dimanche 26 avril 2020

L'allée du roi - Françoise Chandernagor.

Amazon.fr - L'allée du Roi: Souvenirs de Françoise d'Aubigné ...
"Je ne mets point de borne à mes désirs", disait celle qui fut presque reine de France... 

De sa naissance dans la prison de Niort à sa mort dans la douce retraite de Saint-Cyr, de l'obscure pauvreté de son enfance antillaise à la magnificence de la Cour, de la couche d'un poète infirme à celle du Roi-Soleil, de la compagnie joyeuse de Ninon de Lenclos et de ses amants au parti pris de dévotion de l'âge mûr, quel roman que cette vie 

À partir d'une documentation considérable et en recourant aux écrits, souvent inédits, de la marquise de Maintenon, Françoise Chandernagor a su restituer, à travers des " mémoires apocryphes " qui ont la séduction de la langue du XVIIe siècle, le vrai visage d'une femme méconnue, témoin sans pareil d'une époque fascinante.



Petite fille née dans une prison, passant une enfance pauvre durant laquelle elle doit mendier pour se nourrir, puis jeune fille mariée à un infirme en passant par jeune femme qui devient gouvernante des enfants bâtards du roi, pour devenir enfin l’épouse du plus grand roi de France. La vie de Françoise d’Aubigné, plus connue sous le nom de Madame de Maintenon, est un véritable roman. On ne s’étonnera donc pas de savoir que son histoire a inspiré de nombreux auteurs.

L’allée du roi est une véritable fresque dans laquelle Françoise Chandernagor nous narre la vie de Françoise d’Aubigné de sa naissance à sa mort et nous plonge dans la France du XVIIe siècle. Elle a choisi de faire parler la principale concernée, à savoir l’héroïne elle-même, qui dresse à sa nièce ses mémoires. À travers ces fausses mémoires, Françoise d’Aubigné nous raconte sa vie, sans omettre le moindre détail : la prison dans laquelle elle est née après que sa mère se soit amourachée d’un escroc, son enfance en Martinique où sa famille a tenté de se construire puis auprès de son oncle et sa tante qui l’ont élevé. Malgré son sang bleu, Françoise vit une enfance modeste, pour ne pas dire pauvre, ce qui lui donnera cette détermination de sortir de sa misère et de s’élever socialement, ce qu’elle fait en épousant le poète burlesque et écrivain Paul Scarron, un infirme de 30 ans son aîné mais doté d’un esprit vif et d’une intelligence aiguisée qui se chargera de parfaire l’éducation de son épouse (Ou, comme il lui aurait dit : « Madame, je ne vous ferai pas de bêtises, mais je vous en apprendrai ») et de lui faire connaître le monde des salons, véritables lieux de la vie sociale des personnes influentes, où Françoise se fait connaître. Lorsque son mari meurt, Françoise se retrouve seule et à nouveau sans le sou, et ne doit son salut qu’aux fréquentations qu’elle a su soigneusement choisir. Ce sont justement ses fréquentations qui la feront connaître Madame de Montespan, célèbre maîtresse du roi Louis XIV, avec qui elle noue une amitié intellectuelle. C’est cette amitié qui vaudra à la marquise de Montespan de faire appel à Françoise, dont elle connaît le sens du devoir et de la discrétion, pour élever en secret les enfants qu’elle a eu du roi. 

L'adaptation du roman avec
Dominique Blanc dans le rôle
de Françoise et Didier Sandre dans
le rôle de Louis XIV.
C’est alors une double vie que mène Françoise qui doit s’occuper de ces enfants dans le secret et poursuivre une vie normale, comme si de rien n’était. Cette position de gouvernante l’amènera à rencontrer puis connaître Louis XIV, qui se révèle être un père aimant pour ses enfants illégitimes. Accordant peu d’importance à cette gouvernante, le roi finit par être séduit par Françoise, son esprit et sa simplicité, devenant amis puis amants, ce qui vaudra les foudres et la jalousie de Montespan qui voit en son amie une rivale qu’elle n’avait jamais soupçonné. C’est pourtant Françoise qui évince la Montespan pour devenir l’épouse secrète du roi, quelques mois après la mort de la reine, celle qui accompagne le roi jusqu'à la fin de ses jours. Le rôle de Françoise ne se limite pourtant pas à celui de maîtresse puis épouse du roi. Prise de passion pour l'écriture, Françoise tient une importante conversation, notamment à son ami et confesseur, et elle est la femme d'une oeuvre : l'école de Saint-Cyr, visant à améliorer l'éducation des jeunes filles de la noblesse pauvre, de plus en plus nombreuses dans le pays, Françoise, elle-même issue d'une noblesse pauvre, trouvant en effet que l'éducation donnée dans les couvents étant peu suffisante pour instruire les jeunes filles. C'est dans son palais de Maintenon, mais surtout Saint-Cyr, que Françoise trouvera refuge et finira ses jours...

