dimanche 23 avril 2023

Hadès & Perséphone (T.1) A touch of darkness - Scarlett St. Clair.


Après s'être installée à Nouvelle Athènes, la jeune déesse Perséphone espérait mener une vie discrète, dans la peau d'une journaliste mortelle. Tout change lorsqu'elle s'assied pour jouer une partie de cartes avec un étranger hypnotique et mystérieux, dans une boîte de nuit branchée.

Après sa rencontre avec Hadès, Perséphone se retrouve liée par un contrat avec le dieu des Ténèbres, dont les conditions sont impossibles : Perséphone doit créer la vie dans le monde souterrain ou perdre sa liberté à jamais.


Alors qu'elle s'efforce de semer les graines de sa liberté, son amour pour Hadès grandit, un amour à la fois envoûtant et interdit.



Imaginez une rencontre entre la mythologie grecque et 50 nuances de Grey.



Voici leur bébé.



J’avais pourtant, au préalable, lu quelques critiques négatives de ce roman, extraits à l’appui, mais j’étais tout de même curieuse de le découvrir pour m’en faire ma propre idée, désireuse de comprendre l’engouement général et notamment celui de ma sœur qui me l’a chaudement recommandé, et aussi car je suis attachée à la mythologie grecque et plus particulièrement l’histoire d’Hadès et Perséphone.



Quelle lecture longue et laborieuse ce fut !



Les personnages sont creux et inintéressants, à commencer par les protagonistes. Perséphone est le cliché de la jeune femme qui n’est « pas comme les autres filles », qui est une déesse mais se fait passer pour une mortelle par envie de liberté et rébellion envers sa mère. Elle est cruche, ne sait pas ce qu’elle veut et ne sait pas se décider concernant Hadès, entre le considérer comme un salaud de la pire espèce ou un pauvre bisounours incompris. Hadès est le cliché du mec beau, ténébreux, mystérieux et torturé. Il est hautain et arrogant mais, au fond de lui, il se soucis de ses sujets et a bien des blessures dans son âme tourmentée. Déméter est présentée comme une mère tyrannique qui ne voit sa fille que comme une possession, qui mettrait des caméras dans sa chambre et un bracelet électronique autour de sa cheville si elle le pouvait. Lexa est le cliché de la meilleure amie fêtarde et fashionista qui traîne Perséphone en boîte et veut la dévergonder. Hermès est le cliché du gay efféminé qui devient pote avec l’héroïne et veut des détails croustillants sur sa vie amoureuse et sexuelle. Hécate ne m’a pas laissé grande impression, et quasiment la totalité des personnages hurlent « NOTRE REINE » quand Perséphone respire en direction d’Hadès, insinuant à tout bout de champ que c’est sa destinée de devenir son épouse et reine, et pourquoi pas lui faire des bébés, c’était pénible. Mais, grosso modo, les personnages secondaires ont un rôle de figurants et ne servent quasiment à rien dans l’histoire.



Je n’ai pas non plus été convaincue par la relation entre Hadès et Perséphone, qui réunit tous les pires clichés et ingrédients du genre New Romance. Leur relation n’a aucune tension amoureuse, aucun développement, tout se passe très vite, la seule chose qui lie nos personnages, c’est le sexe. Ils se connaissent à peine que hop, ils sont déjà dans les bras de l’autre. Ajoutons à cela des scènes de cul comme s’il en pleuvait, Hadès qui nous sort des « chérie » hautains et condescendants à tout bout de champ, des scènes plus que douteuses avec Hadès avec un consentement de Perséphone parfois très douteux, une infantilisation de la femme, des gestes et paroles supposées nous faire pâmer mais qui sont très cringe [spoiler] Perséphone qui se réveille nue dans le lit d’Hadès et, lorsqu’elle lui demande s’ils ont couché ensemble, il lui répond « Quand je te baiserai, tu t’en souviendras », ou encore lorsqu’il se frotte contre Perséphone endormie [/spoiler]



