samedi 5 octobre 2019

Carmilla - Sheridan Le Fanu.

Dans un château de la lointaine Styrie, au début du XIXe siècle, vit une jeune fille solitaire et maladive. Lorsque surgit d'un attelage accidenté près du vieux pont gothique la silhouette ravissante de Carmilla, une vie nouvelle commence pour l'héroïne.

Une étrange maladie se répand dans la région, tandis qu'une inquiétante torpeur s'empare  de celle qui bientôt ne peut plus résister à la séduction de Carmilla...

Un amour ineffable grandit entre les deux créatures, la prédatrice et sa proie, associées à tout jamais "par la plus bizarre maladie qui eût affligé un être humain".

Métaphore implacable de l'amour interdit, Carmilla envoûte jusqu'à la dernière ligne... jusqu'à la dernière goutte de sang !



Que serait un mois d'Octobre sans un peu de lecture sur les vampires ? Ecrit 25 ans avant Dracula de Bram Stoker qui a majoritairement et définitivement faire reconnaître le vampire, Carmilla est une lecture incontournable pour les amateurs de vampires et de littérature gothique.

L'histoire nous est narrée par l'héroïne, Laura, une jeune fille appartenant à une aristocratie modeste et qui vit dans un château isolé en compagnie de son père, sa gouvernante, Mme Perrodon, et de sa préceptrice, Mlle de Lafontaine. Orpheline de sa mère, Laura a vécu une vie plutôt solitaire. Ainsi, se réjouit-elle lorsque son père offre son hospitalité à une jeune fille charmante et ravissante, suite à un accident de voiture. Inexorablement attachée à sa nouvelle amie si belle et attirante qui se nomme Carmilla, Laura cherche à en apprendre plus sur elle mais Carmilla reste discrète et refuse de parler de ses origines ou de sa famille. Au fur et à mesure que le temps passe, Laura remarque les étranges habitudes de son amie : son humeur mélancolique et changeante, le fait qu'elle s'enferme dans sa chambre dès la nuit venue pour n'en ressortir que début d'après-midi... Mais, profondément attachée à son amie, Laura choisit de faire l'impasse sur ses manies. En parallèle, une étrange épidémie se répand dans la campagne avoisinante et de nombreuses jeunes filles font d'étranges rêves et finissent par mourir de langueur au bout de quelques jours. Laura, elle-aussi accablée de rêves étranges où elle finit par ressentir une étrange douleur au niveau de son cou, s'affaiblit mais tente de cacher son état de santé à son entourage... Jusqu'à l'arrivée d'un ami de son père, un général, qui racontera à Laura et son père sa triste histoire, levant le voile sur une vérité dérangeante...


Sheridan Le Fanu
(1814 - 1873)
Bien que la véritable nature de Carmilla et l'intrigue de ce récit nous semblent évidents et que l'héroïne peut nous sembler bien naïve, il faut se mettre dans la peau du lecteur du XIXe siècle en découvrant cette histoire. Dracula n'était pas encore publié, et le vampire n'était pas encore bien connu dans la littérature fantastique. Il faut donc savoir replacer ce récit dans son contexte. Certaines personnes pourront trouver ce récit intéressant mais pas inoubliable, ce que je peux comprendre. Sans égaler mon amour pour le roman de Bram Stoker, j'ai passé un agréable moment avec Carmilla. L'avantage étant que ce récit est court et se lit facilement et rapidement. On entre dans l'histoire facilement, avec l'envie de savoir ce qu'il va se passer au fil des pages. L'intrigue, si elle ne surprend pas, est bien menée, directe comme un conte ou une nouvelle. 



L'un de ses aspects, c'est son ambiance délicieusement gothique ! Château isolé, vieille chapelle, forêt sombre et mystérieuse, paysages brumeux, l'héroïne pure, innocente et naïve, un antagoniste fascinant, mystérieux et inquiétant... Tous les ingrédients du gothique sont là, pour mon plus grand plaisir, avec des descriptions parfois poétiques, illustrant une atmosphère angoissante pour l'époque, notamment à travers les indices que laisse l'auteur sur la nature surnaturelle de Carmilla. L'écriture est très fluide et j'ai été séduite par les descriptions des paysages qui entourent le château, elles sont presque poétiques et permettent de bien s'imaginer le décor et l'ambiance gothique avec ses brumes, ses lieux, ... 

La figure du vampire, telle qu'elle est perçue au XIXe siècle, est aussi illustrée dans ce récit : la beauté inhumaine, la séduction quasi-hypnotique des victimes qui deviennent alors impuissante à reconnaître le danger et qui se sentent inexorablement attirées par le vampire, la nature de prédateur, le besoin de se régénérer dans le cercueil (dans Dracula, le vampire doit se reposer avec sa terre natale, Carmilla dans une marre de sang), les moyens de tuer le vampire. A l'instar du vampire de Stoker, Carmilla n'est pas confinée qu'au monde de la nuit et peut se déplacer en journée, bien que de façon moins fréquente.

