vendredi 29 juillet 2022

Et que quelqu'un vous tende la main - Carène Ponte.


Le Jardin des Cybèles est une maison de repos qui accueille des personnes abîmées par la vie. Cet été-là, elle ouvre ses portes à deux nouvelles pensionnaires : Valérie et Anna.

Quelques jours après leur arrivée, elles font la connaissance de Charline, la propriétaire d’un petit salon de thé voisin. Ce lieu chaleureux devient un véritable refuge pour les deux femmes, qui adorent s’y retrouver pour déguster des gâteaux tout en bavardant.


Mais une nouvelle dramatique va chambouler l’existence de Charline et perturber ce fragile équilibre. Valérie et Anna décident alors de mettre leur propre souffrance de côté pour épauler leur amie dans cette terrible épreuve. Toutes trois embarquent pour une virée au bord de la mer. Le temps de ce séjour improvisé, elles comptent bien réapprendre à profiter de la vie?!


J’ai choisi ce titre uniquement pour le Ice Cream Summer Challenge. Je ne m’attendais pas à grand-chose, les romans contemporains ne faisant pas particulièrement partie de mes lectures de prédilection (je préfère les vampires, les détectives classiques, faire un bond dans l’Histoire), mais j’étais attirée par sa couverture.



Le roman est construit à trois voix pour que l’on puisse découvrir, progressivement, le destin de nos trois personnages principaux. Trois femmes.



Valérie a toujours manqué d’un modèle maternel. Et pour cause, sa mère célibataire la délaissait au profit de son travail, ses amies et ses mecs, et demandait à sa fille de l’appeler par son prénom plutôt que maman, car cela la vieillissait. Aujourd’hui, Valérie a deux magnifiques filles, Zoé et Carla, qu’elle aime de tout son cœur mais elle ne sait pas comment tisser un lien avec elles, leur dire et leur montrer qu’elle aime ses filles, ce qui crée de la distance entre elles. Un jour que son aînée revient au domicile après une journée sans laisser de nouvelles, Valérie craque et frappe sa fille. Horrifiée par son geste, désespérée de ne pas être une mère aimante, Valérie déprime et choisit de tout plaquer pour aller au Jardin des Cybèles.



Anna est jeune, Anna est amoureuse, Anna est jeune maman d’une adorable petite Suzanne… puis un jour, Anna perd Suzanne. Elle ne devient plus que l’ombre d’elle-même et, impuissant et accablé de tristesse, son compagnon Valentin s’en va. Désespérés, les parents d’Anna l’amènent au Jardin des Cybèles afin de l’aider… mais comment reprendre goût à la vie après une telle épreuve ?



Charline est la gérante d’une pâtisserie-salon de thé près du Jardin des Cybèles. Ses clients s’arrachent ses pâtisseries et sa bonne humeur est communicative tant Charline est toujours souriante et éblouissante comme un rayon de soleil. Pourtant, tout n’est pas ensoleillé dans la vie de la pâtissière qui cache bien des blessures.



Ce roman est une jolie histoire d’amitié et de solidarité entre ces trois personnages qui ont des vies bien différentes les unes des autres mais qui n’ont pas été épargnées par la vie. C’est une bien jolie amitié soudée que l’auteure nous conte là. Le ciment de cette amitié, c’est Charline. C’est par elle que tout commence. C’est elle qui vient voir Valérie, elle qui vient initier la conversation et qu’une relation va d’abord se nouer autour des pâtisseries avant que Valérie ne se confie, et qu’elle se sente assez en confiance et motivée pour aborder une autre pensionnaire, Anna. C’est pour Charline qu’Anna et Valérie vont trouver le courage de faire un grand pas, faire un voyage à trois jusqu’en bord de mer et y séjourner pour s’y ressourcer, se reposer, aller mieux.



Peu à peu, les vulnérabilités se dévoilent au grand jour, elles se sentent assez fortes pour se confesser, se dévoiler. Ce n’est pas toujours facile, il y a des pleurs, de la rage, du découragement mais ce qui reste toujours, contre vent et marées, c’est la présence et l’amitié de chacune de ces femmes entre elles. Elles vont s’assembler et pouvoir surmonter petit à petit leurs troubles, leurs drames et leurs problèmes, s’aider mutuellement à remonter la pente. Chacune va être un baume pour panser les blessures qui, si elles sont toujours là, commencent petit à petit à s’adoucir.



