aurait tout de même mérité plus de développement.


samedi 15 mai 2021

La Mort n'est pas une fin - Agatha Christie.

Quand Renisenb revient au foyer après la mort de son époux, elle retrouve sa famille telle qu'elle l'avait quittée. Mais depuis que son père, Imhotep, a ramené une nouvelle concubine de son voyage dans le Nord, tout semble différent. La jeune femme à la beauté sans pareille a ensorcelé le maître. Habitée par un génie maléfique, elle sème le désordre dans le domaine comme dans la fratrie.

Si elle venait à disparaître, le coeur d'Imhotep retournerait à ses fils. Il suffirait d'écraser le serpent, et tout redeviendrait comme avant. Mais le Mal vient-il seulement de cette inconnue ? On dirait qu'un autre poison ronge la maison du maître... 


Loin des détectives belges et de l’Angleterre auxquels elle nous a habitué avec ses romans, Agatha Christie a changé ici d’horizon pour nous offrir un polar en pleine Égypte Antique.


Après la mort de son mari, Renisenb et sa petite fille réintègrent le domicile familial, où vit son père Imhotep, veuf et prêtre de la maison des morts, ses deux frères, leurs épouses et enfants, leur grand-mère et le vieille domestique. Endeuillée, la jeune femme se languit de son enfance et aspire à la paix dans la maison familiale où elle est heureuse de constater que rien ni personne n’a changé… du moins, le croit-elle. Car Imhotep est revenu de son voyage avec une nouvelle concubine, la jeune et belle Nofret. L’arrivée de cette étrangère ne plaît pas à la famille et Nofret leur rend bien et, sournoisement, commence à semer la zizanie au sein de la famille en attisant les jalousies et les rivalités. La tension monte… jusqu’au premier meurtre. Renisenb va devoir mener l’enquête, avec l’aide d’Hori le scribe de la famille, et de sa grand-mère Esa.


On retrouve bien la patte d’Agatha Christie dans ce roman : elle nous décrit une famille d’apparence normale et semblant nager dans le bonheur, mais on finit par découvrir les jalousies et manigances de certaines femmes, il y a l’épouse qui martyrise son mari ou vice-versa, une dame âgée maligne et observatrice, des frères en pleine rivalité, le patriarche qui contrôle tout, etc. Le scénario n’a rien d’inédit, si l’on connaît bien Agatha Christie, toutefois c’est une formule qui marche car ce roman fut plaisant à lire malgré des lenteurs au début, et les difficultés, au début, à retenir qui est qui.


L’aspect le plus intéressant, c’est l’accent mis sur la psychologie de ses personnages. Imhotep a tendance à répéter que c’est lui et lui seul qui subvient aux besoins de ses enfants et leur famille et rechigne à leur laisser prendre des décisions. L’aîné, Yahmose, est le fils modèle qui obéit à son père mais qui n’ose pas s’affirmer et prendre des décisions par lui-même, ce qui exaspère sa femme, et son père. Sobek, le fils cadet, est plus indépendant mais trop fougueux. Le petit dernier, Ipi, ne rêve que de prendre les rênes de la famille mais il est trop jeune, et souffre d’être dans l’ombre de ses cousins plus âgés. La vieille domestique ne jure que par Imhotep, et elle est méprisée par les enfants et leur rend bien.


Lorsque Nofret débarque, nous assistons aux différentes réactions de la famille et comment ils s’adaptent à cette nouvelle. Les personnages deviennent cachottiers, sournois, manipulateurs, l’un s’affirme tandis que l’autre se fait plus discret, s’allient contre la nouvelle ou se déchirent alors que leurs insécurités et jalousies se dévoilent. Les frères et leurs épouses prennent peur car la place de Nofret en tant que nouvelle concubine peut tout changer, y compris leurs intérêts et ceux des petits-enfants. Car Imhotep pourrait très bien changer son testament en faveur Nofret… On assiste au changement qui se produit au sein de la famille alors que Nofret, comme du poison, installe le doute, les tensions et les jalousies… et très vite, on est amené à se demander qui va mourir.


