lundi 28 septembre 2020

L'arbre d'Halloween - Ray Bradbury.


Lorsqu'ils frappent à la porte de Montsuaire pour réclamer des bonbons, Tom et ses copains déguisés en zombies ne savent rien de ce qui les attend... Commence alors un fabuleux voyage dans l'espace et le temps... Une quête fantastique et poétique des origines d'Halloween...

"Tout a commencé quand ? En Egypte, il y a quatre millénaires, pour célébrer l'anniversaire de la mort du soleil ? Ou des millions d'années plus tôt, devant les feux nocturnes allumés par les hommes des cavernes ? Ou dans le ciel de Paris, là où d'étranges créatures sont venues se pétrifier pour devenir les gargouilles de Notre-Dame ?"


Octobre approche à grands pas et j'avais envie d'une lecture sur Halloween pour me mettre dans l'ambiance. Encouragée par les critiques positives autour de ce roman, je me suis empressée de l'emprunter en médiathèque. Malheureusement, la magie d'Halloween de ce roman n'a pas fonctionné sur moi.

Tout commence un soir d'Halloween, Tom et sa bande d'amis, tous déguisés en gargouille, sorcière, momie, squelette, etc, s'apprêtent à partir à la chasse aux bonbons. Seulement, Pipkin, leur ami, est étrangement absent. En allant à sa rencontre, Pipkin rassure ses amis : ce n'est qu'un léger retard, et il leur donne rendez-vous devant une maison bien particulière où se trouve un arbre à citrouille ! Pris par surprise par le propriétaire des lieux, Montsuaire, Tom et ses amis voient Pipkin disparaître devant leurs yeux, comme par magie ! Accompagnés de Montsuaire, Tom et la bande vont faire un voyage à travers le temps afin de retrouver la trace de leur ami et en apprendre plus sur Halloween...

Le concept de base est intéressant : il s'agit à la fois d'une aventure à travers le temps pour retrouver un ami, mais aussi une opportunité de découvrir les origines de la fête d'Halloween. Il y a de quoi faire ! J'ai pensé à la fête de Samhain chez les Celtes, la Toussaint et la fête des morts célébrée de façon différentes à travers le monde comme El Dia de los Muertos, la légende de Jack O'Lantern, l'importation de la fête en Amérique et comment Halloween est devenue la fête telle qu'on la connaît de nos jours. Dans cet aspect-là, j'ai à la fois été satisfaite et déçue. Déçue car le roman ne retrace pas tout à fait toutes les origines d'Halloween. Il n'est pas question de Jack O'Lantern et de la popularité de cette fête aux Etats-Unis, et si des éléments propres aux origines d'Halloween sont évoqués dans ce roman, l'auteur nous raconte aussi l'embaumement des momies, les gargouilles de Notre Dame, des choses qui m'ont semblé plutôt éloignées d'Halloween. Toutefois, j'ai pris plaisir à voyager à travers l'histoire et découvrir diverses célébrations : celles des morts dans l'Antiquité, El Dia de los Muertos, l'inquiétant Samhain qui fera trembler Tom et sa joyeuse bande et s'il est question de momies, de sorcières et de gargouilles, c'est une façon pour Montsuaire d'expliquer aux enfants en quoi le choix de leur déguisement n'est pas si anodin qu'il en a l'air.

J'ai aimé le personnage de Montsuaire, étrange et énigmatique, ainsi que son rôle de mentor et d'accompagnateur auprès de Tom et ses amis. Ceux-ci m'ont laissé plutôt indifférentes, mais j'étais tout de même curieuse de voir leur parcours pour retrouver leur ami disparu et ce qu'il allait advenir de Pipkin.

J'ai toutefois eu du mal avec ce roman, surtout au début car je n'ai pas l'habitude de l'écriture de l'auteur, de son style de tournures et son vocabulaire soutenu. Le roman relate des passages parfois compliqués à visualiser et, à force de métaphores et de phrases poétiques, on finit par s'emmêler les pinceaux et ne plus savoir ce qu'a voulu dire l'auteur. D'autres lecteurs ont, cependant, beaucoup apprécié le style poétique et imagé de l'auteur. J'imagine que, pour ce style, ça passe ou ça casse et ça a eu du mal à passer chez moi, d'autant plus que j'ai trouvé que le récit était assez précipité et partait dans tous les sens, et qui aurait mérité d'exploiter davantage les différents éléments liés de façon directe ou indirecte à Halloween car les événements se sont enchaînés de façon rapide, et plus de précisions sur les mœurs et coutumes de certaines époques auraient été la bienvenue, car ce voyage sur les origines d'Halloween et de la fête des morts est l'aspect le plus intéressant du roman, même si chaque aventure était d'intérêt inégal. J'ai mieux, par exemple, apprécié la partie du Samhain, sur les catacombes de Paris et sur el Dia de los Muertos. Petit truc qui m'a aussi hérissé les cheveux, lorsque l'auteur, à travers Montsuaire, décrit le Moyen Âge comme une période obscure et d'ignorance, alors qu'il s'agit purement d'un cliché, mais ce n'est pas mon principal grief concernant ce roman.

Toutefois, je trouve le concept intéressant et l'histoire pourrait bien rendre en animation, et l'auteur nous fait part d'une réflexion intéressante sur la vie et la mort qui se complètent et ne sont pas deux choses éloignées. Le roman est court, donc il permet une lecture plutôt rapide, mais il ne m'a malheureusement pas totalement convaincu. Dommage...

"- Samhain, Dieu des Morts ! clame la voix dans le brouillard. Je fauche et je moissonne, j'arrache et je tronçonne !" Ssss... woushhhh ! "Tous ceux qui depuis l'an dernier ont péri sont ici ! Et, en punition de leurs mauvaises actions, ils seront changés ce soir en animaux !"
Ssssswoummmmmm !
[...] Et des blés malmenés les esprits des défunts de l'année s'évadent, averse de cris qui asperge le sol. À l'instant même de le toucher ils se transforment en bêtes : ânes, poules et serpent qui braient, caquettent et décampent ; chiens, chats et vaches qui aboient, feulent et mugissent. Mais ils sont tous en miniature. Rapetissés, amoindris, rabougris, pas plus gros que des vers de terre, des doigts de pied, des bouts de nez raccourcis. Par milliers les épis de blé tourbillonnent comme la neige et retombent sous forme d'araignées qui, sans pouvoir implorer grâce, se dispersent dans l'herbe et grouillent sur les gamins.

mercredi 23 septembre 2020

L'étrange cas du Dr Jekyll et de M. Hyde - Robert Louis Stevenson.


