vendredi 28 juillet 2023

Rebecca - Daphné du Maurier.


Sur Manderley, superbe demeure de l'ouest de l'Angleterre, aux atours victoriens, planent l'angoisse, le doute : la nouvelle épouse de Maximilien de Winter, frêle et innocente jeune femme, réussira-t-elle à se substituer à l'ancienne madame de Winter, morte noyée quelque temps auparavant ? 

Daphné du Maurier plonge chaque page de son roman - popularisé par le film d'Hitchcock - dans une ambiance insoutenable, filigranée par un suspense admirablement distillé, touche après touche, comme pour mieux conserver à chaque nouvelle scène son rythme haletant, pour ne pas dire sa cadence infernale. 

Un récit d'une étrange rivalité entre une vivante - la nouvelle madame de Winter - et le fantôme d'une défunte, qui hante Maximilien, exerçant sur lui une psychose, dont un analyste aurait bien du mal à dessiner les contours avec certitude.



J’ai rêvé la nuit dernière que je retournais à Manderley.


C’est l’histoire d’une jeune orpheline qui exerce comme dame de compagnie à une employeuse qu’elle a bien du mal à satisfaire. Un jour, elle rencontre Maxime de Winter, beau, riche et veuf, pendant leur séjour à Monte Carlo. Une idylle naît entre eux et, très vite, Maxime lui demande sa main en mariage et ils profitent d’une lune de miel tranquille en Italie avant de ramener sa jeune épouse dans sa belle et ancestrale demeure à Manderley, au sud de l’Angleterre. Jusqu’ici, cette histoire a des airs de conte de fées, mais notre narratrice va vite s’apercevoir que sa belle histoire va s’accompagner de touches bien amères alors qu’elle découvre l’emprunte encore vive de Rebecca, la précédente Mrs de Winter sur Manderley et ses occupants.



J’avais déjà vu au préalable l’adaptation de 2020 ainsi que le musical allemand, ainsi l’histoire n’a pas eu de mystère pour moi. Cela dit, ce sont les adaptations qui m’ont poussé à découvrir le roman d’origine, ce que je ne regrette pas tant la lecture fut addictive ! La plume de Daphné du Maurier est exquise, elle n’a pas son pareil pour décrire l’être humain dans toute sa complexité, pour construire une intrigue maîtrisée et nous fournir une ambiance pesante, voire gothique.



L’histoire commence sur un ton léger, sous le soleil de Monte Carlo, alors que la narratrice et Mr de Winter font connaissance puis passent leurs journées ensemble. Lui qui était si sombre semble retrouver le sourire face à la naïveté toute enfantine de celle qui deviendra sa seconde épouse. Puis, tout change lorsque le jeune couple arrive à Manderley. Tout au sein de l’illustre demeure rappelle Rebecca. La maison a été décorée selon son goût, les domestiques continuent de faire les choses à la façon dont elle le désirait et toute l’aile ouest, où elle logeait, garde les empruntes de l’épouse disparue. Tout a été laissé à l’identique dans sa chambre, comme un musée à son honneur. Au sein du manoir et dans la région alentour, on ne parle que de RebeccaRebecca et ses longs et magnifiques cheveux, Rebecca qui savait si bien entretenir ses hôtes, Rebecca qui excellait à l’équitation et naviguait avec brio, Rebecca et son sourire, qui charmait chaque personne qu’elle rencontrait. Tout ne semble être que perfection chez Rebecca et Rebecca est le sujet sur toutes les bouches.



La narratrice : I didn't sign up for this!


