mercredi 28 février 2024

Autopsie des morts célèbres - Philippe Charlier et David Alliot.

Comment est morte Lucy, notre ancêtre commun ? Pourquoi et comment le corps de Saint Louis a été dispersé à travers le monde ? Que nous apprend l’étude du cerveau de Descartes ? Est-ce que Balzac a été tué par sa folie créatrice ? Hitler s’est-il suicidé dans son bunker en mai 1945 ?

L’Histoire est pleine de mystères, c’est peut-être ce qui fait son charme… Les résoudre est une aventure passionnante qui s’étend sur plusieurs siècles. N’étant plus une discipline monolithique, l’Histoire voit désormais s’étendre son champ d’action tandis qu’elle s’enrichit de rapports fructueux avec d’autres sciences humaines et fondamentales : anthropologie physique, ethnologie, archéologie, biologie. La récente apparition de la paléopathologie – cette médecine appliquée aux cadavres anciens – a permis de réelles avancées dans le domaine des connaissances et a même contribué à résoudre des « énigmes historiques » depuis longtemps insolubles. Cette nouvelle méthodologie nous aide à mieux comprendre le quotidien et le mode de vie des populations du passé (tordant le cou, au passage, à quelques idées reçues…) et éclaire aussi, parfois, la mort de patients « célèbres ». 

À travers ces cas médico-historiques, dont beaucoup ont peuplé nos manuels scolaires, c’est une nouvelle façon d’écrire et d’appréhender l’Histoire qui s’ouvre devant nous.


Je découvre Philippe Charlier avec cet ouvrage qui s’est révélé être une belle découverte.



Autopsie des morts célèbres propose d’apporter un nouvel éclairage sur les morts de personnages célèbres de l’Histoire : comment notre ancêtre Lucy est-elle morte, que révèle l’autopsie d’époque de la mort de Louis XIV et les études plus contemporaines, comment expliquer les morts subites de nombreux courtisans de la cour de Versailles sous le règne de Louis XIV, l’étude du cerveau de Descartes nous permet-il de déterminer son fonctionnement intellectuel et les raisons de son décès, l’étude de fragments du crâne d’Hitler peut-elle déterminer les causes exactes de sa mort, et ainsi de suite. Il revient sur ce que les sources d’époque ont révélé et ce que des études plus récentes ont permis d’apporter, si elles ont permis de confirmer ou réfuter la cause véritable de la mort de ces personnes célèbres.



L’auteur nous raconte ainsi comment différentes sciences ont permis d’éclaircir certains cas et d’identifier des restes humains et de les différencier d’autres restes humains ou d’animaux, de reconstituer un visage (celui de Marie-Madeleine), de dévoiler une supercherie (l’homme préhistorique de Moulin-Quignon), de révéler les causes d’un décès (Balzac, Philippe d’Orléans, etc), de faire la lumière sur l’état de santé d’une ou plusieurs personnes, voire de proposer de nouvelles hypothèses. Pour répondre à ces questions, il a fallu toucher à de nombreuses disciplines : la paléopathologie, l’anthropologie, la médecine, l’archéologie, etc, preuve que l’Histoire est vraiment une pluridiscipline, et d’appuyer la nécessité d’étendre ses champs de recherche à différents domaines pour répondre à des questions d’Histoire.



C’est donc un ouvrage qui revient sur ces morts célèbres, mais pas que puisque l’auteur nous parle de la gynécologie et la perception du corps féminin dans l’Antiquité et les croyances d’époque qui nous sembleraient aujourd’hui ridicules et incroyables (enfin remarquez, quand on voit certains cas sur les réseaux sociaux qui sont persuadés que le nombre de partenaires sexuels peut changer l’aspect d’un vagin, on se dit que les croyances ridicules sont intemporelles), l’étude des reliques (celles de Saint Louis, notre roi puzzle, dont les reliques ont été dispersées partout en France, ou presque, ou encore celles de Marie-Madeleine).



