lundi 18 mai 2020

La Forme de l'Eau / The Shape of Water.

LA FORME DE L'EAU
1963 sur fond de Guerre Froide. Elisa, modeste employée d’un laboratoire gouvernemental ultrasecret, mène une existence morne et solitaire, d’autant plus isolée qu’elle est muette. 

Sa vie bascule à jamais lorsqu’elle et sa collègue Zelda découvrent une expérience encore plus secrète que les autres, un homme amphibie...







La Forme de l'Eau est un film dont j'attendais la sortie avec impatience de part l'originalité qu'il présente : une héroïne handicapée, l'exploitation le monstre du lac des films des années 1950 tout en lui donnant des émotions et des pouvoirs divins, mais également de présenter une histoire d'amour entre le monstre et l'héroïne. Avouez qu'on ne retrouve pas ce genre de romance tous les jours ! Ce film est d'autant plus signé Guillermo del Toro, réalisateur à qui l'on doit Blade, Hellboy et notamment Le Labyrinthe de Pan que j'avais découvert il y a plusieurs années.

Nous sommes au début des années 1960, l'Amérique est en lutte avec les Soviétiques, qui envoient leurs espions en Amérique, pour la conquête de l'espace. Notre héroïne se nomme Élisa Esposito, orpheline solitaire et muette qui compte, comme amis, son voisin de pallier, Giles, et Zelda, sa collègue. Les deux femmes travaillent comme femmes de ménage au sein d'un laboratoire gouvernemental, géré par le colonel Strickland, un homme brutal et imbu de lui-même qui vient de ramener d'Amérique du Sud une chose top secrète qu’Élisa découvre, en faisant le ménage, être une créature humanoïde amphibienne que les autochtones d'Amazonie vénéraient comme un dieu et que le colonel malmène. Poussée par la curiosité, Élisa cherche à s'introduire clandestinement dans la pièce où se trouve la créature. Fascinée et prise de sympathie pour la créature prisonnière, Élisa établit le contact avec lui, lui apportant de la nourriture et de la musique et lui apprenant la langue des signes avec laquelle ils communiquent. Las de devoir surveiller la créature, Strickland obtient de son supérieur la permission d'effectuer une vivisection sur l'amphibien, ce qui scandalise le Docteur Hoffstetler, lui-aussi fasciné par la créature et désirant l'étudier vivante, mais qu'il ne peut empêcher. Apprenant cela, Élisa, désespérée, tente le tout pour le tout et décide de mettre en place, avec la complicité de Giles, son voisin, Zelda et le Docteur Hoffstelter. Ils installent la créature dans la baignoire d’Élisa, en attendant de pouvoir le relâcher, lors de la prochaine pluie, dans un canal communiquant avec la mer. Cependant, Strickland, furieux, mène sa propre enquête pour découvrir les responsables de l'évasion...

La forme de l'eau en streaming direct et replay sur CANAL+
Elisa (Sally Hawkins) et la créature (Doug Jones).

Une histoire d'amour entre l'héroïne et une créature aquatique ! À priori, si cette histoire peut sembler étrange, elle n'en reste pas moins visuellement crédible dans la mesure où Guillermo del Toro prend bien son temps pour nous la raconter, en procédant étapes par étapes : il plante d'abord le quotidien d’Élisa, l'arrivée de la créature d'abord tenue secrète, puis la rencontre entre nos deux personnages, l'apprivoisement mutuel, l'amitié débouchant sur l'amour naissant puis tout s'accélère lorsque la vie de l'amphibien est en danger et qu’Élisa organise son évasion et le cache chez elle, en attendant de le libérer. En dehors du laboratoire qui le gardait prisonnier, l'amphibien bénéficie de plus de liberté alors qu’Élisa et lui se rapprochent. C'est ainsi que Guillermo del Toro prend son temps pour raconter son histoire, en alternant entre les temps morts (les scènes d'amour, de réflexion et de tendresse) et les temps forts (le colonel à la poursuite de la créature, l'évasion de la créature puis les plans pour la relâcher, par la suite, dans la nature, les soupçons du colonel, etc).

La Forme de l'Eau se présente comme une version moderne du conte de La Belle et la Bête où, comme dans le conte, la beauté de la belle est davantage intérieur qu'extérieure (non pas que Sally Hawkins ne soit pas une femme dénuée de charme, mais je trouve son personnage éloigné des canons féminins de notre société) et la bête plus humaine que l'homme qui l'a capturé. Élisa est, en effet, un personnage altruiste, très expressive malgré son handicap, parfois espiègle, douce, forte, fragile. L'amphibien, quant à lui, monstre, oscille entre la faiblesse et la majesté d'un dieu, entre violence et douceur. Il dégage de lui quelque chose d'impressionnant comme une certaine candeur (par exemple, la scène où il découvre la musique). On peut se demander ce que ces deux êtres peuvent bien se trouver et comment ils sont attirés l'un à l'autre, mais le réalisateur parvient à nous rendre cette relation crédible et touchante (Trois mots : You... and me... Together).

