jeudi 3 juillet 2025

Conclave - Robert Harris.



Le pape est mort.

Derrière les portes closes de la Chapelle Sixtine, cent dix-huit cardinaux venus des quatre continents vont participer à l'élection la plus secrète qui soit.

Ce sont tous des hommes de foi. Mais ils ont des ambitions. Et ils ont des rivaux.

En secret, les alliances se préparent.

Ce n'est plus qu'une question d'heures... L'un de ces cardinaux va devenir la figure spirituelle la plus puissante au monde. Sur la place Saint-Pierre, deux cent cinquante mille chrétiens attendent de voir la fumée blanche apparaître.




En avril, l’annonce de la disparition du Pape et le conclave à venir m’ont plongé dans le visionnage de nombreux films et documentaires, parmi eux le film Conclave qui aura bien fait parler de lui. Le visionnage de ce dernier m’a poussé par la suite à découvrir le roman dont il s’inspire.


Le Pape est mort, vive le Pape !


Le cardinal Lomeli (Lawrence dans le film), le doyen du collège des cardinaux, est chargé d’organiser le conclave qui élira le prochain à siéger sur le trône de Saint Pierre. Les cardinaux du monde entier se retrouvent pour voter et cohabiter ensemble. Lomeli entend bien que ce conclave se déroule dans les meilleures conditions possibles, mais il découvre bien vite que des mystères entourent la mort du Pape et que les cardinaux ont tous des secrets et des scandales qu’ils tentent de cacher. Entre les jeux de pouvoirs et les manigances, qui sera le nouveau pape ? Jusqu’où l’ambition des cardinaux peut-elle aller ?


J’ai beaucoup aimé ce huis-clos, dans lequel nos cardinaux sont enfermés et coupés du reste du monde. Ici, point de cadavre mais des magouilles, des scandales et secrets bien gardés, des révélations inattendues et des complots déjoués. Ce huis-clos devient plus plus oppressant au fur et à mesure que l’élection se poursuit, qui ravive peu à peu les tensions au fur et à mesure que les scandales et les secrets sont dévoilés. Les favoris des premiers scrutins tombent en disgrâces et de nouvelles figures de proues se dévoilent, certaines étant même assez inattendues.


Il s’agit ni plus ni moins qu’un thriller politique où les ambitions de chaque cardinal sont dévoilées petit à petit. Chacun clame vouloir servir l’Église et les hommes, mais l’Église n’en reste pas moins une puissance politique mondiale que chaque cardinal entend obtenir pour sa propre ambition. Comme dans chaque élection, il y a des jeux d’alliances, des intérêts qui guident dans l’ombre certains électeurs, des coups bas également pour affaiblir la crédibilité d’autres candidats.


Les cardinaux ne sont certes pas présentés comme des Saints mais ils ne sont pas des démons non plus, ce sont tout simplement des hommes avec leurs secrets, des ambitions, des qualités comme des défauts, quel que soit leur niveau de spiritualité ou leur rang ecclésiastique. J’ai même apprécié certains d’entre eux, notamment notre personnage principal, Lomeli, qui devient enquêteur malgré lui, et que chaque secret, chaque scandale découvert, a mis sa foi en l’homme et en l’Église à rude épreuve, ainsi que le cardinal Bellini et le cardinal Benitez, crée in pectore par le Saint Père. Et, bien qu’elle ne soit pas cardinal, Sœur Agnès en impose !


J’ai beaucoup aimé cette intrigue, pourtant rien ne le prédisait au départ. Je trouvais même l’histoire un peu longue, elle se laissait lire mais sans plus. Sans doute le roman aurait gagné en intensité avec quelques coupes et un rythme plus soutenu car l’intrigue a souvent été alourdie par de nombreuses descriptions. J’ai souvent eu l’envie de survoler certains passages. Cependant, j’ai persévéré et c’est progressivement que l’intrigue a capté mon intérêt et qu’elle est devenue un véritable coup de cœur. Ayant déjà vu le film, les rebondissements et la révélation finale sur l’identité du nouveau Pape ne m’auront pas surprise, cependant j’ai redécouvert l’histoire avec un réel plaisir, même si ce fut long au démarrage, mais mieux vaut tard que jamais !


