samedi 31 octobre 2020

Je suis ta nuit - Loïc le Borgne.

La France, un été, quelque part dans les années 80. Pendant un banal concours de basse-bouteilles, six 
enfants découvrent un cadavre mutilé, sans lèvres, sans sexe et sans doigts. Et ce n'est que le premier d'une longue série. 

Pierre et sa bande de copains inséparables sont obligés d'enterrer leur enfance et certains de leurs proches alors que le Puits et l'homme au chapeau haut-de-forme s'emparent peu à peu de leur innocence.



Paru à l'origine en 2008, Je suis ta nuit a fait l'objet de plusieurs rééditions, et c’est l’édition de cette année qui m’a sauté aux yeux avec cette magnifique couverture. Ajoutons à cela une intrigue prometteuse avec des références à Ça, et j’étais fin prête à me plonger dans ce livre en cette période d’Halloween.

Ils sont six. Six enfants vivant dans un village breton dans les années 1980. L’année scolaire touche à sa fin et il leur tarde de profiter des vacances d’été ! Leur insouciance ne tarde cependant pas à voler en éclat lorsqu’une série d’événements plus étranges les uns que les autres viennent perturber leur petite vie paisible. Ils l’ignorent à ce moment-là, mais le Bonhomme Nuit les a pris en cible. L’histoire nous est racontée du point de vue de l’un de ces enfants, Pierre, devenu adulte et père qui se remémore son enfance dans une lettre qu’il adresse à son fils endeuillé. L’auteur a mis en place une double chronologie : celle de l’adulte qui raconte son enfance avec le recul de l’âge et l’enfant pris dans l’action du passé. Pour marquer cette chronologie, l’auteur multiplie les références aux années 1980 avec les héros de cette époque, Luke Skywalker, Goldorak, etc. Même sans avoir grandi à cette période, je me suis plongée dans cette décennie et ses nombreuses (trop ?) références.

Si vous avez lu Ça de Stephen King, certains éléments de l’histoire vous sembleront familiers (un groupe d’amis avec plusieurs garçons et une seule fille, le narrateur qui donne un nom à son vélo, un monstre qui sévit et qui semble s’en prendre aux enfants, la force de l’imagination comme arme contre le méchant) et si l’auteur semble s’être effectivement inspiré du célèbre roman du maître King, il a su offrir aux lecteurs quelque chose d’original et terrifiant. Face à la réalité lisse et réconfortante de cette enfance dans les années 1980, l’horreur s’immisce peu à peu pour nous faire ensuite glisser dans l’horreur. L’intrigue commence avec la découverte d’un cadavre mutilé, puis un chien dangereux qui poursuit les protagonistes, le vin de la messe qui se change en sang, l’attaque par un corbeau, sans oublier les étranges comportements de certains habitants de la ville. Tous ces éléments sont liés, sans qu’on comprenne exactement comment jusqu’à la toute fin, et semble causé par un seul et même être, provenant d’une légende, celle du Bonhomme Nuit qui s’en prend aux enfants, comme une sorte de Croquemitaine.

L’une des forces du roman est son ambiance. C’est sombre, angoissant, voire terrifiant à certains moments. La peur s’installe petit à petit et l’horreur monte crescendo et ne retombe qu’à la fin du roman. Elle s’illustre par les manifestations causées par le Bonhomme Nuit, mais aussi par une horreur moins surnaturelle et qui est malheureusement présente dans la réalité, et qui hante les souvenirs de certains personnages. L’horreur présent dans ce roman m’a surprise dans le sens où je ne m’attendais pas à en trouver dans un roman jeunesse. Peut-on vraiment qualifier Je suis ta nuit de roman jeunesse ? Il peut être lu par des adolescents, mais ce n’est pas un livre que je mettrais dans les mains de jeunes enfants car l’horreur peut les choquer. Sans aller dans des détails gores, il y a des éléments qui peuvent surprendre un jeune public. Cependant l’histoire reste assez soft et ne devrait pas vous faire faire de cauchemars, même si elle aborde des sujets difficiles.

Pour ma part, j’ai été agréablement surprise. Je n’allais pas qualifier ce roman de lecture inoubliable au début car nous suivons une longue succession d’événements fantastiques avec nos personnages comme témoins ou acteurs, mais tout s’intensifie de plus en plus lorsque [spoiler] un enfant du groupe meurt, un autre disparaît et un autre finit dans le coma suite à une attaque du Bonhomme Nuit [/spoiler] et que Pierre, un de ses amis, et son petit frère décident de passer à l’action et de trouver le Bonhomme Nuit, jusqu’à la confrontation finale. J'ai aussi beaucoup apprécié la manière dont le rôle de l'imagination a été exploitée, avec la croyance et la foi en leur imaginaire donnant une vraie force aux personnages, avec des références familières à Star Wars et Goldorak par exemple.

Le Bonhomme Nuit est un antagoniste intéressant. Bien qu’il soit peu présent physiquement dans le roman, sa présence se ressent dès le début : une rumeur qui se propage, son aura qui flotte, l’influence qu’il exerce sur certaines personnes qu’il possède et aveugle, ses sbires qui sèment la terreur en ville. Tout cela qui m’a mis l’eau à la bouche et m’a rendu impatiente de découvrir la confrontation entre lui et nos héros, et je n’ai pas été déçue. Le décor de la confrontation finale était grandiose, angoissant, j’ai aimé l’intérêt que porte le Bonhomme Nuit à Pierre et la raison de cet intérêt ainsi que la vérité autour de l'antagoniste m’a bluffé, bien que je commençais à le soupçonner. Il se présente comme une sorte de Croquemitaine qui traque les enfants qui connaissent son existence, et qui craint la lumière, et se nourrit de pensées négatives.

Sans m’attacher aux enfants, j’ai aimé les suivre tout au long du roman et que leurs réactions soient réalistes : leur insouciance, leur imagination débordante, leur amitié, mais aussi la peur qui les paralyse et le courage et la force de l’amitié qui les poussent à traquer le Bonhomme Nuit pour tenter de stopper l’horreur. J’ai été touchée par Maël et Pierre, l’amitié qui les lient, ainsi que la nostalgie de Pierre adulte car il sait ce qu’il lui reste aujourd’hui de cette époque et ce qui lui manque.

Ce qui m’a posé problème se situe à la fin, car j’ai eu cette impression de manque. Je m’explique : nous avons l’impression, au début du roman, d’une double intrigue qui se met en place entre celle du père qui raconte son enfance et ses confrontations avec le Bonhomme Nuit, et celle du fils à qui est destiné le récit. J’ai eu l’impression que ces deux intrigues allaient se rejoindre et que le fils allait devoir affronter le Bonhomme Nuit car il avait recommencé à sévir, mais le récit se conclut simplement sur la fin de l'histoire de l'enfance du narrateur, d’où mon impression de manque. J’ai également été surprise par la présence de la religion, nos héros étant croyants, mais il s’agit plus d’une surprise de trouver cet élément dans un roman contemporain qu’une critique. Dans l’ensemble, j’ai été convaincue par Je suis ta nuit qui se présente comme un roman à la fois touchant, nostalgique, angoissant et délicieusement creepy.


