Une réécriture de Barbe Bleue à la sauce Nothomb, voilà qui s’annonce prometteur !
Nous
suivons Saturnine,
jeune femme belge, la petite vingtaine, à la recherche d'un
logement, voire même d'une colocation. Elle tombe rapidement sur une
annonce bien alléchante : dans une magnifique demeure à Paris, une
chambre de 40 m² avec salle de bain, accès à une cuisine équipée,
disponible pour une colocation et le tout pour 500 euros de loyer
avec chauffeur et domestique à son service ! C'est l'offre inespérée
pour Saturnine qui
a déjà visité beaucoup de logements chers
et misérables. Il n'y a rien d'étonnant
à découvrir qu'elle n'est pas la seule candidate. Contre toute
attente, elle est retenue et obtient sa chambre le jour même.
Cependant, certaines candidates mettent au courant Saturnine de
la triste réputation du propriétaire des lieux, un espagnol aisé
et reclus du monde du nom d'Elemirio Nibal
y Milcar, qui aurait déjà eu huit
colocataires, toutes des femmes, et qui ont toutes disparu. Pour tout
le monde, il est clair qu'Elemirio les
a tuées et que Saturnine sera
sa prochaine victime si elle ne fait pas attention. Mais
Saturnine se
moque de la réputation du propriétaire et,
refusant de croire à ces rumeurs, elle
refuse de laisser passer une pareille aubaine !
L'auteure
nous montre une nouvelle fois qu'elle sait maîtriser l'art du
dialogue et je me suis délectée de certaines répliques ou
certaines conversations, surtout lorsqu'elles étaient sur les thèmes
de l'art ("le rôle de l'art est
de compléter la nature et le rôle de la nature est d'imiter l'art",
p. 129), du beau, de la foi, des relations humaines, ce qui peut
permettre au lecteur de réfléchir sur les relations humaines, sur
la perception de l'art et même la mort (même si j'avoue, comme
d'autres lecteurs, j’ai moins accroché
aux conversations sur l'or ou le
champagne qui donnaient
au texte un aspect presque aristocratique auquel on ne peut pas
s'identifier) ! L'auteure
nous parle aussi de la nature de l'homme à avoir des
secrets, le besoin d'en avoir et de les préserver, les conserver,
parce que trahir, découvrir ce secret si précieux est un acte
impardonnable.
Entre Saturnine et Elemirio, une étrange relation se noue, basée sur des échanges verbaux, des repas,
des combats d'idées et des oppositions. Malgré ses oppositions au
personnage, Saturnine se
laisse entraîner par l'enchaînement de pensées et de paroles de
l'Espagnol alors qu'elle tente de comprendre pourquoi et comment il
en est arrivé là, ses motivations, le devenir des anciennes
colocataires... bref, elle tente de décortiquer sa psychologie, ce
que j'ai trouvé intéressant et comme les révélations n'arrivent
que tardivement dans le texte, on a nous-aussi tout le loisir
de peaufiner quelques théories, quelques hypothèses… Leur relation évolue dans un sens qu'on ne parvient toujours pas à bien saisir et au final, on se demande jusqu'à quel point elle va évoluer, à quelle base, comment va se finir leur relation en même temps que le roman ?
J'ai
été étonnée mais amusée de trouver quelques belgicismes
(petit clin d’œil de l'auteur ?), cependant, tous ces
beaux discours ne peuvent pas forcément plaire et peuvent
représenter un bémol car certaines discussions théologiques sont
interminables et, selon le thème de la discussion, ça ne peut
toujours plaire. J'imagine également que le snobisme des personnages
peut agacer : ils boivent du champagne, dégustent homard, caviar,
portent des
vêtements en velours et avec des couleurs
attrayantes, Saturnine découvre
tout cela... et y prend goût !
Saturnine est une jeune femme téméraire, loin d'être facilement effrayée et paranoïaque et ce, peu importe ce qu'on peut lui dire sur la funeste réputation de "son" Espagnol et peu importe ce que peut dire Don Elemirio. Il est difficile de l'impressionner. Plus que tout, j'ai aimé les réparties de Saturnine et de Don Elemirio, le fait que leurs raisonnements reposent parfois sur une logique juste mais dont la morale est absente. Don Elemirio n'est pas en reste, homme riche et reclus du monde, qui a vu passer en huit ans huit colocataires, toutes des femmes dont il a été l'amant et qui ont disparu après avoir violé l'interdit. Un aristocrate espagnol qui, malgré tout, attire, manifeste de l'intérêt auprès des femmes, un intérêt morbide ou avide peut-être... toujours est-il que ce personnage mystérieux attise la curiosité du lecteur qui a envie d'en savoir plus sur cet étrange personnage.