La narratrice se rend compte, plus que jamais, de l’influence que Rebecca avait et combien elle n’est pas ce à quoi l’entourage de son mari, ainsi que les domestiques et locaux, s’attendaient. De nombreux non-dits, sous-entendus et comparaisons font que la narratrice se fait une idée sur qui était Rebecca et qu’elle se sente progressivement inférieure à elle, gauche et insignifiante. Il faut dire qu’elle entre dans un monde qui lui est inconnu, d’autant plus que ses origines sont très modestes à l’inverse de son époux bien né, et elle craint de ne pas être à sa place et de ne pas savoir bien faire les choses. Elle n’a pas l’assurance qu’elle souhaiterait avoir et le faste de Manderley qu’on attend d’elle lui pèse. Pour ne pas déplaire, elle décide de ne rien changer à Manderley et de ne pas effacer la présence de la si regrettée Rebecca. Son mari n’est pas d’une grande aide, se fermant à sa jeune épouse dès qu’elle tente d’en savoir plus sur sa vie d’avant et sur Rebecca.



J’ai beaucoup aimé suivre notre héroïne. Pourtant, nous savons si peu de choses sur elle. Nous ignorons son nom (on sait juste qu’elle a un prénom assez inhabituel), son âge (hormis le fait qu’elle soit jeune), son passé (juste qu’elle est orpheline). C’est une jeune femme timide, maladroite, douce, effacée et qui manque cruellement de confiance en elle (trop, diront certains). Elle tente de se faire une place à Manderley mais semble accumuler les maladresses et craint que son mari pense encore à sa première épouse et regrette de l’avoir épouse, elle. Il faut dire que le comportement des gens autour d’elle l’intrigue tout comme cela l’angoisse progressivement. Elle est influençable et interprète la moindre chose avec une tendance à s’imaginer les pires scénarios… parfois à l’extrême (son mari est en retard, elle s’imagine qu’il a eu un accident sur la route et se voit déjà veuve ; elle passe devant des gens qui éclatent de rire, elle s’imagine qu’ils se moquent d’elle car elle n’est pas comme Rebecca, etc), et j’avoue m’être reconnue plus d’une fois en elle mais, je l’espère, que je n’ai jamais été aussi loin dans ma proportion à me faire des films ! Fort heureusement, notre héroïne va savoir évoluer et gagner peu à peu en assurance et s’imposer comme Mrs de Winter, la nouvelle maîtresse de maison et une femme sur laquelle sa famille peut compter en toute circonstance. Ce fut un plaisir de voir son évolution !



Le personnage de Maxime est intriguant, on ne sait pas toujours sur quel pied danser avec lui. Il est tantôt froid et distant, tantôt colérique, tantôt calme. C’est un homme avec un sombre vécu qui veut à tout prix s’éloigner d’un passé qui ne cesse de le hanter et cela l’empêche parfois de témoigner de l’affection à sa jeune épouse. Il peut toutefois être très tendre avec elle, tout comme il peut être assez paternaliste. J’ai beaucoup aimé le personnage de Frank, domestique et ami de longue date de Maxime, ainsi que Béatrice, la sœur de Maxime, qui ne mâche pas ses mots, qui est vigoureuse, franche et parfois rentre-dedans mais qui a bon cœur et qui s’attache à la narratrice.




Rebecca a connu de nombreuses adaptations sur petit et grand écran, au théâtre comme
sur la scène musicale. La plus connue étant le film d'Hitchcock (1963) et la plus récente
étant celle de Netflix (2020)


Je ne peux pas parler du roman sans parler de Mrs Danvers, la gouvernante ainsi que l’ancienne dame de compagnie de Rebecca, toujours vêtue de noir avec un chignon serré. Elle voue un véritable culte à sa maîtresse et ne s’est jamais remise de sa disparition. Son attitude envers la nouvelle Mrs de Winter est glaciale, elle n’aura de cesse de faire comprendre à celle qu’elle considère comme une usurpatrice qu’elle est bien en-dessous de Rebecca et qu’elle n’a rien à faire à Manderley. Son animosité envers la narratrice ainsi que sa dévotion presque religieuse à Rebecca la font parfois s’approcher de la folie. C’est un personnage complètement dérangée et elle nous inspire de la répulsion mais aussi de la curiosité car c’est un bien étrange animal, cette Mrs Danvers.