C’était comme un roman policier où notre protagoniste principal enquête pour découvrir, bien malgré lui, les secrets de ses collègues cardinaux, le tout dans le contexte d’un conclave où les cardinaux électeurs sont tous enfermés pendant plusieurs jours en vue d’élire le prochain pape. À première vue, ça ne semble pas très palpitant, mais le conclave est un événement en lui-même que je trouvais déjà fascinant de prime abord. Je me rappelle avoir longuement scruté la cheminée, dans l’attente d’une fumée, en me demandant à quoi toute cette élection pouvait bien ressembler et l’auteur a fait un sacré travail de recherche, s’étant même rendu jusqu’au Vatican et interrogeant des cardinaux pour avoir le plus de détails possible et nous offrir un roman réaliste.


Ce scénario se déroule dans un contexte, encore d’actualité, d’attentats terroristes et de persécutions religieuses dans le monde. Il est aussi question de modernité dans l’Église avec, notamment, le sujet du divorce, de l’homosexualité, ou de la place de la femme, là où certains cardinaux souhaiteraient un retour aux traditions, au conservatisme d’antan avec les messes en latin ou un schéma plus traditionnel de la famille, ce qui nous pousse à réfléchir aux contractions d’une Église, une institution ancienne, confrontée au monde moderne.


Conclave est donc un thriller bien construit, qui sait maintenir en haleine, qui est brillamment construit, avec un travail de recherche remarquable pour nous rendre l’histoire la plus réaliste possible. Le conclave comme si on y était ! J’aurais tant aimé découvrir ce livre pendant le vrai conclave de mai 2025, mais ce livre était déjà emprunté à ce moment-là, victime de son succès… et de l’actualité ! Robert Harris a donc su faire mouche avec son Conclave, je serais tentée de découvrir ses autres romans dans le futur, notamment son Pompéi qui me fait de l’œil… histoire de rester encore un peu en Italie !


Ô Seigneur, Tu m’as chargé de l’organisation de ce très saint conclave… mon devoir est-il simplement de m’assurer du bon déroulement des délibérations de mes confrères, ou ma responsabilité m’oblige-t-elle à intervenir et à influencer l’issue du scrutin ? Je suis Ton serviteur et tout entier soumis à Ta volonté… Quelles que soient les mesures que je prendrai, l’Esprit-Saint ne manquera pas de nous orienter vers un pontife digne… Guide-moi, Seigneur, je T’en supplie, dans l’accomplissement de Tes désirs… Serviteur, tu dois trouver seul ton chemin…

Par deux fois, il [Lomeli] se leva de son lit et s’approcha de la porte, et par deux fois, il retourna s’allonger. Évidemment, il savait bien qu’il ne recevrait aucune révélation fulgurante, qu’il ne serait envahi par aucune certitude soudaine. Il n’attendait rien de tel. Dieu ne s’exprimait pas de cette façon. Il lui avait envoyé tous les signes dont il avait besoin. C’était à présent à lui d’agir. Et peut-être s’était-il toujours douté qu’il devrait en arriver là, ce qui expliquait pourquoi il n’avait pas rendu le passe et l’avait gardé dans le tiroir de sa table de chevet.


mercredi 11 juin 2025

Les enquêtes d'Hercule Poirot - Agatha Christie.



On ne le répètera jamais assez : Hercule Poirot est le plus grand détective de tous les temps.

Quel mystère pourrait le dérouter ? Disparition de bijoux inestimables, suicide suspect, espions retors, meurtre crapuleux, escroquerie du haut vol ou sombre affaire d'héritage, rien ne lui résiste. Mais surtout, pas d'acrobaties à quatre pattes dans l'herbe, une loupe à la main. Pas de dissertation sur un mégot taché de rouge à lèvres. Non, Hercule Poirot laisse ces divertissements aux besogneux de Scotland Yard.

Il se contente de s'installer dans un fauteuil et de laisser fonctionner ses illustres petites cellules grises.




Je débute le Ice Cream Summer Challenge avec un recueil de nouvelles d’Hercule Poirot, parce que je ne peux pas envisager un challenge littéraire sans policier mais aussi parce que j’ai pris l’habitude de lire un livre d’Agatha Christie en été.



Les Enquêtes d’Hercule Poirot est donc un recueil de 14 nouvelles :





L’énigme de « l’Etoile de l’Occident » : Poirot reçoit la visite d’une célèbre actrice qui lui explique avoir reçu trois lettres de menace au sujet d’un diamant dont elle est propriétaire : l’étoile de l’Ouest. Hastings, l’ami de Poirot, reçoit quant à lui la visite d’une autre dame possédant un diamant, l’étoile de l’Est, qui aurait elle-aussi reçu des lettres de menace concernant son diamant. Si les deux pierres ne sont pas restituées, elles seront volées.