Ajoutons à cela que la plupart des interactions entre Hadès et Perséphone manquent de cohérence avec les disputes qui n’en sont pas vraiment puisqu’ils ne s’en tiennent pas rigueur bien longtemps, Perséphone qui se répète qu’elle le déteste, qu’il est ignoble, et au final un seul regard de braise fait s’effondrer tous ses principes et la fait tomber dans ses bras et oh mon dieu il est horrible, je le déteste, et oh la laaaaa il est trop beau, le souffle me manque, ma poitrine me fait souffrir… Ok ma chérie, je crois qu’à force de ressentir tout ça quand tu le vois, tu fais une réaction allergique ou une crise cardiaque.



On peut reprendre le mythe d’Hadès et Perséphone de plusieurs façons, mais on sent clairement ici que l’auteure a repris 50 nuances de Grey. Une étudiante en journalisme qui doit interviewer beau mâle sombre et ténébreux, les deux personnages liés par un contrat, les scènes de cul à répétition, merci mais non merci. Qu’on soit bien clair, les scènes de sexe ne me dérangent pas, encore faut-il savoir bien doser le nombre de scènes et surtout savoir bien les écrire.



Il y a tout de même quelques points positifs, même s’ils ne sont pas nombreux et ne suffisent pas à sauver ce monument de nullité. Le mélange entre notre monde moderne et la mythologie est intéressant, il apporte un nouveau souffle aux mythes anciens et c’est une appropriation moderne plutôt intéressante, mais hélas trop peu exploité au profit de la romance… Les scènes avec Cerbère m’auront quand même arraché un sourire, et Perséphone a tout de même quelques moments où elle déchire, c’est rare mais ça arrive sur la fin [spoiler] lorsqu’elle utilise ses pouvoirs [/spoiler]. J’ai également trouvé intéressant l’aspect véritable des divinités et ce qu’ils choisissent de dissimuler et de montrer au commun des mortels.



J’ai aussi été intriguée par le fait que Perséphone, pourtant déesse du printemps et fille de Déméter, soit incapable de faire pousser fleurs et plantes… qui meurent à son contact, ce qui m’a fait m’interroger sur le pourquoi et le comment, et comment les choses allaient évoluer, d’autant plus que son contrat avec Hadès stipule qu’elle doit lui créer un jardin. Malheureusement, on la voit trop peu à l’œuvre et, tenez-vous bien, ce qui l’aide à créer ce jardin et récupérer ses pouvoirs c’est… [spoiler] une partie de jambe en l’a… l’amouuuuuuur. Donc si je comprends bien, elle avait juste besoin de… TOMBER AMOUREUSE pour récupérer ses pouvoirs ?? S’émanciper, devenir puissante et tout le tralala ? Tu parles d’un message ! [/spoiler]. C’est vraiment dommage car si cette partie ainsi que l’aspect mythologique avec les différents dieux dans notre société avaient été plus développés, cela aurait rendu le roman un tantinet plus intéressant. Bref, du potentiel mais très mal et même trop peu exploité.


En résumé, des personnages creux et inintéressants, une « romance » qui réunit tous les pires clichés du genre New Romance, un aspect mythologie/modernité trop peu exploité, beaucoup trop de scènes de sexe. Une lecture longue et laborieuse, qui n'a d'enfer que ce qu'elle m'a fait subir. Je ne suis clairement pas le bon public pour ce roman et le laisse volontiers à d'autres plus enthousiastes ! Pour ma part, c’est un flop et je ne lirais pas la suite…


Sur ce, je m'en vais retrouver le seul et unique Hadès, l'icône indémodable qui ne déçoit jamais.



Ceci a été mon ressenti sur une bonne partie du roman, pour le reste j'ai
plutôt pleuré de rire tant ça frisait le ridicule

jeudi 20 avril 2023

Contes des royaumes oubliés (T.4) Le beau et la bête - Isabelle Lesteplume.