Évidemment, la grande absente du roman mais qui brille paradoxalement par son omniprésence, c’est Rebecca. Bien que morte, son aura et sa personnalité ont marqué les lieux et les esprits.  Son ombre plane sur Manderley et le couple, à tel point que la narratrice souffre d’un complexe d’infériorité et finit par douter même de la réussite de son mariage... Même un an après sa mort, tout le monde continue de parler de Rebecca et de la regretter. Il faut dire qu’elle a disparu de façon brutale et dans des circonstances tragiques. L’affaire de sa mort a été close comme étant une mort accidentelle, mais de nouveaux événements vont amener à rouvrir le dossier, donnant à la narratrice l’occasion de voir se dévoiler peu à peu la véritable personnalité de Rebecca et les véritables circonstances de sa disparitions. Même après sa mort, Rebecca n’a pas fini de surprendre !



Le roman alterne entre description de la vie quotidienne de la nouvelle Mrs de Winter et une enquête pour lever le voile sur les circonstances de la mort de Rebecca, le tout avec Manderley comme cadre, cette ancienne demeure au bord de la mer, fleurie à outrance, avec ses fêtes inoubliables. L’intrigue, qui commençait sous des tons légers, devient progressivement lourde, pesante, étouffante. Le suspens monte crescendo. Daphné du Maurier décrit à la perfection les peurs psychologiques de son héroïne et la personnalité perverse de Rebecca qu’elle a su dissimuler avec une efficacité diabolique. J’ai vraiment été  happée par l'histoire et ses rebondissements. J'ai marché sur les traces de Rebecca autant que la narratrice, avec la curiosité malsaine et pourtant légitime de tout découvrir sur elle... 



Si je devais relever un bémol, c’est la fin brutale. Il m’a fallu relire le début du roman pour me remémorer la suite des événements (l’histoire nous est narrée par notre héroïne après les événements du roman) et même ici, ce n’est pas évident de comprendre [spoiler] que l’incendie de Manderley était criminel mais sans deviner avec exactitude qui en est l’auteur [/spoiler]Toutefois, ce fut un classique que j’ai pris beaucoup de plaisir à lire et qu’il y a tant de choses à dire et à retenir sur ce roman, mais ma critique étant déjà bien assez longue, je n’en dirais pas plus !


Il se tourna vers moi.  
« Tout à l'heure, vous avez parlé d'une invention, un procédé pour capturer les souvenirs. Vous m'avez dit que vous voudriez pouvoir revivre le passé quand bon vous semble. Je crains de ne pas voir tout à fait les choses comme vous. Mes souvenirs sont amers, et je préfère les ignorer. 
Un événement s'est produit il y a un an qui a bouleversé ma vie, et je veux oublier chaque phase de mon existence jusqu'à cette date-là. Cette époque est terminée. Rayée de ma mémoire. Je dois repartir à zéro. Le jour de notre rencontre, votre Mme Van Hopper m'a demandé pourquoi je venais à Monte Carlo. Ces souvenirs que vous rêvez de ressusciter, son indiscrétion les a étouffés. Il arrive qu'ils s'échappent quand même, bien-sûr : parfois le parfum est trop puissant pour le flacon, et trop puissant pour moi. Le démon que j'ai en moi, comme un voyeur perfide, essaie d'arracher le bouchon. C'est ce qui s'est passé lors de notre première sortie ensemble. Quand nous sommes montés dans les collines et que nous avons regardé le précipice. J'étais déjà venu là, il y a quelques années, avec ma femme. 
Vous m'avez demandé si l'endroit était toujours pareil, ou s'il avait changé. Il était exactement pareil, mais, à mon grand plaisir, les lieux m'ont laissé froid. Rien ne m'évoquait la fois précédente. Aucune trace de notre passage à elle et moi. Peut-être parce que vous étiez là. Vous savez, vous m'avez fait oublier le passé bien plus efficacement que toutes les attractions de Monte Carlo. Sans vous, je serais parti depuis longtemps, pour l'Italie, la Grèce, peut-être plus loin encore. Vous m'avez épargné toutes ces errances. »

dimanche 23 juillet 2023

Contes des royaumes oubliés (T.3) La sirène aux écailles d'or - Isabelle Lesteplume.