Notre découverte avait fait un sacré raffut, quand nous avions rejoint les adultes, et la nouvelle s'était répandue dans le village à la vitesse de Steve Austin, l'homme qui valait trois milliards. Et pas seulement à Duaraz : d'un bout à l'autre du département, d'après ce que j'avais pu voir dans Ouest-France le lundi. Un mort, c'est banal, mais il n'est pas souvent à poil et tout découpé, c'est ce que j'ai compris en lisant la page où l'on racontait notre macabre découverte. Dans l'article, on parlait de nous : le journaliste disait que le corps avait été retrouvé "par des enfants". J'étais déçu : il n'avait pas mis nos noms. Il parlait seulement de "traumatisme" et de "nuits blanches". Les adultes adorent empêcher les gosses de dormir.

lundi 26 octobre 2020

Salem - Stephen King.


Le Maine, 1970. Ben Mears revient à Salem et s'installe à Marsten House, inhabitée depuis la mort tragique de ses propriétaires, vingt-cinq ans auparavant. 
Mais, très vite, il doit se rendre à l'évidence : il se passe des choses étranges dans cette petite bourgade. Un chien est immolé, un enfant disparaît, et l'horreur s'infiltre, se répand, aussi inéluctable que la nuit qui descend sur Salem.





En lisant le titre, on peut s'attendre à une histoire de sorcières. Il n'en est rien. Salem, ou Jerusalem's Lot en VO, est inspiré du célèbre roman de Bram Stoker, Dracula, que Stephen King affectionne. Alors qu'il s'était penché sur le mythe du loup-garou avec L'année du loup-garou, Stephen King revisite ici le mythe du vampire, dans une bourgade du Maine dans les années 1970…

Ben Mears est un écrivain qui retourne dans sa ville natale, Jerusalem dans le Maine, après la mort accidentelle de sa femme, dans le but d’écrire un livre sur la ville et, plus particulièrement, Marsten House qui est restée inhabitée depuis la mort violente de ses anciens propriétaires, et que Ben avait visité, enfant, suite à un pari avec ses amis. Alors qu’il projette d’acheter la maison, il découvre avec stupeur qu’elle a été achetée par un dénommé Straker et son collègue, Barlow, avec le but de s’installer en ville et d’ouvrir un magasin d’antiquité. Cela ne décourage pas Ben dans l’écriture de son livre et s’installe à Salem où il fait la connaissance de Susan Norton, avec qui il noue une relation amoureuse, ainsi que Matt Burke, professeur avec qui il va se lier d’amitié. C’est alors que des enfants disparaissent, des corps sont retrouvés et des habitants tombent malades…

Je suis ressortie complètement conquise par l’auteur et par ce roman. Si Salem ne réinvente pas le mythe du vampire, il se présente toutefois comme un excellent roman pour ceux et celles qui aiment les vampires « classiques », ceux qui craignent le soleil et les symboles religieux, ceux qui se présentent comme des êtres charismatiques mais sanguinaires, qui séduisent autant qu’ils répandent la terreur. Leurs victimes transformées n’ont plus rien de la personne qu’elles étaient, mais sont devenues des créatures qui n’ont pour but que de se nourrir et d’obéir à leur maître. Si Barlow n’apparaît pas tout de suite, au profit de son serviteur Straker (clin d’œil au nom de Stoker, l’auteur de Dracula ?), j’ai beaucoup aimé Barlow qui, à l’instar du film de 1979 qui le représente à l’image de Nosferatu, est un vampire européen qui ne manque pas de charisme et qui se présente comme un adversaire redoutable, sans oublier Straker qui sait être un antagoniste intéressant, sans rester dans l’ombre de son maître.

La terreur est menée avec talent, avec des scènes qui peuvent rendre mal à l’aise le lecteur [spoiler] notamment celle où, après avoir enterré un jeune garçon, l’employé se demande si les yeux du défunt sont bien fermés et qui déterre le cadavre pour en avoir le cœur net, ou encore la scène où le jeune Mark est réveillé en pleine nuit par un de ses amis, transformé en vampire, gratte à sa fenêtre et cherche à le convaincre de le faire entrer [/spoiler]. Je ne suis pas phobique des rats mais l’auteur aura presque réussi à me les faire craindre, sans compter des scènes horribles (il n’y a que dans des romans d’horreur que cet adjectif est un compliment) qui me hantent encore. Stephen King distille le suspense à merveille, avec des phrases bien tournées qui installent une atmosphère lourde, pesante avec la tension qui monte peu à peu. Il a merveilleusement travaillé son roman (écrit à 25 ans, je suis jalouse), avec l’horreur qui se met lentement mais sûrement en place, comme un mal qui gangrène progressivement la ville de Salem. Cela commence avec une disparition, puis deux, puis plusieurs, les habitants atteints d’une étrange maladie avant de mourir ou de disparaître, la maladie du vampire et elle est contagieuse.

Stephen King ne se contente pas d’écrire une histoire de vampire. Il nous présente une ville et ses habitants d’une façon telle qu’on a l’impression d’en faire partie. Il prime sur la réalité et nous décrit des situations courantes, des pensées et détails anodins, le quotidien des personnages. L’ensemble nous paraît anodin, mais ce n’est jamais sans but. Si des personnages, même secondaires ou tertiaires, apparaissent régulièrement dans le roman, c’est pour un but précis : ils vont jouer un rôle dans l’intrigue… ou du moins, ils vont passer un sale quart d’heure ! L’auteur prend le temps de nous présenter chaque personnage et de tisser des relations entre eux.

Les personnages récurrents m’ont tous été sympathiques pour la plupart, avec une préférence pour Ben, l’écrivain hanté par Marsten House, le médecin Jimmy Cody, le jeune Mark ainsi que le père Callahan. Ils sont tous profondément humains, avec leurs forces comme leurs faiblesses. Ils sont courageux et pourtant ils doutent, ils ont peur, ils pleurent parfois. Ils traquent Barlow parce qu’ils n’ont pas le choix et le vampire sait se montrer rusé et instaurer une pointe de doute. Ce sont des personnages touchants et réalistes que les épreuves vont rapprocher. J’aurais toutefois aimé que [spoiler] le père Callahan ait continué la lutte, même après avoir été forcé de boire le sang de Barlow, l’empêchant de retourner dans son église, au lieu de fuir Salem, c’est dommage parce que le personnage a du potentiel et que j’ai beaucoup aimé sa confrontation avec Barlow [/spoiler]. J’ai particulièrement aimé les scènes avec Mark, qui m’a plu dès sa première scène où il a remis un salle gosse à sa place, et j’ai aimé son rapprochement avec Ben. Stephen King nous fait nous attacher à eux, mais aussi craindre pour eux. Certains vont mourir, et même atrocement. Ceux qui survivent gardent des séquelles. C’est plus qu’un roman où des personnages traquent un vampire, c’est un roman où ils essayent de survivre alors que Salem sombre peu à peu et tombe dans les griffes de Barlow.