J’ai aimé l’ambiance du roman. Il doit bien s’agir de l’un des rares romans où l’auteure fait mourir plus d’un personnage, et tout ne s’arrête pas après ce premier meurtre. La tension continue de monter alors que se succèdent les accidents et que des personnages changent d’attitude. Si Nofret n’a rien d’une Sainte et met bel et bien le feu à la poudre, sa présence ne fait que mettre au jour les insécurités, rivalités et jalousie des membres de la famille. Elle n’a fait qu’accélérer le processus. On finit par découvrir que c’est un personnage avec ses malheurs et une certaine vulnérabilité, ce qui ne nous empêche pas d’être irritée par elle alors qu’elle s’amuse à martyriser la famille et se faire bien voir par Imhotep uniquement. Au final, ce qui rend intéressant l’aspect psychologique est le fait que c’est une chose qu’on connaît bien, l’être humain est ce qu’il est, avec des familles dysfonctionnelles, c’est ce qui donne au récit un côté intemporel.


Si j’ai beaucoup apprécié le changement de décor et qu’Agatha Christie nous propose son histoire dans l’Égypte antique, je n’ai pas pu m’empêcher d’être légèrement déconfite face au manque de précisions autour des mœurs, de la vie quotidienne et de la société des Égyptiens de l’époque. Outre les mentions que l’auteure fait parfois sur les rites funéraires des Égyptiens, ce roman aurait très bien pu se passer en Angleterre au XXe siècle sans que cela nécessite de gros changements dans le scénario. Pourtant, l’ancienne Égypte n’a pas son pareil pour éveiller la curiosité et les fantasmes des lecteurs. Si Agatha Christie a été l’épouse d’un archéologue, elle ne fut ni historienne ni une aïeule de Christian Jacq, et l’auteure a d’ailleurs confessé que ce n’était pas son intention de faire un roman historique. Le cadre historique sert plutôt à l’auteur pour constituer un huis clos familial à l'équilibre précaire. Si l’on veut se représenter les paysages, l’habitation, les vêtements, les coiffures, etc, il faut user de son imagination.


Outre ce point, j'ai beaucoup apprécié ma lecture, l'aspect psychologique des personnages était intéressant et j'ai pris plaisir à suivre cette enquête, ainsi que de découvrir le happy ending pour Renisenb qui le mérite bien !


Ce n'était pas peu dire que l'entourage en question s'était assurément transformé, et pour le pire. Dans les jours qui avaient suivi le départ d'Imhotep, Nofret avait tout fait - c'est du moins ce que pensait Renisenb - pour semer la zizanie au sein de la famille.

Mais à présent, la famille avait resserré ses liens et faisait bloc contre l'intruse. Plus la moindre dispute entre Satipi et Kait. Plus le moindre sarcasme de Satipi à l'encontre de l'infortuné Yahmose. Sobek semblait plus calme et fanfaronnait moins. Ipi ne se montrait plus guère insolent et acceptait de meilleure grâce la tutelle de ses aînés. Une harmonie nouvelle semblait s'être développée entre les membres de la famille, mais cette harmonie ne rassurait pas Renisenb dans la mesure où elle possédait son contrepoint : l'inimaginable courant de malveillance de tout le clan à l'égard de Nofret.

mercredi 5 mai 2021

La saveur du printemps - Kevin Panetta et Savanna Ganucheau.

Le lycée est enfin fini ! Ari meurt d'envie de déménager dans la grande ville avec sa bande d'amis et de se consacrer à la musique. Mais il doit d'abord trouver quelqu'un pour aider son père dans leur boulangerie familiale en difficulté. En interviewant les candidats, Ari rencontre Hector, un gars tranquille passionné par la cuisine.


Au fur et à mesure qu'ils se rapprochent, l'amour est prêt à fleurir... enfin, si Ari ne ruine pas tout !


Entre pâtisseries qui mettent l'eau à la bouche, choix de vie et premiers amours, entrez dans une histoire à faire fondre tous les cœurs.



Ce roman graphique m’a été recommandé alors que je cherchais des lectures pour le printemps (autant dire que ça remonte un peu), et que j'ai choisi de lire pour sa romance M/M ainsi que le thème de la boulangerie/pâtisserie qui me promettait de savourer une jolie petite romance M/M tout en profitant du visuel sur le pain et les pâtisseries.

Mignon, c'est l'impression générale qui me revient en repensant à cette BD. C'était mignon, feel good, mais sans plus. C'était un moment de lecture agréable, divertissante, mais je n'en garderai pas un souvenir inoubliable. Elle nous donne toutefois envie d'un voyage au bord de la mer, en Grèce, et d'aller acheter des pâtisseries en boulangerie !