Il était une fois une tempête, un naufrage et un jeune homme retrouvé sur le rivage.

Il était une fois un prince sirène prêt à tout pour devenir humain.

Il était une fois un magicien au cœur brisé.

Embarqués par un coup du sort dans une chasse au trésor, ils sont loin de se douter de la menace qui plane. Mais quels liens pourraient avoir une cité engloutie, une perle ensorcelée, une bande d’insaisissables pirates et une arme légendaire ?

Au-delà des mensonges, Caleb, Erël et Abysse devront trouver toutes les réponses avant qu’il ne soit trop tard...

Car toutes les histoires possèdent un fond de vérité. Et certains mystères ne devraient jamais être dévoilés.



C’est l’histoire d’une sirène à la voix d’or, aux cheveux rouges et aux nageoires vertes qui sauve un jeune prince d’un naufrage, et qui va conclure un pacte avec un sorcier des mers, troquant sa voix et sa queue de poisson pour des jambes et une chance de vivre parmi les humains qui le fascinent tant. Non, ce n’est pas l’histoire d’Ariel mais celle d’Erël et, bien que même leurs noms se ressemblent, l’auteure nous embarque dans une aventure bien différente que celle à laquelle on s’attend au départ !



Je n’étais pourtant pas convaincue au début. Le second chapitre à peine fini qu’Erël avait déjà obtenu ses jambes pour rejoindre le monde des humains. Autant le conte et l’adaptation de Disney avaient pris plus de temps à mettre en place le décor et apporter un peu de développement à la sirène pour montrer que son désir d’être humaine n’est pas sortie de nulle part, ici Erël semble avoir agi spontanément et même assez inconsciemment. Un jour il sauve un humain et en tombe amoureux, le lendemain il s’en va changer radicalement le cour de sa vie. Bien que l’on s’aperçoive, au fil de l’intrigue, que la décision d’Erël est au final compréhensive compte-tenu de son vécu (sa passion pour le monde des humains et le traumatisme lié aux années de maltraitance causées par son tyran de mère), au tout début Erël nous semble vraiment être un personnage inconscient et naïf qui agi sans réfléchir. On peut comprendre le mépris que le sorcier des mers, Abysse, a d’emblée pour Erël qu’il considère comme inconscient et stupide.



Erël a pourtant une meilleure place dans mon estime que le prince Caleb qui ne semble pas avoir grandi mentalement. Il est toujours impatient, il ne tient pas en place, est incapable de se concentrer quand il est en réunion, il tape des mains lorsqu’il est content, il faut le surveiller sans cesse sinon il s’enfuit pour aller s’amuser de son côté, il dénigre son rôle de prince et veut devenir aventurier, voire même pirate, et même lorsque des pirates attaquent son royaume, il s’en émerveille au lieu de s’inquiéter pour ses sujets. Ce n’est vraiment qu’à la toute fin où il semble gagner un peu en maturité. Enfin, ne lui jetons pas la pierre à ce garçon, je lui reconnais des qualités. Sans se soucier des ragots et des à priori, il préfère se faire son opinion lui-même et ne juge jamais une personne avant de la connaître, il sait parfois se rendre attachant et j’ai beaucoup aimé la dynamique avec sa sœur Albane.



Je dois pourtant avouer que, dans notre trio de personnages, ce sont les sirènes qui m’ont fait meilleure impression et qui ont su capter mon intérêt. Si Erël peut être sensible, naïf et pas toujours débrouillard, sa vulnérabilité est touchante et c’est un jeune homme passionné par ce qu’il fait et par le monde qui l’entoure, et son vécu nous le rend que plus touchant compte-tenu de ses traumatismes.