Avec beaucoup de délicatesse et d'humour, l'auteure nous fait pénétrer dans l'intimité de ces femmes et de leurs sentiments, ceux que l'on n'ose pas avouer, sauf aux rares êtres, qui, un jour, vous ont tendu la main. Elle aborde aussi de nombreux thèmes assez difficiles : le deuil péri-natal, le suicide, la maladie, la dépression, le burn-out, les relations toxiques, le lâcher prise, la maternité, le pessimisme… Des thèmes qui résonnent parfois juste en nous, notamment lorsqu’on se demande… Si après la pluie, vient le beau temps, quand est-ce que le soleil viendra illuminer de nouveau ma vie ? Pourquoi recevoir tant de soucis ? Ne peut-on pas avoir une pause ? Pourquoi nous et pas quelqu’un qui le mérite, comme un assassin, un mauvais parent, l’ex qui nous a trompé… et combien, malgré nos efforts, c’est difficile de rester optimisme… que l’optimisme est fatiguant à force et combien parfois ça fait du bien de pleurer et crier un bon coup.



Malgré ces thèmes difficiles, ce roman dégage beaucoup de positivité et de luminosité, sans tomber dans le mélodrame (même si parfois ça en devient irréaliste [spoiler] j’ai trouvé trop facile que Valérie soit donneur compatible pour Charline et à quel point ça tombe trop bien pour Charline qui a son donneur à peine sa première consultation avec l’hématologue terminée, je m’attendais d’ailleurs à ce que Charline ne s’en sorte pas mais j’oubliais que c’était un roman feel good [/spoiler] mais bon c’est juste histoire de chipoter un peu)



C’est un joli roman page turner. Alors que je n’en attendais pas grand-chose, j’ai été surprise de constater à quel point la plume était légère et fluide et combien les pages défilaient avec rapidité. Sans que ce roman soit un coup de cœur ou une lecture inoubliable, je n’ai pas pu lâcher ce roman avant de l’avoir achevé, tant il me tardait de connaître les raisons qui ont amené nos personnages à être au carrefour de leur vie, les voir tisser des liens d’amitié et comment elles remontent lentement la pente. Il me tardait de voir leur évolution et comment les choses allaient s’arranger pour elles, le tout avec un joli cadre attractif au bord de la mer qui sent bon l’été… et les pâtisseries de Charline !


Ma mère m'a toujours répété qu'il fallait voir le bon côté des choses, que derrière chaque difficulté il y avait une opportunité. Elle a toujours été d'un optimisme à toute épreuve, et j'ai grandi avec l'idée qu'après la pluie vient le beau temps. Mais ces derniers mois, j'ai l'impression que le soleil m'a légèrement oubliée. À force d'être trempée, je vais finir par avoir la peau toute fripée. Rebondir, se relever, aller de l'avant, tourner la page, ça demande de l'énergie, et je ne suis pas loin de penser qu'à trente ans, elle commence à me faire défaut.

Tout était plus simple lorsque j'étais enfant. La vie était douce et légère.

12. (Charline)

mercredi 27 juillet 2022

Les vacances d'Hercule Poirot - Agatha Christie.



Hercule Poirot aimerait bien passer des vacances tranquilles. Une petite île, un hôtel agréable, une cuisine soignée, des pensionnaires charmants. 

Tout irait pour le mieux si, au milieu des estivants, ne tournait Arlena Marshall, une de ces femmes fatales qui font perdre la tête aux hommes. 

Mais était-ce une raison pour l'étrangler ?





Un détective, ça travaille toujours, même en vacances !



Je venais à peine de revenir de mes petites vacances qu’Hercule Poirot commençait les siennes… mais s’agit-il vraiment de vacances quand le crime veille toujours ? Alors qu’il se reposait au bord de mer dans une petite île tranquille et sans histoire, voilà que la ravissante Arlena Marshall débarque, faisant tourner la tête de bien des hommes et bouillir de jalousie les femmes. Patrick Redfern se transforme en toutou prêt à courir vers sa maîtresse sitôt Arlena l’appelle ou lui adresse un regard, un sourire… ce qui n’est pas au goût de Christine, sa femme. Linda ne peut souffrir sa nouvelle belle-mère et se demande pourquoi diable son père l’a épousé, lui qui semble bien être le seul homme à qui Arlena ne rend pas fou d’amour, une question que partage Rosamund, l’amie d’enfance de l’époux, Mr Marshall. Sans compter le couple Gardener et les autres vacanciers…



Le crime, s’il paraît simple de prime abord, se révèle progressivement être d’une ingéniosité diabolique, nous montrant que le meurtrier a pensé à tout [spoiler] le coup de la montre, le faux cadavre, le livre sur le vaudou, etc [/spoiler] ! L’identité de ce dernier se révèle à la fois comme une évidence mais également comme une surprise à laquelle on ne s’attendait pas !



