jeudi 12 mai 2022

Les femmes et le sexe dans la Rome antique - Virginie Girod.


Dans une épigramme adressée à sa femme, Martial écrivait : « Je veux bien que tu sois une Lucrèce pendant le jour tout entier, mais c'est une Lais qu'il me faut la nuit. » Ce vers décrit tout le paradoxe de l'érotisme féminin dans l'Antiquité romaine.

Comme une même femme ne pouvait pas être tout à la fois le parangon de la chasteté et une amante dépravée, Virginie Girod montre que les femmes furent classées en catégories et comment leur statut social encadrait leur vie sexuelle en fonction de règles morales établies par les mythes politiques romains et par la religion. La femme mariée, la matrone, se trouvait cantonnée dans un rôle reproducteur dénué de sensualité. C'était aux prostituées (esclaves, affranchies ou plus rarement libres) qu'il incombait de distraire sexuellement les hommes.

Alors, le corps féminin érotique et le corps féminin reproducteur étaient-ils deux choses résolument différentes ? Comment les femmes vivaient-elles la sexualité au quotidien ? Quelles pratiques étaient autorisées ou non et pour qui ? Les grandes figures féminines de l'Empire telles que Messaline ou Agrippine la Jeune étaient-elles représentatives de la vie quotidienne de toutes les Romaines ? Finalement, les Romains étaient-ils des débauchés prêts à toutes les transgressions pour leur plaisir ou ont-ils posé les jalons des normes qui ont régi, des siècles durant, la sexualité occidentale ?

À l'aide d'une documentation considérable, Virginie Girod répond à ces questions pour apporter une nouvelle réflexion sur la condition de la femme romaine.


Cela fait déjà un petit bout de temps que je suis Virginie Girod sur les réseaux sociaux, et que je la découvre dans des documentaires historiques (notamment Secrets d'Histoire). Il était temps que je mette la main sur ses écrits, en particulier ce titre qui me faisait envie depuis un moment.


Dans cet ouvrage, Virginie Girod questionne la représentation des femmes dans la Rome antique, sa place dans la société romaine et ce que le sexe nous révèle sur cette société, ses codes, ses enjeux, en choisissant pour cadre l'Empire romain qui a été une période charnière pendant laquelle les mœurs ont subi une révolution, un élan de liberté favorable aux femmes, des changement et enrichissement sociaux.


L'auteure nous offre une étude détaillée et complète sur le sujet, en s'appuyant sur différentes sources : littéraire, juridique, épigraphique, archéologiques, ainsi que les recherches historiques. Divisé en trois grandes parties et différentes sous-parties, l'ouvrage aborde tous les thèmes et aspects liés à la sexualité féminine : les pratiques sexuelles, les interdits, la contraception, l'avortement, les critères de beauté, etc.  Certains peuvent lui reprocher sa forme plutôt scolaire, et il est vrai que la construction de l'ouvrage ainsi que celle du texte (phrase d'accroche, sujet, conclusion) ne sont pas sans rappeler les mémoires et dissertations d'histoire, ce fut d'ailleurs le sujet de thèse de l'auteure avant d'être publié mais personnellement, je trouve le livre parfaitement structuré, on s'y retrouve aisément, et j'avoue que cela m'a déclenché une certaine nostalgie de mes années en fac d'histoire...



Virginie Girod, historienne et spécialiste de
l'histoire ancienne, l'histoire des femmes et de la sexualité

L'auteure maîtrise à merveille son sujet et nous permet d'en apprendre plus sur la femme romaine et son rôle dans la société. La Romaine idéale était vertueuse, pas querelleuse ni dépensière. Elle savait contrôler son langage et ses passions (il valait mieux, afin de préserver l'honneur de son mari). Elle était complaisante, se livrait sans retenue aux travaux domestiques. Elle devait être chaste, fidèle et féconde pour faire le bonheur de son mari. Sa fécondité était sa plus grande qualité. Si l'on reproche à la femme romaine quelques défauts (la curiosité, le goût des cancans, la jalousie, être dépensière), ceux-ci pouvaient être tolérés, à condition qu'ils ne mettaient pas en danger l'honneur de l'époux. 