Ce qui saute avant tout aux yeux, ce sont les graphismes. Comme vous pouvez le voir sur la couverture, les dessins sont tous dans les tons bleus, avec un peu de noir et de blanc qui se démarquent, mais on reste dans les nuances de bleu. On se sent aux bords de mer, voire même en Grèce, d'où est originaire la famille d'Ari. Le trait de crayon est doux, en rondeur, et très expressif.

L'histoire, c'est celle d'Ari. Tout juste sorti du lycée, il ne rêve que d'une chose : quitter la boulangerie familiale pour vivre de musique, en formant un groupe avec ses amis. Cependant, ses parents ont plus que jamais besoin de lui alors que l'affaire est au creux de la vague et que sa sœur, jeune mariée, a quitté le domicile familial. Pour convaincre ses parents de le laisser partir pour vivre son rêve, Ari se met en quête d'un remplaçant. C'est à cette occasion qu'il va rencontrer Hector, arrivé récemment en ville, et passionné de cuisine. Alors qu'Ari apprend le métier à Hector, les deux jeunes hommes vont se rapprocher...

Il est facile de deviner ce qu'il va se passer, il n'y a aucun mystère. La romance est plutôt adorable entre les deux personnages. Ari est le personnage qui est le plus développé par rapport à Hector, c'est un adolescent un peu immature, naïf et égoïste, rebelle également, mais qui va se développer tout le long de l'histoire. C'est un adolescent, il est donc dans cette période où l'on se cherche, et Ari ne sait pas où est sa place ou sa voie, il se cherche professionnellement et sentimentalement, et c'était plutôt intéressant de le voir grandir au cours de l'histoire. Hector, bien qu'il soit moins développé, était tout de même plus agréable à suivre, plus mature et agréable, et finalement le bon partenaire pour qu'Ari évolue. Même si Ari m'a paru égoïste et immature, je comprends la difficulté de devenir adulte et celle de se chercher, sans savoir quoi faire et ou aller. Ce sont des éléments de la vie que nous connaissons et on peut se reconnaître dans Ari.

Néanmoins, j'ai trouvé leur romance mignonne mais sans plus. Elle manque un peu de profondeur. Pendant une bonne partie de l'histoire, j'ai davantage eu l'impression de les voir tisser des liens d'amitié que tomber amoureux, ainsi lorsqu'Ari s'est jeté sur Hector pour l'embrasser, j'ai un peu eu cette impression que c'était soudain. Je m'attendais à plus de profondeur et d'émotion et voir l'évolution des sentiments amoureux. Cela ne veut pas dire que la romance n'est pas réussie ou inefficace, elle est simple mais attendrissante. J'ai aimé que l'homosexualité ne soit jamais citée, expliquée ou justifiée mais juste vécue. Ce n'est pas un stigmate, les personnages ne sont pas jugés ou harcelés pour leur homosexualité, ce sont juste des gens amoureux et leur entourage est heureux pour eux. L'entourage n'est pas en reste, car ces personnages sont divertissants pour la plupart, drôles ou touchants, comme le père d'Ari ou le groupe d'amis d'Ari ou celui d'Hector.

Sans être un coup de cœur, c'est un récit sympathique et divertissant, feel good, plein de fraîcheur et de douceur, racontant une romance plutôt mignonne tout en y mêlant une quête identitaire, les difficultés de savoir quoi faire de soi et de sa vie, sous une atmosphère estivale et sucrée dans un décor de boulangerie.



Le père d'Ari, boulanger professionnel, comique à ses heures perdues

lundi 3 mai 2021

Le Lecteur de Cadavres - Antonio Garrido

Inspiré d’un personnage réel, Le lecteur de cadavres nous plonge dans la Chine Impériale du XIIIe siècle et nous relate l’extraordinaire histoire de Ci Song, un jeune garçon d’origine modeste sur lequel le destin semble s’acharner. 

Après la mort de ses parents, l’incendie de sa maison et l’arrestation de son frère, il est contraint de fuir son village avec sa petite sœur malade. Ci se retrouve dans les quartiers populaires de Lin’an, la capitale de l’Empire. où la vie ne vaut pas grand-chose. Il devient un des meilleurs fossoyeurs des « champs de la mort », puis, grâce à son formidable talent pour expliquer les causes d’un décès, il est accepté à la prestigieuse Académie Ming.