Il nous parle aussi de médecine à travers les maladies préhistoriques et autres bactéries encore prisonnières dans la glace de l’Antarctique, la naissance et l’évolution des hôpitaux ou encore ces maladies qui étaient méconnues à l’époque et qu’on peinait à soigner. J’ai trouvé passionnant le fait d’apporter un diagnostic aux maux et maladies de certains personnages, d’autant plus que certaines maladies étaient méconnues à l’époque et n’étaient pas soignées comme elles le sont aujourd’hui, notamment le cancer ou le diabète.



L’auteur revient également sur le serment d’Hippocrate en le décodant, sur la définition à donner à la mort (entre la mort définitive, la mort cérébrale, etc), les expériences de mort imminente. Il nous parle de génétique à travers les prétendus descendants français d’Hitler. L’aspect éthique et légal des sujets est évoqué, notamment sur la question de la restitution des restes humains à leurs légitimes propriétaires, et qui ont jadis été obtenus de façon légale ou illégale (les têtes maoris, les momies, les collections anatomiques des écoles de médecine, etc).



On pourrait reprocher le fait que ce livre, malgré son titre, ne parle pas uniquement des morts célèbres et s’intéresse à plusieurs sujets comme ceux évoqués ci-dessus, et qui ne semblent pas pertinents avec le sujet initial (pourquoi parler de gynécologie et de mort infantile dans l’Antiquité dans un ouvrage qui a vocation de parler des morts célèbres par exemple) mais j’ai été si passionnée par ma lecture que je laisse passer ces écarts. Néanmoins, quelques points m’ont chagriné au cours de ma lecture, notamment certains chapitres trop courts qui auraient mérité plus de développement et qui ont fait que je suis restée sur ma faim.



J’ai également trouvé un peu problématique le classement des périodes historiques. L’auteur a classé chaque cas dans une période historique distincte de la Préhistoire à l’époque contemporaine. Or, l’auteur a classé certains cas ou personnalités du XIXe siècle dans l’époque moderne, alors que le XIXe siècle fait partie de l’époque contemporaine, ou que la partie où il décortique le serment d’Hippocrate aurait peut-être été plus pertinente dans la partie consacrée à l’Antiquité, mais c’est vraiment histoire de pinailler car l’ouvrage est vraiment enrichissant. On découvre bien, à travers son texte, qu’il ne se contente pas de raconter mais que tout ceci fait partie de son propre travail de recherche, à la fois à travers les sources documentées et le travail sur le terrain.



En résumé, un ouvrage passionnant mêlant médecine, archéologie, anthropologie, Histoire et bien plus encore. La lecture est simple, bourrée d’anecdotes étonnantes et de découvertes passionnantes.


La paléopathologie, c'est-à-dire l'étude médicale des restes humains anciens, permet de remonter le temps de façon très pragmatique pour ne pas dire cartésienne. Elle fonde ses connaissances sur l'examen direct de squelettes, momies, reliques, bref tout fragment corporel suffisamment bien conservé pour pouvoir se prêter à un diagnostic rétrospectif. Ses outils ? Ceux des patients vivants : radiographie, scanner, fibroscopie, microscope, analyses toxicologiques et génétiques, etc. Une momie égyptienne peut passer sur la table de scanner, une poupée vaudou haïtienne peut être radiographiée. Des résidus de selles provenant de latrines antiques peuvent être analysés en parasitologie... Bien entendu, les urgences médicales passent toujours en premier !

5. Fils des âges farouches - Le vrai visage de Cro-Magnon (I) 

 

dimanche 25 février 2024

Les sœurs hiver - Jolan Bertrand et Tristan Gion.


Il y a très longtemps, il y avait deux hivers : la Grande, avec ses froids polaires et ses blizzards, et la Petite, avec ses glissades joyeuses et ses batailles de boules de neige. Mais depuis que la Petite a disparu, tout est détraqué au village de Brume ! 

Les adultes sont inquiets, plus personne ne rit aux bonnes farces d'Alfred et, surtout, les trolls passent leur temps à voler des objets, qu'ils emportent à tout jamais dans la taïga. 

Lorsque l'oncle d'Alfred se porte volontaire pour rapporter les objets volés et qu'il disparait sous ses yeux, avalé par la tempête, c'en est trop : il faut partir à sa recherche, coûte que coûte, braver les dangers de la forêt boréale, et affronter la Grande Hiver...