Comment l'excellent docteur Jekyll, éminent scientifique et membre de la meilleure société londonienne, a-t-il pu se lier avec M. Hyde, un homme violent et sans éducation ?

Ses amis s'inquiètent : n'a-t-on pas vu le sinistre M. Hyde se glisser, aux petites heures du matin, chez le docteur, en utilisant sa propre clef ?

Il ne fait aucun doute que le docteur Jekyll cache un effroyable secret...



Ce roman s'est toujours présenté comme l'une de ces célèbres histoires que je me devais de découvrir un jour, sans avoir eu la motivation pour le faire. Je profite du Pumpkin Autumn Challenge pour découvrir enfin ce classique, ce dernier me paraissant approprié pour le sous-menu "Métamorphose".

L'histoire commence avec Gabriel Utterson, un notaire londonnien, qui se promène un soir avec son cousin éloigné Enfield. Alors qu'ils passent devant une étrange demeure, Enfield raconte à Utterson une histoire dont il fut le témoin : alors qu'il rentrait chez lui, Enfield aperçoit une petite fille courant dans la rue ainsi qu'un homme d'aspect répugnant qui finissent par se heurter. Simple accident, sauf que l'homme piétine la fillette sans pitié avant de poursuivre sa route, sauf que l'événement finit par attirer la foule, dont fait partie les parents de la fillette. L'individu, qui s'est présenté comme étant Edward Hyde, décide de rentrer chez lui avant d'offrir un chèque de dédommagement aux parents. Utterson reconnaît avec stupéfaction la maison comme étant celle de son ami, le Dr Henry Jekyll. Troublé par cette histoire, il décide de relire le testament que Jekyll lui avait donné et constate que tous les biens du docteur, s'il venait à lui arriver quelque chose, seraient restitués à Edward Hyde. Utterson s'inquiète face à cette étrange association entre son ami, un homme irréprochable, et un homme aussi violent que ce Mr Hyde et s'interroge : son ami serait-il victime du chantage et des mauvaises mœurs de Hyde ? Utterson décide d'en savoir plus sur cette sombre affaire et mène une enquête personnelle...

L'étrange cas du Dr Jekyll et de Mr Hyde est une histoire que nous connaissons pratiquement tous et toutes sans l'avoir nécessairement lu. C'est un récit culturellement reconnu depuis le début (la première adaptation date de 1908 !). J'avais en tête l'image du Dr Jekyll buvant le contenu d'une fiole avant de se transformer en homme d'apparence monstrueuse. Cependant, j'ignorais la structure fantastique de l'histoire, ses personnages (outre le docteur et son alter-égo), le suspense ainsi que l'idée philosophique impliantque nous avons tous et toutes un Mr Hyde en nous (et pas juste mes agaçants voisins et certains membres de ma famille. Ahem).

Robert Louis Stevenson | Wiki Littérature | Fandom
Robert Louis Stevenson
Nous avons donc affaire à un chef d'œuvre de la littérature, l'un des exemples les plus connus de la littérature gothique, ce qui fait que la révélation de l'histoire nous est déjà connue ! Le Dr Jekyll et Mr Hyde ne forment qu'une seule et même personne ! J'ai regretté connaître cette révélation car, comme Utterson et l'entourage du Dr Jekyll, j'aurais aimé ne découvrir le fin mot qu'à la fin de l'histoire, être prise par surprise et choquée, comme la célèbre révélation que Dark Vador fait à Luke Skywalker dans Star Wars. Toutefois, le fait de connaître ce plot twist ne gâche que peu le plaisir, qui se trouve davantage dans la manière de RL Stevenson de traiter le sujet et les révélations finales du Dr Jekyll.

Si le thème n'est pas inédit, le roman est l'exemple le plus connu traitant de la dualité entre le bien et le mal, qui est au cœur de la nature humaine. Fasciné par la question des personnalités multiples, ou plutôt de la multiplicité au sein d'une même personne, RL Stevenson nous raconte les expériences menées par le Dr Jekyll. Ce personnage est conscient d'avoir une part sombre et malfaisante en lui et il est partagé entre la fascination et la répulsion de cet autre lui ; il prépare alors une formule scientifique à base de poudres chimiques pour tenter de dissocier son côté bon de son côté mauvais, de faire tomber cette barrière entre le bien et le mal, en pensant être pleinement lui et se débarrasser des mauvais actes que son bon côté désapprouve. 

Sa préparation scientifique fonctionne au-delà de toute espérance et donne à son mauvais côté la forme d'Edward Hyde, un petit homme dénué de conscience et dont l'apparence répugnante reflète la laideur de son âme. Seulement, au fil du temps, Hyde finit par échapper au contrôle du docteur et commet des actes irréparables, mettant Jekyll au pied du mur car Hyde a été aperçu avec les clés de sa maison dans laquelle il entre et sort à sa guise. La situation empire alors que Hyde commence à se faire connaître de la police et que Jekyll s'aperçoit qu'il a besoin de sa formule non plus pour se transformer en Hyde mais pour tenter de redevenir Jekyll, ses transformations en Hyde devenant de plus en plus incontrôlable. Ne pouvant plus maîtriser ses transformations et les actes de Hyde devenant irréparables, la santé du Dr Jekyll se dégrade, et qu'il commence une longue descente aux enfers. Mais tout cela, nous le découvrons que vers la fin du roman.

Tout au long de l'histoire, nous suivons l'avoué Utterson qui s'interroge sur cet étrange Mr Hyde qui le répugne par sa violence, et son association avec son très estimé ami, Henry Jekyll. Mauvaise compagnie ? Chantage ? Poussé par ses inquiétudes et son amitié pour Jekyll, Utterson mène sa propre enquête personnelle alors que Hyde continue à faire parler de lui, terrorisant d'abord le personnel du docteur puis la population de Londres. J'ai aimé suivre cette histoire à travers les yeux d'Utterson. S'il paraît être un peu froid de prime abord, je n'ai pu m'empêcher d'être touchée par l'amitié sincère qui le lie à Jekyll et qui le fait mener l'enquête sur Hyde, pour délivrer Jekyll de ce poids, et qui cherche jusqu'au bout à aider son ami, jusqu'à ce qu'il soit trop tard.