Le roman peut faire peur car il s’agit d’un pavé de 800 pages. Pourtant, une fois plongée dans ce roman, je n’ai pas vu le temps passer tant j’étais happée par ce livre. Si les références à Dracula sont nombreuses, il ne s’agit pas d’un plagiat du roman car Stephen King nous offre une histoire à part. Si elle ne m’a pas fait peur, je ne peux nier que plusieurs scènes sont prenantes, avec une atmosphère pesante, avec un aspect de course contre la montre, vers la fin, avec une fin qui n’est ni heureuse ni noire, mais plutôt mélancolique.

Mon édition comporte également une nouvelle sur la ville de Salem dans les années 1700, où l’on découvre que, même avant l’arrivée de Straker et Barlow, le mal était déjà ancré dans Marsten House ; ainsi que de nombreuses scènes coupées qui, pour certaines, nous présentent une fin alternative pour certains personnages, ce que j’ai beaucoup apprécié et qui m’a donné l’occasion de prolonger le plaisir de la lecture.

Arrivée à la fin du roman, je ne peux que remercier le maître King pour ces merveilleuses heures de lecture, en compagnie de monstres menaçants, de héros ordinaires mais attachants et une histoire qui tient en haleine. Voici un roman que je ne suis pas prête d’oublier et qui continuera à me hanter.


- Y a pas de fantômes dans cette vieille maison ? demanda-t-il, voyant que le type ne se décidait toujours pas à bouger.
- Des fantômes !
L'inconnu sourit et il y avait quelque chose d'inquiétant dans ce sourire. Si un requin pouvait sourire, ça ressemblerait à ça.
- Non, non... pas des fantômes.
Il insista sur le dernier mot, comme pour signifier qu'il y avait quelque chose d'encore pire.

dimanche 25 octobre 2020

Le fantôme de Canterville (et autres contes) - Oscar Wilde.


Lorsque Mr Hiram B. Otis, le ministre américain, acheta le domaine de Canterville Chase, tout le monde lui dit qu'il faisait une folie car il n'y avait pas le moindre doute que le manoir fût hanté. Mais le ministre américain et sa famille n'ont pas vraiment peur des apparitions nocturnes du spectre des lieux. Les jumeaux Otis lui jouent des tours, et les parents ont l'outrecuidance de lui offrir de l'huile pour graisser ses chaînes. Pauvre de lui, jadis si redouté, et désormais dépourvu de toute crédibilité !



C'est l'histoire d'un fantôme bien malheureux depuis que le domaine de Canterville a été acheté par des créatures les plus étranges qui soient dans ce monde... des Américains ! Lui qui fut le fléau de tous les anciens propriétaires qu'il a effrayé au point de les faire chasser, le voilà mis en déroute par une famille américaine qui ne réagit pas comme il l'aurait espéré de ses tours de fantômes. Le ministre et sa femme lui proposent de l'huile pour graisser ses chaînes, la tâche de sang qu'il laisse est systématiquement lavé comme si de rien n'était, et ces affreux jumeaux ne cessent de lui jouer des tours ! Lui ! Le fantôme ! Mais où va le monde ? Déconcerté mais pas découragé, le fantôme va essayer de tout mettre en œuvre pour se montrer effrayant et chasser ces malotrus !

Des cinq nouvelles présentes dans ce recueil, Le fantôme de Canterville reste ma préférée, d'autant plus qu'elle est la plus longue. C'est léger, drôle, divertissant. On sent qu'Oscar Wilde a du s'en donner à cœur joie dans l'écriture de cette histoire. L'humour repose en grande partie sur les différences culturelles entre l'Angleterre et les Etats-Unis, entre les Américains terre-à-terre, consuméristes, égalitaires et les Anglais, aristocrates, influençables, et pince-sans-rire. L'auteur s'amuse de ces préjugés, et porte un jugement sarcastique sur les Anglais, leurs superstitions et traditions, ainsi que les Américains, leur incompréhension de la culture européenne, leur rationalisme dépourvu d'imagination... du moins pour cette famille. Ce fantôme n'aurait pas plus mal tombé, faisant les frais du modernisme et du rationalisme de ces Américains fraîchement débarqués en Europe !

C'est particulièrement amusant de voir Oscar Wilde reprendre des éléments des histoires fantastiques de son époque pour y mettre une touche plus humoristique face à une famille particulièrement terre-à-terre, où c'est le fantôme qui vit des mésaventures au lieu des personnes qu'il est supposé hanter. Ses petits tours n'ont pas l'effet escompté et c'est plutôt lui qui est victime de tours ! Ce ton drôle et léger continue jusqu'à la fin de l'histoire, avec cependant une partie plus classique lorsque le fantôme se dévoile à Virginia, la fille du ministre et la seule à ne pas se moquer du spectre. À l'inverse de sa famille, elle va chercher à le comprendre et à l'aider à passer dans l'au-delà. On glisse ainsi vers le merveilleux avec une touche de surnaturel, presque mélancolique.

Mon édition était complétée par quatre contes : "Le prince heureux", "Le géant égoïste", "L'ami dévoué" et "Le rossignol et la rose". Ces quatre contes se ressemblent en reprenant des éléments classiques des contes (des animaux parlants, êtres surnaturels et une morale) mais se révèlent divertissants et touchants, voire tristes, même si je les ai trouvé moins inoubliables par rapport au Fantôme de Canterville qui se présente comme l’histoire la plus divertissante, légère et drôle par rapport aux autres qui sont plus touchantes et tristes. J’ai toutefois bien aimé Le géant égoïste qui se présente comme un conte touchant dans lequel un géant s’adoucit en se liant d’amitié avec un jeune garçon.


"Cher monsieur, dit Mr. Otis, permettez-moi d'insister auprès de vous pour que vous huiliez ces chaînes: je vous ai apporté à cette fin un petit flacon de lubrifiant. On le dit totalement efficace dès la première application. (...) Sur ces mots, le ministre des Etats-Unis posa le flacon sur une table et, fermant sa porte, se retira dans sa chambre.