Avant d'aborder la sexualité des Romaines et leur rôle dans la société romaine, Virginie Girod aborde en première partie les lois et la morale qui fixent le comportement sexuel de la femme et ancrent son rôle dans la société


Tout d'abord, à travers la place des femmes dans les mythes romains et ce que cela nous révèle sur la figure de la femme, des figures héroïques ou non, illustrant la bonne ou la mauvaise Romaine. Par exemple, Rhéa Sylvia dont le rôle a été procréateur car elle a donné naissance aux fondateurs de Rome ; les Sabines, femmes du peuple des Sabins qui ont été enlevées par les Romains, alors que Rome était une toute jeune cité, afin d'être des épouses et des mères ; Lucrèce, qui a préféré se suicider pour préserver l'honneur de son mari, après avoir été violée, plutôt que d'incomber à son mari une femme dont la pureté et l'honneur ont été souillés. Mais il existe aussi des figures moins honorables telles que Tarpéia et Tullia qui symbolisent le stupre et l'ambition.


Les femmes prenaient également part à des cultes autour de la fécondité, de la sexualité, des cultes qui encadrent la sexualité des femmes (exemple : les Lupercales) et comment les femmes prennent part à la religion romaine.  Du statut particulier des vestales, qui représentaient le plus haut degré de pureté, devant conserver leur virginité à tout prix, aux matrones devant donner descendance à son mari en priant les divinités pour avoir un enfant mâle, ou encore les non-matrones qui prennent part à des cultes favorisant leur attractivité sexuelle dans le but de stimuler la virilité des citoyens romains.



Fêtes des Lupercales d'Andrea Camassei (vers 1635). Des jeunes hommes armés de lanières
fouettaient les femmes qu'ils rencontraient afin de leur assurer une grossesse dans l'année


Qui dit morale, dit aussi interdits, les unions qui sont contraires à la morale romaine et qui sont prohibées, telles que l'inceste, l'union avec un esclave (union interdite car l'esclave est considéré comme un sous-homme), ou encore les mésalliances entre différentes classes sociales qui risquaient de souiller le sang noble des patriciens.


Virginie Girod nous raconte ensuite dans une seconde partie que le corps féminin est avant tout un corps reproducteur. Dès qu'elle est toute petite, la fille Romaine est préparée à cela. Sa fécondité est la qualité la plus importante. Ainsi, il y avait l'attente des règles et leur importance car leur arrivée signifiait que la fille était en âge de procréer et donc en âge de se marier. Les filles étaient ainsi mariées entre l'âge de 12 et 14 ans, contre 14 - 16 ans pour les garçons. Pour autant, il fallait éviter le traumatisme de la défloration à une jeune fille à peine mariée, ce qui pouvait amener l'époux à pratiquer d'abord la sodomie.


Ce qui comptait donc dans le choix d'une épouse était sa fécondité. Il fallait qu'elle donne à son mari une descendance et à Rome des citoyens. La stérilité était ainsi perçue comme une malédiction, un handicap, ce qui pouvait être un motif de répudiation du mari envers sa femme. Sitôt adulte, la vie sexuelle de la femme devait être tournée vers la procréation (Ovide étant le seul à parler des relations sexuelles pour le plaisir des deux amants).



Mariage romain, toile d'Emilio Vasarri (1914)


L'auteure évoque la grossesse (les Romains pensaient qu'elle durait entre 7 et 13 mois ! bien que la période de gestation reste la même qu'aujourd'hui), mais aussi l'accouchement, l'allaitement, mais aussi les méthodes contraceptives, les méthodes abortives, et la place de la femme âgée et la sexualité après la ménopause qui était d'ailleurs mal vue car la femme ne devait avoir de rapports que pour la procréation, pour la société romaine. Qu'elle continue à en avoir malgré la ménopause était considéré comme une sorte de perversion. À noter que chez les Romains, une Romaine de 35 ans était déjà considérée comme.... âgée !