Je n’attendais pas grand-chose de ce roman jeunesse, outre de passer un moment de divertissement. Au final, c’est un mini coup de cœur que j’ai eu avec ce joli petit roman hivernal qui mêle aventure, nature, mythologie nordique, magie et inclusivité.


C’est un roman court qui se dévore en une journée, agrémenté par les magnifiques illustrations de Tristan Gion qu’on dévore en même temps que les mots de Jolan Bertrand. Férue de mythologie, je n’ai pas été insensible à la place de choix que s’offre la mythologie nordique, surtout en la présence de Loki, divinité du panthéon nordique que j’affectionne énormément. Forcément, cet aspect a été mon préféré du roman, mais celui-ci regorge d’autres éléments tout aussi plaisants et même envoûtants. J’ai trouvé ingénieux que l’auteur nous présente l’Hiver à travers deux figures différentes mais complémentaires, deux sœurs représentant un aspect différent de l’hiver, mais qui sont inséparables. J’ai aimé l’intrigue autour de la disparition de la Petite Hiver et comment notre jeune héro, Alfred, se met en quête de la retrouver pour apaiser la colère de la Grande Hiver et que son oncle lui soit rendu et que son village ne soit plus victime des hivers rudes et des trolls leur volant leurs affaires.



J’ai beaucoup aimé le personnage d’Alfred, son esprit d’aventure couplé à son côté farceur, mais aussi son attachement à son oncle Agnar, ses moments de mélancolie qu’il a parfois. C’est un petit garçon facétieux et attachant que l’on suit avec plaisir au gré de ses aventures, et parfois même mésaventures, dans lesquelles il n’y a pas de temps mort, où l’on rencontre trolls, renard parlant et sournois, les sœurs Hiver, le tout dans un décor forestier et hivernal, dans un univers scandinave empreint de magie, avec des notions sur le peuple viking et le peuple sami, ce qui nous dépayse le temps de la lecture. J’ai aimé découvrir des personnages tels que les sœurs Hiver, la grand-mère, l’oncle Agnar mais aussi et surtout Loki. J’ai d’ailleurs été agréablement surprise de la façon dont l’auteur a choisi de l’écrire et de le représenter [spoiler] divinité connue pour ses farces tantôt drôles, tantôt cruelles, il n’est pourtant ici ni blanc ni noir. Il a ses tords, et a causé bien du mal et du souci à nos personnages mais il nous est dévoilé comme un dieu avec lequel on sent qu’on peut s’amuser, un dieu qui souffre de solitude, qui n’est pas accepté par les autres dieux mais n’ose avouer que cela l’affecte, ainsi il recherche l’affection ailleurs, sans toutefois s’y prendre correctement [/spoiler]



J’ai été agréablement surprise de l’inclusivité (c’est rare dans les romans jeunesse, je trouve) à travers l’oncle d’Alfred, le dieu Loki bien évidemment qui est genderfluid, ou encore les trolls qui ne sont ni l’un ni l’autre et qui emploient les pronoms ul/uls, et la société dans laquelle évolue Alfred nous semble bienveillante et tolérante.



Les sœurs Hiver est un joli petit roman empreint de poésie et de magie, qui aborde aussi bien les thèmes de la famille, l’amitié, le réconfort que l’on s’apporte que des thèmes plus durs comme la solitude et la dépression avec beaucoup de justesse et de naturel. Ajoutons à cela l’aspect visuel à travers l’objet livre mais aussi les magnifiques illustrations qui accompagnent notre lecture. C'est doux, frais, touchant. Un régal pour les yeux !


– En quoi des bûches peuvent réconforter qui que ce soit ?

Cheveux Violets le regarde d’un air très sérieux.