La victime est désignée d’avance. Une aussi jolie femme, et riche de surcroît, ne peut qu’attirer les envies et les jalousies… surtout quand elle ne semble avoir aucun scrupule à attirer les hommes, fussent-ils mariés. Le crime est précédé par une délicieuse atmosphère qui signale le calme avant la tempête… un vrai orage d’été ! Une tension palpable, un malaise, des jalousies… un coupable bien difficile à cerner, car si Arlena avait de nombreux admirateurs, elle s’est faite beaucoup d’ennemis… Christine, dont le mari voyait en secret sa nouvelle maîtresse. Linda, qui ne supporte pas sa belle-mère. Rosamund, qui aime Mr Marshall et à qui ce dernier a révélé qu’il refusait le divorce et que seul la mort lui permettrait une séparation avec Arlena… et ce fameux maître chanteur dont Arlena serait victime, selon les dires de Christine.



C’est toujours un plaisir de retrouver Hercule Poirot, détective belge (et non Français, je vous prie ! comme il pourrait s’insurger), à la fois insupportable par son orgueil et attendrissant par son humanité, drôle dans ses remarques et toujours terriblement intelligent et efficace. Tout d’abord, il observe et suit l'enquête sans trop s'avancer à donner des réponses, laissant la police de Scotland Yard se charger de l’affaire. Progressivement, il devine l’identité du coupable et comment s’est déroulé le crime, sans pour autant révéler quoique ce soit, car Hercule Poirot aime la mise en scène et il ne révèle la vérité que devant un public, rassemblant avec eux les pièces du puzzle qu’il a réussi à achever grâce à ses cellules grises.



Comme dans la plupart des romans d’Agatha Christie, je déplore le fait qu’elle réunisse encore une fois de nombreux personnages introduits en si peu de temps, si bien qu’on s’y perd, surtout au début alors qu’on doit être accroché à l’histoire… Ce n’est qu’au fil des chapitres qu’on parvient un peu mieux à différencier qui est qui… même si certains personnages auront été chez moi moins mémorables que d’autres. Toutefois, j’ai trouvé intéressant cette sorte de réflexion sur le personnage de la femme fatale, ce qu’elle est, ce qu’elle fait, pourquoi, et si Arlena manipulait tous les hommes ou si elle n’était pas aussi un peu manipulée elle-aussi…



Ce roman ne me laissera pas un souvenir mémorable, mais la formule fonctionne toujours chez moi et j’ai passé un agréable moment avec Hercule Poirot. C’est une lecture légère et plaisante, idéale pour les vacances d’été, surtout avec le cadre du roman !


- Je le vois très bien, mon enfant, et je suis d'accord avec vous. Mrs Redfern n'est pas quelqu'un qui "voit rouge" comme on dit. Ce n'est pas elle qui se laisserait...
Et, la tête en arrière, les yeux mi-clos, il [Poirot] porsuivit en choisissant ses mots avec soin :
- Ce n'est pas elle qui se laisserait emporter par des sentiments violents... Pas elle qui regarderait avec des yeux de haine le visage haï de celle qui lui prend plus que la vie... Pas elle qui s'appesantirait sur ce cou détestable... Qui souhaiterait renfermer les mains dessus... Et puis les serrer, les serrer... Jusqu'à les sentir enfin s'enfoncer dans la chair...
Il s'interrompit net.
Linda se leva en chancelant.
- C'est fini ? Je peux m'en aller ? bredouilla-t-elle d'une voix tremblante.

vendredi 1 juillet 2022

Le Choeur des femmes - Martin Winckler.


Je m'appelle Jean Atwood. Je suis interne des hôpitaux et major de ma promo. Je me destine à la chirurgie gynécologique. Je vise un poste de chef de clinique dans le meilleur service de France. 

Mais on m'oblige, au préalable, à passer six mois dans une minuscule unité de " Médecine de La Femme ", dirigée par un barbu mal dégrossi qui n'est même pas gynécologue, mais généraliste! S'il s'imagine que je vais passer six mois à son service, il se trompe lourdement. Qu'est-ce qu'il croit? Qu'il va m'enseigner mon métier? J'ai reçu une formation hors pair, je sais tout ce que doit savoir un gynécologue chirurgien pour opérer, réparer et reconstruire le corps féminin. 

