mardi 15 décembre 2015

L'archéologie de la Grande Guerre - Alain Jacques, Gilles Prilaux et Yves Desfossés.

Yves Desfossés, Alain Jacques et Gilles Prilaux, responsables de fouilles dans le Nord et en Picardie, livrent les fruits de leurs observations et des recherches archéologiques récentes sur la ligne de front et les champs de bataille. Ils présentent ici des données inédites pour l'étude de la Grande Guerre, enrichies d'une remarquable iconographie. Car l'archéologie apporte une contribution décisive à la connaissance de cet épisode tragique de notre histoire récente. Si les tranchées et les tirs d'obus ont parfois mis à mal des sites archéologiques bien plus anciens, l'exploration scientifique des vestiges de la guerre de 1914-1918 complète les témoignages des soldats et contredit parfois les documents officiels. 

On découvre un étonnant artisanat à base de douilles d'obus, mais aussi des rites funéraires bouleversants pratiqués sur les champs de bataille, où le souci de donner une sépulture aux corps parfois fragmentaires des soldats fait contrepoint aux indices d'une boucherie sans nom. Longtemps ignorée, cette archéologie du monde contemporain contribue à renouveler les travaux des historiens et tisse un lien nouveau avec un passé récent qui s'estompe des mémoires. Elle s'impose désormais pour sauvegarder par l'étude les sites des champs de bataille du premier conflit mondial inexorablement détruits par l'aménagement du territoire.

Lorsqu'il est question d'archéologie, on pense tout naturellement aux fouilles en Egypte, à Pompéi, en Grèce, voire même à Indiana Jones, et c'est tout à fait compréhensible. Toutefois, l'archéologie est une discipline qui englobe toutes les périodes de notre histoire, y compris une période plus contemporaine.

L'archéologie de la Grande Guerre est une discipline assez récente, qui a commencé dans les années 1990 et qui ne cesse de se développer depuis. Ces fouilles se font majoritairement dans le Nord et l'Est de la France, qui ont été plus impactées par le conflit. Elles ont entraîné de multiples découvertes à travers de nombreux et divers vestiges, nous permettant d'apporter de nouvelles informations sur la guerre 14-18 et plus particulièrement sous un angle plus humain, à travers les soldats.

J'ai eu la chance d'assister à une présentation de cette discipline, à l'université, par l'un des auteurs de cet ouvrage, Monsieur Alain Jacques, historien et archéologue à Arras, connu pour avoir découvert les vestiges de la cité antique de Nemetacum (Arras) et qui a été confronté aux vestiges de la Grande Guerre en menant des fouilles sur le chantier de construction de la ligne TGV Nord, dans les années 1990. C'est donc ce qui m'a amené à la découverte et lecture de ce livre.

L'ouvrage traite tout d'abord par le commencement, à savoir le début de cette branche de l'archéologie et les premières confrontations avec les vestiges. Elles ont souvent été mal vécues par les archéologues qui n'étaient pas ou peu préparés à une rencontre avec ces traces d'un passé encore récent : ces vestiges ont été majoritairement découverts lors de travaux, et les archéologues n'avaient pas alors la formation pour travailler sur une période aussi récente, et l'on avait pas imaginé fouiller ce passé qui est encore vif dans nos mémoires, entre les sépultures des soldats et les nombreux obus encore enfouis dans nos sols. Les auteurs parlent ainsi de la complexité de cette branche car elle touche un passé récent et on s'en remet davantage aux historiens qu'aux archéologues pour raconter cette période, d'autant plus qu'il y a des millénaires d'occupation humaine sur notre territoire, ainsi il est compréhensible que les archéologues s'attachent à raconter un passé plus ancien que l'on connaît moins, mais des archéologues ont fini par être confrontés à des vestiges de la Grande Guerre découverts lors de travaux d'aménagement ou de sondages de diagnostic archéologique, comme ce fut le cas d'Yves Desfossés, l'un des auteurs, et c'est ainsi que l'histoire de cette discipline commence. 

Les auteurs traitent ensuite de l'intérêt de cette archéologie, ce qu'elle apporte à l'histoire, d'autant plus que la Première Guerre Mondiale dispose d'une riche documentation. Il existe cependant des zones d'ombre et c'est là que l'archéologie intervient : là où les documents racontent en détail les origines du conflit, les nombreuses batailles, son évolution, etc, on découvre à travers les vestiges des informations sur la vie quotidienne des soldats au front, un aspect peu évoqué dans les sources de l'époque, car jugé relativement secondaire alors. Or, les soldats, peu importe leur nationalité, ont laissé des traces et cela nous apporte une nouvelle façon de voir le conflit, sous un angle plus humain. Cela nous permet parfois d'en apprendre plus sur le soldat en lui-même, son quotidien dans les tranchées, et des choses basiques comme l'alimentation, l'hygiène ou la foi. Les catégories d'objets les plus fréquemment retrouvés lors de fouille, à l'exception du matériel militaire, sont liés à la nourriture, à l'écriture ou à l'hygiène (une bouteille en verre frappée aux armes d'une division de l'armée, un crucifix parfois fabriqué par le soldat lui-même, etc).