– Ne te réconfortent-elles pas, Alfred, lorsque ton oncle et ta grand-mère en apportent chez toi pour alimenter le feu ? Ce ne sont pas les bûches en elles-mêmes qui sont réconfortantes. C’est ce que vous en faites, vous, les humains. Les bûches vous permettent d’avoir chaud. Vous vous rassemblez autour du feu pour être ensemble et raconter des histoires. Les bûches vous rendent heureux. C’est cela que nous cherchons lorsque nous venons en voler dans vos réserves, nous, les trolls. Vous brûlez les bûches pour leur chaleur. Nous les collectons pour la joie et le réconfort qu’elles vous apportent. Après tout, ajoute Cheveux Violets avec un petit soupir, nous ne sommes que des cailloux. Les émotions, ce n’est pas notre fort.

lundi 19 février 2024

La dernière Anastasia - Tina Muir.


Il était une fois en Russie, à l’hiver 2018, une jeune femme du nom d'Anna. Son père l'avait emmenée vivre au plus profond de la forêt, dans une maison coupée du reste du monde pour la protéger d'une malédiction de sang pesant sur sa famille depuis des générations. Lorsque toute sa famille fut brutalement assassinée, seule la belle Anna aux cheveux d’or en réchappa, avec l’aide de la plus terrible des marraines, la Baba Yaga en personne…

Mais l’aide de la sorcière légendaire n’est jamais gratuite. Pour percer le secret macabre qui a détruit sa famille, remonter la piste des tueurs et satisfaire sa surnaturelle protectrice, Anna devra compter sur le preux chevalier mit sur sa route par la Baba Yaga. De cette rencontre entre Anna la survivante, ivre de chagrin et avide de réponses, et le beau Jervis, aventurier flegmatique dont l’apparente froideur cache une lourde blessure, naîtra un amour de glace et de feu. Mais seront-ils assez forts pour affronter le plus destructeur des secrets et payer son tribut à la Baba Yaga ?



Roman qui mélange notre époque avec le folklore russe, une histoire de malédiction familiale avec de nombreuses références à l’histoire tragique des Romanov, et la Baba Yaga comme personnage important, La dernière Anastasia avait tous les ingrédients pour me plaire. Pourtant, je ressors de ma lecture extrêmement frustrée et même déçue.



Je vais d’abord commencer par les points positifs. J’ai beaucoup aimé l’histoire autour de la malédiction de sang dont est victime la famille de notre héroïne. L’auteure parvient à maintenir le suspense jusqu’au bout et à nous donner les informations qu’au compte-goutte. Elle a su titiller notre curiosité tout au long de l’intrigue, je peux bien lui reconnaître ce point. Même lorsque tout me semblait ridicule, des personnages jusqu’à la romance, la promesse d’avoir des réponses et un dénouement à cette histoire de malédiction était comme la carotte que me tendait l’auteure pour me forcer à poursuivre ma lecture jusqu’au bout, et je dois dire ne pas avoir été déçue des tenants et aboutissants. J’ai trouvé très intéressant de découvrir les origines de cette malédiction et ses conséquences à travers l’histoire et notamment l’Histoire, qui s’est mêlée à l’histoire tragique des Romanov.



Les références, tout au long du roman, à la famille Romanov, la tragédie de leur assassinat et la Russie du début du XXe siècle avec la révolution était d’ailleurs un des rares bons aspects du roman. Passionnée d’Histoire oblige, je n’y ai pas été insensible, d’autant plus que c’est une partie de l’Histoire qui me passionne et qu’on ne peut rester insensible à la tragédie qu’a vécu cette famille, et le parallèle entre les Romanov et la famille de l’héroïne (dont certains membres partageaient les mêmes prénoms que ceux de la famille du tsar).



J’ai également beaucoup aimé la présence du folklore russe dans l’intrigue et comment l’auteure confronte notre monde moderne aux contes russes, notamment à travers la figure de la Baba Yaga, mais pas que, mais la Baba Yaga s’est offerte ici une place de choix et elle doit bien être le seul personnage du roman que j’ai vraiment apprécié. Cette ancienne et puissante sorcière ne laisse pas indifférent, elle en impose et nous marque à chacune de ses apparitions. On ne sait dire, au début, si elle est bonne ou mauvaise, si ses intentions sont aussi bienveillantes qu’elles en ont l’air, et sa relation avec l’héroïne est plutôt intéressante, officiant auprès d’elle comme une sorte de marraine, de protectrice mais dont il faut se méfier car elle ne fait jamais rien gratuit. J’ai aimé comment la figure de la Baba Yaga s’est inscrite dans l’histoire de la tragédie des Romanov et de la révolution russe, et découvrir ses véritables desseins.