Alors, je ne peux pas - et je ne veux pas - perdre mon temps à écouter des bonnes femmes épancher leur cœur et raconter leur vie. Je ne vois vraiment pas ce qu'elles pourraient m'apprendre.



« Il est difficile de ne pas porter de jugement. Tu es un être humain. Mais ça ne t’autorise ni à condamner ni à appliquer des peines. »


Je n’ai que trop repoussé la rédaction de cet article. Pas parce que je n’ai pas aimé ma lecture, mais parce que ce roman est un récit tellement dense que je ne savais ou commencer et quoi dire sans m’étaler. C’est que l’auteur nous fait passer pas moins de 700 pages au cœur du service gynécologique d’une clinique et il s’en passe bien des choses dans les couloirs de cet établissement et derrière la porte de consultation. C’est à travers les yeux de Jean Atwood, interne en médecine, que l’on découvre ce monde.


Le regard de Jean Atwood n’est pas tendre. Et pour cause, elle n’a jamais voulu passer les derniers mois de ses études dans ce service. Ce qu’elle préfère, c’est la chirurgie réparatrice. Ouvrir, soigner, refermer. Les bavardages de bonnes femmes réclamant leur pilule ou parlant de leurs problèmes de couple ou d’hormones, très peu pour elle. Pourtant, c’est dans ce service que Jean doit travailler si elle veut valider son internat. Pour ajouter à sa corvée, elle doit travailler en compagnie de son mentor, le docteur Karma, un médecin qu’elle ne supporte pas et qui partage une vision bien différente d’elle de la médecine. Elle l’accompagne dans ses consultations, l’écoute parler lui, puis les patientes et c’est le gros clash.


Jean Atwood n’est pas un personnage qui nous est d’emblée sympathique et pas seulement parce qu’elle se retrouve à travailler dans un service qu’elle n’a pas choisi, mais également à cause de son regard et ses opinions sur les patientes. Cela peut être douloureux pour les lectrices qui auront peut-être connu des situations similaires et fait face à des médecins ne faisant preuve d’aucune empathie ou écoute. Jean juge ces femmes, considère comme inconsciente la jeune fille qui a couché sans protection, la femme d’âge mûr souhaitant tomber enceinte de son jeune compagnon, la femme qui vient uniquement pour demander sa pilule et parler de ses petits tracas du quotidien et de son couple. Elle trouve ahurissant que Karma n’examine pas chaque patiente, écoute ces femmes discuter de tout et de rien sans demander à aller droit au but, ne commente pas sur telle ou telle conduite, fut-elle inconsciente. Le plus choquant dans l’histoire est que ces jugements sont faits par… une femme. Car oui, malheureusement, une femme, fut-elle gynécologue, peut manquer d’écoute et faire preuve de jugement.



Le Chœur des Femmes a été adapté en bande-dessinée par Aude Mermilliod
en 2021 aux éditions Le Lombard. Une BD qui retrace le plus fidèlement possible
le roman de Martin Winckler et que je conseille, surtout si le pavé qu'est le roman d'origine vous effraie !

Jean n’est pas une mauvaise personne pour autant. C’est une jeune femme brillante, la meilleure de sa promotion, elle n’a pas son pareil pour la chirurgie. Elle a un certain humour, parfois sarcastique. Cependant, si Jean sait réparer les anomalies et soigner le corps humain, elle ignore comment soigner dans le vrai sens du terme. Être à l’écoute du patient, être patient, doux, prévenant. Loin du médecin qui prend de haut sans faire preuve de pédagogie et de bienveillance, qui oublie le sens de sa vocation, être soignant. Cela tombe bien, Jean a tout un roman pour apprendre, grandir et évoluer, et c’est avec plaisir que nous la voyons évoluer pour le meilleur, voir ses convictions perturbées, ouvrir les yeux et voir les choses sous un autre angle. Voir le jugement pour ses patientes se transformer peu à peu en empathie et douceur, faire preuve de neutralité et d’objectivité tout en apprenant à écouter, soulager, accompagner et soigner les patientes.


Jean a d’autant plus un lourd passé qui se retrouve au cœur de l’histoire. Une fois qu’il nous est révélé, on parvient à la comprendre un peu plus. Sur le plan relationnel, elle apprend énormément, autant sur le plan de l’acceptation de soi que dans l’apprentissage de la compassion. J’ai pris plaisir à suivre son évolution sur elle-même ainsi que face à ces femmes, les patientes, les infirmières, la secrétaire, mais aussi au Dr Karma. Voir l’évolution de ses préjugés, de ses angoisses, ses certitudes et incertitudes.