La forme de l'eau - Guillermo del Toro - Babelio
Le roman, écrit par Daniel Kraus.
Il y a d'ailleurs un rapport intéressant entre Élisa et l'eau. Son rêve, au début du film, l'illustre bien, c'est aussi un personnage qui cuisine avec l'eau (les œufs), se masturbe dans l'eau, ... comme s'il s'agissait d'une façon de sous-entendre qu’Élisa est profondément liée à l'eau, que [ c'est dans l'eau où elle va vivre désormais ] et que c'est peut-être dans l'eau qu'elle est née, car il y a un mystère qui entoure Élisa, sans que le réalisateur nous l'explique, ce sont ses cicatrices au niveau du cou, qu'elle a depuis la naissance et qui font évoquer des branchies, comme si sa rencontre avec l'amphibien était justement bien tombée. Peut-être que le livre étoffera plus certains aspects de son film et approfondira l'histoire de nos personnages. J'espère pouvoir le lire un jour.

L’intrigue comporte beaucoup de fantaisie et de poésie, avec quelques airs à la Amélie Poulain., mais ce n’est pas un conte de fées. Le monde décrit est violent et injuste, d'autant plus qu'il est situé dans un contexte historique tendu, à savoir les Etats-Unis du début des années 1960, alors que la guerre froide était à son paroxysme, et c'est cet élément fantastique, à travers le personnage de la créature, qui va donc exacerber les pires comme les meilleures attitudes humaines. Ce film se présente d'autant plus comme une dénonciation à la discrimination (racisme contre les Noirs, l'homophobie, etc), une ode à la différence. Nos principaux protagonistes sont des personnes faisant partie d'une minorité, toutes désocialisées à leur façon : l'handicapée, une femme de couleur, un homosexuel, ce qui est d'autant plus intéressant dans ce film.

J'avoue cependant ne pas avoir accroché à certaines scènes (et non, il ne s'agit pas de la scène intime entre Élisa et la créature haha), notamment la scène où Élisa s'imagine danser avec la créature, en robe de soirée ; j'aurais également aimé être avertie de quelques scènes peu ragoûtantes, dont une en particulier [spoiler] quand la créature dévore un des chats de Giles, c'est une scène qui a heurté ma sensibilité car, comme beaucoup, je déteste de voir des scènes de mort ou de maltraitance animale sur écran [/spoiler]. Le film n'est pas non plus exempt de tout reproche, l'intrigue est parfois prévisible et des personnages sont assez clichés (le méchant homme blanc, le scientifique que personne n'écoute, ... ).

Je n'ai pas les compétences pour parler des plans et de la photographie du film en détail, mais le film est sans conteste très beau visuellement. Le réalisateur nous en met plein la vue, accompagné de la bande-son d'Alexandre Desplat dont les qualités de compositeurs ne sont plus à refaire, ainsi que la présence de quelques chansons de Jazz.

S'il n'est pas sans défauts, le film présente de nombreuses qualités : il est visuellement magnifique, avec une bande-son irréprochable, des personnages très bien interprétés, une histoire prenante et parfois originale. En bref, La Forme de l'Eau se présente comme un joli moment de cinéma, émouvant et réflexif.


http://www.lebleudumiroir.fr/wp-content/uploads/2017/10/featured_the-shape-of-water-1050x700.jpgThe Shape of Water' is a fantastic fantasy | The Daily Gazette

Elisa (Sally Hawkins) avec Giles (Richard Jenkins) et Zelda (Octavia Spencer)

vendredi 15 mai 2020

Une sirène à Paris - Mathias Malzieu.


Juin 2016, la Seine est en crue et Gaspard Neige trouve sur les quais une sirène blessée qu'il ramène chez lui. Elle lui explique que tous les hommes qui entendent sa voix tombent amoureux d'elle et en meurent, mais, convaincu que son cœur est immunisé depuis sa rupture, Gaspard décide de la garder jusqu'au lendemain dans sa baignoire.

Mathias Malzieu entame sa carrière d'homme poétique en 1993 en fondant le groupe de rock Dionysos. Depuis, il développe son univers sous forme de livres, de disques, de films : Jedi perdu dans un western sous la neige, monstres amoureux, femme-chocolat, homme-horloge ou skateboarder du cercle polaire. 

Après La Mécanique du cœur et Journal d'un vampire en pyjama, traduits dans plus de vingt pays et qui ont touché plus d'un million de lecteurs, Une Sirène à Paris, son nouveau roman, s'accompagne d'un disque, Surprisiers, avec le groupe Dionysos chez Columbia, et d'un film éponyme réalisé par Mathias Malzieu avec Nicolas Duvauchelle et Marilyn Lima, et distribué par Sony Pictures.


L'adaptation de ce film me faisait de l’œil depuis des semaines, je n'ai pourtant pas eu l'opportunité d'aller le voir au cinéma avec le confinement que nous avons connu ces dernières semaines. À défaut de le voir au cinéma, j'ai pu emprunter le livre en attendant de me plonger dans son adaptation.