L'originalité du récit est la relation qui se noue entre Laura et Carmilla. Cette dernière ne s'en prend qu'aux femmes, plus particulièrement des jeunes filles, dont elle tombe parfois amoureuse. Elle peut se fasciner pour sa victime, se prendre d'affection pour elle (aux lecteurs de juger si cette affection est réelle ou pas, pour mieux se rapprocher de sa victime) jusqu'à en devenir possessif. Carmilla est affectueuse avec Laura à qui elle prend et serre longtemps la main, qu'elle fixe de façon insistante, devient parfois possessive avec elle et parle d'union entre l'amour et la mort. Cet extrait résume bien la relation :

"Parfois, après une heure d’apathie, mon étrange et belle compagne me prenait la main et la serrait longtemps avec tendresse ; une légère rougeur aux joues, elle fixait sur mon visage un regard plein de feu languide, en respirant si vite que corsage se soulevait et retombait au rythme de son souffle tumultueux. On eût cru voir se manifester l’ardeur d’un amant. J’en étais fort gênée car cela me semblait haïssable et pourtant irrésistible. Me dévorant des yeux, elle m’attirait vers elle, et ses lèvres brûlantes couvraient mes joues de baisers tandis qu’elle murmurait d’une voix entrecoupée : « Tu es mienne, tu seras mienne, et toi et moi nous ne ferons qu’une à jamais ! » Après quoi, elle se rejetait en arrière sur sa chaise-longue, couvrait ses yeux de ses petites mains, et me laissait toute tremblante."

Laura, elle-même, est également attirée par son amie sans partager le même amour
Art by ariannafaricella qui s'est inspirée
de l'oeuvre Le Cauchemar de Füssli (1781)
possessif, pratiquement malsain, que Carmilla a pour elle. C'est une attirance qui se fait dès le début car Laura, qui a toujours souffert de la solitude, désire plus que tout une compagnie féminine et voit en Carmilla la possibilité d'une belle et longue amitié, et a des moments d'affection avec elle, rêve de lui caresser les cheveux et de les coiffer, et la trouve belle et irrésistible. Toutefois, on s'aperçoit que Laura ressent parfois une certaine répulsion, laissant deviner un amour possessif et passionnel non réciproque. Je pense, en effet, qu'on peut se dire que Carmilla est la première vampire femme et la première à aimer que les femmes et si elle parvient à séduire et attirer Laura, celle-ci ne semble pas partager le même amour, bien qu'elle lui est très attachée et qu'elle reste à jamais hantée par Carmilla. Je trouve cette relation vraiment intéressante ! Il y a de la fascination, de la poésie, et une sensualité troublante, c'est une relation troublante, fusionnelle, passionnée et macabre que je ne peux m'empêcher de trouver fascinante ! Sheridan Le Fanu ne dit clairement pas les choses, mais laisse supposer assez !

Carmilla en elle-même étant un personnage fascinant, on comprend l'attirance de Laura, bien qu'on se doute que les pouvoirs de Carmilla y sont pour quelque chose. J'aurais aimé en savoir plus sur elle, et notamment avoir le récit complet de ce jour où elle a été transformée, et le stratagème mis en place autour de ses victimes pour s'intégrer chez une famille est bien mené et intéressant à découvrir ! Mon seul reproche est que j'aurais aimé que l'histoire soit un peu plus longue, pour continuer à développer la relation Laura/Carmilla et les origines de Carmilla, mais je pense que le récit tel qu'il est peut se suffire en lui-même.

Pour résumer : une lecture agréable bien que n'apportant rien de nouveau ou d'exceptionnel pour les lecteurs du XXIe siècle que nous sommes. Toutefois, l'ambiance gothique qui s'en dégage, la plume presque poétique de l'auteur, m'a beaucoup plu, ainsi que le personnage de la vampire, la présence d'un peu d'action (notamment en fin de récit), de mystère, et de sensualité. Un classique pour la littérature "vampirique" du XIXe siècle !

Illustration de l'édition originale par David Henry Friston (1872) qui reprend une scène du roman.