Auprès du Dr Karma, elle va découvrir une nouvelle médecine, plus proche du patient, qui prend le temps de l'écouter, ne lui impose pas d'examens inutiles, ne lui pose pas de questions superflues et surtout, ne porte jamais aucune jugement sur les motivations de la visite : "Un soignant, ça n'est pas un inquisiteur.". Karma a vu quelque chose en elle, malgré ses jugements et son mépris, et a deviné qu’elle a les capacités pour devenir un bon médecin, de changer, il s’y est accroché et avec raison.


J’ai beaucoup aimé la relation qui s’est nouée peu à peu entre ces deux personnages, comment ils apprennent à se connaître et à s’apprécier, cette relation prend une dimension encore plus touchante et profonde lorsqu’on découvre petit à petit le passé de Jean avec, en parallèle, l’histoire de Karma et l’importance de la patiente zéro. Celle qui a fait de Karma le médecin qu’il est. La patiente la plus importante de sa vie de médecin. Ce qui nous fait nous demander, au cours du roman, qui sera la patiente zéro de notre protagoniste. Je déplore toutefois que Karma soit un homme dans le sens où on nous montre que c’est un homme qui apprend tout à Jean, un homme qui lui explique comment agir, comment traiter les femmes. Ça aurait peut-être eu plus d’impact que ce soit une femme qui explique à une autre femme, mais c’est vraiment histoire de chipoter.



Nous voyons défiler au cours du roman de nombreuses patientes, consultant toutes pour un motif différent. Les témoignages sont poignants d’authenticité, de simplicité mais aussi de souffrances accumulées et jamais écoutées. Ce sont des femmes parfois malmenées par la vie, chose que l’on ne devine pas tout de suite. Parfois, après la consultation, l’auteur nous offre un petit chapitre racontant la vie de ces femmes afin de nous permettre de mieux les comprendre, comprendre ce qu’elles ont vécu, pourquoi exactement elles consultent, et aussi pour nous montrer qu’il ne faut pas les juger trop vite. Ce qu’elles dévoilent à la consultation ne sont parfois que la partie visible de l’iceberg.


Ce roman nous parle aussi des violences médicales et surtout gynécologiques à travers des pratiques gynécologiques discutables, utilisées davantage pour le confort du praticien que celui de la patiente (j’ai notamment été bien surprise de découvrir la position d’auscultation qui est bien différente en Angleterre et qui me semble plus confortable et moins humiliante pour la patiente), cette mauvaise habitude de dire et penser qu’il faut bien savoir souffrir et supporter toute souffrance si c’est dans le but de nous soigner, ou qu’un médecin ne peut pas se tromper, qu’un médecin préférera écouter un confrère plutôt que sa propre patiente.


Il y a aussi d’autres thèmes à découvrir, notamment le traitement des enfants hermaphrodites ou nés avec des anomalies génitales, l’avortement, les violences conjugales, la contraception, l’IVG, la maternité des adolescentes. En résumé, c’est un roman intéressant, féministe et enrichissant, d’autant plus qu’il a été écrit par un médecin.


- Mais, dis-je, je pensais qu'il était souhaitable d'utiliser une Pozzi pour tirer le col et le maintenir dans l'axe...
- Non. La preuve. L'utérus est coudé, nous sommes d'accord, mais les stérilets sont en plastique souple. Ils plient et se déforment pour s'insérer dans la cavité. Inutile de maltraiter les femmes.
Je réfléchis.
- Je n'ai jamais entendu ça. Je ne l'ai jamais lu dans aucun bouquin...
- Les livres de médecine ne parlent jamais des douleurs provoquées par les gestes des médecins. Et beaucoup de médecins pensent que "si c'est pour le bien des patientes", la douleur est justifiée. Aucune douleur n'est justifiée. Jamais. Et la moindre des choses, pour un soignant, est de tout mettre en œuvre pour ne pas faire mal. D'ailleurs, quand on leur fait mal, elles se mettent à avoir des contractions, et elles expulsent le stérilet. Alors, en plus, c'est contre-productif. Vous voyez, la patiente précédente elle aussi a de la chance d'être tombée sur nous. En continuant à chercher elle aurait fini par trouver des praticiens qui posent et retirent des implants, en ville. Mais pour gagner du temps, beaucoup font ça sans anesthésie locale.