Entre la belle et la Bête, le plus dangereux n’est pas celui que vous croyez...

Il était une fois un chasseur de monstres à la beauté redoutable nommé Silas. Sans attaches et désabusé, il ne rêve que d’une chose : prendre une retraite anticipée. C’est pourquoi, lorsque le seigneur Gaston lui offre plus d’argent qu’il n’en a jamais vu pour lui ramener la tête d’une effroyable Bête, il accepte sans hésiter. L’affaire semble facile, puisque le monstre ne quitte jamais les ruines d’un château au fond de la forêt.

Mais il aurait dû se méfier, car les apparences sont trompeuses...

Piégé dans le château par un coup du sort, Silas doit élucider plusieurs mystères... Et décider si c’est la tête ou le cœur de la Bête qu’il veut remporter.



Je poursuis ma découverte de la saga Contes des royaumes oubliés, avec ce nouveau tome. La Belle et la Bête étant l’un de mes contes préférés, j’étais curieuse de voir comment l’auteure allait le revisiter.


Silas est un chasseur de monstre aussi redoutable que magnifique. Il est pourtant solitaire et son travail ne lui attire pas que des sympathies. Aspirant à une retraite anticipée au bord de la mer, il accepte pour dernière mission celle que lui propose le seigneur Gaston, celle de traquer une Bête qui ne cesse de lui échapper. Silas s’infiltre donc dans son château mais s’aperçoit bien vite quelle singulière Bête il a face à lui. Si elle n’a rien à voir, à priori, avec les dires du seigneur Gaston, Silas doit mettre tout en œuvre pour gagner sa confiance pour l’approcher suffisamment pour pouvoir découvrir ses points faibles et la tuer. Mais, peu à peu, la Bête lui propose un mystère qui pique la curiosité de Silas. Résoudre cette affaire d’étrange malédiction se révèle peu à peu bien plus intéressant que de tuer la Bête.


J’ai beaucoup aimé cette revisite du conte, on s’éloigne très vite du film des studios Disney ou des autres adaptations. L’auteure a su reprendre les codes du conte tout en y apportant sa propre touche et des éléments originaux et nous offrir un univers dans lequel s’incorporent alchimie, magie, malédiction, l’omniprésence de la nature. L’aspect de la Bête en elle-même est original, ainsi que le fait de mêler le conte de La belle et la bête avec le mythe de la fontaine de jouvence (dont l’aspect peut également nous surprendre). L’auteure nous offre également le cadre d’un château en ruines au beau milieu d’une forêt hantée car elle atteinte d’une sorte de maladie qui s’appelle le Mal Gris. Partout où il se répand, tout meurt et perd ses couleurs. Chaque être vivant contaminé perd son esprit et son âme pour ne devenir qu’une coquille vide qui continue d’avancer, tel un zombie. Cette forêt est également infestée de chimères qui n’hésitent pas à attaquer le château.


Tout a un lien dans cette histoire avec la malédiction. Chimères, le Mal Gris, l’omniprésence des roses. Tout se rejoint progressivement de façon logique et c’était très intéressant à découvrir. J’ai pris plaisir à suivre l’enquête sur l’origine de la malédiction qui touche la Bête ainsi que le Mal Gris, les découvertes sordides de Silas et la Bête, toujours en quête de réponses sur la malédiction et sur l’histoire du roi cruel qui serait à l’origine de tout cela. L’enquête est donc réussie, et si j’avais mes doutes sur certains éléments (Gaston qui ne dit pas toute la vérité par exemple), l’auteure a su me surprendre par d’autres aspects.