Tragédie à Marsdon Manor : Poirot est amené à enquêter sur une affaire de meurtre. Pourtant, tout porte à croire que le riche Maltravers est mort dune simple hémorragie interne. Sûrement le fait qu’il ait contracté une police d’assurance maladie d’un montant de 50 000 livres n’a rien à voir…



Un appartement trop bon marché : où l’on apprend que même un détective peut s’intéresser à une affaire concernant un appartement dont le loyer est curieusement bien bas. En se penchant sur l’affaire, Poirot découvre une vérité bien plus sombre… Il se pourrait bien que des histoires d’espion et de mafia se cachent derrière tout ça !



Le mystère de Hunter’s Lodge : Poirot est grippé et cloué au lit… mais n’allez pas croire que cela l’empêchera de mettre de la lumière sur une sombre affaire de meurtre. Envoyant son ami Hastings et l’inspecteur Japp sur place, Poirot prouvera que même la maladie ne saurait avoir raison de ses cellules grises et qu’il est tout à fait capable de résoudre un meurtre depuis sa chambre.



Un million de dollars en bons volatilisés : Des bons de valeur ont disparu de la banque Bentley et Son. Les soupçons se portent vite sur des employés et des clients influents. À Hercule Poirot de les innocenter sur cette affaire bien énigmatique.



La malédiction du tombeau égyptien : Plusieurs membres d’une expédition archéologique en Égypte sont retrouvés morts de façon bien mystérieuse après avoir découvert la sépulture d’un pharaon. Nouveau mystère à la Toutankhamon ou meurtrier se servant des superstitions pour commettre ses méfaits ? Poirot et Hastings se rendent en Égypte pour découvrir la vérité.



Vol de bijoux à l’Hôtel Métropole : Ciel, mes bijoux ! Mme Opalsen est dans tous ses états, on lui a volé ses bijoux ! La bonne et la femme de chambre de Madame s’accusent. Lorsque les bijoux sont retrouvés dans le lit de la bonne, Japp croit l’affaire classée, mais Poirot n’est pas de cet avis.



L’enlèvement du Premier Ministre : Poirot doit enquêter sur la mystérieuse disparition du premier ministre britannique, enlevé juste avant une conférence internationale de grande importance, en France. Qui a kidnappé le premier ministre et dans quel but ?



Une étrange disparition : Un banquier et célèbre homme d’affaire a disparu, et son coffre-fort forcé et son contenu (de l’argent et des bijoux) envolés. Son collègue est vite soupçonné, d’autant plus qu’ils n’étaient pas en termes très chaleureux. Poirot, en revanche, porte ses soupçons ailleurs…



Un dîner peu ordinaire : Hercule Poirot et Hastings reçoivent la visite d'un de leurs amis et voisin proche, le docteur Hawker. Alors qu’ils discutent de cas d'empoisonnements criminels, la femme de chambre de Hawker surgit, affolée, affirmant avoir reçu par téléphone l'appel à l'aide d'un homme disant avoir été « tué ». Lorsqu’ils se rendent sur place, il est déjà trop tard. Seuls indices, les restes d’un dîner et une statuette ensanglantée…



L’affaire du testament disparu : Violet Marsh a hérité un petit manoir de son vieil oncle. Celui-ci, doutant des capacités intellectuelles de sa nièce et regrettant qu’elle ait choisi les études à une vie de femme au foyer, a rédigé un testament selon lequel elle avait un an pour trouver le second testament soigneusement caché dans la maison, faute de quoi l'ensemble de l'héritage sera attribué à des œuvres caritatives. En dépit de ses efforts, Violet ne trouve rien et vient solliciter l’aide de Poirot…



La boîte de chocolats : à la demande de son ami Hastings, Poirot révèle une enquête dans laquelle il a échoué, tout ceci à cause d’une boîte de chocolats et une mort suspecte d’un adversaire farouche du catholicisme, alors que Poirot était enquêteur dans la police…



La mine perdue : Le directeur de la banque de Londres doit acheter une carte d'une mine d'argent en Birmanie mais le porteur, un homme d'affaires chinois, a disparu. Il engage donc Poirot pour retrouver le Chinois et la carte…



La femme voilée : Poirot reçoit la visite d’une femme voilée, fiancée du duc de Southshire, dont une lettre écrite pendant la guerre est tombée dans de mauvaises mains… celles d’un maître chanteur qui lui réclame une somme importante en échange de la lettre, somme que la dame ne peut se permettre de payer. Le temps jouant contre elle, elle se tourne vers le détective en désespoir de cause.