Cependant, la star du roman, c’est bien Abysse, magicien des mers, sirène ostracisée pour avoir les yeux et les nageoires dorés, et personnage énigmatique. C’est un personnage cynique, désabusé, parfois froid, qui ne porte pas un regard tendre sur le monde et encore moins sur lui-même. Il a vécu son lot de malheurs par la faute des autres, si bien qu’il s’est forgé une carapace pour se protéger du monde, empêchant les autres d’apercevoir sa véritable personnalité. Vous vous doutez bien que, tout le long du roman, sa précieuse carapace va se fissurer peu à peu et qu’il va apprendre à s’ouvrir doucement au monde, à aimer et se faire aimer en retour, et devenir moins cynique et froid, tout en gardant un humour parfois mordant mais jamais méchant. Il faut croire que j’ai un faible pour ce genre de personnage (ce fut le cas pour Silas dans Le beau et la bête). J’ai aimé le découvrir peu à peu et voir se dévoiler son passé au fil de l’intrigue.



Nous suivons donc ces trois personnages tout au long du roman, sans pouvoir dire au départ quel couple se formera ou si un triangle amoureux va se mettre en place. Ces personnages vont se côtoyer chaque jour, vivre des aventures, braver des dangers, apprendre à se connaître au-delà des idées que l’un a pu se faire sur l’autre, et à s’apprivoiser, si bien qu’ils vont devenir indissociables et que l’un sans les autres semble tout simplement inconcevable. L’auteure m’aura surpris sur ce point en nous offrant un ménage à trois, ou un trouple comme on les appelle également, entre nos personnages, ce que je n’avais jamais vu jusqu’alors dans une fiction. Malgré mes critiques sur Caleb, ces trois personnages forment une dynamique intéressante et attachante et j’ai suivi leur évolution, tant sur le plan personnel que relationnel, avec intérêt, et j’étais curieuse de voir comment les secrets d’Erël et d’Abysse allaient éclater au grand jour et comment cela allait affecter le trio.



L’intrigue en elle-même n’est pas en reste. À l’instar des tomes précédents, l’auteure a su reprendre les bases du contes tout en développant une histoire inédite et y apporter sa touche. Alors qu’elle s’était penchée sur le mythe de la fontaine de jouvence dans Le beau et la bête, elle s’intéresse ici au mythe de l’Atlantide et en nous offrant un décor steampunk, si bien que l’histoire semble se dérouler dans un univers intemporel.



À l’instar de nos personnages, j’ai suivi avec intérêt l’histoire de l’Atlantide, cette cité antique perdue où humains et sirènes vivaient en parfaite harmonie, jusqu’à ce que la soif de pouvoir n’ait corrompu ses habitants et que l’Atlantide se soit auto-détruite. Il y a de nombreux aspects très intéressants autour de l’histoire et l’origine de la chute de l’Atlantide et les sirènes en elles-mêmes qui renferment une forme de magie, les raisons de l’ostracisme envers les sirènes à queue dorée. L’auteure sait construire des intrigues intéressantes et qui tiennent en haleine. Je déplore cependant le fait que la fin soit précipitée, comme ce fut le cas avec les tomes de cette série. Malgré tout, les romans de l’auteure se lisent avec beaucoup de fluidité et beaucoup de plaisir.



En résumé, une revisite intéressante de La Petite Sirène qui se mêle au mythe de l’Atlantide. Malgré une fin précipitée et un prince qui a le plus souvent la personnalité d’un gamin que celle d’un prince adulte, l’auteure nous offre un trio intéressant et attachant à suivre, et une intrigue intéressante.


Les musiciens avaient accéléré le rythme et quelques couples improvisaient avec entrain, supportés par un public enthousiaste. Caleb savait que dès que ses parents arriveraient, la musique redeviendrait sage, guindée, et ne put s’empêcher de le regretter. Car Erël était… Erël était magnifique. Était-ce possible d’être si souple, si gracile. Où était le jeune homme maladroit qui trébuchait sur ses propres pas ? La façon dont il bougeait ses jambes, son bassin et ses bras donnait presque l’impression qu’il était en train de nager, flottant à quelques centimètres du sol, si léger… 

Abysse, tout aussi fasciné, suivait les dessins quasi hypnotiques de la chevelure enflammée d’Erël, dont la longue natte traçait le sillage du moindre de ses mouvements. Tout dans sa façon de danser trahissait ses origines sous-marines, et pourtant… Le magicien réalisa, un peu surpris de ne pas l’avoir compris plus tôt, qu’Erël aimait être humain. Contrairement à lui, qui commençait à avoir ses jambes en horreur, il ne regrettait ni la mer, ni sa queue de poisson : ce corps était réellement le sien et non une peau d’emprunt.

lundi 10 juillet 2023

Le Roman de la Momie - Théophile Gautier.