Un instant, le fantôme de Canterville demeura absolument immobile, dans un accès d'indignation bien naturelle; puis, ayant lancé violemment le flacon sur le parquet poli, il s'enfuit le long du couloir, en poussant des gémissements sourds et en émettant une lueur verdâtre et fantomatique. 

mercredi 21 octobre 2020

Poussière fantôme - Emmanuel Chastellière.


Être guide touristique spécialisé dans les mystères du Montréal hanté n'est pas facile tous les jours ! Mais ça l'est encore moins quand on peut réellement converser avec les fantômes ! 

Depuis qu'Archibald a fait la rencontre d'Elizabeth McKenzie, jeune scientifique décédée dans des circonstances étranges en 1917, sa vie a basculé.

Déterminé à aider Elizabeth à lever le voile sur sa mort, Archie devra compter sur des amis parfois surprenants et percer les secrets de la poussière fantôme.

Car les revenants, goules et autres spectres de la ville se montrent de plus en plus menaçants...

Et tout ça, si possible, sans trop se fatiguer !



Dans la continuité du Pumpkin Autumn Challenge, je valide la catégorie « Esprit, es-tu là » avec ce roman dont la sublime couverture m’avait fait de l’œil depuis un moment.

On suit Archibald, guide touristique à Montréal, dont la particularité est de faire visiter les lieux macabres et hantés à un public avide de frissons. Un job qui s’avère pratique lorsque l’on a la faculté de voir et parler aux fantômes qui hantent la ville. Parmi ces fantômes se trouve Elizabeth, une jeune scientifique décédée dans un accident au début du XXe siècle. Elizabeth est troublée, car depuis quelques temps elle se sent observée, et fait part de ses craintes à Archibald. Ce dernier ne tarde pas à remarquer que quelque chose cloche avec les fantômes de Montréal. Ceux-ci commencent à se solidifier à l’approche d’Halloween. Certains, plus menaçants que d’autres, réclament Elizabeth. Peu importe ce qui se trame, Archibald est persuadé que cela a un lien avec la mort d’Elizabeth ainsi que ses expériences et mène l’enquête.

L’auteur nous livre un roman avec une intrigue prometteuse ! Les fantômes sont un vaste sujet, on peut les cuisiner à toutes les sauces pour avoir une histoire passionnante. J’aime l’idée d’un lieu hanté, de fantômes tous différents les uns les autres, de spectres moins bienveillants, d’un personnage avec la capacité de voir et de communiquer avec les fantômes. J’ai aussi aimé l'initiative de l’auteur de faire se dérouler son histoire au Canada, plus précisément Québec et Montréal, ce qui change de ces nombreux romans qui prennent place aux États-Unis ou en Angleterre.

Si j’ai beaucoup apprécié l’univers imaginé par l’auteur – l’idée des fantômes devenant plus solides et agités à l’approche d’Halloween, la menace qui pèse sur Elizabeth, le mystère autour de ses expériences qui ont ouvert une brèche entre notre monde et les limbes, les limbes en elles-mêmes avec le Grand Œil, le secret des expériences d’Elizabeth et la menace qu’elles ne tombent entre de mauvaises mains, etc – je dois avouer que c’est un peu tombé comme un soufflé raté. L’intrigue présente beaucoup de potentiel qui n’a, au final, pas été totalement exploité par l’auteur.

L’idée de départ est intéressante ! On part sur de bonnes bases et l’action se met vite en place. La succession d’événements rocambolesques et de fuites effrénées nous permettent de ne pas nous ennuyer. Malheureusement, avec nos héros qui passent leur temps à s’enfuir, certains éléments de l'histoire semblant importants et qui auraient pu être intéressants à exploiter sont, au final, survolés. Je prends l'exemple du monde des morts ou plutôt des limbes. Il y a un passage très intéressant où [spoiler] Archibald voyage dans les limbes pour aller chercher un fantôme, sauf que nous avons droit à une grosse ellipse et que le voyage du retour passe complètement à la trappe ! C'est lorsqu'une de ses amies se dit que si Archibald ne débarque pas tout de suite, il ne pourrait plus les suivre et qui c'est qui arrive soudainement, à la dernière minute, en mode Deus Ex Machina ? C'est Archibald et son fantôme ! Comme c'est commode ! [/spoiler] De même que certains éléments m'ont paru trop faciles, sinon rapidement résumés. J'ai eu l'impression que de nombreux points de l'intrigue ont été survolés. Dommage… j'aurais aimé quelques temps morts pour avoir de plus amples explications et mieux connaître les personnages.

Un autre point qui m'a chagriné sont les personnages. Ils sont bien caractérisés et ils ont tous le potentiel d'être intéressants, et ils forment ensemble une bonne dynamique de groupe, mais ils sont un peu plats pour la plupart, ce qui est dommage car certains ont un passé et des capacités qui les rendent prometteurs, mais je suis restée sur ma faim ! Je n'ai, par exemple, rien éprouvé pour Elizabeth, ce qui est dommage car c'est un personnage clé dans l'intrigue, mais elle m'a laissé indifférente. J’ai toutefois beaucoup aimé Archibald, qui a un pouvoir pas comme les autres, ses relations avec les fantômes et son vécu qui le rend touchant. Il est bon, blagueur, courageux et sympathique, un héro agréable à suivre. J’ai bien aimé son ami Isidore ainsi qu’Esperanza, sa colocataire qui n’a pas froid aux yeux et qui est loin d’être ordinaire. Les personnages possèdent un certain peps, mais comme avec l'intrigue, l'auteur ne va pas au bout des choses et j’ai eu cette impression que, malgré tout, les personnages sont restés assez timides. J’ai également trouvé dommage qu’Archibald et Elizabeth se connaissent déjà au début du roman, j’aurais aimé assisté à leur rencontre, même dans un flash-back, et voir leur amitié se tisser.

Heureusement Poussière fantôme a pour atout de proposer une épopée avec du rythme ! On assiste à une course-poursuite infernale avec beaucoup de rebondissements, des affrontements, trahisons, le tout avec une écriture fluide et agréable. J’ai beaucoup aimé la mythologie que l'auteur a mis en place autour du monde des morts, ou plutôt des Limbes ou le Seuil comme il est appelé dans le roman, et les expérimentations d'Elizabeth qui lui ont valu de créer une machine capable de beaucoup de choses… Il y une base intéressante avec des éléments accrocheurs, des idées originales et prometteuses, c’est contrebalancé par un sentiment de survol et de facilité, dommage…

jeudi 15 octobre 2020

Le Molosse surgi du soleil - Stephen King.