Les auteurs évoquent également les pratiques funéraires des soldats, à travers l'étude des sépultures car ce sont les découvertes les plus fréquentes. Ils soulignent l'importance de l'impact de ces découvertes : si l'on découvre encore aujourd'hui des sépultures datant des siècles précédents, cela n'a pas le même impact car la Première Guerre Mondiale reste assez proche de nous, chronologiquement parlant, cela entre dans le champ de notre mémoire collective, d'autant plus que ces soldats auraient pu être nos grands-pères ou arrière grands-père et que les corps retrouvés portent les stigmates d'une mort violente. Il est donc expliqué que ces corps font l'objet de soins particuliers, ne serait-ce que par devoir de mémoire. L'archéologie nous permet d'en apprendre plus sur les pratiques funéraires des soldats car il n'existe pas un seul type de sépulture : il peut y avoir la tombe d'un soldat englouti avec son paquetage dans le no man's land ou dans un trou d'obus, une tombe collective, en passant par la sépulture individuelle soigneusement creusée ou aménagée rapidement. L'exemple le plus frappant est celui des Grimsby Chums, accueillant des soldats anglais dont le bras droit de chaque homme repose sur le bras gauche de son voisin, de façon à ce qu'ils soient unis dans la mort comme ils l'ont été dans la vie. L'intérêt est aussi d'identifier le soldat à travers les pièces d'équipement qu'on peut retrouver sur lui, et découvrir sa nationalité, son rang dans l'armée, un nom, le moment de la mort, la cause de la mort, etc. Cela peut aussi permettre de donner une vraie sépulture au soldat et de retrouver sa famille.

La sépulture collective des Grimsby Chums, littéralement les  potes de Grimsby , surnom que s'étaient donné ces hommes du 10e bataillon du Lincolnshire Regiment, a été découverte lors de la fouille d'un site gaulois et gallo-romain. Les corps de 20 soldats, probablement tombés sur le front au printemps 1917, ont été pour la plupart déposés coude à coude, Saint-Laurent-de-Blangy(Pas-de-Calais), 2002.
La tombe collective des Grimsby Chums, nom que s'est donné le 10e bataillon du Lincolnshire Regiment,
probablement tombés en 1917, et reposant coude à coude (Saint Laurent Blangy).

Comme évoqué précédemment, les objets et vestiges les plus fréquemment retrouvés appartiennent au domaine du militaire : armes, insignes, obus, ... jusqu'aux véhicules comme des tanks ! L'un des plus connus étant le tank de Flesquières, exhumé vers la fin des années 1990, et se présente comme un témoin important de la bataille de Cambrai. Comme on peut découvrir des cités antiques, les archéologues de la Grande Guerre découvrent aussi des sites, tels que des souterrains où l'on retrouve objets de la vie quotidienne du soldat, de nombreux graffitis et dessins, ou encore des ateliers comme la ZAC Actiparc où l'on a retrouvé de nombreux rebuts de tôle de laiton, que les soldats utilisaient pour fabriquer étuis de protection, coupe-papier, outils, voire quelques oeuvres d'art (les douilles d'obus décorées avec des inscriptions et dessins, par exemple) pour combler l'ennui, c'est ce qu'on appelle l'artisanat de tranchée.


Il s'agit d'un ouvrage très documenté sur cette branche méconnue de l'archéologie, accompagné de nombreuses photographies pour mieux découvrir les vestiges et des exemples concrets et détaillés pour illustrer le propos. J'ai trouvé vraiment intéressant la découverte de cette branche de l'archéologie et j'ai été sensible aux réflexions concernant le pourquoi et comment traiter cette archéologie d'un drame encore vifs dans nos mémoires et dont les derniers témoins n'ont disparus que récemment. C'est plus que de l'histoire ou de l'archéologie, car il y a un aspect mémoriel et personnel, ce que j'ai trouvé vraiment intéressant, d'autant plus que pour les habitants du Nord (comme moi) ou de l'Est de la France, c'est une autre façon de découvrir notre région. C'est un ouvrage très bien documenté et illustré que je recommande à ceux qui s'intéressent au sujet, ou qui sont intéressés par l'histoire.



artisanat de tranchee 14 18 - Artisanat et commerce equitable
Artisanat de tranchée : exemples d'objets fabriqués à partir du laiton des obus.

lundi 14 décembre 2015

Le Pianiste - Wladyslaw Szpilman.