Il est également question des critères de beauté (chevelure, corps, visage), les moyens de se mettre en valeur (maquillage, parure) mais aussi des pratiques sexuelles habituelles, celles qui sont approuvées par la société et celles qui sont mal vues. On apprend ainsi que le cunnilingus était mal vu car la langue du citoyen romain devait être utilisée pour l'exercice de la loi, pour la cité et non pour être souillée de cette façon. La fellation était également interdite, bien que cela n'empêchait pas sa pratique, ainsi que l'homosexualité féminine (l'homosexualité masculine était tolérée mais seulement bien vue pour l'homme qui dominait, pas le dominé)


À Rome, la femme occupait grosso modo deux rôles : soit elle était matrone, soit l'épouse d'un citoyen romain, soit elle était prostituéeL'une avait pour fonction de donner une descendance à son mari, l'autre à apporter du plaisir au citoyen romain. Bien-sûr, il y avait quelques exceptions, comme le cas particulier des vestales.


Virginie Girod nous présente des exemples de matrones à travers les femmes de l'entourage des empereurs de la dynastie julio-claudienne : mères, amantes, épouses... notamment Agrippine, mère de Néron ; Livie, épouse d'Auguste ; Julie, fille d'Auguste (alias ma nouvelle héro... la dernière figure historique en date à m'intéresser) ; Poppée, épouse de Néron ; Messaline, etc. J'ai beaucoup aimé cette partie que j'ai trouvé très intéressante, et alors que je m'intéresse davantage à la République Romaine et ses personnages, j'en viens à vouloir en apprendre plus sur l'empire romain et surtout les personnages de la première dynastie.



Scène d’accouchement ornant le monument funéraire de la sage-femme Scribonia Attica.
Celle-ci constate de la main droite l’état d’avancement du travail tout en détournant la tête
pour ne pas froisser la pudeur de sa patiente assise sur un siège obstétrical.


Après les matrones, ce sont les prostituées qui ont droit à leur portrait. On en apprend plus sur leur métier, leur rôle, comment elles étaient perçues dans la société romaine. D'autres sujets sont également évoqués, tels que le traitement de la femme adultère, le traitement des affaires de viol, etc.


Pour résumer, ce livre constitue une véritable mine d'informations concernant le statut de la femme romaine dans l'antiquité. Dans un style clair, très bien documenté, l'auteure nous invite à parcourir cet univers et nous apprend beaucoup de choses, et déconstruit également certains clichés sur la société et les mœurs à l'époque romaine. Les différentes parties et sous parties permettent une progression rapide et facile de la lecture. J'ai vraiment beaucoup apprécié cette lecture qui m'encourage à découvrir les autres ouvrages de l'auteure, j'ai appris bien des choses ! Seul bémol, j'aurais apprécié la présence de photographies de pièces de monnaies, fresques, peintures, statues, etc, pour mieux illustrer ses propos, mais ce n'est qu'un détail... 


Réunir les meilleures conditions n'était pas suffisant pour des parents (...). Certes, on voulait un enfant en bonne santé, mais s'il était beau, cela ne gâchait rien. Dans l'Antiquité, on craignait beaucoup que les pensées de la mère au moment de la conception ne puissent s'imprimer sur la physionomie de l'enfant à venir. Soranos illustre ce concept par deux exemples. Les femmes qui auraient vu des singes - et cela ne devait pas être banal - pendant la conception auraient donné le jour à des enfants aux traits simiesques. Le tyran de Chypre, réputé pour sa laideur, forçait sa femme à regarder de belles statues pendant l'amour pour avoir de beaux enfants.

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