Quel vaste ouvrage que cette reconstitution d'une des femmes les plus célèbres de son temps ! C’est un ouvrage très fouillé dans lequel nous pouvons sentir tous les efforts de recherche et de documentation de l’auteur pour nous offrir un voyage plus vrai que nature dans la France du Roi Soleil. Françoise Chandernagor raconte avec beaucoup de sensibilité et de naturel les fausses mémoires de son héroïne avec, pour plus d'authenticité, le style littéraire de l'époque. Plus que la vie de Françoise d'Aubigné, l'auteur nous fait entrer dans le contexte historique, politique, religieux et social de l'époque pour nous restituer le cadre historique le plus fidèlement possible. C'est un ouvrage effectivement dense et si sa lecture reste agréable, j'ai parfois déploré les longueurs de certains passages qui ralentissaient le rythme de lecture.

Toutefois, je ne peux que reconnaître et admirer le travail de recherche de l'auteur, et de reconnaître également le challenge que représente l'écriture d'un personnage aussi hors du commun que Françoise d'Aubigné, alias Madame de Maintenon qui peut s'avérer être un personnage parfois difficile à cerner. En effet, conscience du poids politique et historique qu’auraient pu avoir ses souvenirs (et également pour donner une certaine image d’elle), Madame de Maintenon a brûlé une grande partie de sa correspondance (celle avec le roi particulièrement), emportant plusieurs vérités dans sa tombe, ne laissant que des tiers pour parler d’elle. On retrouve chez Madame de Maintenon un véritable soucis de sa réputation et de sa gloire, que l'on retrouve bien évidemment dans le roman. C'est une femme qui ressent le besoin d'être irréprochable, un désir de plaire qui est devenu une seconde nature chez elle, autant que son besoin d'être aimée et louangée, ce qui lui vaut d'avoir parfois honte de son comportement et de garder pour elle certaines pensées et de toujours se montrer sous un beau jour. C'est en partie lié à la Cour où elle a bien compris que le secret de la conversation est de paraître écouter l'autre avec plaisir, les courtisans étant unis par les habitudes et les services rendus.


Madame de Maintenon — Wikipédia
Portrait de Madame de Maintenon
peint par Pierre Mignard (1694)
À travers elle, nous découvrons la Cour de Versailles qui émerveille Françoise avant de s’y sentir étouffée : les fastes, les plaisirs, coutumes, traits d'esprit, indiscrétions, rivalités, jeux, misères, complots, drames et guerres qui se succèdent au fil des pages et des années, car le règne du Roi Soleil a ses zones d'ombres, notamment lorsque le roi perd peu à peu des membres de sa famille, sans oublier son goût pour la guerre et les constructions qui affament et fatiguent un peuple sombrant dans la misère après des années de guerre et de famine. Madame de Maintenon, c'est donc une femme qui a vu beaucoup de choses et qui a longtemps vécu.