Septembre 1939. L'invasion de la Pologne, décrétée par Hitler, vient déclencher la Seconde Guerre mondiale. Varsovie est écrasée sous les bombes ; à la radio résonnent les derniers accords d'un nocturne de Chopin. Le pianiste Wladyslaw Szpilman est contraint de rejoindre le ghetto nazi recréé au cœur de la ville. Là, il va subir l'horreur au quotidien, avec la menace permanente de la déportation. Miraculeusement rescapé de l'enfer, grâce à un officier allemand mélomane, le pianiste témoigne au lendemain de la victoire alliée...






C'est toujours un peu spécial de rédiger un billet sur un témoignage, un peu délicat. On ne peut pas juger sur la qualité du contenu, pas forcément sur le style de l'auteur ; on montre surtout les émotions causées par la lecture de l'ouvrage, ce que l'histoire a déclenché chez nous, comme émotions. J'ai lu Le Pianiste dans une période de creux littéraire, je n'avais pas la motivation de lire ou de poursuivre un roman, pourtant ce roman m'a captivé. Autant dire, il a été lu rapidement et j'ai eu du mal à le lâcher, et je l'ai quitté avec regret.


Wladyslaw Szpilman
Cet ouvrage a une histoire particulière : il a d'abord été publié sous le titre d'Une ville meurt, et son auteur l'a rédigé peu de temps après la guerre, alors qu'il était encore sous le coup de la souffrance vécue. Dans ce livre, Wladyslaw Szpilman raconte son quotidien en tant que pianiste et musicien à la radio, à Varsovie. Il était, et demeure encore, un pianiste célèbre dans sa patrie : il fut en effet compositeur de musique de films et fut pianiste officiel de la Radio polonaise. Il nous raconte d'abord sa jeunesse, comment, durant l'été 1933, c'est un peu l'insouciance à Varsovie car personne ne croit vraiment que les troupes allemandes vont arriver jusqu'à eux. Mais très vite le ton change : Szpilman raconte comment l'arrivée des Allemands pendant la Seconde Guerre Mondiale a bouleversé son quotidien : l'occupation allemande de la Pologne, la mise en place des Juifs dans un ghetto, les règles de vie et l'enfer vécus dans ce ghetto. 

Il raconte aussi le douloureux épisode de la déportation des Juifs du ghetto, dont la famille de Szpilman, dans un camp de concentration, à laquelle il échappa de justesse car enlevé de la file par quelqu'un qui connaissait et admirait le pianiste. Seul pendant un temps, Szpilman parvint à survivre à Varsovie grâce au soutien et à la solidarité d'amis et connaissances qui l'hébergèrent après sa fuite du ghetto, et qui risquèrent leur vie pour lui procurer nourriture et cachettes. C'est ainsi que, pendant une partie de la guerre, Szpilman alla de cachettes en cachettes pour tenter de survivre. Je vais spoiler cette partie de l'histoire, mais si vous avez vu le film, l'histoire n'a aucun secret pour vous : [spoiler] Un jour, un peu avant la fin de la guerre, dans une Varsovie quasiment détruite et déserte, Szpilman fut découvert par un officier Allemand, Wilm Hosenfeld, qui choisit de ne pas le dénoncer ou de l'arrêter mais de l'aider à se cacher et de lui apporter vêtements et nourriture [/spoiler]

J'ai beaucoup aimé suivre Szpilman au cours de son récit. D'une part, l'histoire qu'il a vécu est à la fois terrible mais aussi incroyable : survivre un conflit aussi destructeur que la Seconde Guerre Mondial, survivre en tant que Juif en Pologne, d'abord dans un ghetto, puis en échappant, presque par un coup de force du destin, le miracle non attendu, à la déportation, en survivant dans une Varsovie occupée par l'ennemi, de cachette en cachette, vivant seul et caché une majeure partie de son temps sans perdre la raison, mais aussi par sa rencontre inoubliable avec un officier allemand, qui choisit de le laisser en vie et même de lui apporter vêtements et nourriture, après un air de Chopin joué ; d'autre part parce que Szpilman ne garde aucune rancune, aucune haine envers les Allemands ou ceux qui ont collaboré pour mener les Juifs à leur perte. Aucune rancœur n'est ressentie, c'est essentiellement le récit d'un homme qui survit, malgré ses peurs, malgré tout ce qu'il a perdu, mais qui tente de continuer à vivre. Szpilman ne pousse pas à la haine. Après tout, dans son récit, il y a des bons comme il y a des méchants Allemands (Wilm Hosenfeld qui a sauvé Szpilman, et qui lui avoua ne pas être fier d'être Allemand, après tout ce qu'il s'est passé), comme il y a des bons comme des mauvais Polonais (les victimes de la guerre et de l'antisémitisme, les résistants... tout comme les Polonais qui ont choisi de collaborer et même de torturer).