Un petit recueil bien sympathique ! Il y a pas mal de références et clins d’œil à Sherlock Holmes (Poirot qui se plaint, comme Holmes, du manque de cas criminels, le mot qui fait référence à un échec du détective, un personnage du nom de Violet, une affaire en rapport avec le premier ministre, etc), ce que l’amatrice holmesienne en moi a beaucoup apprécié.



C’est un recueil dans lequel le personnage d’Hercule Poirot s’affirme, où l’on découvre plus de détails sur ce personnage, notamment son aversion des voyages, lui qui aime tellement son petit confort, sa maniaquerie (qu’on pourrait aussi appeler « toc » car Poirot aime quand tout est symétrique et rangera des objets selon sa taille ou sa forme), le fait aussi qu’il se nomme parfois « Papa Poirot ». On découvre davantage de facettes de ce personnage, autant l’homme que le détective, ce que j’ai beaucoup apprécié.



Poirot et Hastings (source)

Je ne peux malheureusement pas en dire autant de son ami, le capitaine Hastings, qui n’a guère l’occasion de briller dans ces nouvelles. Ce garçon n’est pas bien brillant, et il peut être parfois franchement désagréable avec Poirot, à manquer de patience avec lui et à prendre la mouche pour rien. À se demander pourquoi Poirot continue d’apprécier sa compagnie et de l’amener dans ses enquêtes. Pourtant, je voudrais bien aimer ce brave Hastings, il a souvent un bon fond, quand son sale caractère ne prend pas le dessus. Il peut être un ami sympathique et il ne se laisse pas faire, mais ce n’est pas le couteau le plus aiguisé du tiroir… Bien-sûr, il faut un Watson à qui le détective doit expliquer les tenants et aboutissants de l’enquête et sa résolution, mais enfin, même Watson avait ses moments d’éclat et d’utilité. J’aurais voulu qu’Hastings brille un peu, pas une lumière en lui-même mais un conducteur de lumière, voire qu’il se rende utile au moins une fois.



Pour parler des nouvelles, celles-ci sont d’intérêt inégal. J’en connaissais déjà quelques-unes pour les avoir déjà lu dans de précédents recueils mais je les ai redécouvertes avec plaisir. Certaines nouvelles ne me laisseront pas un souvenir mémorable, mais d’autres ont été un pur régal de lecture. Je pense notamment à La malédiction du tombeau égyptien qui nous emmène en Égypte et qui n’est pas sans rappeler la malédiction de Toutankhamon, mais aussi l’affaire du premier ministre disparu, celui du testament caché, La boîte de chocolats ou encore Un dîner peu ordinaire. J’ai beaucoup aimé certains retournements de situation (l’accusé idéal qui est en fait innocent, parfois c’est même le client de Poirot le vrai coupable, on a même la présence de la mafia et du premier ministre, rien que ça !). Les enquêtes sont diversifiées, certaines sont résolues grâce à des déguisements, des tours de passe-passe, mais d’autres sont plus complexes et auraient mérité d’être un roman plutôt qu’une nouvelle !



Encore une réussite donc pour Lady Agatha Christie, je retrouve toujours son petit détective belge avec grand plaisir. Si certaines nouvelles ne me laisseront pas un souvenir bien marquant et seront vite oubliées, je relirai d’autres avec plaisir !


— Pardonnez ma franchise, mais étant donné le gâchis que vous avez fait, ne croyez-vous pas qu'il serait plus délicat de notre part de quitter les lieux ? 

— Et que devient le dîner ? Cet excellent dîner préparé par le chef de lord Yardly ?

— Bah ! quelle importance ! m'exclamai-je, impatient.

Poirot eut un geste horrifié. On eût dit un Français, alors qu'il n'est après tout que Belge.

— Seigneur ! Dans ce pays vous traitez vraiment la gastronomie avec une indifférence criminelle.

samedi 31 mai 2025

Le cercle littéraire des amateurs d'épluchures de patates - Mary Ann Shaffer et Annie Barrows.