L’auteure n’a pas su résister à utiliser la même trope que j’ai déjà trouvé dans Le Prince Cygne. À savoir que l’être maudit (Ode et ici la Bête) vit seul avec des amis qui le protègent et voient d’un très mauvais œil l’arrivée du nouveau venu, menaçant presque de le castrer s’il s’approche trop de leur ami, même si je dois avouer avoir trouvé plus intéressants Akim, ancien mercenaire devenu médecin, et Lianne, femme oiseau, que les amis d’Ode dans Le Prince Cygne. J’ai beaucoup apprécié la dynamique entre Silas, Damien, Lianne et Akim (ce qui était pourtant mal parti avec la méfiance tout d’abord constante – même si justifiée – d’Akim et Lianne envers Silas).


La romance n’est bien-sûr pas en reste. Silas et Damien, ainsi qu’est nommée la Bête, sont deux personnages radicalement différents mais qui se marient bien ensemble et se complètent. Silas est téméraire, cynique et désabusé tandis que Damien est hésitant, trop franc et plein d’idéaux, mais ce sont deux personnages égarés, en quête d’une liberté qui leur échappe, essayent simultanément de fuir le passé et de s’y accrocher, ils sont tous les deux décalés par rapport au monde (l’un trop beau, l’autre trop laid, possédant tous les deux des capacités hors normes). Le contact de l’un avec l’autre fait évoluer leur vision des choses et ils vont s’affranchir d’entraves qu’ils s’imposaient et s’épanouir. L’évolution que j’ai le plus apprécié était celle de Silas qui apprend à s’ouvrir, qui apprend ce qu’est d’aimer et d’être aimé, qui apprend ce que cela fait de vivre en communauté, avec des amis, tout comme Damien apprend également ce qu’est l’amour véritable et qu’il peut être aimé, malgré d’anciennes mauvaises expériences.


Malgré des thèmes sombres, l’humour est bien présent dans le roman, notamment avec Damien qui prend tout au premier degré et ne sait pas détecter le sarcasme ou Silas qui, tueur sanguinaire certes, se révèle fin gourmet très à cheval sur la cuisine. Je ne compte pas le nombre d’omelettes présentes dans ce roman ! Un des plats préférés de l’auteure ?


En résumé, l’auteure nous offre une réécriture originale et prenante du conte. L’auteure a su garder les bases du conte d’origine tout en se le réappropriant pour apporter sa touche. Mon coup de cœur a indéniablement été le personnage de Silas !


Silas lui sourit. Pour lui qui s’était frotté à ce que l’univers avait de plus violent et de plus cynique, c’était étrange de côtoyer quelqu’un qui s’emparait de la moindre chose pour la transformer en poésie. La mort, la solitude, le bois, l’oubli, l’écriture – Damien voyait le monde à travers un prisme étrange, légèrement décalé, qui transformait la vie en kaléidoscope étoilé. C’était difficile à suivre, en particulier pour un chasseur habitué à la réflexion froide et implacable nécessitée pour une survie de tous les instants, mais c’était… agréable.

dimanche 16 avril 2023

Et à la fin, ils meurent : La sale vérité sur les contes de fées - Lou Lubie.



Quels terribles secrets cachent les contes de fées ?

Derrière leur réputation d'histoires un peu naïves, les contes de fées ont des racines sombres et anciennes !

Aujourd'hui édulcorées, les versions originelles osaient le meilleur comme le pire : des princes pas si charmants, Raiponce vendue contre une botte de persil et Cendrillon qui décapite sec sa belle-mère !

En décapant avec humour ces récits d'autrefois, Lou Lubie pose une question d'éthique : violence, sexisme, racisme... Les contes sont-ils encore adaptés à notre époque ?





Une réussite que cette bande-dessinée ! Drôle, passionnante et instructive, elle nous fait un tour non-exhaustif des contes de fées européens. Vous pensiez tout savoir des contes de notre enfance ? Des princesses passives à sauver, de valeureux princes charmants, des histoires niaises où tout finit bien ? Que nenni, mes braves gens ! Dans cet ouvrage, Lou Lubie dissèque les contes de fées sous un trait analytique et surtout beaucoup d’humour !