 


- L'affiche américaine et l'affiche française -

La plume de l'auteur est légère. Le vocabulaire choisi est simple et direct, presque froid pourrait-on dire. L'auteur décrit tout en sobriété mais de manière efficace, poignante, car on ne peut pas rester insensible aux événements qu'il relate, mais sans descriptions vraiment "crues" pouvant heurter les plus sensibles. Il est important de noter que l'auteur a écrit ces lignes alors qu'il était encore sous le choc de ce qu'il a vécu, d'où sa manière de décrire "froidement" les choses, de nous renvoyer aux horreurs subies par les Polonais, mais qui sait prendre le lecteur aux tripes. Le but de l'auteur n'est pas de faire de belles phrases après tout, mais de relater ce qu'il a vécu.

Une particularité de l'histoire : la musique a permis, d'une certaine manière, à sauver Szpilman, à garder la raison, à survivre. C'est également la musique qui caractérise la rencontre entre Szpilman et Hosenfeld. C'est d'ailleurs une occasion pour moi de dire que j'ai beaucoup aimé les derniers chapitres, les dernières pages du livre où Szpilman rencontre Hosenfeld (ou plutôt Hosenfeld qui tombe sur Szpilman) et les événements qui ont fait que cet officier allemand décide de sauver Szpilman. Peut-être, comme le film le suggère, il a été profondément touché par sa musique, par le morceau que Szpilman a joué. Peut-être, sûrement, parce qu'Hosenfeld était un homme bon au fond de lui.

Ce livre (ou alors l'édition) relate également l'histoire de ce livre : ses nombreuses censures par des dirigeants communistes (à l'époque où l'Europe de l'Est, après la guerre, était sous autorité communiste) car jugé comme non politiquement correct : Szpilman relate non seulement les souffrances des Juifs, fait mention d'holocauste, parle des collaborations qui se sont produites entre des Polonais et des Allemands, et présente un officier allemand comme sauveur. C'est son fils, Andrzej, qui parvint à republier ce livre sous le nom que nous lui connaissons et que, petit à petit, les éditeurs de nombreux pays prirent la suite pour rendre l'ouvrage accessible. Ce livre a également consacré quelques pages pour parler de Wilm Hosenfeld, l'officier allemand qui sauva la vie de Szpilman, notamment pour en apprendre plus sur ce personnage, sa vie, mais également d'autres gestes qu'il a accompli pour sauver, ou témoigner de la gentillesse, à des Juifs au cours de la guerre. En plus du récit de Szpilman, ce livre m'aura vraiment permis de découvrir ce personnage discret de l'histoire et qui a pourtant fait beaucoup. Je remercie cet ouvrage pour m'avoir fait découvrir un peu plus Wilm Hosenfeld.

En bref : un témoignage que j'ai eu du mal à lâcher, qui a su me toucher, me captiver. L'histoire de Szpilman est inoubliable, avec son lot d'horreurs comme de miracles. Cette histoire est vraiment intéressante et écrit sobrement.


Quand j'y repense, cette période de deux années ou presque dans le ghetto me rappelle une page beaucoup plus courte de mon enfance. Je devais me faire opérer de l'appendicite. L'intervention s'annonçait sans surprise, sans rien d'inquiétant. Mes parents étaient convenus d'une date avec les médecins, une chambre avait été retenue pour moi à l'hôpital. Dans l'espoir de me rendre l'attente moins pénible, ils s'étaient ingéniés à transformer la semaine qui me séparait de l'opération en une succession de sorties, de cadeaux, de distractions. Nous allions manger des glaces tous les jours, puis c'était le cinéma, ou le théâtre. Ils me couvraient de livres, de jouets, de tout ce que je pouvais convoiter dans mon cœur. En apparence, je n'avais besoin de rien d'autre pour me sentir pleinement heureux. Et pourtant je me rappelle encore que pendant toute cette semaine, devant un film, à une représentation théâtrale, chez le glacier, et même quand je plongeais dans des jeux qui demandaient la plus grande concentration, je n'ai pu me libérer une seule seconde de la peur insidieuse qui restait tapie persistante dans mon estomac, de cette angoisse informulée mais persistante à l'idée de ce qui allait de passer lorsque le jour redouté finirait par arriver.

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