Pharaon aime Tahoser qui aime Poëri. C'est à son retour d'Éthiopie que Pharaon porte un regard chargé de volupté sur la fille du grand prêtre. Lui qui rentre couvert de gloire, lui qui n'a plus rien à désirer du monde, roi, presque Dieu, se sent soudain esclave de la jeune Égyptienne. 

Mais Tahoser, merveille de beauté et de grâce, se languit d'un jeune homme aux prunelles sombres qu'elle a entrevu sur la terrasse luxuriante d'une maison. Aussi n'hésite-t-elle pas à se dépouiller de toute sa splendeur pour conquérir le cœur de Poëri l'exilé, l'Hébreu... 

Fastueuse histoire d'amour qu'un jeune lord anglais découvre dans le papyrus d'une tombe inviolée de la vallée des Rois. Ci-gît, avec encore toute l'apparence de la vie, une jeune femme morte depuis plus de trente siècle.



Décidément, entre la momie d’Anne Rice et celle de Théophile Gautier, les momies ne sont pas l’unanimité chez moi !


Le roman avait pourtant tous les ingrédients à sa disposition pour me plaire. Le cadre de l’Égypte antique, le mystère autour de la vie d’une momie qui se dévoile peu à peu, des références bibliques.


Au final, ce fut une victoire que de parvenir à achever ce roman. J’ai eu beaucoup de mal à avancer, ce n’est qu’à partir de la page 160 de mon édition que je suis parvenue à véritablement entrer dans l’histoire et me laisser entraîner par elle. J’attendais désespérément que quelque chose se produise, histoire de ne pas finir assommée par tant de descriptions, un point qui m’a d’ailleurs surpris car je n’avais pas eu cette impression avec La Morte Amoureuse. À croire que l’auteur a amassé tout ce qu’il pouvait en connaissances sur l’Égypte antique (ses monuments, les vêtements, chaussures, bijoux, etc) pour en tartiner son roman et faire ainsi rêver ses contemporains.


Les premières pages nous plongent en plein milieu du XIXe siècle. Un jeune aristocrate anglais, Lord Evandale, et un égyptologue allemand, le docteur Rumphius, explorent une tombe inviolée grâce à l'aide d'un escroc grec dénommé Argyropoulos. Ils y découvrent le sarcophage d’un pharaon mais, lorsqu’ils l’ouvrent, ils découvrent non pas le pharaon reposant pour l’éternité mais la momie parfaitement bien conservée d’une jeune femme de grande beauté. Près de la momie, un papyrus que le Dr Rumphius va déchiffrer, révélant les secrets de l’histoire de cette mystérieuse jeune femme, Tahoser.


L’écriture est indéniablement belle, riche, esthétique mais le récit est vraiment noyé par de trop nombreuses descriptions et de phrases longues. L’auteur est vraiment très perfectionniste et minutieux dans son écriture, rien n’échappe à sa plume. Tout est décrit dans les moindres détails. Le pharaon entre dans une pièce ? Description de A à Z de la pièce, son décor, description du physique, des bijoux et des vêtements des danseuses ou des serviteurs et, ce, sur plusieurs pages. L’héroïne va d’un point A à un point B ? Longues descriptions des lieux qu’elle traverse. Bref, le récit est trop descriptif à mon goût et si je reconnais toute la beauté et la richesse de l’écriture, l’avancée dans le récit fut vraiment très laborieuse, surtout pendant la première moitié du roman.



Le démaillotage de la momie de Tahoser, par Alex Lunois (1901)
35 siècles après et pas une seule ride !