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Richard Mansfield dans son rôle
de Jekyll/Hyde dans la pièce de 1887/1888
Ce roman a un aspect fantastique que j'ai beaucoup aimé, à travers les recherches scientifiques de Jekyll pour dissocier sa part sombre de son bon côté, jusqu'à ce qu'il trouve la formule qui le transforme en Mr Hyde, il y a un petit côté horrifique dans cette idée de transformation, et tout le processus de métamorphose que subit le Dr Jekyll. À travers cette transformation, l'auteur aborde un sujet universel : le propre de l'humain est de reconnaitre le bien du mal et on peut être tenté par la part la plus sombre.

Le fait que l'action de cette histoire se déroule dans le Londres de l'époque victorienne n'est pas anodin. En effet, cette société est reconnue pour être un exemple de rigidité en terme de code de conduite et d'un certain puritanisme de façade chez les classes privilégiées. Le Dr Jekyll fait partie d'une classe privilégiée et il est ainsi soumis aux règles rigides et contraignantes de la société dans laquelle il vit. Conscient de la présence de son côté sombre qui le répugne et le fascine, il décide de dissocier les deux. Edward Hyde serait ainsi libre d'exprimer ses désirs, même les plus sombres, sans qu'Henry Jekyll n'en soit inquiété et continue à faire preuve de bonté. Hyde serait ainsi le masque pour assouvir ses désirs sans risquer d'être jugé par la bonne société victorienne et tout en conservant les avantages de son rang. On peut d'ailleurs voir en Hyde un clin d'œil, puisque son nom ressemble au verbe "hide" en anglais qui signifie "se cacher" ou ce qui est caché.

Penser que Jekyll et Hyde sont deux personnalités différentes serait se tromper. Si Mr Hyde ne reconnaît pas les limites imposées par la société et agit selon son bon vouloir, Jekyll n'est pas innocent dans cette affaire. Il ne ressent, au départ, aucune culpabilité face à cette expérience qui va contre les lois de la nature et de la science, ce qui lui vaudra d'être fâché avec son collègue Lanyon, et il se sent libéré lors de sa première transformation, laissant Hyde agir comme il le souhaite, tant que Jekyll peut échapper aux conséquences : ce que fait Hyde ne concerne que lui et le docteur n'a pas à s'en inquiéter. C'est lorsque Hyde commence à commettre l'irréparable et que Jekyll se rend compte qu'il ne peut plus le contrôler qu'il réalise tout le problème de cette transformation. Hyde l'arrange, jusqu'à ce que les actions de son alter-ego vont trop loin pour son propre code moral. Il est coupable de cette création et en ayant laissé s'échapper volontairement son côté sombre. Toutefois, RL Stevenson ne conclut pas son roman sur une note sombre car [spoiler] Jekyll comme Hyde ont choisi d'écouter leur conscience, le bon côté [/spoiler]

On pourrait se dire que les scènes de violence ne sont finalement pas si nombreuses pour un être aussi horrible que Hyde, il s'avère que le récit n'est que la seconde, sinon troisième version. Le premier récit, inspiré d'un cauchemar de l'auteur, aurait tant révulsé sa femme par la crudité et la violence du texte qu'il partit en fumée. Et puis, je trouve que ce roman a le charme qu'on trouve dans les romans de la fin du XIXe siècle, qui me plaît beaucoup. Ce roman fut une expérience littéraire intéressante, qui force à réfléchir et dont le souvenir va m'accompagner pendant des jours, voire des semaines. Un récit gothique court mais intéressant dans lequel RL Stevenson nous pose des questions sur la nature humaine, en gardant bien de nous donner des réponses !


Jour après jour, à la fois par le côté moral et le côté intellectuel de mon esprit, je m'acheminais régulièrement vers cette vérité dont la découverte partielle allait me condamner à un si terrible naufrage. L'homme, en arrivais-je à conclure, n'est pas un être unique, mais un être double [...] 
Je me disais : "Si chacun d'entre eux pouvait être localisé dans une personnalité distincte, la vie serait libérée de tout ce qui nous est insupportable ; le méchant suivrait sa voie sans crainte, délivré des aspirations et des remords de sa meilleure conscience ; et le juste s'avancerait fermement et sûrement sur le chemin de la perfection, faisant le bien dans lequel il trouve son plaisir et sans s'exposer davantage à la honte et aux remords par les actes de son mauvais génie. C'était le fléau de l'humanité que ces deux fagots de bois différents fussent attachés ensemble et que, dans l'angoisse qui fait le fond de notre conscience, ces deux frères ennemis dussent toujours et constamment lutter entre eux. Mais voilà ! Comment les dissocier ? 
10. Le Dr Jekyll s'explique.

dimanche 20 septembre 2020

L'année du loup-garou - Stephen King.


Quand arrive la pleine lune, une peur sans nom s'empare des habitants de Tarker Mills, petite bourgade tranquille nichée au creux des profondes forêts du Maine. Tous entendent, derrière la plainte du vent, des grondements de fauve auxquels se mêlent encore les échos d'une voix humaine. Le monstre est là. Qui tuera-t-il ? L'horreur commença en janvier sous la lueur glacée de la pleine lune. Un premier hurlement insoutenable déchira la nuit. C'était le début de "L'année du loup-garou".



Après ma lecture de Ça, je m'étais dit que ce ne serait pas ma dernière lecture de Stephen King. Si je suis assez courageuse, j'attaquerai le pavé que représente Salem, qui trône dans ma bibliothèque depuis des années. En attendant, voici un roman assez court et illustré dans lequel Stephen King se penche sur le mythe du loup-garou...

La structure du roman est assez simple, chaque chapitre correspond à un mois de l'année, de janvier à décembre où le loup-garou s'en prend aux habitants de la ville de Tarkers Mills. Il y a d'abord un cheminot, puis une jeune fille fleur bleue, et d'autres s'ajoutent au tableau. Chaque cycle de pleine lune signe l'arrêt de mort pour une malheureuse victime, jusqu'au soir du 04 juillet, où le jeune Marty voit la bête de près... et survit à cette rencontre.