Tout ceci constitue de très bons ingrédients pour une histoire prometteuse, mais de nombreux points noirs ont gâché ma lecture. Je pense notamment aux personnages que je trouve inintéressants. Je n’ai pas su m’attacher à eux. Ni à l’héroïne trop Mary-Sue à mon goût, à Jervis mi-mâle Alpha mi-chevalier servant, au frère de celui-ci et à Joséphine, la femme qu’il aime en secret.



La romance est beaucoup trop omniprésente à mon goût, d’autant plus qu’elle se met en place très rapidement. Nos personnages se connaissent à peine qu’ils sont déjà prêts à tout pour l’autre et se font instantanément confiance. Pour la crédibilité, on repassera. Que dire des nombreuses scènes de sexe que j’ai trouvé ridicules et inutiles, entre Anna qui est vue, par son amoureux, par une Wonder Woman qui fait se lever le soleil et chanter les oiseaux, Jervis qui est vu comme un rapace que l’héroïne a dompté par ses charmes. On retrouve d’ailleurs beaucoup de comparaisons entre nos personnages et des animaux sauvages à dompter. Je n’ai pas non plus été sensible à la romance entre Liam, le frère de Jervis, et Joséphine.



J’ai fini par survoler de nombreux passages concernant nos deux couples, que ce soit la tension amoureuse ou les scènes de cul où l’auteure parle de magnétisme animal, d’instinct masculin ne pouvant résister aux charmes féminins et… *-relis-* de corps qui s’attirent avec un magnétisme irrésistible (dixit le roman qui possède d’ailleurs une panoplie de passages du style : « Il ne fit rien pour s’interrompre ou attraper son tee-shirt. Qu’elle profite du spectacle. Il le lui dédicaçait. [Elle] l’observa. Liam lui offrait une véritable leçon d’anatomie masculine. »). Enfin, dieu merci, on est pas au même niveau qu’Hadès et Perséphone de Scarlett St Clair !



L’intrigue à travers le mystère autour de la mort de la famille de l’héroïne, l’histoire de la malédiction de sang, la Baba Yaga, les références aux Romanov, tout ceci constituent de bons ingrédients et sont les points positifs de l’histoire, malheureusement ces derniers ne parviennent pas à sauver le roman. Je trouve même dommage et frustrant qu’il faille attendre 60 % du roman avant d’entrer enfin dans le vif du sujet, de par des longueurs qui rendent la lecture laborieuse mais surtout le fait que l’intrigue principale est noyée dans deux romances grotesques qui ont trop souvent pris le pas sur l’histoire.



C’est vraiment dommage, car j’aurais vraiment aimé tomber amoureuse de ce roman, car il a énormément de potentiel mais qui a été gâché par des longueurs, des personnages non attachants et des romances qui m’ont fait lever les yeux au ciel plus d’une fois.


— Vous étiez là du temps des Romanov, dit Anna.

— J’ai toujours été là, fillette.

— Vous les regardiez danser de derrière les vitres de leurs palais.

— Ce monde a été englouti depuis. Il ne reste plus que des fantômes. Beaucoup de fantômes.

— Vous n’êtes pas un fantôme, affirma Anna.

— Je suis ce que je suis.

dimanche 11 février 2024

Sherlock Holmes et les trois terreurs d'hiver - James Lovegrove.



En 1889, un élève d'une école privée située au cœur des marais du Kent est retrouvé noyé dans une mare. Un an plus tard, un homme fortuné succombe à une crise cardiaque dans sa maison de Londres. En 1894, c'est un cadavre atrocement mutilé qui est découvert dans un manoir de campagne du Surrey. 

Ces trois crimes liés mettent à rude épreuve le scepticisme de Sherlock Holmes à l'égard du surnaturel.




Je retrouve avec beaucoup de plaisir Sherlock Holmes sous la plume de James Lovegrove qui avait su me combler avec ses deux précédents pastiches. Si ce livre n’est pas le coup de cœur que j’avais eu avec Sherlock Holmes et le démon de Noël, j’ai tout de même passé un très bon moment avec cet ouvrage dévoré en quelques jours.