Elle n'est jamais vraiment intervenue dans la politique malgré que ce des tiers ont pu dire, Louis XIV régnait sans partage et ne voulait surtout pas voir de femmes mêlées à des affaires d'Etat, sans compter que Françoise jugeait l'exercice de la politique périlleux pour elle. Saint-Cyr reste l'oeuvre de sa vie, sans oublier l'éducation qu'elle donna à de nombreux enfants, plus particulièrement les bâtards royaux qu'elle aima avec beaucoup de tendresse, jusqu'à se disputer les choix d'éducation avec leur propre mère, notamment le duc du Maine, son préféré, qu'elle appelait tendrement "son mignon". C'est son dévouement envers les enfants qui la rapprocha du roi, et c'est alors un duo des contraires qui se forme : lui  extravagant et séducteur, elle raisonnable et dévote. Leurs entretiens quotidiens se transforment en un attachement sincère et durable, qui ne manqua pas de provoquer la jalousie de Madame de Montespan. J'ai pris beaucoup de plaisir à voir cette relation naître puis évoluer, Louis XIV ne pouvant plus se passer d'elle.

Je crois qu’il m’aimait, en effet. Il m’envoyait, deux ou trois fois le jour, de petits billets à propos de tout et de rien et, en public, il ne pouvait pas tenir un quart d’heure sans venir me parler à l’oreille et m’entretenir en secret, quand même il avait été toute la journée avec moi ; il disait ne se pouvoir passer de ma présence plus d’une heure, et, dans le tête-à-tête, il me prouvait son attachement de telle manière que je ne puis douter de la vérité de cette parole qu’il me dit en mourant : « Madame, je n’ai aimé personne comme vous. »

Je ne peux pourtant pas m'empêcher d'éprouver une sorte de tristesse et d'amertume car, en vieillissant, son royal amant n'est plus qu'un tyran aux yeux de Françoise et elle rame pour le divertir. Elle lui reste dévouée, toujours à ses côtés, mais l'amour et la passion se sont fanés pour elle, d'autant plus que, malgré son mariage avec le roi, elle considère le mariage comme une prison pour les femmes les mettant en servitude. 

Françoise n'est pas une narratrice complètement attachante dans le sens où elle est parfois bigote, par sa fierté et son désir d'être irréprochable, elle est parfois austère et fière, mais on ne reste pas indifférente à ce personnage. Elle suscite notre intérêt et notre admiration, on ne peut pas s'empêcher d'être fasciné par la vie de cette personnalité hors du commun, issue d'un milieu de presque rien jusqu'au faste du palais de Versailles et la faveur du Roi, grâce, en plus d'un jolis minois dans ses jeunes années, de son esprit vif, sa volonté de plaire, et un corps de valeurs d'une solidité à toute épreuve. En bref, Françoise ne laisse personne indifférente et, en la suivant à travers ces mémoires, de sa naissance à sa mort, elle est devenue notre compagne de route, et se présente comme loin d'être la femme froide et rigide que des tiers ont pu décrire mais plutôt une femme persévérante, pleine d'esprit et de courage, dotée d'un incroyable instinct de survie politique pour survivre à la Cour, et qui a sut ravir le cœur de l'un des plus grands rois de France...

Grand Dieu, sauvez le Roi, 
Grand Dieu, vengez le Roi, 
Vive le Roi 
Le Roi les écouta sans un mot, mais lorsqu'il remonta en voiture, ce prince, toujours si maître de lui, ne put cacher son émotion ; il prit ma main, la baisa et dit seulement d'une voix changée : "Je vous remercie, Madame, de tout le plaisir que vous m'avez donné.". Enivrée du bonheur de lui voir goûter la même joie que moi, et d'ailleurs transportée d'inquiétude par sa maladie, je ne pus m'empêcher de lui rendre son baiser, ce qui était bien osé et le surprit aussi. Il prit un air un peu narquois, secoua la tête, sourit et garda ma main dans la sienne tout le temps de notre retour jusqu'à Versailles. Saint-Cyr était notre enfant commun et nous unissait au bord de son berceau.

mercredi 22 avril 2020

Le Montespan - Jean Teulé.


Au temps du Roi-Soleil, avoir sa femme dans le lit du monarque était pour les nobles une source de privilèges inépuisable. Le jour où Louis XIV jeta son dévolu sur Mme de Montespan, chacun, à Versailles, félicita le mari de sa bonne fortune. 