 « Il est à moi, avait-il pensé en posant son doigt sur le déclencheur pour la première fois. Maintenant, il se demandait si ce n'était pas l'inverse. J'ai peur de lui. J'ai peur de ce qu'il fait. »

Castle Rock, le 15 septembre. Kevin Delevan fête son anniversaire. Pour ses quinze ans, il reçoit un appareil photo, un Soleil 660. Ravi, il l'essaie sans attendre... et sans savoir que parfois, quand on tente de capturer l'instant, c'est lui qui vous saute à la gorge.




Je n’avais pas prévu de lire Stephen King aussi tôt, mais l’appel d’un livre est parfois difficile à résister !

Kevin Delevan reçoit, le jour de ses quinze ans, un appareil photo Polaroïd, un Soleil 660. Ravi, il l’essaie sans attendre en prenant une photo de sa famille. Sauf que ce n’est pas une photographie de sa famille qui en sort mais celle d’un chien noir près d’une barrière blanche. Sans comprendre, Kevin réessaye. À sa stupéfaction, l’appareil ne prend pas les photographies qu’il veut et ne renvoie que des photos du même molosse. Kevin décide alors d’aller faire examiner l’appareil chez Pop Merill, un brocanteur vieux et rusé. Après étude des photographies, Kevin s’aperçoit que le chien se rapproche de plus en plus du photographe. Pop Merill, lui, voit une occasion de gagner beaucoup d’argent en revendant l’appareil à de riches passionnés de paranormal, sans se douter que les étranges pouvoirs de l’appareil pourraient bien le dépasser…

La force du roman, et la raison qui m’a poussé à le lire, est son concept qui promet quelque chose d’original et de frissonnant, entre l’horreur et le fantastique : un appareil qui ne prend pas en photo ce que le photographe désire mais les mêmes photos, celles d’un énorme chien effrayant. D’abord, on pense qu’il s’agit des mêmes photos et que c’est un chien banal, sauf que plus l’appareil prend de photos, plus on s’aperçoit que le chien et les paysages bougent, et que le chien se retourne vers le photographe et s’avance vers lui, devenant de plus en plus effrayant et menaçant au fur et à mesure qu’il s’approche de l’objectif, laissant deviner que ce chien peut très bien sortir de l’appareil et s’en prendre au photographe. L’auteur a très bien su retranscrire la menace pesante sur les personnages, la transformation du chien en une chose monstrueuse et dangereuse, l’angoisse grandissante au fur et à mesure qu’il s’approche.

Tout semble à croire que le chien fait partie d’un autre monde dont il essaye de s’échapper, un monde dans lequel le photographe d’origine a pris les photos. On ne sait au final pas grand-chose de l’appareil. Il s’agit sans aucun doute d’un objet possédé, surnaturel puisque son détenteur ne peut s’empêcher de s’en servir compulsivement et peut le mener jusqu’à la folie. On ignore quel est le photographe à l’origine de ces photographies ni d’où sort le chien, si ce n’est peut-être des enfers, ni d’où viennent les personnages dans le monde Polaroïde qui semblent maudits car enfermés dans ce monde en deux dimensions.

Quant aux personnages, nous suivons principalement Kevin et le brocanteur, Pop Merill, un être dont la cupidité sera punie mais d’une façon bien atroce. Kevin est un personnage efficace, sans plus, mais assez malin pour se douter le premier de l’aspect surnaturel de l’appareil et à avoir rapidement deviné le danger. J’ai aimé sa complicité avec son père qui décide, malgré ses jugements, de suivre son fils et de lui faire confiance dans cette étrange affaire et qui a un passé sombre avec Merill.

L’histoire présente toutefois quelques longueurs, nous présentant des passages dont, je trouve, on se serait bien passé et qui n’apportaient pas grand-chose à l’histoire, et qui ralentissaient le rythme. Je pense qu’il a pu s’agir d’une façon pour l’auteur de ne pas arriver tout de suite à la résolution de l’histoire et de faire jouer le suspense, sauf que j’ai plutôt ressenti ça comme des longueurs. Toutefois, il est impossible de relâcher le livre lorsque la dernière photographie est prise et que l’appareil se détruit alors que le molosse en sort, ainsi que la façon de Kevin de piéger le chien et surtout l’épilogue qui se termine sur un cliffhanger frissonnant ! 

Pour résumer : Ce n'est pas le meilleur Stephen King et il souffre de longueurs mais le concept est intéressant et l'écriture de l'auteur reste plaisante à lire, donc je pense vraiment qu'il vaut le coup d'oeil, et qui est garanti sans traumatisme, juste peut-être quelques frissons !


Le chien - d'ailleurs ce n'était pas un chien, ce n'en était plus un, mais il fallait bien le désigner d'une manière ou d'une autre, même molosse devenait insuffisant - n'avait pas encore commencé à bondir sur le photographe, mais il s'y préparait [...] La tête de chien était complètement méconnaissable. Tordue, déformée, on aurait dit un monstre de foire qui n'aurait eu qu'un seul œil, noir et méchant, ni rond ni ovale, mais plus ou moins coulant, comme un jaune d'œuf dans lequel on aurait piqué la fourchette. Son museau était devenu un bec noir dans lequel deux profondes narines étaient percées, de chaque côté. De la fumée montait de ces trous - comme les fumerolles sur les flancs d'un volcan ? Peut-être - à moins que ce ne fût son imagination.

9.

mardi 13 octobre 2020

Loveless - Alice Oseman.

Georgia has never been in love, never kissed anyone, never even had a crush –  but as a fanfic-obsessed romantic she’s sure she’ll find her person one day.

As she starts university with her best friends, Pip and Jason, in a whole new town far from home, Georgia’s ready to find romance, and with her outgoing roommate on her side and a place in the Shakespeare Society, her ‘teenage dream’ is in sight.

But when her romance plan wreaks havoc amongst her friends, Georgia ends up in her own comedy of errors, and she starts to question why love seems so easy for other people but not for her. With new terms thrown at her – asexual, aromantic –  Georgia is more uncertain about her feelings than ever.

Is she destined to remain loveless? Or has she been looking for the wrong thing all along?

This wise, warm and witty story of identity and self-acceptance sees Alice Oseman on towering form as Georgia and her friends discover that true love isn’t limited to romance.



Lorsque j'ai acheté Loveless, je ne pensais pas une seconde l'inclure dans le Pumpkin Autumn Challenge. C'est seulement à un peu moins de la moitié de ma lecture que je me suis rendue compte que le roman pouvait très bien entrer dans la catégorie Les rêves d'Aurore pour son aspect LGBTQI + qui est le sigle pour Lesbiennes/Gay/Bisexuels/Transgenre/Queer/Intersexuel, et plus.