Comme évoqué précédemment, L'année du loup-garou est un roman court. Le livre est plutôt fin, et les "chapitres" ne sont pas très longs, entre 3 et 5 pages pour les premiers chapitres, comme des sortes de mini-histoires où Stephen King nous présente vaguement la victime avant de décrire l'arrivée du loup-garou puis l'attaque. Rapide, simple mais efficace ! Les chapitres s'allongent au fur et à mesure que nous avançons dans l'année et dans l'histoire. Que les chapitres soient courts ou longs, Stephen King parvient à faire planer la menace en quelques lignes... l'évocation de la lumière presque aveuglante de la lune, l'ombre du loup-garou qui n'est jamais loin, son hurlement triomphant, puis la population dont la peur grandit au fil des mois. Ce qui ne ressemblaient qu'à des attaques isolées devient une véritable menace. La terreur plane au sein de cette petite ville du Maine, on croit à un tueur en série, on prend à la plaisanterie l'hypothèse du loup-garou, jusqu'à ce que le courage de la victime s'envole lorsqu'elle est confrontée au loup. Après des mois de terreur, les habitants réalisent qu'il est temps pour eux d'agir et d'organiser des battues. Bientôt, il n'y a plus aucun doute : la Bête est parmi eux... mais qui est-elle ?

Bernie Wrightson - L'année du Loup-garou | Garou, Loup garou, Dessin bd
On peut être loup-garou et avoir envie
d'aller à l'église !
L'histoire en elle-même est donc assez assez classique : un loup-garou sévit dans une petite ville (du Maine bien évidemment, si l'on connaît bien le Maître King) et les habitants n'y croient pas, jusqu'au jour où... même si le scénario n'a rien d'original, Stephen King parvient tout de même à captiver ses lecteurs.trices. Néanmoins, le plus intéressant dans l'ouvrage n'est pas seulement la menace de la Bête, mais le tableau de la ville de Tarkers Mills dans lequel l'auteur nous plonge dans la vie quotidienne des habitants de cette petite ville et nous montre leurs petites habitudes, leurs vices aussi, avec talent et simplicité.

C'est un récit qui se lit assez rapidement dans lequel Stephen King a su mettre en place une ambiance sombre, plombante et froide. Rien de bien traumatisant et à nous donner des cauchemars la nuit, mais pas non plus un récit à mettre dans les mains d'un jeune public, car l'histoire est délicieusement frissonnante. On ressent toute la menace de la lune, sa lumière brillante mais inquiétante, on devine le loup qui rôde et le danger qui plane, sans oublier les illustrations effrayantes et parfois sanglantes, qui donnent une autre dimension au récit. J'aurais toutefois apprécié que ces illustrations se soient situées après l'attaque du loup, certaines étaient au début du récit et spoilaient l'événement à venir. Aussi efficace ce récit soit-il, je n'aurais pas été contre un récit plus étoffé et approfondit pour rester plus longtemps dans cette traque au loup et la peur croissante des habitants, afin de mieux frissonner !

La fin peut paraître précipitée, ou plutôt manquant de suspense car on peut deviner assez facilement comment l'intrigue va se terminer mais l'auteur a fait le choix de nous dévoiler l'identité de la Bête avant la fin, pour mieux découvrir la psychologie du personnage et comment ce personnage a pu devenir le loup. C'était plutôt intéressant à découvrir [spoiler] le fait qu'il ignore d'abord être la Bête et se réveille avec du sang séché et ses vêtements déchirés, avant de s'en rendre compte, mais de se dire que c'est la volonté de Dieu. Son dernier meurtre où il s'en est pris à un homme coupable d'adultère l'illustre bien, comment ce personnage décide de punir à sa façon ceux qui ont péchés [/spoiler] ainsi que les manigances de notre héro pour découvrir qui est le loup-garou et comment se défendre. J'ai d'ailleurs beaucoup apprécié le héro, Marty, et l'initiative de l'auteur de mettre en scène un personnage handicapé en duel contre le loup-garou, et celui qui en viendra à bout, la preuve qu'on peut être en fauteuil roulant et botter les fesses d'un monstre ! C'est un jeune garçon courageux et capable, et j'ai aimé sa complicité avec son oncle Al.

Il ne s'agit certainement pas du meilleur King (on ignore le fait que je n'ai lu que deux ouvrages de l'auteur, ahem) mais l'auteur s'en est tout de même bien sorti et j'ai pris plaisir à découvrir sa revisite du mythe du loup-garou. Si le résultat n'a rien d'exceptionnel ou d'inoubliable, ce récit reste tout de même assez plaisant, et l'on découvre avec plaisir les illustrations qui accompagnent le texte, et je pense que L'année du loup-garou pourrait très bien convenir pour une première lecture du maître incontesté de l'horreur, surtout si on a des appréhensions !


Une chose inhumaine s'est abattue sur Tarkers Mills, invisible comme la pleine lune qui vogue tout en haut du ciel ténébreux. Elle a nom loup-garou, et sa survenue présente n'a pas plus de raison d'$etre que n'en aurait celle d'une épidémie de cancers, d'un assassin psychotique ou d'une tornade meurtrière. Son temps est venu, simplement, et le sort lui a fait choisir pour théâtre cette banale bourgade du Maine où l'événement de la semaine est le repas collectif dont les places vendues à l'encan servent à financer les œuvres de la paroisse [...] Dehors, la neige recouvre peu à peu les traces de la créature. Le vent crie d'une voix déchirante qui évoque des hurlements de plaisir. Mais d'un plaisir sans âme, sans Dieu, sans soleil - jouissance de gel opaque et d'hiver ténébreux. 
Le cycle du loup-garou a débuté.

samedi 19 septembre 2020

Aquarium - David Vann.

 
Caitlin, douze ans, habite avec sa mère dans un modeste appartement d’une banlieue de Seattle.

Afin d’échapper à la solitude et à la grisaille de sa vie quotidienne, chaque jour, après l’école, elle court à l’aquarium pour se plonger dans les profondeurs du monde marin qui la fascine. 

Là, elle rencontre un vieil homme qui semble partager sa passion pour les poissons et devient peu à peu son confident.

Mais la vie de Caitlin bascule le jour où sa mère découvre cette amitié et lui révèle le terrible secret qui les lie toutes deux à cet homme.







Ce titre faisait partie de ma wish-list avant la mise en place de mon Challenge Océan, mais j'ai pensé que le challenge serait une bonne occasion pour découvrir ce roman qui m'a d'abord attiré par sa couverture ainsi que par le thème de l'aquarium, de la mer et des créatures marines. Je ne m'attendais cependant pas à ce l'aquarium et ses poissons aient une place centrale dans ce roman, juste un décor. À mon agréable surprise, ce ne fut pas le cas.