 L’écho de ses exploits parvient aux oreilles de l’Empereur. Celui-ci le convoque pour enquêter sur une série d’assassinats qui menacent la paix impériale. S’il réussit, il entrera au sein du Conseil du Châtiment, s’il échoue : c’est la mort.


J’ai trouvé cette petite pépite sur Twitter, évoquée par Juliette Cazes dont j’avais lu l’excellent Funèbre, sur les différents rites funéraires que l’on peut trouver à travers le monde. Rien ne laissait supposer le coup de cœur, pourtant voilà quelques jours que j’ai refermé ce livre et ce roman continue encore de hanter mes pensées, tant il m’a laissé forte impression.


Nous sommes en Chine, au XIIIe siècle, et Ci se prépare à une journée de dur labeur à travailler à la rizière pour son frère aîné, chez qui la famille vit, lui qui pourtant avait su se faire une place et un renom à l’académie de Lin’an et qui se préparait à un avenir brillant aux côtés du juge Feng, qui se préoccupe des affaires criminelles. Malheureusement, un décès dans la famille contraint cette dernière à rentrer au village familial et de suivre les rituels de deuil. Ci doit abandonner ses études et son père son prestigieux travail, pour vivre chez son frère aîné Lu, qui profite de son autorité sur sa famille. Ci se désespère de cette nouvelle vie jusqu’au jour où, alors qu’il travaillait à la rizière, il découvre un cadavre… 


Commence ensuite une longue descente aux enfers lorsque son frère est désigné comme étant le coupable, plongeant la famille dans le déshonneur, la disparition de celle-ci dans un terrible incendie qui ne laisse que Ci comme survivant, avec à sa charge sa jeune sœur à la santé fragile. Pour survivre et subvenir aux soins de sa sœur malade, Ci décide de voyager dans des eaux dangereuses et se mettre au service d’un fossoyeur, un charlatan qui se dit devin, pour travailler avec lui au cimetière en tant que “lecteur de cadavres” pour tenter de déterminer, à travers l’aspect et les blessures du défunt, la véritable cause de sa mort… Un talent qui ne manquera pas de le faire remarquer, d’abord par Ming, professeur à la prestigieuse académie de Lin’an, puis par l’empereur lui-même lorsque des meurtres inexplicables et barbares commencent à empoisonner sa cour… 


Le Lecteur de Cadavres pourrait tout aussi bien s’appeler Les Malheurs de Ci, tant notre personnage principal passe de mésaventure en mésaventure, car l’auteur colle beaucoup d’embûches à son héros qui traverse de nombreuses épreuves, qu’il se relève pour mieux voir une nouvelle complication se mettre en travers de son chemin. En toute honnêteté, j’aurais très bien pu détester cet aspect du roman, et craindre que cela devienne trop répétitif au point de devenir lassant. Il n’en fut rien car ce roman est véritablement passionnant. Malgré son nombre de pages, il se lit très facilement et on est rapidement happé par l’histoire, si bien que les pages se tournent facilement et qu’on est poussé par le désir de connaître la suite. De plus, l’aspect historique du roman est fascinant.


Quel exploit romanesque représentait pourtant ce roman qui s’inspire d’un personnage réel, mais dont nous ne connaissons rien, nous autres Occidentaux, et dont la biographie « ne se limitait qu'à une trentaine de paragraphes extraits d'une douzaine de livres » (p. 722), pourtant il a été réussi avec brio par l’auteur dont on ne peut que saluer l’énorme travail de documentation, tant pour le personnage de Ci Song que les domaines politique, culturel, social, judiciaire, économique, religieux, militaire, etc, de l’époque, et de rechercher toutes les références possibles sur la médecine, l’éducation, l’alimentation, les vêtements, etc. On ne peut que se sentir admiratif face à l’immense travail de recherche déployé par l’auteur qui a également mis à notre disposition, en toute fin de roman, différentes notes concernant la vie réelle de Cí Song, un glossaire des différents mots et significations spécifiques ainsi que les différents livres l'ayant aidé à l'élaboration de ce roman historique si dense.