C'était mal connaître Louis-Henri de Pardaillan, marquis de Montespan... Gascon fiévreux et passionnément amoureux de son épouse, Louis-Henri prit très mal la chose. Dès qu'il eut connaissance de son infortune, il orna son carrosse de cornes gigantesques et entreprit de mener une guerre impitoyable contre l'homme qui profanait une union si parfaite. 

Refusant les honneurs et les prébendes, indifférent aux menaces répétées, aux procès en tous genres, emprisonnements, ruine ou tentatives d'assassinat, il poursuivit de sa haine l'homme le plus puissant de la planète pour tenter de récupérer sa femme...




L’Histoire a retenu le nom de Montespan comme étant celui d’une célèbre favorite de Louis XIV à la beauté reconnue, qui a donné au roi de nombreux bâtards royaux et qui s’est retrouvée disgraciée par l’Affaire des Poisons. Ce nom, c’est aussi celui de son époux, le marquis de Montespan, un homme très amoureux de sa femme et dont la colère et jalousie à l’égard du roi pour lui avoir volé sa femme l’ont poussé à diverses extravagances. Toutes ces péripéties méritaient bien un roman tant elles sont amusantes et originales ! On comprend bien que Jean Teulé ait consacré une histoire à ce marquis bafoué !



Louis-Henri, marquis de Montespan et gentilhomme, est un homme pauvre mais comblé. Il voue, en effet, un amour sans borne pour sa superbe femme, Françoise de Mortemart, marquise de Montespan, rebaptisée Athénaïs. Afin de faire fortune et de pouvoir assurer un meilleur train de vie à sa belle, Louis-Henri décide de partir à la guerre. Entre quelques retours naissent les deux enfants du couple Montespan, et une offre inespérée se présente à Françoise, celle de dame d’honneur de la reine à Versailles, ce que la belle accepte afin de gagner fortune et renom pour les Montespan. Tout commence à aller mieux dans le meilleur des mondes… jusqu’à ce que Louis-Henri revienne de campagne pour trouver sa femme enceinte, non pas de lui mais du roi ! C’est un véritable coup de tonnerre alors que le marquis réalise que Louis XIV a fait de sa femme sa maîtresse. À Versailles comme dans la famille de Françoise, tous conseillent au mari cocu d’accepter la situation. En effet, avoir sa femme dans le lit et les faveurs du roi est un honneur pour les nobles et qui est source de privilèges pour eux : argent, titre de noblesse, terres…


C’est mal connaître le Montespan qui n’aura de cesse de vouloir récupérer sa femme et de montrer tout le mécontentement que lui inspire la situation. Comment, lui le mari cocu et bafoué devrait se faire voler sa femme sans rien dire ? Que nenni ! Refusant les honneurs et la fortune et indifférent aux menaces, Louis-Henri se fait l’auteur de diverses extravagances qui font rire Versailles et fâcher le roi. C’est ainsi que notre cher marquis fait peindre son carrosse de noir et le fait orner de cornes pour illustrer son deuil de sa femme, s’habille en gris qui est la couleur que Louis XIV a en horreur, organise les funérailles de son mariage, tente d’attraper une maladie vénérienne pour contaminer indirectement le roi, fait habiller son concierge avec la robe de mariée de sa femme car celle-ci lui manque, et encore d’autres excentricités, ce qui n’est pas sans conséquence…


Cette histoire est très rythmée, les chapitres sont courts et on passe d’un événement à un autre sans que l’histoire ne traîne, bien que le début se soit révélé un peu long pour moi jusqu’à la rencontre du couple Montespan. Le style de l’auteur est simple, rapide et enjoué, et il ne laisse pas le temps à son lecteur de s’ennuyer ! Il aurait été, d’ailleurs, difficile pour l’auteur d’ennuyer son lecteur car il a bien choisi son sujet, le personnage principal de son roman a tout d’un original, c’est un véritable personnage romanesque qui va à contre-courant qui a passé sa vie dans la rancune et la rébellion contre les frasques du roi. Jean Teulé avait donc là un sujet original et divertissant qu’il a su reprendre et nous raconter avec humour et simplicité.