Caitlin, la protagoniste, est en effet une habituée de l'aquarium qu'elle visite tous les jours de la semaine, excepté le week-end, et elle est très attachée aux poissons qu'elle ne cesse d'admirer. Un point commun qu'elle partage avec le vieil homme qu'elle rencontre à l'aquarium. Progressivement se développe entre eux une jolie relation autour de ces poissons, et bientôt ce ne sont plus seulement les poissons qui poussent Cailin à rejoindre l'aquarium, mais son nouvel ami... puis, lorsque Caitlin dévoile l'existence de son ami à sa mère, tout est chamboulé dans sa vie, car sa mère connaît très bien ce vieil homme, personnage d'un passé qu'elle a tenté de laisser derrière elle...

Une jolie découverte que ce roman ! Caitlin est une protagoniste mûre pour son âge, avec des pensées presque poétiques sur l'océan et des réflexions que l'on prêterait davantage à des adultes, ce qui m'a surprise, mais peut-être est-ce du au vécu de Caitlin. La jeune fille n'a pas une vie facile et vit dans une maison misérable avec une mère qui l'élève seule et qui doit parfois faire des sacrifices pour joindre les deux bouts, mais il y a encore un aspect enfantin chez elle, innocent, notamment à travers sa passion pour l'aquarium.  D'ailleurs, ce qu'elle aime demander aux personnes qu'elle rencontre pour la première fois, c'est quel est leur poisson préféré et pourquoi et elle aime davantage les poissons "mal aimés", les moins jolis, ceux qui attirent moins le regard. J'ai aimé son amour et son attirance pour la mer et les poissons, cet univers la fascine et elle est irrésistiblement attirée par ce monde aquatique qui lui offre un moyen d'évasion, loin de ce monde qui l'oppresse. On peut même dire que Caitlin a l'océan dans son cœur, et elle espère bien en faire sa carrière !

J'ai été surprise de découvrir, dans l'histoire, une relation F/F (entre filles/femmes), à travers la relation entre Caitlin et son amie Shalini, jeune indienne arrivée récemment en Amérique, mais j'ai été touchée par la complicité et la proximité entre ces deux amies, si bien que leur professeur les appelle "l'agglomérat Caitlin-Shalini". Ce sont deux jeunes filles qui découvrent leur corps et s'ouvrent à leurs émotions. Shalini est très douce, très tactile avec Caitlin et cette amitié se transforme doucement en amour, et bien que cette relation ne soit pas l'aspect central du roman, j'ai apprécié voir cet amour tendre entre ces deux amies. J'ai également beaucoup aimé sa relation proche avec sa mère, elles comptent sur l'une et l'autre et elles n'ont qu'elles au monde, avant l'arrivée du vieil homme, et le roman le transcrit bien. Puis, on assiste à la transformation de la mère lorsqu'elle découvre l'existence du vieil homme.

Et là, on assiste avec stupéfaction, voire horreur, Sheri, la mère, se transformer en bête incontrôlable. On découvre une femme vulnérable, hystérique, furieuse, triste qui voit se réveiller les traumatismes de son enfance. Ne comprenant pas le désir de sa fille à vouloir continuer de voir le vieil homme à l'aquarium et se rapprocher de lui, elle tente de lui dire puis de lui montrer par tous les moyens à quel point cet homme a gâché sa vie. Ce sont des scènes dures, et on vient à prendre Sheri en pitié et à la mépriser à la fois. Pourtant, aucun personnage n'est blanc ou noir dans ce roman. Si, au début, je croyais [spoiler] que la mère avait été victime d'inceste/pédophilie à cause de cet homme, son père, au vu des questions qu'elle a posées à sa fille, il n'en est rien, ce qui ne veut pas dire que son traumatisme n'est pas valide [/spoiler]Sheri a vécu une enfance puis une adolescence difficile, traumatisante. Ce passé l'a marqué et elle a essayé de s'en défaire jusqu'à ce que le vieil homme apparaisse, lui faisant perdre ses moyens. Oui, elle a eu des moments horribles avec sa fille puis le vieil homme, je ne savais plus moi-même quoi ressentir pour ce personnage, si ce n'est de la pitié. Oui, le vieil homme a ses tords, il a commis des erreurs difficilement réparables mais il essaye de changer cette situation, de s'amender, pour faire au moins quelque chose de bien et j'ai voulu qu'il ait cette seconde chance. J'ai beaucoup aimé la dynamique entre SheriCaitlin, le petit-ami de Sheri et le vieil homme. Il y a des hauts et beaucoup de bas, mais le roman tourne autour du thème du pardon et de la reconstruction d'un foyer, d'une vie et j'ai beaucoup aimé les voir former cette dynamique.

Avec la plume de David Vann, j'ai été pris dans un tourbillon d'émotions. Tous ses personnages sont délicieusement imparfaits, mais attachants pour la plupart. On ne sait qui aimer, qui détester. On est pris entre la révolte, la pitié, le doute. Quelle surprise ! Alors que le début du livre nous entraîne dans un monde aquatique envoûtant, la suite vire dans les abysses de la psychologie humaine entre une enfant prise en otage entre deux personnes, une mère marquée par son passé qui souhaite se venger, la quête d'un pardon difficile à obtenir sans ce que soit impossible, les traumatismes du passé, une lente reconstruction mais aucun personnage n'est vraiment seul et sans aide. Bien-sûr, on finit par se douter de l'identité du vieil homme, mais cela n'empêche pas ce tourbillon d'émotions qui nous prend à la gorge ! J'ai été prise dans l'histoire, m'y plongeant pour n'en ressortir qu'une fois la dernière page tournée, c'est une intrigue dérangeante et prenante, sombre mais où l'on distingue une petite lueur d'espoir, de renouveau.

En résumé : un récit très beau, bouleversant et poignant, sur le pardon et la rédemption campé par des personnages hauts en couleur, le tout écrit avec une plume experte et presque poète, dans un cadre aquatique fascinant.



L'unique raison qui me poussait à parcourir cette rue chaque après-midi, c'était le bleu au bout, la mer visible car nous trouvions toujours une colline. Ce bleu était la promesse de l'aquarium. Une allée menant à un sanctuaire. J'aurais pu m'inscrire à une activité périscolaire, mais je choisissais délibérément d'aller voir les poissons. Ils étaient les émissaires d'un univers plus vaste. Ils représentaient les possibles, une sorte de promesse.



lundi 14 septembre 2020

Les confidences d'Arsène Lupin - Maurice Leblanc.