La construction de l’ouvrage en lui-même est déjà très bien pensé : chaque chapitre représente une thématique précise et chaque chapitre est entrecoupé par un conte mis en scène sous le trait de l’auteure. Son style est doux, rond, assez mignon, et permet de traiter de certains sujets durs propres aux contes sans tomber complètement dans le glauque. En effet, si certaines situations vécues par les personnages peuvent être très glauques, c’est en partie atténué par le style graphique.


L’ouvrage aborde des sujets aussi variés que nombreux qui nous permettent de mieux cerner et définir les contes de fées. D’où viennent les contes, qu’est-ce qu’un conte, la différence avec les fables et mythes, l’évolution des contes à travers l’Histoire, les différents types de contes (contes de fées, contes réalistes et donc sans élément magique, contes religieux, etc), leurs auteurs, leur construction, les différentes thématiques, etc).



Tous les contes n’ont pas toujours un auteur bien défini. Certains remontent à si loin dans l’Histoire qu’il est impossible de déterminer qui en est l’auteur. Certains contes que nous connaissons déjà sous la plume d’un auteur ne sont pourtant pas les siens à proprement parler car l’auteur s’est inspiré d’une version beaucoup plus ancienne (Cendrillon a par exemple une sacrée ascendance ! On retrouve ainsi en Chine, plus de mille ans avant Disney, l’histoire d’une jeune fille maltraitée par sa belle-famille et qui perd son soulier d’or en s’enfuyant d’une fête). Bien-sûr, contes repris ou contes originaux, trois auteurs (ou plutôt quatre) se démarquent tout au long de l’ouvrage.


Nous avons Basile (Giambattista Basile), poète, courtisan et écrivain italien du XVI-XVIIe siècle. Ses contes s’adressaient davantage à un public adulte et dont le statut social était élevé, ainsi ses histoires étaient beaucoup plus crues que celles que l’on connaît (par exemple, dans sa version de la Belle au Bois Dormant, le prince n’avait pas d’intentions courtoises envers la belle endormie, et il a plus ou moins profité d’elle pendant son sommeil enchanté. C’est lorsque l’enfant qu’elle a eu de cet acte non-consenti lui suça le pouce qu’elle se réveilla). C’est parfois violent, souvent absurde et toujours très cru.


Ensuite, Charles Perrault dont les contes ont apporté plus de soin dans ses descriptions et qui s’adressaient avant tout aux enfants. Ainsi, il y avait une morale à la fin, et les héroïnes recevaient de l’aide des fées, le héro est vertueux, etc.


Enfin, nous avons les frères Grimm, dont les héros étaient plus débrouillards et géraient davantage leurs problèmes eux-mêmes que grâce à une fée ou autre être magique, mais les contes étaient plus cruels (les belles-sœurs de Cendrillon qui ont les yeux crevés par des oiseaux lors du mariage de Cendrillon par exemple).


Lorsque Walt Disney reprend ces contes pour en faire des films d’animation, il est bien entendu hors de question de présenter les passages crus de Basile ou les scènes de cruauté chez Grimm. Les histoires sont édulcorées : moins sanglantes, plus romantiques, plus ludique. Après 1989, les personnages Disney gagnent en personnalité (Ariel qui se rebelle contre son père et a comme passion le monde des humains, Belle et son goût de la lecture, etc). À partir des années 2010, on observe un autre changement : les films s’ajustent à l’air du temps, les princesses s’éloignent des stéréotypes, sont plus actives face à leur destin (La Reine des Neiges qui se moquent du mariage au premier mec rencontré et valorise la sororité, La Princesse et la Grenouille avec une héroïne qui exerce un métier), ce qui fait aussi que les premières princesses Disney sont maintenant critiquées, considérées comme naïves, passives, les histoires sexistes, manichéennes…



Cela donne l’occasion à l’auteure d’analyser le sexisme chez les contes de fées. Les héroïnes sont souvent définies par ce qu’elles sont (soit une princesse, soit une belle jeune fille, etc) et non ce qu’elles font. À l’inverse, on n’accorde pas d’importance à l’apparence des héros mais plutôt ce qui les qualifie, ce qu’ils font (brave, intrépide, etc). Ce sexisme se retrouve également chez les méchants : à la fin de l’histoire, les femmes sont toujours punies plus sévèrement que les hommes (exemple du conte La pauvre manchote).