Janvier 1946. Tandis que Londres se relève douloureusement de la guerre, Juliet, jeune écrivain, cherche un sujet pour son prochain roman. Comment pourrait-elle imaginer que la lettre d'un inconnu, natif de l'île de Guernesey, va le lui fournir ? 

Au fil de ses échanges avec son nouveau correspondant, Juliet pénètre un monde insoupçonné, délicieusement excentrique ; celui d'un club de lecture au nom étrange inventé pour tromper l'occupant allemand : le « Cercle littéraire des amateurs d'épluchures de patates ». 

De lettre en lettre, Juliet découvre l'histoire d'une petite communauté débordante de charme, d'humour, d'humanité. Et puis vient le jour où, à son tour, elle se rend à Guernesey...



Ceci est la chronique inutile pour un roman qui a été relu et chroniqué des milliers de fois depuis sa sortie. Je n’aurais pas grand-chose à dire qui n’ait déjà été dit par de nombreux lecteurs, mais il était temps que je dépoussière ce roman qui dormait sur mes étagères depuis au moins 2010. Après tout, le ménage de printemps concerne aussi nos PAL !



Sous ce titre très original se cache une histoire qui parle de livres, d’amitié, de Seconde Guerre Mondiale, et d’une charmante île du nom de Guernesey.



Juliet Ashton est une écrivaine londonienne à la recherche d'un sujet pour son prochain livre. Par une heureuse coïncidence, elle reçoit une lettre d’un dénommé Dawsey Adams, habitant de l’île de Guernesey, qui a trouvé un livre ayant autrefois appartenu à Juliet. Il a tant aimé le livre qu’il souhaite en apprendre plus sur la vie et les autres œuvres de l’auteur, ce que Juliet fait avec joie. S’ensuit alors un échange de lettres entre Juliet et Dawsey, où Juliet apprend l’existence d’un cercle littéraire au nom bien original qui s’est crée de façon inattendue pendant la Seconde Guerre Mondiale. C’est en cherchant à en apprendre plus sur l’histoire de ce cercle et de ses membres que Juliet sera amenée à correspondre et à se lier avec chacun d’entre eux…



Il y a plusieurs aspects que j’ai aimé dans ce roman. Déjà le côté épistolaire qui, s’il peut faire fuir certains lecteurs, a ici son charme et nous permet de faire connaissance avec chaque personnage. Les lettres se suivent mais ne se ressemblent pas, les sujets se répondent et rebondissent les uns sur les autres, pour former peu à peu une construction cohérente. L’histoire va à son rythme tranquille, sans pour autant être long. Il prend le temps de se poser et de nous introduire chaque personnage avec fluidité.



Ensuite, on a le contexte historique (et vous connaissez mon goût pour l’Histoire), nous sommes sur une île anglo-normande au sortir de la Seconde Guerre Mondiale, et le roman pose à la fois de contexte d’après-guerre avec la reconstruction aussi bien psychologique que matérielle, mais aussi le contexte de la guerre car nos personnages reviendront sans cesse sur leurs souvenirs de la guerre et notamment l’occupation allemande de leur île et ce que ça a engendré (les restrictions alimentaires, le couvre-feu, les relations amoureuses avec des soldats allemands, l’évacuation des enfants, la position du Royaume-Uni concernant Guernesey, etc).



J’ai été charmée par l’atmosphère conviviale et bucolique de Guernesey et la chaleur de ses habitants dont j’ai aimé faire la connaissance. Ils ne sont pas seulement des gens habitant un lieu, ils forment une véritable communauté, notamment nos chers membres du cercle littéraire qui sont plus que des voisins et des amis, c’est une famille unie. On ne peut qu’être sensible à la solidarité qui règne entre eux, ainsi qu’aux épreuves qu’ils ont vécues, les proches qu’ils ont perdus, les joies et les drames qu’ils ont partagés. Le caractère de chacun s'affine au fil des lettres et on s’attache petit à petit à eux au fur et à mesure qu’on apprend à les connaître au fil de leurs lettres, à l’image de notre protagoniste Juliet. J’ai également beaucoup aimé les liens qui se sont tissés entre Juliet et les différents membres du cercle littéraire, et comment elle a été accueillie, d’abord à travers ses lettres, puis lors de son arrivée à Guernesey. On a aussi une romance qui s’installe, certes prévisible mais plutôt mignonne.