" Allô, le service de la Sûreté ? Monsieur l'inspecteur principal Ganimard est-il ici ?...

Pas avant vingt minutes ? Dommage !... Enfin !... Quand il sera là, vous lui direz ceci de la part de Mme Dugrival... Oui, Mme Nicolas Dugrival... Vous lui direz qu'il vienne chez moi. Il ouvrira la porte de mon armoire à glace, et, cette porte ouverte, il constatera que l'armoire cache une issue qui fait communiquer ma chambre avec deux pièces. Dans l'une d'elles, il y a un homme solidement ligoté. C'est le voleur, l'assassin de Dugrival.

Vous ne me croyez pas ? Avertissez Monsieur Ganimard. Il me croira, lui. Ah ! J'oubliais le nom de l'individu... Arsène Lupin "





Après 813, je voulais continuer à lire sur Arsène Lupin, mais cette fois-ci lire quelque chose de plus léger. C'est donc naturellement que je me suis penchée sur un recueil de nouvelles. Au niveau de la chronologie, celui-ci se situe avant les événements de 813 et de L'Aiguille Creuse, bien que ce recueil ait été publié après 813Ce recueil se compose de neuf histoires courtes avec : 

Bibliothèque Arsène Lupin - Notes | Facebook
*a wild Lupin appears*

Les jeux du soleil : un baron est victime de sa femme qui s'est enfuie avec une somme de 3 millions, volée à son mari, ainsi qu'une collection de diamants, perles et bijoux. L'inspecteur Ganimard la pourchasse dans toute l'Europe sans que l'on parvienne à mettre la main sur elle. Lupin rend visite à l'intendant du baron... mais tombe plutôt sur un cadavre ! Lupin mène l'enquête et décide de rencontrer le baron, car il se pourrait que cette affaire de meurtre soit liée à la disparition de la baronne...

L'anneau nuptial : un comte enlève son fils sous les yeux de sa femme, et tente de la faire plier en menaçant de révéler son secret autour de son alliance, afin que la comtesse consente à un divorce qu'elle refuse, et pour qu'il puisse toucher la fortune de leur fils. Désespérée, la comtesse fait appel à un certain Horace Velmont (qui est, bien-sûr, Lupin déguisé) qui lui avait un jour recommandé de le contacter en cas de péril.

Le signe de l'ombre : Un certain Louis-Agrippa d'Ernemont a caché sa fortune juste avant d'être guillotiné, pendant la Révolution française. Depuis lors, ce trésor introuvable suscite les plus vives convoitises. mais, vous vous en doutez, Arsène Lupin relève le défi !

Le piège infernal : Nicolas Dugrival est victime d'Arsène Lupin qui lui a dérobé 50 000 francs mais peu de temps après ce vol, le voilà assassiné ! Lupin est désigné comme étant le coupable, et la veuve Dugrival jure vengeance contre le cambrioleur. Avec la complicité de son neveu, Gabriel, elle parvient à piéger Lupin et décide de le faire chanter...

L'écharpe de soie rouge : Débordé entre deux cambriolages, Lupin fait appel à l'inspecteur Ganimard pour résoudre une affaire, celle de la belle Jenny Saphir qui a été étranglée par un gentleman qui convoitait son saphir, sans avoir réussi à le retrouver. Le seul indice à ce crime : une écharpe de soie rouge...

La mort qui rôde : Au château de Maupertuis, Jeanne Darcieux a frôlé la mort de bien nombreuses fois. Elle songe à des accidents, jusqu'à ce qu'Arsène Lupin, sous un autre nom, lui révèle qu'il s'agit en réalité de tentatives de meurtre. Qui en veut donc à cette jeune fille et pourquoi ? C'est ce que Lupin, en compagnie du médecin de la famille, va tenter de découvrir...

Edith au cou de cygne :Lupin organise le vol de 12 tapisseries de grandes valeurs, représentant Edith, l'épouse du dernier roi des Saxons, dans un château imprenable.

Le fétu de paille : Lupin met tout en oeuvre pour tenter de retrouver un voleur qui est caché depuis un mois sur le lieu de son crime sans que nul ne parvienne à mettre la main dessus...

Le mariage d'Arsène Lupin : On annonce dans la presse de mariage d'une jeune princesse... avec Arsène Lupin. Le père est furieux, mais il ne doit s'agir que d'une plaisanterie... n'est-ce-pas ? Rassurez-vous ! L'honneur de la mariée restera sain et sauf !

Caricature. Leblanc tenant une
marionnette de Lupin (source)

J'ai passé un bon moment avec cette série de nouvelles rapides à lire, pétillantes, divertissantes... ce n'est pas du grand Lupin comme on peut le retrouver dans certains romans, mais ça se laisse lire agréablement et Lupin reste toujours un plaisir à lire ! Toutes ces aventures ne lui apportent pas toujours la fortune, mais la gloire et la publicité oui, et surtout l'estime des femmes qu'il sauve toujours du déshonneur ou d'une situation délicate. Lupin apporte la justice, tel un détective, mais souvent en se servant... une somme d'argent bien coquette ou une pierre précieuse qu'il vole en compensation de son travail. J'ai été vite emportée dans cette lecture et la plume de l'auteur y est pour beaucoup. C'est soigné, fluide, avec humour et légèreté, l'action est subtile et les répliques tout simplement savoureuses... pauvre inspecteur Ganimard ! Toutefois, si ce dernier est souvent roulé dans la farine par Lupin, j'ai de l'affection pour le personnages de Ganimard. S'il ne parvient jamais à arrêter Lupin, il sait faire preuve de volonté, d'acharnement et raisonnement, ce qui fait de lui un bon adversaire pour Arsène Lupin, qui d'ailleurs, s'il admet aimer se moquer de Ganimard, il le tient en haute estime et lui porte bien de l'affection...

Je n'ai pas aimé de façon égale toutes les nouvelles, d'autres m'ont moins intéressé je dois l'avouer... mais j'ai beaucoup aimé Le piège infernal où l'on trouve Lupin en bien mauvaise posture et qui trouvera le salut de manière surprenante, et L'écharpe de soie rouge, notamment lorsque Lupin, pour demander de l'aide à Ganimard, ne trouve rien de mieux à faire que d'embaucher des personnes pour attirer son attention et qu'il les suive jusqu'au repère, ainsi que La mort qui rôde. Certaines histoires auraient certes gagné à plus de développement, mais ce n'est pas un énorme grief car cela ne m'a pas empêché d'apprécier ma lecture, et que ça reste le principe des nouvelles. De toute façon, après la lecture d'un roman tel que 813, cela me convenait très bien de lire quelque chose de plus léger et divertissant.