Lou Lubie nous parle également de la place du racisme, mais aussi de la religion dans les contes. Par exemple Perrault était catholique, ainsi ses personnages incarnent les valeurs catholiques comme l’humilité, la vertu, le pardon. Les frères Grimm étaient protestants, ainsi les personnages sont plus maîtres de leur destin. Elle nous parle également des contes LGBT+. Les contes s’inspirent de la mythologie où les relations queer existent, il semble peu probablement qu’il n’y ait jamais existé de conte LGBT+, mais alors où sont-ils donc passés ? Il nous semble probable qu’ils aient soit été effacés car être queer était reprouvé, voire criminalisé, ou alors ces contes existent, sauf qu’ils ont été modifiés pour en faire des contes hétéronormés. Il en existe pourtant, et Lou Lubie a choisi d’en illustrer un, Le chien et la mer, qui a été très plaisant à découvrir.


Les premiers films Disney et les contes de fées ont aujourd’hui mauvaise réputation (princesses considérées comme passives, baisers non consentis, histoires trop manichéenes, etc), ce qui donne parfois lieu à des réécritures pour qu’ils reflètent ainsi notre société, incorporant des éléments du monde réel pour apporter plus de réalisme. Cela donne ainsi lieu à de nombreux romans, films et séries tv pour plaire à notre société actuelle mais aussi aux adultes (les séries Grimm et Once upon a time, par exemple).


Et à la fin, ils meurent est donc un livre très complet sur le monde des contes, leurs origines, leur évolution à travers l’Histoire et en fonction de la plume de l’auteur, les différentes versions selon les différentes périodes et les mœurs de l’époque, ce qui permet bien d’illustrer l’évolution de la société au fil des époques et des pays. En outre, Lou Lubie nous montre bien que les contes de fées sont bien plus que des naïves histoires pour enfants, ils sont notre patrimoine littéraire, notre héritage culturel, les origines de notre imaginaire.


C’est un ouvrage très complet, instructif, drôle et passionnant que je conseille. Ajoutons à cela que l’auteure termine son ouvrage par un petit bonus très plaisant : un conte qu’elle a elle-même créé lorsqu’elle était plus jeune, ce qui rend la lecture encore plus appréciable !


samedi 15 avril 2023

Ma vie de geisha - Mineko Iwasaki et Rande Brown.


« Mon nom est Mineko. Ce n’est pas le nom que mon père m’ a donné à ma naissance. C’est celui qu’ont choisi les femmes chargées de faire de moi une geisha, dans le respect de la tradition millénaire. Je veux raconter ici le monde des fleurs et des saules, celui du quartier de Gion. Chaque geisha est telle une fleur par sa beauté particulière et tel un saule, arbre gracieux, souple et résistant. On a dit de moi que j’étais la plus grande geisha de ma génération ; en tout cas j’ai frayé avec les puissants et les nobles. Et pourtant, ce destin était trop contraignant à mes yeux. Je veux vous raconter ce qu’est la vraie vie d’une geisha, soumise aux exigences les plus folles et récompensée par la gloire. Je veux briser un silence vieux de trois cents ans. »

Un témoignage exclusif, des révélations à couper le souffle, Mineko Iwasaki nous livre ici un témoignage surprenant sur un art de vivre aussi fascinant que cruel.