L’autre force, ce sont ses personnages, notre héros en particulier. On ne peut qu’être admiratif face à Ci qui doit progresser dans un environnement pratiquement toujours hostile, devant se battre pour survivre, qui est prêt à tous les sacrifices pour sa sœur, et ce jusqu'à la dernière page et qui se sort de situations extrêmes grâce à une intelligence hors du commun, une détermination inébranlable et beaucoup de persévérance. Si sa naïveté lui vaut bien des déboires, sa résistance aux attaques physiques (pas ordinaire, puisqu'il est atteint d'une maladie neurologique rare, qui le rend insensible à la douleur au froid et au chaud, ce qui représente à la fois un avantage, lorsqu'il est attaqué par exemple, comme un inconvénient car il ne peut mesurer la gravité de ses blessures la plupart du temps, et les limites à ne pas franchir).

Nous avons également Xu, fossoyeur au cimetière, vivant sur un bateau avec ses nombreuses femmes, un charlatan avare, mais un personnage pas moins dénué d’intérêt malgré le manque d’humanité dont il peut faire preuve, car il est doué dans ce qu’il fait et, s’il n’a pas le talent de Ci, sait s’y prendre avec les cadavres. Je ne peux pas ne pas évoquer Ming, professeur de renom, admiré par ses élèves et surtout Ci, en qui il a vu énormément de potentiel et qui désire lui laisser sa chance, j’ai beaucoup aimé la dévotion qu’ils ont l’un envers l’autre, ce qui prend une signification toute particulière quand [spoiler] on apprend que la préférence de Ming va aux hommes et qu’il est tombé amoureux de Ci, dommage que l'auteur n'ait pas plus exploité cela, même si ce n'était pas le sujet du roman [/spoiler] ainsi que le juge Feng qui a joué de mentor au jeune Ci et dont le rebondissement le concernant m'a vraiment surprise et qui nous montre une facette du personnage qu'on aurait pas imaginé, et qui nous permet de le considérer, ainsi que la première partie du roman, sous un autre regard.


L'autre point positif, c'est quand une véritable enquête débute. L'histoire prend alors une toute autre tournure et devient un véritable roman policier. Enquête, interrogatoires, recherche d'indices, de mobiles et, bien sûr, étude des cadavres. Nous apprenons de nombreuses choses à travers Ci et ceux qui vont contribuer à le former, ce qui nous permet de comprendre ce qu’on peut “lire” sur un cadavre et comment : ce que disent les blessures et hématomes sur les causes de la mort, les indices dévoilés à travers la décomposition du corps, les traces dans les os, les entrailles et comment tout ceci nous donne des indices sur les causes de la mort, l’environnement où cela s’est produit, l’arme utilisée, différencier un suicide ou une mort accidentelle par un meurtre… Bien-sûr, il peut s’avérer nécessaire d’avoir le cœur bien accroché, tant pour certaines scènes d’autopsie mais aussi lors de la description de scènes de tortures dont on peine à imaginer qu’elles ont réellement existé. Ci Song a vraiment su comment analyser, faisant de lui, sans aucun doute, le précurseur de la médecine légiste.


Le suspens est intense, l’intrigue bien ficelée, avec beaucoup de surprises et de retournements de situation, mais en restant toujours logique. On a même des révélations qui m'ont fait apprécier, à rebours, pas mal de ce que je reprochais au début de l'histoire. Comme vous l'aurez compris, ce roman a été plus qu'une excellente découverte mais un coup de cœur pour son ensemble, aussi bien pour le style de l'auteur, l'histoire racontée, le personnage de Ci et le contexte historique qui nous permet d'en apprendre beaucoup sur une période et une civilisation qui nous restent méconnues...


Xu dominait l'observation des cadavres de la même façon qu'il exerçait avec habilité l'interprétation des expressions des vivants. Il savait retourner les corps, trouver des os brisés, deviner les coups de bâton, reconnaître les hématomes, prédire les causes et les origines, et même déterminer le métier des morts qui passaient entre ses mains, comme s'il avait interrogé un vivant. Cela faisait des années qu'il manipulait les cadavres au cimetière, qu'il aidait à l'incinération des défunts bouddhistes et, à ce qu'il disait, il avait même travaillé comme fossoyeur dans les prisons du Sichuan, où les tortures étaient quotidiennes. Une expérience qui faisait défaut à Ci.