Alors que Paris est sous la pluie et que l'eau fait déborder la Seine et inonder les rues, Gaspard retrouve le Flowerburger, la péniche héritée de sa grand mère, pour jouer devant un public qui s'est fait rare depuis le début de la crue. Une maigre recette qui incite une fois de plus Camille, le père de Gaspard, à vendre la péniche. Pour Gaspard, qui a l'âme rêveuse et l'imagination débordante de sa grand-mère, il en est hors de question. Sur le chemin du retour, il est interpellé par une étrange mélodie qui le conduit tout droit à... une sirène. Blessée et inconsciente, Gaspard décide de la soigner avant de la remettre à l'eau. Comment expliquer, aux urgences, avoir une créature mi-femme, mi-poisson dans son véhicule ? Abandonnant cette option, Gaspard décide de la ramener chez lui. Désorientée et perplexe face à Gaspard, elle lui avoue que son chant est capable de tuer les hommes venant à l'entendre. Gaspard, convaincu d'être immunisé suite à sa douloureuse rupture, décide de la garder, dans sa baignoire, le temps de sa convalescence.

Une sirène à Paris - film 2019 - AlloCiné
Affiche du film avec Nicolas Duvauchelle
dans le rôle de Gaspard et Marilyn Lima
dans le rôle de Lula.
Matthias Malzieu nous offre une histoire plein de poésie qui se présente comme une ode aux rêves et à l'imagination, un monde fantaisiste, un brin fantastique et romantique, avec une écriture loufoque et imagée, des personnages déjantés (petite mention à Rossy, la voisine un poil trop curieuse et bavarde de Gaspard), beaucoup de péripéties et de nombreuses références musicales, témoignant du milieu dans lequel l'auteur berce, qui enchante le lectorat. On y retrouve malgré tout quelques clichés : la personne au cœur brisé après une rupture difficile qui se croit immunisée et donc protégée de l'amour et ses blessures et qui finit malgré tout par tomber amoureuse ; la sirène sublime avec la magnifique paire de seins (oui, j'insiste là-dessus). Néanmoins, il faut avouer qu'elle est amusante cette sirène lorsqu'elle découvre le monde des humains, mange un pauvre canard en pastique et regarde des films, qui pleure des diamants et dont la voix est une arme mortelle à ceux qui l'entendent, ce qui explorait le mythe de la sirène comme danger pour les humains. Je déplore néanmoins la rapidité de la relation entre Lula, la sirène, et Gaspard même s'ils ont des moments tendres et complices auxquels je n'ai pas toujours pu rester insensible (je pense notamment à la scène magique à l'aquarium), ainsi que la manie de Gaspard à vouloir lui parler en Anglais.

J'ai eu un peu de mal à rentrer dans l'histoire, n'éprouvant au départ que peu d'intérêt pour les histoires de famille et de péniche du personnage principal, avant de passer ce cap et de sentir opérer la magie de l'écriture et de l'univers de l'auteur. Toutefois, je dois admettre que ce roman m'a agréablement surprise. Je pensais lire un roman léger et fantastique, avec une simple romance entre un humain et une sirène, mais l'histoire se révèle plus profonde avec un suspense qui se tisse de plus en plus et une fuite rocambolesque jusqu'à Etretat, grâce au personnage de Milena, urgentiste, que j'ai trouvé intéressant [spoiler] elle se lance dans une chasse à l'homme, ou plutôt à la sirène, pour identifier et retrouver la créature responsable de la mort de son compagnon, ainsi que sa transformation après s'être injectée du sang de sirène [/spoiler]. Malgré la rapidité de la romance et ses moments parfois mièvre, l'auteur illustre bien la difficulté de cet amour impossible entre deux êtres de deux mondes différents, nous offrant une fin pas tout à fait heureuse mais pas malheureuse pour autant.

Une sirène à Paris se présente donc comme un conte moderne qui permet de passer un bon moment, malgré les petites critiques que j'ai pu avoir sur ce titre, qui se présente comme une ode à l'imagination et aux rêves les plus fous que l'on ne doit pas oublier mais garder en soi, offre un brin de magie et de musique. C'est avec plaisir que j'irais voir son adaptation dès que les portes du cinéma seront de nouveau ouvertes au public !

Victor hantait le hall d'entrée avec sa dégaine de revenant bourré qui ne retrouve plus sa sépulture. La secrétaire l'observa d'un œil circonspect. 
- Eh, la morphine, c'est pour les patients ! 
Il ne répondit pas. Plus rien ne répondait en lui. Debout au milieu de la salle d'attente, il ânonnait la mélodie. 
Milena traversa le hall avec sa démarche de fée mal déguisée. Une force magnétique se dégageait de son déhanché, même le patient qui portait une minerve tourna la tête pour la regarder. 
Victor étais assis sur la chaise près de la machine à café. Une clope se consumait entre ses doigts. 
- C'est non fumeur ici, monsieur, lui dit-elle dans un sourire. 
Victor ne réagit pas. Il porta son mégot à sa bouche, tel un automate. 
- On y va ? 
- Je ne me sens pas très bien... 
- Tu as pris du cheesecake ? 
- J'ai vu une sirène sur le parking. 
- Ah oui ? Moi, j'ai croisé une licorne dans le couloir... Elle a failli m'empaler dis donc !