Figures iconiques de la culture nippone, les Geishas, figures incontestées de l’élégance, n’en demeurent pas moins un mystère. Aujourd’hui encore, leur existence et leur culture suscitent la curiosité et fascinent.



J’avais lu, il y a plusieurs années, Geisha d’Arthur Golden, que j’avais beaucoup apprécié ainsi que le film qui en fut tiré, mais qui n’en demeure pas moins une version romancée de la vie des Geisha. Avec ce titre, j’ai voulu m’immerger dans un témoignage plus réaliste et intimiste du monde des Geishas, qui est joliment appelé le monde des fleurs et des saules, à travers les mots de l’une des Geishas les plus célèbres de son temps, Mineko Iwasaki.



Il faut savoir que Mineko Iwasaki n’est pas le vrai nom de la narratrice. Mineko est son nom de Geisha et Iwasaki le nom de l’okiya qui est la maison où logent les maikos (les apprenties geisha) et les geikos (qui est l’autre nom des geishas). Autrefois, elle s’appelait Masako Tanaka et elle était la benjamine d’une grande famille qui vivait dans une banlieue de Kyoto. Elle vivait alors une vie tranquille et insouciante auprès de ses frères et sœurs, prenant l’habitude de se cacher dans les placards pour se retrouver seule. Un jour alors qu’elle n’était encore qu’une toute petite enfant, la propriétaire de l’okiya rend visite à la famille afin de s’enquérir du souhait de Tomiko, l’une des sœurs de Masako, de devenir geiko, étant à la recherche d’une fille adoptive pour sa succession. Elle est immédiatement séduite par la jeune Masako et n’aura eu de cesse de faire pression auprès de la famille pour adopter Masako. Cette dernière est alors déchirée entre son amour pour ses parents et sa fascination pour ce nouveau monde, et en particulier la danse pour laquelle elle se passionne. Son choix finit par se porter sur l’okiya et Masako est ainsi choisie pour devenir la future atotori, celle qui régit l’okiya.



Masako est ainsi rebaptisée Mineko Iwasaki. Si elle est choyée par l’okayi tout entière, elle n’en demeure pas moins sous leur autorité ainsi que sous celle d’une onesan (sorte de figure de grande sœur, de modèle et d’éducatrice pour la maiko). Mineko suit un long apprentissage en tant que maiko. Elle doit apprendre la danse, le chant, la calligraphie, la cérémonie du thé qui suit un protocole stricte, suivre des cours de koto et de shamisen tout en s’occupant de quelques tâches ménagères au sein de l’okiya.



La narratrice nous fait découvrir une société exclusivement féminine (les hommes, s’ils sont admis, doivent attendre une certaine heure pour entrer dans l’okiya, même s’il s’agit d’un parent ou d’un vendeur) à travers l’okayi Iwasaski dans les rues de Gion-Kobu à Kyoto, le monde des geisha.



C’est un univers très strict qui ne laisse pas ou peu de place aux erreurs et au mauvais comportement. Rigueur et discipline sont demandées dès l’enfance. Il est en effet mal vu pour une future geiko d’être dissipée et turbulente, car elle risque de se blesser et gâcher ainsi sa beauté et ses capacités d’être danseuse. Les kimonos pèsent environ 20 kg et il faut savoir se tenir sur des socques en bois de 15 cm de haut et se déplacer ainsi. Ajoutons à cela que maiko et geiko ne sont pas autorisées à manger lors d’un banquet car elles sont là pour divertir les clients. Elles ne sont pas uniquement là pour « faire joli », la maiko comme la geiko a ses propres devoirs, par exemple étudier les sujets à propos desquels le futur client serait susceptible de les entretenir (s’il s’agit d’un politicien, il est alors conseillé de lire des articles sur son secteur ; s’il s’agit d’un chanteur, écouter ses disques ; un romancier, lire ses romans, et ainsi de suite). Ainsi, Mineko Iwasaki nous fait mention des innombrables journées passées dans les bibliothèques, musées, etc, afin d’en apprendre le plus possible sur son futur client afin de mieux pouvoir discuter avec lui et montrer son intérêt et ses connaissances, la mission principale de la geiko étant de divertir son client, sinon l’hôte d’une fête et ses invités. Elle doit mettre à l’aise, engager la conversation, occasionnellement verser le saké, et surtout taire ses sentiments.