Malgré certains sujets graves évoqués au fil de l’histoire (disparition de proches, les camps de concentration, bombardements, etc), il se dégage du récit de la solidarité et de l’optimisme face à l’adversité et l’espoir dans la reconstruction et vers l’avenir. C’est un roman qui traite avec sensibilité et bienveillance à de nombreux thèmes variés autour de l’Histoire, les relations humaines, l’entraide, la reconstruction (de soi comme du foyer) mais aussi sur les bienfaits de la lecture. J’ignore si l’expression « feel good historique existe » mais, comme l’a déjà dit une lectrice sur Babelio, je trouve que ça correspond bien à ce roman. En outre, ce fut une jolie découverte !



Je me demande comment cet ouvrage est arrivé à Guernesey. Peut-être les livres possèdent-ils un instinct de préservation secret qui les guide jusqu’à leur lecteur idéal. Comme il serait délicieux que ce soit le cas.

jeudi 29 mai 2025

Le restaurant des recettes oubliées - Hisashi Kashiwai.


Caché dans les ruelles de Kyoto se trouve le petit restaurant des Kamogawa d’où s’élèvent d’exquises odeurs de riz cuit, de nabe et de légumes sautés. En plus de savoureux repas faits maison, Nagare et sa fille Koishi proposent une expérience qui sort de l’ordinaire : reproduire un plat que leurs clients ont en mémoire, mais dont la recette est depuis longtemps oubliée. 

Nabeyaki udon, sushis au maquereau, tonkatsu ou spaghettis à la napolitaine... pour chaque nouveau plat, la famille Kamogawa enquête et propose à ses convives de déguster une nouvelle fois les délicieux mets qui ont marqué leur vie. 

Et grâce à un soupçon de magie, ces saveurs perdues enfin retrouvées permettent de rêver à de nouveaux départs.



Lecture non prévue et de dernière minute pour boucler le Blossom Spring Challenge, Le restaurant des recettes oubliées n’en demeure pas moins une petite découverte sympathique.


Le roman propose un concept intéressant dans lequel nos protagonistes principaux, un père et sa fille, tiennent un restaurant mais aussi une agence d’enquêteurs gastronomiques. En plus de servir des repas faits maison, ils proposent à leurs convives de reproduire un plat qui les a marqué, qu’il s’agisse d’un repas de leur enfance, d’un met concocté par un être cher, ou qui est lié à un souvenir ou une personne.


Le roman est composé de six histoires dont le schéma reste le même. Le client trouve le restaurant, mange ce qui lui est proposé, puis le client est interrogé sur le plat qu’il souhaite retrouver. Origine des produits, temps de cuisson ou de préparation des ingrédients, lieu où le plat a été dégusté, en quelle compagnie, à quelle période de l’année, etc. Chaque détail, même minime, a son importance pour pouvoir recréer le plat. Ensuite, nos deux protagonistes donnent rendez-vous au client 15 jours après. Ensuite, le client revient, goûte le plat qu’il désirait et qui a été préparé par nos restaurateurs et ces derniers expliquent comment le cuisinier a mené son enquête et est parvenu à recréer le plat en question.


Le schéma répétitif des histoires peut déplaire. Pour ma part, comme il ne s’agissait que de six histoires, et que chaque plat et chaque client étaient différents, cela ne m’a pas gêné. Je regrette cependant de ne pas voir Nagare enquêter et que celui-ci se contente juste de raconter à ses clients son procédé. De ce fait, nous ne sommes que de distants spectateurs dans ce roman.


Je trouve aussi le concept du restaurant en lui-même étrange. C’est un restaurant caché, il n’a pas d’enseigne et ne dispose que d’une seule publicité qui en dit peu, et qui se revendique comme difficile à trouver et s’y complaît, ne désirant pas recevoir beaucoup de clients et semblant se contenter d’une petite poignée de clients, voire un à la fois. Koishi et Nagare imposent aussi le plat au client s’il vient pour la première fois et, seulement si le plat lui plaît et si le client décide de revenir une nouvelle fois, il sera servi le plat de son choix. Ça me semble bizarre et peu crédible mais, après tout, peut-être existe-t-il des restaurants avec le même concept.


Certains lecteurs ont déploré le peu d’informations sur Koishi et son père Nagare, ce ne fut pas mon cas. Je n’ai pas réussi à m’attacher à eux, je les ai même trouvé un peu antipathiques. Ils râlent souvent sur leur chat, Roupillon, parce qu’il agissait comme un chat et père et fille (mais surtout la fille) avaient parfois un comportement sec ou colérique envers les clients, surtout Koishi envers son propre père ou lorsqu’elle interrogeait les clients et qu’elle était frustrée ou irritée de leur réponse.