Georgia Warr n'est pas lesbienne, bisexuelle ou autre. Du moins, elle ne pense pas. Georgia aime l'amour, elle veut trouver l'amour, avoir son premier baiser, son premier petit-ami ou petite-amie. Seulement, Georgia ne parvient pas à avoir des sentiments amoureux pour qui que ce soit. Alors qu'elle a l'opportunité de vivre son premier baiser, elle panique et réalise que ce n'est pas ce qu'elle veut. Georgia désespère. Elle ne se reconnaît dans aucune orientation sexuelle, elle ne parvient pas à être attirée par un garçon ou une fille. Que se passe-t-il ? Pourquoi est-ce aussi difficile pour elle ? Alors qu'elle entre à l'université et se lie d'amitié avec sa colocataire, Rooney, qui aime sortir et fréquenter des garçons, elle espère pouvoir vivre ses premières expériences amoureuses afin d'être, selon ses mots, une jeune fille normale. Mais est-ce vraiment ce qu'elle veut ?

Si j'ai choisi ce roman, c'est parce qu'il traite d'une orientation qui est trop peu représentée, méconnue et incomprise, qui est l'aromantisme, à savoir le fait de ne ressentir aucune attraction et aucun sentiment amoureux pour qui que ce soit, ou sinon très rarement. Il ne s'agit pas d'une pathologie ou d'un choix personnel, c'est inné comme chaque orientation sexuelle et amoureuse qui existe, donc au même titre que l'homosexualité ou la bisexualité, par exemple. C'est une orientation qui est souvent mal vue et incomprise car la société a tendance à penser que les sentiments amoureux sont universels. Quoi de plus normal que de tomber amoureux, d'avoir des papillons dans le ventre, avoir un faible pour quelqu'un ? Ce qui pourrait faire croire à certaines personnes que le fait de ne ressentir aucun sentiment amoureux n'est pas normal, qu'une personne aromantique est prude, innocente, froide ou qu'elle n'a tout simplement pas trouvé la bonne personne. Ce jugement est malheureusement fréquent mais aussi blessant. Si ce roman m'a attiré, c'est parce que je me considère comme appartenant au spectre "aromantique" et que je voulais lire une histoire dans laquelle je me reconnaîtrais.

Georgia se considère comme une jeune fille normale, avec seulement des difficultés à trouver quelqu'un mais qui s'interroge : pourquoi est-ce aussi difficile pour elle ? Pourquoi ne ressent-elle aucune attraction physique ou émotionnelle pour quelqu'un ? Est-elle juste attirée par les filles et non par les garçons, comme elle le croyait ? Est-elle juste plus difficile ? Si seulement elle pouvait être comme Rooney, sa colocataire, qui est si sociable, qui sort souvent et a des facilités à faire des rencontres ! Georgia s'interroge sur son orientation, essaye de faire comme les autres, sort avec quelqu'un pour voir si elle arrivera à en tomber amoureuse...

Je me suis reconnue dans Georgia qui désespère et se demande pourquoi elle est différente, pourquoi c'est difficile pour elle, qui essaye de faire comme les autres pour ne pas être considérée comme différente et étrange, alors qu'elle essaye de se persuader d'avoir un faible pour quelqu'un ou de sortir avec quelqu'un en espérant en tomber amoureuse. Je me suis reconnue dans ses peurs et ses doutes. J'ai vécu, comme elle, le poids des autres, de la société sur elle. Les gens ont tendance à penser qu'à partir d'un certain âge, si on a pas été embrassé au moins une fois, c'est triste ; à penser que n'avoir aucune expérience sexuelle fait d'une personne quelqu'un de prude, frigide, innocente ; à penser que c'est tout simplement parce que "on a pas encore trouvé la bonne personne", que nous sommes supposés avoir envie d'une relation amoureuse, de se marier, d'avoir des enfants car c'est vu comme une norme dans la société, si bien que d'imaginer que des personnes n'en ressentent pas le besoin... est étrange. Je suis familière, comme Georgia et sa cousine plus âgée, de ces pressions de notre entourage qui pense le faire pour notre bien, sans avoir conscience de la culpabilité que cela déclenche...


Les personnages de Loveless, dessinés par
Alice Oseman. Source : son tumblr.

Son entrée à l'université est l'occasion pour Georgia de grandir, de se découvrir et de comprendre que tout ne se passe pas forcément comme prévu. La découverte de soi-même peut se faire à tout âge, et ce n'est pas toujours évident. Lorsque Georgia découvre son orientation, elle fait en quelque sorte le deuil de la personne qu'elle pensait être, ou du moins de l'orientation qu'elle pensait avoir : il y a d'abord le choc/déni où elle refuse d'y croire, puis la colère (pourquoi est-elle si différente ? pourquoi elle ?), puis le marchandage lorsqu'elle essaye de voir si elle n'est pas comme les autres en expérimentant davantage et enfin l'acceptation. Georgia découvre que si elle aime l'amour, il s'agit plus de l'idée de l'amour que quelque chose qu'elle veut vivre.

Even though I’d longed for these things, I knew that they’d never make me happy anyway. The idea was beautiful. But the reality made me sick.

Georgia découvre que ses expérimentations ont parfois fait plus de mal que de bien, ce qui a des conséquences sur ses amis, et c'est là qu'elle découvre que le grand amour qu'elle a toujours cherché... est l'amour qu'elle porte pour ses amis. Ses amis sont son grand amour, les personnes les plus importantes de sa vie et c'est alors qu'elle fait tout pour récupérer ses amis tout en apprenant à s'accepter. L'acceptation de soi est une chose difficile, il s'agit souvent d'un long chemin, mais on finit par découvrir que s'accepter c'est s'aimer soi-même, et vivre en harmonie avec soi-même.

L'amitié est un autre aspect central du roman. J'ai aimé l'amitié qui liait Georgia à ses deux meilleurs amis, Pip (soit Felipa), lesbienne, et Jason, fan pur et dur de Scooby-Doo. J'ai aimé l'amitié qui se construisait entre elle et Rooney, et comment nous découvrons, en même temps que l'héroïne, que Rooney est plus que ce qu'elle semble être, que c'est une personne passionnée mais vulnérable, et elle va s'ouvrir et s'épanouir au contact de Georgia et ses amis. J'ai d'ailleurs aimé le développement de sa relation avec Pip. Je n'oublie pas non plus Sunil, président d'une association Pride, c'est grâce à lui que Georgia découvre son orientation. J'ai aimé ces différentes amitiés ainsi que les personnages, ce sont toutes des personnes que je rêverais avoir comme amis, tellement ils sont touchants, attachants et à quel point ils sont liés.

J'ai également découvert la culture des universités britanniques, avec l'importance des associations, les événements étudiants. On s'aperçoit également que l'auteure s'inscrit vraiment dans la société telle que les jeunes personnes la vivent actuellement : elle est une habituée des réseaux sociaux, elle connaît la culture des fandoms et a une approche plus ouverte sur les différentes orientations, d'où son choix de représenter ces différentes orientations dans ses romans (ou du moins quelques-uns, je ne suis pas familière avec l'intégralité de sa bibliographie). Ses personnages sont des adolescents, presque des jeunes adultes mais toujours des adolescents, et Alice Oseman, elle-même une jeune auteure, a très bien su le retranscrire.