La geiko est engagée pour divertir l’hôte et ses invités. Elle est là pour mettre tout le monde à l’aise. Les naikai assurant le service, elle se contente de verser un peu de saké. Dès qu’elle entre dans l’ozashiki, elle doit aller droit à la personne qui préside et engager avec elle la conversation. Faisant taire ses sentiments, elle doit par son attitude lui dire : « Je n’avais qu’une hâte, c’était de venir bavarder avec vous. » Si jamais dans son visage quelque chose communique au client : « Je ne peux pas vous sentir », elle est indigne de porter le nom de geiko.

Le pire pour moi, c’était quand le client me dégoûtait physiquement. Il est infiniment pénible de dissimuler un sentiment de répulsion. Les clients ayant payé pour que je leur tienne compagnie, la moindre des politesses était de me montrer aimable avec eux. Mais la nécessité de cacher ses sympathies et antipathies sous un vernis de courtoisie m’a semblé une des épreuves les plus ingrates du métier.


A la lecture de cet ouvrage, il apparaît évident que la narratrice a aimé exercer son métier, qu'elle a pris plaisir à travailler sans relâche la danse mais aussi ses connaissances dans divers domaines, afin de remplir au mieux son rôle,. Cet investissement allait parfois bien loin car elle allait jusqu’à négliger plusieurs fois sa propre santé et à s’entêter à aller au-delà de ses propres limites. Néanmoins, on sent chez elle une véritable volonté de faire découvrir et de transmettre la culture japonaise traditionnelle. Certes, son propos manque souvent d'humilité, elle a été une célébrité et c’est évident dans ses propos, elle se conduisait parfois comme une enfant gâtée, mais il est manifeste qu'elle a fondé d'immenses espoirs dans sa profession et que celle-ci n’a pas toujours été facile, tant au niveau de l’apprentissage que du regard des autres à travers la jalousie des autres maikos.



Ma vie de Geisha est un récit autobiographique qui offre une lecture instructive, fluide et agréable. C’est une véritable plongée sur les us et coutumes dans « le monde des fleurs et des saules » et surtout autre un regard sur cette communauté traditionnelle ou encore mal comprise par les occidentaux, qui envoie balader de nombreuses idées reçues (notamment sur le fait que les Geishas sont assimilées aux courtisanes) et nous présente les Geishas davantage comme des gardiennes des traditions ancestrales et que, derrière le faste des kimonos de soie, se cache une réalité beaucoup plus complexe que celle que l’on imagine. Un voyage en Asie instructif que je vous invite à faire.


On sait à quel point le kimono, cette incarnation de la beauté, est essentiel à la geiko. Il est l’emblème de notre profession. Confectionné dans les plus somptueuses soieries, peint à la main, il est en soi une œuvre d’art.

Dans la vie quotidienne ordinaire, la qualité de ce costume est révélatrice de la personnalité de celle qui le porte. On y devine ses goûts, ses moyens financiers, ses origines sociales même. Ce vêtement n’épousant pas les formes du corps, sa coupe ne varie guère, mais on en trouve tissés dans des étoffes et des motifs d’une grande diversité.

Il faut beaucoup de savoir-faire pour choisir avec discernement son kimono selon les circonstances. D’abord, l’on doit tenir compte de la saison. Au Japon, la tradition veut que l’année se divise en vingt-huit saisons, chacune accompagnée de ses symboles : des rossignols pour la fin mars, des chrysanthèmes pour début novembre.