Cela dit, la force du roman ne repose pas tant sur les personnages mais sur son concept (retrouver des plats disparus de la même façon qu’une enquête policière) mais aussi son ambiance très dépaysante qui nous fait voyager au Japon, et qui nous fait découvrir davantage sa culture mais aussi et surtout la gastronomie (à noter que ce roman parle aussi de plats occidentaux). Et, ce qu’on peut dire, c’est que ça donne faim ! Chaque chapitre nous donne envie de nous replonger dans les plats de notre enfance ou bien de déguster de bons plats japonais et, là, je vous avoue, j’ai très envie de gyozas au poulet et de karaage, mais je m’interroge tout de même : si je pouvais déguster un plat associé à un souvenir, lequel choisirais-je ?


Ce que je retiendrais donc surtout du roman, c’est son ambiance japonaise dépaysante et son concept original qui permet, à chaque chapitre, de replonger dans le passé de chaque client et de lui faire revivre les émotions qui accompagnent la dégustation d’un plat qui l’a marqué et qui était préparé par un être cher. C’est la preuve qu’un plat est plus qu’un moyen de se nourrir, c’est vecteur de souvenirs, de nostalgies. On peut rattacher un plat à une personne, à un lieu, à un souvenir, quelque chose de très cher. Un plat peut nous rappeler un premier rendez-vous galant, notre enfance, un parent.


C’est très doux-amer car, dans ces histoires, il y a parfois un goût de regret. Une personne à jamais disparue, un plat que l’on mange pour la dernière fois avant de changer de vie, quelque chose d’inachevé. J’ai bien aimé l’histoire du client qui veut manger une dernière fois au plat de son épouse décédée avant de mener une nouvelle vie dans une autre région et avec sa nouvelle compagne, mais aussi l’histoire du business man qui veut retrouver le ragoût au bœuf de sa mère, et sa relation avec sa belle-mère.


En somme, un roman court et sympathique qui se lit avec fluidité, avec un concept original et une ambiance dépaysante. Je trouve cependant dommage qu’on ne s’attache pas aux personnages et qu’on ne soit que des spectateurs distants car il n’y a pas réellement d’enquête à suivre, on se contente juste d’attendre que Nagare explique son procédé à ses clients. Ça reste une petite lecture sympathique et qui ouvre l’appétit !


Les gens prennent facilement les choses pour acquises. Même s’ils jugent qu’un nouveau plat est bon, peu à peu, cela devient banal. Il ne faut jamais oublier son premier ressenti.

jeudi 8 mai 2025

Dot de Sang - S. T. Gibson.


Dans les décombres d'un village ravagé par la guerre, un mystérieux inconnu arrache Constanta, simple paysanne, aux bras de la mort. Elle devient en un instant l'épouse d'un immortel, qui lui offre le baiser éternel du vampire. Rien dans sa courte vie ne l'avait préparée à l'intensité de l'amour qui naît alors entre eux. Ensemble, ils vont traverser les époques et goûter aux plus grands délices du monde.


Mais bien qu'ils soient tous deux insensibles au passage du temps, les sentiments de Constanta vont quant à eux être peu à peu souillés par le doute... Est-elle vraiment maîtresse de son destin ? Pour retrouver sa liberté, elle devra oser le plus grand des sacrifices.




Un bon petit roman vampirique à se mettre sous la dent et qui raconte l’histoire de Constanta, sauvée de la mort par un mystérieux individu qui lui offre l’immortalité à ses côtés. Simple paysanne, Constanta devient maîtresse d’un château et l’épouse d’un homme à qui elle doit tout. Ensemble, ils vont traverser l’Europe et les siècles, découvrir les différents chamboulements de l’Histoire, et se lier à d’autres personnes qui les rejoindront dans ce long chemin qu’est l’éternité.


Une belle histoire d’amour ? Pas forcément.


Il s’agit bien de l’histoire de Constanta, épouse d’un maître vampire à qui elle doit tout et qu’elle suit avec amour et dévotion, supportant l’ignorance dans lequel il la met concernant ses pouvoirs et sa nature de vampire, mais aussi sa jalousie, sa possessivité, ainsi que la passivité de Constanta face à son emprise, les excuses qu’elle lui trouve, et les manipulations de son époux qui rejette la faute sur elle ou minimise ses tourments émotionnels.