Le personnage du marquis est à la fois drôle et pathétique. On le plaint d’être le mari malheureux et cocu et toujours éperdument amoureux de sa femme tout comme on le trouve fou dans ses frasques (le travestissement de son concierge, et surtout le fait qu’il ait essayé d’attraper une maladie vénérienne dans l’espoir de contaminer sa femme et donc indirectement le roi, et lors d’une scène où il s’est introduit dans les appartements de la reine). Certaines de ces frasques sont vraies, ce qui les rendent encore plus amusantes. Bien que l’auteur ait pris des libertés historiques pour inventer d’autres frasques de notre cher marquis, je ne peux pas nier son travail de recherche car l’histoire est bourrée de références historiques (notamment lorsqu’il fait références avec humour à des événements historiques à venir, comme la fistule anale de Louis XIV, l’arrivée de Mme de Maintenon, la mort de Lully, etc), sans oublier que la lecture du roman apporte un certain nombre de lumières sur des éléments historiques qui ne sont pas toujours mises en avant, comme le lien entre les amours du roi (et donc l’histoire du marquis de Montespan) et la pièce de MolièreAmphitryon ; l’état de dégénérescence de la descendance du roi avec Mme de Montespan ; ainsi que la représentation moins attirante d’une aristocratie sale et dépravée.


J’ai donc beaucoup apprécié cette mise en lumière autour du marquis, puisque auteurs et historiens ont plutôt tendance à se focaliser sur sa femme, ainsi que les nombreuses références historiques. La plume de l’auteur est simple, drôle et incisive, et pourtant… j’ai moins accroché à la familiarité, voire à la vulgarité du vocabulaire, certains passages sont peu ragoûtants et il faut avoir, je pense, l’esprit ouvert. La plume de l’auteur est singulière, parfois crue, ce qui m’a déstabilisé mais l’histoire était si divertissante que j’ai pu faire l’impasse, d’autant plus que les pages se tournent rapidement. Le Montespan est un personnage à la fois pathétique, grotesque, attachant et touchant. J’ai beaucoup aimé la dernière scène avec sa fille lorsqu’il a reproduit le même jeu que sa mère faisait avec elle. J’ai également beaucoup aimé suivre cette singulière et divertissante famille qu’il formait avec ses enfants (dont le fils qui se croit supérieur), la cuisinière et sa fille, le concierge et la mère du marquis.


Pour résumer, une histoire divertissante et intéressante, car on ne s’ennuie pas avec le marquis de Montespan ! Cependant, je déplore la vulgarité parfois présente dans le texte que j’ai trouvé rude et cru par moment. Ce roman reste toutefois une bonne lecture que j’ai prit plaisir à découvrir.



Les époux Montespan : Françoise Athénaïs de Montespan (1640 - 1707) & 
Louis-Henri de Pardaillan de Gondrin (1640 - 1691)


La Montausier s'en étonne :
- Il y a quatre ans que vous avez été unis par le sacrement du mariage et vous aimez encore votre épouse ? Si je puis me permettre, votre poissonnier éprouve le même penchant pour la sienne. Mais vous, monsieur, êtes marquis ! Croyez-vous que mon mari m'aime, moi ? Monsieur le duc, m'aimez-vous ? fait-elle en tournant la tête à droite.
- Mais bien-sûr que non, lui répond son mari.
Montespan est stupéfait :
- Pourtant, dit-il au duc, c'est bien vous qui avez, jadis, fait écrire par les plus beaux esprits du temps
La Guirlande de Julie ? ... ce recueil unique de madrigaux offert pour sa fête comme un bouquet plus délicat et plus durable que celui de véritables fleurs.
- C'est vrai... chaque poème comparait Julie à une fleur différente : la rose, la tulipe... mais je convoitais surtout la dot de Mlle de Rambouillet.

mercredi 1 avril 2020

Mémoires du duc de Saint-Simon : « Cette pute me fera mourir… » - Louis de Saint-Simon.

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« Cette pute me fera mourir… » soupirait Marie-Thérèse, reine de France, épouse de Louis XIV, en regardant le Roi s’afficher avec la belle Montespan. 