Tu ignores combien tu m’es chère ; sans quoi, tu n’imaginerais pas que je te mesure ma confiance le moins du monde. Mais je suis liée par des vœux bien plus terribles que ceux d’une nonne, et je n’ose pas encore raconter mon histoire à personne, même à toi. Pourtant le jour approche où tu sauras tout. Tu vas me juger cruelle et très égoïste, mais l’amour est toujours égoïste : d’autant plus égoïste qu’il est plus ardent. Tu ne saurais croire à quel point je suis jalouse. Tu viendras avec moi, en m’aimant jusqu’à la mort ; ou bien tu me haïras, et tu viendras avec moi quand même, en me haïssant pendant et après la mort. Dans mon apathique nature, il n’y a pas de place pour l’indifférence.

mardi 1 octobre 2019

Carnaval - Ray Celestin.

Au cœur du Sud profond, La Nouvelle-Orléans, construite sur des marécages en dessous du niveau de la mer, a toujours été aux prises avec tornades, inondations et épidémies de toutes sortes. La nature du sol en fait une cité qui s'affaisse, où les morts ne peuvent être enterrés. Alligators, serpents, araignées hantent ses marais. Nombre de menaces ont toujours plané au-dessus de la ville. Et pourtant...

Lorsqu'en 1919 un tueur en série s'attaque à ses habitants en laissant sur les lieux de ses crimes des cartes de tarot, la panique gagne peu à peu. On évoque le vaudou. Les victimes étant siciliennes, les rivalités ethniques sont exacerbées. Un policier, Michael Talbot, un journaliste, John Riley, une jeune secrétaire de l'agence Pinkerton, Ida, et un ancien policier tout juste sorti de prison, Luca D'Andrea, vont tenter de résoudre l'affaire. Mais eux aussi ont leurs secrets... 

Alors qu'un ouragan s'approche de la ville, le tueur, toujours aussi insaisissable, continue à sévir. Le chaos est proche.




Je reviens avec ma seconde lecture pour le Pumpkin Autumn Challenge, un thriller se déroulant à La Nouvelle-Orléans en 1919. Le roman s'ouvre sur une lettre de l'assassin, nommé le Tueur à la Hache, dans lequel il se prétend être un esprit, un démon, et moque l'incapacité de la police à l'attraper. Il présente aussi une étrange requête : que toute la Nouvelle-Orléans vibre, le temps d'une nuit, sous le son du jazz, qu'il adore. Si quelqu'un refuse de se prêter au jeu, il sera la prochaine victime...

Voici une façon de mettre l'ambiance dès le début ! C'est dans ce contexte que plusieurs personnages vont mener leur propre enquête, chacun de leur côté. A commencer par Michael Talbot, le policier en charge de l'enquête et considéré comme paria parmi ses supérieurs, qui mise tout sur cette dernière car sa hiérarchie n'attend qu'une chose : qu'il échoue pour lui donner un prétexte de le mettre dehors ; Ida, qui rêve de devenir plus que secrétaire dans une agence de détective ; Luca, ancien flic italien, mandaté par ses contacts de la mafia pour trouver l'assassin, afin de les discréditer de l'enquête. Chacun de ces personnages vont se rencontrer, voire se croiser sans se voir, ce que j'ai trouvé intéressant. Chaque personnage est lié à d'autres de façon directe ou indirecte.

J'ai été surprise d'apprendre que ce roman était tiré d'une histoire vraie ! Un tueur à la hache a bel et bien sévi à La Nouvelle-Orléans en 1919, réalisant des crimes à glacer le sang et sa capacité à entrer chez ses victimes sans une trace laissant supposer aux habitants qu'il s'agit d'un esprit ou bien d'un démon. Puisqu'il s'agit d'un roman et non d'un documentaire, l'auteur a pris ses libertés, notamment en ce qui concerne l'identité du tueur car celui-ci, dans la réalité, n'a jamais été retrouvé. Il est plus juste de dire que Ray Celestin s'inspire de cette histoire vraie pour créer la sienne et mettre en place une intrigue riche et dense qui met ses personnages en déroute plus d'une fois !




"Le mystérieux jazz du Tueur à la Hache"
Edition du 19 mars 1919

Car ce n'est pas seulement la violence des crimes qui surprend les policiers. Le tueur laisse des cartes de tarot sur les lieux des crimes et s'en prend plus sauvagement à ses victimes féminines que ses victimes masculines. La police et les habitants sont perplexes. Plusieurs hypothèses sont avancées. La mafia est-elle derrière tout ça en maquillant des règlements de compte en rite vaudou ? S'agit-il de la communauté noire ou d'un créole ? Le tueur agit-il seul ou suit-il les ordres de quelqu'un de plus haut placé ? On peut retrouver, à travers ces crimes, des similitudes à ceux de Jack l’Éventreur : la violence des crimes, la lettre narguant les autorités, l'absence de preuves, etc.

C'est une intrigue riche et captivante, qui offre de nombreuses surprises et des émotions ! L'enquête est admirablement menée, dense mais claire dans ses développements, ponctuée d'action qui nous donne envie de relâcher le roman qu'une fois le calme revenu ou l'histoire achevée ! 