Arsène Lupin reste un personnage attachant, charmeur, classe et habile, l'univers de Maurice Leblanc reste soigné, avec une plume travaillée, de l'action, des enquêtes, de l'humour, des répliques savoureuses, un jeu du chat et de la souris entre Lupin et Ganimard, le tout offrant des nouvelles divertissantes et sympathiques !



Il [Lupin] lui offrit la main, et comme l'inspecteur restait abasourdi, la figure ravagée de colère, il s'exclama : 
- Tu ne sembles pas comprendre... C'est pourtant clair... J'avais un besoin urgent de te voir... Alors, n'est-ce pas ? ... 
Et affectant de répondre à une objection : 
- Mais non, mon vieux, tu te trompes. Si je t'avais écrit ou téléphoné, tu ne serais pas venu... ou bien tu serais venu avec un régiment. Or je voulais te voir tout seul, et j'ai pensé qu'il n'y avait qu'à envoyer ces deux braves gens à ta rencontre, avec ordre de semer des peaux d'orange, de dessiner des croix et des cercles, bref, de te tracer un chemin jusqu'ici. Eh bien, quoi ? tu as l'air ahuri. Qu'y a-t-il ? Tu ne me reconnais pas, peut-être ? Lupin... Arsène Lupin... Fouille dans ta mémoire... Ce nom-là ne te rappelle pas quelque chose ? 
- Animal, grinça Ganimard entre ses dents. 
Lupin sembla désolé, et d'un ton affectueux : 
- Tu es fâché ? Si, je vois ça à tes yeux... L'affaire Dugrival, n'est-ce pas ? J'aurais dû attendre que tu vinsses m'arrêter ? ... Saperlipopette, l'idée ne m'en est pas venue ! Je te jure bien qu'une autre fois... 
- Canaille, mâchonna Ganimard. 
- Et moi qui croyais te faire plaisir ! Ma foi oui, je me suis dit : "Ce bon gros Ganimard, il y a longtemps qu'on ne s'est vus. Il va me sauter au cou." 
Ganimard, qui n'avait pas encore bougé, parut sortir de sa stupeur. Il regarda autour de lui, regarda Lupin, se demanda visiblement s'il n'allait pas, en effet, lui sauter au cou, puis, se dominant, il empoigna une chaise et s'installa, comme s'il eût pris subitement le parti d'écouter son adversaire. 
- Parle, dit-il... et pas de balivernes. Je suis pressé. 
L'écharpe de soie rouge.

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samedi 12 septembre 2020

813 - Maurice Leblanc.


Quelle mystérieuse entreprise amène à Paris Rudolf Kesselbach, le richissime et ambitieux roi du diamant sud-africain ? Que signifie ce nombre, 813, inscrit sur un coffret en sa possession ? De quel secret le nommé Pierre Leduc, qu'il recherche dans les bas-fonds de la capitale, est-il le détenteur ? 

Telles sont quelques-unes des questions autour desquelles s'affrontent la police - en l'occurrence un certain Lenormand, chef de la Sûreté -, l'impitoyable baron Altenheim et le gentleman-cambrioleur Arsène Lupin. Lequel devra également démasquer l'invisible assassin qui cherche à lui faire porter la responsabilité de ses crimes... 

Et nous voilà entraînés sur les pas de l'orpheline Geneviève, de l'élégant prince Sernine et de bien d'autres protagonistes, dans une avalanche de coups de théâtre et de révélations plus incroyables les unes que les autres.


Arsène Lupin me manquait, et je me sentais coupable de n'avoir plus rien proposé pour le challenge Arsène Lupin depuis un bon moment, je reviens donc avec ce roman, et quel roman ! C'est un roman en deux parties, comprenant La double vie d'Arsène Lupin et Les trois crimes d'Arsène Lupin, et il fait suite au roman de L'Aiguille Creuse. Depuis les tragiques événements de cette aventure, Arsène Lupin n'a plus fait entendre parler de lui depuis quatre ans, si bien que la police le considère comme étant mort. Pourtant, notre cambrioleur national va faire un grand retour, mais pas de la façon dont il espérait. Alors qu'il avait pour but de cambrioler le richissime Rudolf Kesselbach, le voilà accusé du meurtre de ce dernier et de trois autres personnes ! Pour l'inspecteur Lenormand, si Lupin est bel et bien coupable de cambriolage, ce n'est pas son genre de voler la vie et il met tout en oeuvre pour innocenter Lupin et de découvrir le mystère du coffre de Kesselbach où est inscrit le nombre 813 en même temps que Lupin qui mène un long et difficile combat contre le véritable assassin et son motif...

La seconde partie du roman voit Arsène Lupin en prison après avoir été mis en déroute par l'assassin, un certain L.M, mais comme Lupin a su le prouver dans une précédente aventure, ce n'est pas la prison qui peut l'arrêter et l'empêcher de continuer ses manigances, d'autant plus qu'un surprenant et imminent visiteur vient le voir en prison : le Kaiser d'Allemagne, qui a besoin de son aide pour retrouver des papiers secrets et compromettants vieux de 20 ans et se rapportant à un incroyable projet d'accord secret entre l'Angleterre, la France, et l'Allemagne, dissimulés dans un château... Ces deux histoires semblent, au premier abord, différentes, mais elles sont liées entre elles, notamment avec l'affaire Kesselbach, son véritable assassin, et le mystère qui entoure le chiffre 813...

Amazon.fr - 813 LES TROIS CRIMES D'ARSENE LUPIN - LEBLANC-M - Livres813 se révèle être un roman plus sombre que les précédentes aventures, notamment avec le principal antagoniste, L.M, et son complice, le baron Altenheim. Si, avec l'inspecteur Ganimard, le jeune Isidore Beautrelet et le détective Herlock Sholmès, nous avions des adversaires du voleur qui sont du côté de la justice, L.M est un adversaire qui travaille pour son propre compte, menaçant et rusé qui donnera bien du fil à retordre à Lupin. Arsène Lupin lui-même se retrouve affecté par la simple présence de L.M, il a des craintes et des appréhensions, on découvre bien là que ce n'est pas un antagoniste comme les autres, et son complice n'est pas en reste. Maurice Leblanc va loin et va jusqu'à mettre plusieurs fois son héro en danger, mis en déroute plus d'une fois, et ira jusqu'à faire mourir certains de ses personnages [spoiler] dont Gourel, avec qui Lupin travaillait lorsqu'il était en train d'officier à la Sûreté [/spoiler]. L.M est d'autant plus rusé que nous ne découvrons son identité qu'en fin de roman, et son identité n'est pas du tout celle à laquelle on pense ! J'ai été bluffée, autant que Lupin, par cette révélation.