Le duc de Saint-Simon, qui a tout vu et tout entendu, raconte Versailles et ses brillants acteurs. Témoin de la grandeur du règne, il en explore aussi les coulisses : intrigues, scandales et anecdotes se mêlent aux récits des morts illustres.  À la fois véridiques et visionnaires, ses Mémoires nous font entrer au Château et partager la vie de la cour et du Grand Roi avec un esprit, une verve, un génie inégalés.


Sous ce titre ma foi très éloquent se cache une partie (j’insiste sur le mot car les mémoires font plus de mille pages !) des mémoires du duc de Saint-Simon, contemporain de Louis XIV, ayant vécu plusieurs années à la Cour.

Forcément, on peut aisément s'imaginer qu'il a énormément de choses à nous dévoiler ! Entre fêtes majestueuses, disputes, raccommodages, rencontres diplomatiques, mariages, naissances et décès, autant d’événements mémorables que conte Saint-Simon, car il s'en passe des choses à la Cour de Versailles et ses courtisans n'ont pas le temps de s'ennuyer ! Le duc, lui-même courtisan, a participé aux intrigues qui ont animé la vie de la Cour, et a logé au château.

Ces mémoires nous proposent une plongée dans l’univers de la Cour. Un monde poudré, perruqué, scintillant de bijoux, dont les gestes et apparitions obéissent à un rigoureux rituel, car la Cour est un langage que chaque habitant se doit se parler à la perfection, sous peine de faire un faux pas et de contrarier le roi. L’occupation principale, c’est bien-sûr l’intrigue. Sans elle, le courtisan mourrait d’ennui dans ce huis clos doré qu’est le palais de Versailles. Chaque naissance, chaque mariage, chaque mort, chaque fête, bref chaque chose, est un événement mondain qui fait vivre la Cour et qui se présente parfois comme des spectacles à ne pas manquer ! Et si vous ne trouvez rien de compliqué qu’une famille, ça l’est davantage dans une famille royale ! 

En plus de faire régner l'ordre dans le pays, le roi doit aussi faire régner l’ordre dans sa nombreuse famille, ce qui n'est pas toujours chose aisée lorsque la famille en question traverse régulièrement des zones de turbulence, ce qui donne l'occasion à l'auteur de nous raconter de nombreuses anecdotes sur la famille royale mais aussi sur les nombreux courtisans de la Cour, et certaines d'entre elles valent la peine d'être connues ! Je citerai, par exemple, la plaisanterie que la duchesse de Bourgogne et quelques-uns de ses compagnons ont joué à la princesse d'Harcourt, que Saint-Simon décrit comme "une furie blonde, et de plus une harpie", en la surprenant au lit à coups de boules de neige, ou encore une autre plaisanterie qui a mis le comte de Tessé bien dans l'embarras lorsque le duc de Lauzen lui proposa de porter un chapeau gris lors de sa rencontre avec le roi, ce que le comte de Tessé fit sans savoir que le roi avait tout bonnement horreur de cette couleur !


Louis de Rouvroy de Saint-Simon — Wikipédia
Portrait du duc de Saint-Simon
(1675 - 1755)
Cependant à la Cour, tout n'est pas que bal et fêtes somptueuses car, à partir de la fin du XVIIIe siècle et jusqu'à la fin du règne de Louis XIV, s'invite un personnage invisible qui fait des ravages à Versailles, la Faucheuse, qui va enlever un à un des membres de l'entourage ou de la famille du roi : Monsieur son frère, Monseigneur le Dauphin l'héritier du trône, Bontemps le valet et confident du roi, le duc et la duchesse de Bourgogne le petit-fils du roi et son épouse, puis un de leur fils, etc. Le temps s'assombrit alors à Versailles et l'on danse entre deux décès et ce roi, dont la descendance était pourtant assurée, voit sa famille partir avant lui...

J'avoue que ma lecture s'est souvent révélée laborieuse car j'ai ressenti de nombreuses longueurs, d'autant plus que l'auteur a écrit sur de nombreux personnages secondaires voire tertiaires pour lesquels je n'ai pas toujours réussi à m'intéresser. Il n'évoque pas uniquement la famille royale mais de nombreux membres de la Cour, des courtisans,  des marquis, des ducs et duchesses, etc. J'ai beaucoup aimé les portraits du duc et de la duchesse de Bourgogne, parents du futur Louis XV, partis trop jeunes (à 26 et 29 ans), notamment la duchesse de Bourgogne dont la gaieté animait Versailles et qui était l'âme des fêtes et spectacles au château, et dont la mort subite avec celle de son conjoint (la Cour a d'ailleurs longtemps cru à un empoisonnement) ont été comme l'effet de la foudre qui s'abat en France.