Loveless est un très bon roman sur l'asexualité, l'aromantisme et l'amitié ; et sur les multiples significations de l'amour (et l'importance démesurée qu'on accorde à l'amour romantique au regard de ce qu'une amitié peut apporter). Je pense que beaucoup de personnes aromantiques et asexuelles pourront s'identifier à Georgia. Bien-sûr, l'expérience de Georgia n'est pas universelle car tous les Aro/Aces ne sont pas systématiquement pareils, d'ailleurs Alice Oseman l'évoque bien dans son roman. Dans tous les cas, je pense qu'on ne peut pas rester insensible à l'histoire de Georgia. C'est une héroïne qui cherche à savoir qui elle est au dehors de ce que les autres veulent qu'elle soit et je me suis beaucoup retrouvé dans ses pensées. Les autres personnages sont très attachants et ce fut un plaisir de les suivre. Ce fut une lecture feel-good et s'il y a quelques points du scénario qui sont classiques de ce type de roman et qu'on voit venir, ce n'est pas vraiment grave. Pour ma part, c'est un roman nécessaire pour la représentativité et la compréhension. Je recommande !


Jason told this story like it was a funny anecdote that I was supposed to be laughing at. But it wasn’t funny. It was really fucking sad. I remembered the story of his first kiss with a girl he didn’t really like that much. He’d told me and Pip that it wasn’t great, but he was glad he’d got it out of the way but hearing all this from Jason now made me realise what had actually happened. He’d felt pressured into having his first kiss. Because people were bullying him for not having kissed anyone, he forced himself to do it, and it was bad. A lot of teenagers did that. But hearing it from Jason made me really, really angry. I knew what it was like to feel bad about not having kissed anyone. And to feel pressured into doing it because everyone else was. Because you were weird if you hadn’t. Because this was what being a human was all about. That was what everyone said.

samedi 3 octobre 2020

Retour à Whitechapel - Michael Moatti.

Retour à Whitechapel - Poche - Michel Moatti - Achat Livre | fnac
Le 24 septembre 1941, pendant le Blitz qui écrase Londres sous des tonnes de bombes, Amelia Pritlowe, infirmière du London Hospital, apprend la mort de son père. Celui-ci lui a laissé une lettre posthume lui révélant que sa mère n'est pas morte d'une maladie pulmonaire, comme l'histoire familiale le prétend ; Mary Jane Kelly a été la dernière victime de Jack L'Éventreur. Amelia Pritlowe avait 2 ans.

À compter de ce jour, Mrs Pritlowe va se lancer dans une traque méticuleuse et acharnée, poussée par le besoin vital de découvrir la véritable identité de Jack L'Éventreur. Grâce aux archives d'une pittoresque société savante de riperristes , en confrontant témoins et survivants, elle va reconstruire dans ses carnets les dernières semaines de sa mère et la sanglante carrière de l'Éventreur.

En décryptant des documents d'époque, Michel Moatti recompose l'atmosphère nocturne et angoissante de l'East End du XIXe siècle. En redonnant vie aux victimes, en recomposant leurs personnalités sociales et affectives, il propose une solution à l'énigme posée en 1888 : qui était Jack the Ripper ?


L'an dernier, pour le challenge je découvrais Whitechapel, un roman dans lequel une jeune femme enquêtait sur Jack l'Eventreur. Cette année, pour le challenge, j'ai découvert Retour à Whitechapel, un roman dans lequel... une femme enquête sur Jack l'Eventreur ! Il ne s'agit pourtant que d'une coïncidence, je ne prévois pas de lire un troisième roman avec ces similitudes l'an prochain, quoique ce serait plutôt amusant à envisager !

Alors que Londres tremble sous les bombes allemandes, Amelia Pritlowe, infirmière, apprend, quelques temps après la mort de son père, dans une lettre que ce dernier lui a adressé, la vérité autour de sa mère. Il ne s'agissait pas d'une femme sans histoire, morte d'une pneumonie alors qu'Amelia avait 2 ans. Elle s'appelait Mary Jane Kelly, et elle était la dernière victime de Jack l'Eventreur. Bouleversée et déterminée à en apprendre davantage, Amelia rejoint une association de Ripperistes, des spécialistes amateurs, accède à leurs archives regroupant des documents d'époque, et achète un carnet dans lequel elle regroupe le résultat de ses recherches et ses réflexions alors qu'elle tente de reconstruire les meurtres de l'Eventreur et en particulier les dernières heures de la vie de sa mère...

Des cinq victimes canoniques de Jack l'Eventreur, Mary Jane Kelly est la plus jeune mais aussi celle dont on connaît le moins l'histoire, ce qui a donné lieu à des spéculations de la part d'historiens et qui se présente comme un bon point de départ pour un auteur de roman. On peut donc aisément lui inventer une fille et imaginer sa vie avant son meurtre, à partir des éléments que l'on connaît. Cela donne un aspect intéressant au roman : les romans retraçant les meurtres de Whitechapel sont nombreux, mais il est original de voir la fille fictive de l'une des victimes mener l'enquête, une enquête d'aspect personnel qui va se transformer en volonté farouche et de brin de vengeance lorsqu'elle découvre avec exactitude ce que l'assassin a fait avec le corps de sa mère (en effet, des cinq meurtres, celui de Mary Jane Kelly est le plus barbare, mais je vous épargnerai les détails). 

Monstre... Pourriture. J'irai gratter au fond de ta tombe avec mes ongles... Je vais te trouver, où que tu sois sous la terre... Je vais te trouver et te brûler les yeux. Je vais casser ce qui reste de tes os... Je descendrai dans ta fosse avec un maillet de bois et je frapperai jusqu'à faire éclater ton crâne...

Le roman alterne entre 1888 et 1941 et entre deux façons de présenter l'histoire. Les événements de l'histoire se déroulant en 1941 sont narrés par l'héroïne qui retranscrit son quotidien et ses recherches dans ses carnets ; pour la partie se déroulant en 1888, le format se présente comme des dialogues et des descriptions (les dialogues sont aussi présents dans les carnets de l'héroïne, mais de façon moins régulière). Nous sommes à la fois dans le Londres de 1941, ravagé par les bombes allemandes, dans lequel notre héroïne travaille à  la fois à l'hôpital pour soigner les blessés mais à la Filebox Society, composée de spécialistes amateurs sur les crimes de Whitechapel, dans laquelle elle épluche et étudie les documents d'époque : articles de presse, photos, cartes, etc, afin de mener une réflexion sur les dernières heures de sa mère. Nous sommes aussi dans le Londres de l'époque victorienne, dans les ruelles sombres de Whitechapel, quartier pauvre et honteux de Londres, nid de misère sociale, où la saleté, les maladies et la pauvreté se côtoient, où les femmes pauvres doivent faire commerce de leur corps pour s'en sortir ; c'est dans cette partie que l'auteur nous peigne les jury d'enquêtes relatifs à l'assassinat des cinq victimes, mais aussi les dernières heures, voire les derniers jours, des victimes puis leur meurtre.