Au cours de leur longue vie, deux compagnons se joindront à eux. Tout d’abord Magdalena, jeune femme pétillante et habile dans la politique, puis Alexi, jeune homme qui croque la vie, et qui subiront également l’emprise de leur époux possessif qui cherche à les isoler du monde et les garder sous son influence. Peu à peu, les trois compagnons vont se faner sous le joug et l’amour écrasants de cet époux autoritaire… jusqu’aux premières étincelles de rébellion.


Au-delà donc de l’aspect fantastique du roman, celui-ci traite donc de maltraitance domestique et conjugale qui ne se fait pas forcément sur le plan physique (rarement le maître vampire lève la main sur ses conjoints) mais plutôt psychologique car il maintient ses conjoints dans l’ignorance, il les rabaisse, il les isole, il y a aussi du gaslighting, de la manipulation psychologique. Il est à la fois un mari aimant (car il aime ses compagnons immortels, à sa façon tordue, possessive et autoritaire) mais aussi un bourreau.


On plonge dans un univers sombre, tantôt cruel, tantôt sensuel. D’ailleurs, l’auteure nous dresse une liste d’avertissement en début de roman, ce que je trouve appréciable.


L’histoire est narrée par Constanta qui s’adresse à son époux, « son amour, son bourreau », une histoire d’amour puis de haine, et comment il était son protecteur et son bourreau à la fois, comment il l’a sauvé puis protégé et couvert d’amour avant de la couper du monde extérieur pour devenir son seul centre de gravité, puis le schéma qu’il a répété avec les deux autres compagnons. J’ai aimé voir les étincelles de rébellion s’installer petit à petit. Ce n’est pas une décision prise du jour au lendemain. Nos trois compagnons vont avoir du mal à se décider à sauter le grand pas en faisant l’interdit, c’est-à-dire tuer leur bourreau, car il y a la crainte de ne pas survivre sans lui, ne pas savoir comment vivre dans ce monde inconnu, la crainte d’échouer et les représailles, puis enfin les transgressions qu’ils vont faire, les petits actes de rébellion, les désobéissances, comment ils cherchent à en apprendre plus sur leur nature et leurs pouvoirs.


Je tiens également à féliciter l’auteure sur la prouesse d’avoir écrit un roman sur les épouses (enfin épouses et époux) de Dracula sans mentionner une seule fois le nom du vampire. On ne devine que c’est lui uniquement parce que les Harker sont mentionnés une fois, ce qui laisse donc supposer que ce roman est une réécriture et une réadaptation de Dracula puisque ses compagnons ne meurent pas dans le roman [spoiler] et que ce sont eux qui tuent Dracula et non les Harker et leurs amis  mais du coup, j’avais espéré que les événements du roman d’origine soient évoqués et comment l’auteure a choisi d’adapter ces événements car on ne comprend pas comment Dracula a survécu à Van Helsing et cie, s’il a simulé sa mort, etc. On a rien de tout cela, ce qui est frustrant [/spoiler]


J’ai également été un peu déçue de la fin du roman et de la direction qui a été prise [spoiler] par exemple je ne comprends pas que les trois compagnons décident de vivre leur vie de leur côté, ou que Constanta décide de transformer d’autres personnes, ou que Magdalena se serve d’un humain comme serviteur et amant, ce que j’ai trouvé étrange, surtout après leur passé auprès de Dracula. J’aurais trouvé plus cohérent que les trois soient restés ensemble vu l’amour qu'ils se portent [/spoiler]


Toutefois, j’ai aimé le fait qu’il y ait une relation polyamoureuse entre les compagnons eux-mêmes, et pas uniquement avec Dracula. Il y a une relation touchante entre ConstantaMagdalena et Alexi, faite d’amour, de désir, de passion et de complicité, avec un besoin profond de se soutenir mutuellement.


C’est un roman qui se dévore, en tout cas ça l’a été pour moi. L’écriture est fluide, envoûtante et poétique. J’ai été happée par l’ambiance gothique qui se dégage du roman, et j’ai aimé suivre Constanta et découvrir son histoire et la voir reprendre petit à petit sa vie en main. En outre, j’ai beaucoup aimé ma lecture !


J'ai su à cet instant que j'irais jusqu'en enfer pour glaner le moindre de vos moments de faiblesse, aussi infimes soient-ils. Qu'y a-t-il de plus charmant, après tout, qu'un monstre vaincu par le désir ?