Le
roman est également centré sur le mystère de la chambre
noire. Qu'est-ce donc ? Eh bien, notre Espagnol est un photographe à
ses heures perdues, et il a notamment pris en photo ses anciennes
colocataires. Ces photos sont entreposées dans la chambre noire et
il est interdit à Saturnine d'y
pénétrer. "Si vous y pénétriez, je le saurais, et il vous en
cuirait" avait dit don
Elemirio, qui finira par ajouter que
les anciennes colocataires ont bravé cet interdit, et qu'elles ont
disparu juste après. Ainsi, tout au long du roman, on a évidemment
ces fameuses interrogations auxquelles on échappe pas : qu'y-a-t-il
exactement dans la chambre noire et Saturnine va-t-elle
y pénétrer ? Pour ma part, je trouve que le mystère a bien été
entretenu et que je n'ai pas été déçue de ce que j'ai découvert
dans ma lecture, même si je ne suis pas tombée sur ce que je
m'imaginais.
Bref, loufoque,
absurde, morbide, pervers, décalé, original, intéressant. Les mots
ne manquent pas pour qualifier le dernier Nothomb,
j'ai pris plaisir à le découvrir, à suivre Saturnine,
ses discussions avec l'Espagnol, baigner dans ce climat d'étrangeté.
J'ai aimé ce Barbe
Bleue revisité dans nos temps
modernes et dont la morale (ou même les événements) de l'histoire
n'est pas forcément celle qu'on attend. L'auteur parvient à nous
surprendre avec ses idées et la chute de l'histoire, bien
qu'inattendue, était bien trouvée.
Tomber amoureux est le phénomène le plus mystérieux de l'univers. Ceux qui aiment au premier regard vivent la version la moins inexplicable du miracle : s'ils n'aimaient pas auparavant, c'était parce qu'ils ignoraient la présence de l'autre.
Le coup de foudre à retardement est le plus gigantesque défi à la raison. Don Elemirio s'éprit de Saturnine quand il la découvrit sensible à l'alliage du jaune et de l'or. On peut comprendre l'irritation de la jeune femme : l'aimer pour cela ? Pour le coup, l'Espagnol n'y était pour rien. Les causalités amoureuses sont byzantines.
Je ne suis habituellement pas fan d'Amélie Nothomb, mais là tu as éveillé ma curiosité. A tel point qu'après avoir lu ton billet, j'ai envie de donner une chance à ce roman. Je verrais si je le trouve à la bibli dès que je suis de retour à Marseille.
RépondreSupprimerCe n'est pas son roman le plus célèbre ou le plus apprécié mais comme je n'entends pas toujours de bonnes critiques sur ses derniers romans à part celui-là, j'ai tenté, et ce remake façon moderne de Barbe Bleue est plutôt intéressant à découvrir, tu me diras ce que tu en penses si jamais tu te le procures. Tu as déjà lu des romans d'Amélie Nothomb alors, même si tu n'es pas vraiment une fan ?
SupprimerJ'ai lu Acide sulfurique que j'ai profondément détesté, Biographie de la faim que j'ai trouvé sans intérêt et enfin Les combustibles (qui n'est pas un roman) que j'ai adoré pour le coup.
RépondreSupprimerTu n'as pas aimé Acide sulfurique ? Pour quelles raisons ? Ce n'est pas un reproche hein, c'est juste parce que je suis curieuse, j'avais plutôt aimé dans l'ensemble et je voudrais savoir ce qui ne t'as pas plu. Enfin, j'imagine qu'elle a un style bien à elle qui ne peut pas plaire à tout le monde. J'ai commencé à la lire avec les romans qui avaient le plus de critiques positives, soit Mercure, Hygiène de l'assassin et Cosmétique de l'ennemi, par contre j'évite un peu ses derniers romans et les livres où elle parle de sa vie...
SupprimerPour Acide sulfurique, j'ai trouvé les personnages absolument insupportables et puis je me souviens avoir été très gênée par la tournure syntaxique des phrases. Je butais sans cesse sur le texte :/ Bref, vraiment pas une bonne expérience.
RépondreSupprimer