On sent que l'auteur a fait un long travail de recherche pour reproduire le plus fidèlement possible Whitechapel et ses environs, la misère et la pauvreté sociales dont ont été victimes ses habitants. On découvre ou retrouve des personnages historiques qui ont été des acteurs, directs ou indirects, de l'affaire Jack l'Eventreur : les victimes bien-sûr, mais aussi les proches des victimes (notamment Mary Jane Kelly), l'inspecteur Abberline, le docteur Bagster Philipps (chirurgien et légiste de la police), les témoins, etc. Je salue le travail de recherche long et colossal qu'il a fait, mais également sa volonté de donner une voix aux victimes, de leur consacrer quelques pages ou chapitres (pour Mary Kelly) en dehors de leur meurtre.

Mary Jane Kelly, vue d'artiste
(The Penny Illustrated Paper,
24 novembre 1888)
Lorsque l'on lit un roman policier sur Jack l'Eventreur se pose la question de l'identité de l'assassin. L'identité du tueur de Whitechapel reste malheureusement un mystère non résolu. À partir de là, l'auteur.e peut soit faire le choix de terminer l'enquête sans révéler l'identité de l'assassin, soit l'imaginer. C'est ce qu'a choisi de faire Michael Moatti, sauf que, alors que je m'attendais à un personnage inventé ou un personnage historique pour lequel on jette le blâme juste pour les besoins du roman, l'auteur profite de son roman pour nous expliquer, en fin d'ouvrage, pourquoi, selon lui, tel personnage historique fut l'assassin. La révélation fut... surprenante, originale on peut dire. Jusqu'au bout, je me suis posée la question de la véritable identité de l'assassin et même si je n'adhère pas à la théorie de l'auteur (en même temps, je ne mène pas ma propre enquête et je n'ai pas les compétences d'un chercheur ou d'un enquêteur), je dois avouer que certains arguments de l'auteur sont plutôt intéressants, même s'ils ne me font pas dire que oui, c'est bien lui Jack l'Eventreur. J'ai d'autant plus trouvé dommage et frustrant que l'auteur ait davantage cherché à expliquer qui Jack était, et pas également "pourquoi". Pourquoi il tuait et surtout, surtout, pourquoi il s'est arrêté.

Toutefois, je peux accorder à l'auteur qu'il nous offre une théorie qui s'éloigne des fameuses théories du complot (l'assassin qui aurait fait partie de l'entourage de la reine par exemple), et que Jack revêt une personnalité moins fantasmé, mais pas inintéressante car cela change des hypothèses romanesques sur son identité. Jack est tout simplement à vomir, car l'auteur lui donne aussi la parole, on s'insurge, on se révolte et on espère que, même des années plus tard, justice sera faite.

L'enquête fut un plaisir à suivre, entre réalité et fiction, menée avec une redoutable efficacité ! Cela aide que cette partie de l'histoire m'intéresse beaucoup, et que je voulais en savoir plus et redécouvrir cette époque. Il ne s'agit pas d'une enquête classique, à savoir : interrogation des témoins, investigation des lieux, recherche des empruntes. Cinquante trois ans séparent, après tout, l'héroïne des meurtres, elle ne peut travailler qu'à travers l'étude des documents d'époque, mener sa propre réflexion et ses hypothèses, puis ensuite [spoiler] faire des séances d'hypnose pour se souvenir de la nuit du meurtre, alors qu'elle avait deux ans, et se trouvait la chambre au-dessus de celle de sa mère [/spoiler], ce qui n'empêche pas de suivre avec beaucoup d'intérêt l'enquête, d'autant plus que l'auteur a choisi d'alterner son récit en nous plongeant en 1888, nous permettant de connaître un peu mieux les victimes, puis des jury d'enquêtes qui font intervenir les témoins. Je salue également les dernières pages qui, après la fin de l'histoire, retracent le portrait des protagonistes de l'époque et nous apportent quelques éclaircissements !

J'aurais toutefois apprécié qu'Amelia interagisse davantage avec les membres de la société de ripperistes pour partager ensemble leur travail et leurs hypothèses, au lieu de ne le faire qu'avec une personne, néanmoins j'ai bien aimé cette forme d'amitié naître entre Amelia et Buir, ancien pharmacien et ripperiste, à qui elle choisi de dévoiler la vérité sur ses raisons d'enquêter, et l'aide et le soutien que Buir lui apporte. Si j'ai davantage apprécié les parties se déroulant en 1888, c'est bien en 1941 que le dénouement apparaît, que le fin mot de l'histoire sera donné et ce qu'Amelia va faire en réaction de cette découverte, et j'ai beaucoup apprécié cette partie !

Toutefois, je n'ai pas pu m'empêcher de trouver, au début de ma lecture, que le style était un peu froid pour un roman.  Aussi intéressant ce roman fut, je le trouve plus réussi au niveau documentaire qu'en tant que roman, mais Retour à Whitechapel est vraiment un ouvrage à découvrir pour toute personne qui s'intéresse au mystère de Jack l'Eventreur ! Je serais d'ailleurs tentée, dans un futur plus ou moins proche, de découvrir le tome deux (non relatif aux meurtres de Whitechapel), Blackout Baby. Malgré mes critiques, je trouve que Retour à Whitechapel pourrait faire un thriller bien intéressant sur nos écrans !

Un greffier se précipita pour apporter des photographies rangées dans des enveloppes de papier cristal. Le coroner McDonald s'en saisit et les regarda négligemment. 
- Vous remarquez, docteur McDonald, poursuivit Bagster Philipps, que la chambre possède deux fenêtres qui donnent sur le court. Deux carreaux de la petite fenêtre étaient brisés. La porte était fermée, et j'ai dû regarder par la fenêtre pour évaluer la situation. 
- N'avez-vous pas songé à intervenir, disons... rapidement et de manière médicale, docteur Philipps ? 
- Monsieur, j'ai compris que le corps férocement mutilé, que je voyais distinctement allongé sur le lit, n'avait pas besoin... de mes soins immédiats, si j'ose dire... J'ai souvent vu... 
- Restons-en aux faits, s'il-vous-plaît, docteur Philipps, se renfrogna le coroner, visiblement vexé de la répartie du chirurgien.