Outre l'enquête, l'autre force du roman, c'est ses personnages. La tendresse de l'auteur pour la Nouvelle-Orléans se retrouve aussi dans ses personnages. Nous suivons plusieurs personnages différents, sans que cela ne me paraisse trop décousu : Michael Talbot, le flic intègre avec une vie personnelle secrète et une histoire particulière avec son ancien mentor, et qui a pris sous son aile un jeune Irlandais volontaire, Kerry ; Luca, un ex-flic italien, corrompu, ayant des liens avec la mafia, tout juste sorti de prison mais changé, même brisé par ses années de prison ; Riley, un journaliste apparaissant de temps en temps, qui cherche des informations inédites sur le tueur et qui n'hésite pas à se rapprocher de la police ; Ida, jeune métisse curieuse et brillante, et son ami Lewis (le futur Louis Armstrong), qui n'hésitera pas à mener de son côté sa propre enquête, désireuse de devenir détective, au lieu de son job de secrétaire ; etc. Si j'ai juste un grief à révéler, c'est que j'aurais souhaité que la relation entre [spoiler] Michael et Luca soit plus développée car il y avait beaucoup de potentiel ! Nous avons un ancien flic corrompu mais qui était attaché à son protégé, presque un ami, et Michael qui, malgré son affection pour son supérieur, l'a traîné devant les tribunaux. Ils se revoient des années plus tard, sans aucune rancune de la part de Luca, des regrets de la part de Michael. J'aurais voulu que cette relation se développe un peu plus, qu'ils travaillent ensembles de façon directe, ou qu'ils se quittent à l'amiable à la fin du roman, de façon à tourner la page en bons termes. [/spoilers]


Résultat de recherche d'images pour "nouvelle orléans bayou"
Le Bayou de La Nouvelle-Orléans, que l'on retrouve
dans le roman
En parlant de personnages, s'il y a une chose qui peut être considérée en tant que tel, c'est La Nouvelle-Orléans. Elle est le cœur de ce roman. Nous sommes baignés dans l'univers de cette Nouvelle-Orléans de 1919, nous sommes transportés dans ses rues, son carnaval, ses joueurs de jazz, son bayou, son quartier français. La Nouvelle-Orléans, c'est la musique, c'est le vaudou, c'est le mélange des cultures qui impacte la cuisine, la langue, la façon de vivre. L'auteur porte un regard doux et presque poétique sur La Nouvelle-Orléans, sans pour autant l'idéaliser car la ville a aussi ses zones d'ombre : la mafia qui gangrène le pouvoir local, la pauvreté d'une partie de la population, le racisme ancré dans les esprits, où le crime est fréquent, ainsi que la ségrégation. Ce que l'auteur nous peint, c'est une ville avec une âme, une âme rebelle et cosmopolite. Une ville à part, pas tout à fait américaine, avec plusieurs noms, qui est sans cesse imprégnée de musique. C'est un aspect du roman qui m'a beaucoup, beaucoup plu.



En bref, nous avons une panoplie de personnages principaux et secondaires intéressants à suivre, et qu'il est triste de quitter, une fois le roman terminé. L'auteur parvient à nous attacher à ses personnages et même à nous faire avoir peur pour eux, car oui : il règne une ambiance particulière dans le roman où l'on devine que même nos personnages principaux ne sont pas à l'abri du risque et qu'il peut leur arriver n'importe quoi. J'ai été surprise par le sort de certains personnages. C'est vraiment un roman plein de rebondissements et de surprises, et je pense me laisser tenter un jour par le second tome, Mascarade...


Il se dirigea vers Storyville. Il aimait bien l'ancien Quartier rouge, qui avait du caractère et un côté tapageur qu'il n'avait jamais vu à Dublin. A un carrefour, il entendit de la musique d'église et, trouvant cela incongru, il se dirigea vers sa source. C'était un groupe de femmes mûres, façon Armée du Salut, qui manifestaient en faveur de la tempérance. Il s'arrêta pour regarder un moment le spectacle de ces femmes qui chantaient et brandissaient leurs banderoles. Kerry avait bien compris qu'à La Nouvelle-Orléans rien ne pouvait avoir lieu sans musique, qu'il s'agisse de manifestations ou d'enterrements, de carrioles publicitaires ou de camelots écoulant leurs marchandises dans les rues. Les habitants de La Nouvelle-Orléans n'étaient heureux que quand il y avait de la musique.

🎃 Pumpkin Autumn Challenge 🎃

💀 Automne Frissonnant 💀

Résultat de recherche d'images pour "loupe détective"

Tu n'en reviendras pas !
(Horreur, Épouvante, Thriller, Policier, etc)