À l’inverse de ses précédents ouvrages, celui-ci se décline en trois nouvelles qui forment trois enquêtes différentes mais avec un fil rouge les reliant entre elles puisqu’elles concernent, de près ou de loin, la même famille avec ses drames et ses complexités. Ces trois terreurs d’hiver portent bien leur nom puisqu’elles font frissonner de froid de par l’ambiance hivernale qui s’en dégage mais aussi par les crimes qui ont été commis (petit avertissement pour les âmes sensibles, il est aussi question de mort d’animaux, surtout dans la première nouvelle qui contient un passage que j’ai sauté). Chaque histoire a ses propres saveurs : l’une nous entraîne dans une prestigieuse école que l’on dit hantée par une sorcière condamnée à mort des siècles de cela, la seconde se situe principalement dans le manoir d’un fortuné homme d’affaire sans scrupules hanté par les fantômes des victimes qui ont péri dans l’incendie de son usine, et la troisième nous entraîne dans la campagne anglaise dans laquelle un cannibale errerait.



Il s’agit de trois enquêtes savoureuses qui tiennent en haleine, où le coupable n’est pas toujours celui qu’on croit, où chaque détail même infime a son importance, et qui confrontent une nouvelle fois Sherlock Holmes au surnaturel. La recette reste la même que celle de La Bête des Stapleton et du Démon de Noël, même si les enquêtes semblent se diriger vers du fantastique, leurs résolutions sont terre à terre et nous prouvent que, sous le vernis du fantastique, se cache une réalité beaucoup plus logique et réaliste (même si l’auteur confronte Holmes et Watson au mythe lovecraftien de Cthulhu dans une trilogie). L’auteur a déjà utilisé cette recette pour ses romans, et c’est un élément que j’aime beaucoup. Il parvient à onduler entre le fantasme et le réel, à faire planer une atmosphère surnaturelle que la résolution purement logique ne gâte pas pour autant, logique et surnaturel s’effleurent pour ne jamais se rencontrer mais s’accordent avec brio pour nous offrir des enquêtes originales et frissonnantes.



J’ai retrouvé avec plaisir Holmes et Watson. S’ils différent quelque peu de leur version doylienne, ils sont respectés et si je déplore que Watson ait moins brillé ici, j’ai pris plaisir à le retrouver et voir ses interactions avec son ami, tout comme j’ai pris plaisir à lire ses scènes avec sa femme, Mary qui montre bien qu’elle est plus qu’une jolie femme. J’ai aimé les petites références aux autres aventures du canon holmesien mais aussi aux romans de Lovegrove lui-même, ce qui montre bien un souci de continuité de l’univers. Monsieur Lovegrove ne fait donc pas honte à Conan Doyle et son célèbre détective en lui offrant des enquêtes originales bien construites et rythmées. Encore une fois, j’ai passé un très bon moment auprès de Sherlock Holmes et du docteur Watson. J’ai frissonné de plaisir devant ces trois terreurs d’hiver.



Petit détail à m’avoir plu : l’auteur a dédié ce roman à Jeremy Brett, formidable interprète de Sherlock Holmes dans la série de Granada, en ces termes « qui fut indéniablement le meilleur Sherlock Holmes à l'écran (certains pourraient le nier, mais ils auraient tort) », avis que je partage de tout cœur !


Grayshott Grange rapetissait derrière nous. Holmes regarda autour de lui, observant les bois plongés dans l’ombre, la route de campagne défoncée et le ciel enténébré.

— Un homme peut ne pas croire au surnaturel, dit-il enfin, mais être néanmoins tourmenté par des spectres. Le regret est le fantôme qui ne connaît pas de repos. Il agite ses chaînes et chuchote sa plainte lugubre à l’oreille de sa victime chaque heure du jour, jusqu’à la mort, et il est impossible de ne pas l’écouter.

— Holmes…

— Non, dit-il d’une voix plus basse, comme s’il ne m’entendait pas, il est impossible de ne pas l’écouter.