Ajoutons à cela un vocabulaire d'époque qui n'est pas toujours clair pour des lecteurs contemporains, cependant l'édition présente de nombreuses notes pour nous éclaircir sur un mot d'époque ou pour apporter un contexte aux écrits de Saint-Simon, pour mieux aider les lecteurs et lectrices à comprendre et mieux situer les événements qui sont décrits.

Un point important à souligner : le duc de Saint-Simon n'a pas rejoint la Cour depuis son arrivée à Versailles, et il commence à raconter la vie à la Cour, du moins dans cette édition, à partir de 1691 jusque 1715, avant de nous raconter des événements antérieurs à son arrivée à la Cour mais que la mémoire de cour lui a transmis, comme la sulfureuse histoire d'amour entre Louis XIV et sa célèbre maîtresse, Madame de Montespan au grand désespoir de la reine, l'arrivée de Françoise Scarron à la Cour pour s'occuper des bâtards royaux, le rapprochement de Louis XIV vers la veuve Scarron qui devient Madame de Maintenon, etc.


Louis XIV et sa famille, peinture attribuée à Nicolas de Largillière.
De gauche à droite : la duchesse de Ventadour (gouvernante des enfants royaux), le duc d'Anjou (futur Louis XV) ou son frère aîné, le Grand Dauphin, fils de Louis XIV, Louis XIV, et le duc de Bourgogne, petit-fils du roi.

L'écriture de Saint-Simon est très imagée et détaillée. On sent chez Saint-Simon une véritable volonté de laisser une trace, une certaine avidité et un empressement de raconter tout ce qu'il a vu, ainsi que son amour pour la plume. L'époque de Louis XIV, le Grand Siècle, a marqué l'Histoire et c'est quelque chose que Saint-Simon a du prévoir, par sa volonté de laisser une trace. Bien-sûr, il ne faut pas toujours forcément prendre au premier degré ces mémoires qui ne sont pas toujours objectives. Comme tout le monde, le duc a ses propres opinions personnelles et, en lisant certains portraits, il s'est laissé aller à des éloges sinon des critiques de tel ou tel personnage, s'est pris de sympathie pour certains personnages et moins pour d'autres, déplore la construction du château de Versailles qu'il juge ruineux et de mauvais goût, et reproche au roi d'avoir avantagé son château et n'avoir fait que peu d'efforts pour Paris qu'il a délaissé.

Cela n'enlève pas la richesse de ce témoignage car Saint-Simon nous présente une excellente restitution du règne du Roi Soleil, du château de Versailles, de la Cour et ses courtisans, qui prend vie sous nos yeux, nous offrant une extraordinaire remontée du temps.
Une autre fois, et ces scènes étaient toujours à Marly, on attendit fort tard qu'elle [la princesse d'Harcourt] fût couchée et endormie [...] Il avait fort neigé, et il gelait : Mme la duchesse de Bourgogne et sa suite prirent de la neige sur la terrasse qui est autour du haut du salon et de plain-pied à ces logements hauts, et pour s'en mieux fournir éveillèrent les gens du Maréchal, qui ne les laissèrent pas manquer de pelotes ; puis, avec un passe-partout et des bougies, se glissèrent doucement dans la chambre de la princesse d'Harcourt, et, tirant tout d'un coup les rideaux, l'accablent de pelotes de neige. 
Cette sale créature au lit, éveillée en sursaut, froissée et noyée de neige sur les oreilles et partout échevelée, criant à pleine tête et remuant comme une anguille sans savoir où se fourrer, fut un spectacle qui les divertit plus d'une demi-heure, en sorte que la nymphe nageait dans son lit, d'où l'eau découlant de partout noyant toute la chambre. Il y avait de quoi la faire crever. Le lendemain elle bouda.