Ce n’est que lorsque Tahoser décide de fuir son palais pour aller à la rencontre de Poëri que le récit prend une autre dimension. Si l’auteur reste toujours dans la description, l’action commence à s’installer de plus en plus avec la tension amoureuse entre Tahoser, Pharaon et Poëri, et que les références bibliques n’apparaissent à travers l’histoire de Moïse.


Pourtant, le paradoxe est que j’ai été à la fois assommée par les nombreuses descriptions mais qu’elle a su me charmer à certains moments. On ne peut nier la volonté de l’auteur de nous transporter ailleurs le temps de son récit, de nous faire rêver et voyager, de nous présenter une Égypte antique aussi fidèle possible et aussi vraie que nature. Si l’omniprésence et la longueur des descriptions a eu raison du charme qui avait opéré chez moi, je ne peux nier que l’auteur a réussi malgré tout. Si j’ai achevé le roman, l’Égypte antique demeure présente dans mes pensées et je ne demande qu’à replonger dans un autre ouvrage sur cette fascinante époque. Vous comprenez pourquoi je parle de paradoxe ?


Le roman de la momie n’est pas qu’un condensé de descriptions sur l’Égypte antique. Il y a de la romance et de la tragédie à la clé ! Courant romantique oblige, on découvre la thématique du triangle amoureux. Tahoser, fille d’un grand prêtre d’Égypte, n’a que seize ans lorsqu’elle tombe amoureuse d’un homme plus âgé qu’elle : Poëri. Or, ce dernier n’appartient pas à la même classe sociale et au même peuple qu’elle car Tahoser est Égyptienne et Poëri est Juif. Autre obstacle, il aime Ra’hel d’un amour partagé. Alors que Tahoser se languit de son aimé, désespérant qu’il la remarque un jour, elle est remarquée elle-même, sans le savoir, par le pharaon qui n’aura de cesse de la faire chercher dans toute l’Égypte.


Les personnages sont efficaces sans pour autant être mémorables. Pharaon est un poil obsédé et colérique, mais beau parleur tout de même, avouons-le. Tahoser est plutôt moderne pour son époque. Elle ne reste pas dans l’inaction et cherche à prendre en main son destin et de la faire avancer, elle essaye de changer sa vie. Même lorsqu’elle se soumet au désir de pharaon, elle n’est forcée en rien et il attend patiemment son amour. Ce n’est lorsque pharaon se dévoile davantage comme humain que comme divinité vivante qu’elle commence à l’aimer. Le récit n’en demeure pas moins tragique pour autant. Ra’hel a une personnalité assez attachante et Poëri remplit bien son rôle.


Le récit biblique s’incorpore bien à l’histoire égyptienne et nous (re)découvrons à travers Tahoser l’histoire de Moïse, les plaies d’Égypte et l’exode des Juifs hors d’Égypte et peu à peu les morceaux se recollent concernant l’histoire de Tahoser par rapport à ce que nous avons découvert au début du roman.


Le roman de la momie est un classique dont la lecture fut laborieuse, toutefois je suis finalement contente de l’avoir découvert. Si l’auteur est très pointilleux dans son récit, nous offrant des descriptions à n’en plus finir, il est malgré tout parvenu à me faire voyager et à m’entraîner dans l’histoire, bien que ce fut long à démarrer !


« – Et si j’en aimais un autre ?”

Pharaon mordit violemment sa lèvre inférieure ; puis il se calma et dit d’une voix lente et profonde :

“Quand tu auras vécu dans ce palais, au milieu de ce splendeurs, entourée de l’atmosphère de mon amour, tu oublieras tout. Ta vie passée semblera un rêve ; la femme aimée d’un roi ne se souvient plus des hommes. Va, viens, accoutume-toi, commande, fais, défais ; je te donne l’Égypte. Si le monde ne te suffit pas, je conquerrai des planètes, je détrônerai les dieux. Tu es celle que j’aime. Tahoser, la fille de Pétamounoph, n’existe plus.” »