Cette histoire est également l'occasion pour Maurice Leblanc de faire évoluer le personnage de Lupin et lui donner encore plus de profondeur, en accentuant son côté sombre, en montrant ses combats intérieurs, en multipliant ses incarnations, en évoquant aussi sa vie personnelle, notamment lorsqu'il revoit sa vieille nourrice Victoire et sa relation avec la jeune Geneviève, dont je n'ai pas vu venir la révélation à son sujet non plus. Néanmoins, Lupin est au top de sa forme et il le montre ! Sarcastique, ne manquant jamais d'humour, toujours aussi intelligent avec plus d'un tour dans son sac, parfois inquiétant, orgueilleux et manipulateur, désespéré, cabotin, mais toujours un plaisir à suivre, d'autant plus qu'il est le personnage central de cette histoire ! J'ai aussi beaucoup aimé l'inspecteur Lenormand, intelligent et le seul à savoir que Lupin est innocent [spoiler] voilà quelqu'un que j'aurais bien aimé comme étant son propre personnage, et non Lupin déguisé, j'ai été déçue que ce soit Lupin, parce que Lenormand était un personnage prometteur, mais du coup on ne va plus le revoir ! [/spoiler]

Il s'agit aussi d'un roman que l'on peut placer dans son contexte historique. Tout voleur qu'il est, Arsène Lupin reste avant tout Français et il est patriote, comme il le montrera. Ce roman n'est pourtant pas vraiment anti-allemand, bien que la guerre approche et que la crise du Maroc, évoquée dans le roman, éclate un an après la publication du roman. Il est également question de l’Alsace-Lorraine. Dans le même temps, l’action est plus étirée : on est plus dans la réflexion que dans les péripéties échevelées, ce qui donne au roman un rythme plus calme, mais toujours avec des rebondissements, et un air de danger qui plane à cause de L.M. Tout cela donne au roman de faux airs de roman d’espionnage que j'ai bien aimé !

Si 813 n'est pas mon roman préféré d'Arsène Lupin, je ne peux pas nier que c'est l'un des meilleurs, avec beaucoup de suspense et de rebondissements. L'action est au rendez-vous et les révélations sont fracassantes ! Si certains éléments peuvent se révéler prévisibles, si l'on connaît bien les aventures d'Arsène Lupin, c'est un roman dynamique avec peu de temps mort, des rebondissements et un dénouement fracassant où Lupin donne le meilleur de lui-même et où ses adversaires se montrent à sa hauteur, présentant un véritable défi pour le cambrioleur ! Ce n'est toutefois pas le roman avec lequel je conseillerais une première lecture des aventures d'Arsène Lupin, d'autant plus qu'il fait suite à une précédente aventure et que, si la lecture de L'Aiguille Creuse n'est pas indispensable pour comprendre le roman, elle est tout de même conseillée.

M. Formerie eut une phrase délicieuse, lorsque Lupin entra dans son cabinet en compagnie du sous-chef.
- Ah ! vous voilà ! Je ne doutais pas que, un jour ou l'autre, nous mettrions la main sur vous.
- Je n'en doutais pas non plus, monsieur le juge d'instruction, dit Lupin, et je me réjouis que ce soit vous que le destin ait désigné pour rendre justice à l'honnête homme que je suis.
"Il se fiche de moi", pensa M. Formerie.
Et, sur le même ton ironique et sérieux, il riposta :
- L'honnête homme que vous êtes, monsieur, doit s'expliquer pour l'instant sur trois cent quarante-quatre affaires de vol, cambriolage, escroquerie, faux, chantage, recel, etc. Trois cent quarante-quatre !
- Comment ! Pas plus ? s'écria Lupin. Je suis vraiment honteux.
- L'honnête homme que vous êtes doit s'expliquer aujourd'hui sur l'assassinat du sieur Altenheim.
- Tiens, c'est nouveau cela. L'idée est de vous, monsieur le juge d'instruction ?
- Précisément.
- Très fort ! En vérité, vous faites des progrès, monsieur Formerie.

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Les filles de Salem : Comment nous avons condamné nos enfants - Thomas Gilbert.


Je me nomme Abigail Hobbs.

J'ai quatorze ans.
J'habite avec mes parents à Salem Village.
J'ai vécu une enfance heureuse, à l'abri des soucis.
Oui, pas le moindre nuage à l'horizon.
Puis il y a eu ce jour fatidique. J'étais dans ma treizième année.
Je m'en souviens précisément... Le jour où tout a commencé...




Troisième lecture pour le Pumpkin Autumn Challenge avec Les filles de Salem, un roman graphique prenant place vers la fin du XVIIe siècle, dans le village de Salem, en Nouvelle-Angleterre. Notre protagoniste, Abigail Hobbs, raconte sa vie au sein de son village, entre sa famille, ses amies et les villageois : Betty, sa meilleure amie et fille du révérend Parris ; Tituba, l'esclave de la famille de Betty, née indienne, elle sait faire des remèdes à partir de plantes et fréquente les tribus indiennes alentours ; Parris, le révérend du village, très puriste et rigoriste, dont les sermons sont craints ; Sarah Good, une pauvre mère, un peu simplette ; Bridget, la seule catholique du village avec sa mère qui tient la taverne, toujours gaie et souriante, ainsi que d'autres habitants formant le village de Salem et où Abigail mène une vie d’insouciance... jusqu'à l'année de ses 13 ans... 

Tout commence lorsqu'Abigail attire l'attention d'un garçon, chose plutôt banale sauf qu'aux yeux des villageois, cela veut dire qu'elle n'est alors plus considérée comme une enfant mais comme une femme. Ses cheveux doivent être dissimulés, elle ne doit plus parler aux garçons, garder les yeux au sol, ne rien faire d'impur, ne pas devenir une tentation pour les hommes. Abigail s'arrange pourtant pour s'accorder un peu de liberté en s'évadant en forêt où elle va courir, danser mais surtout rencontrer l'homme en noir, un jeune Indien dont le visage est peint en noir, et qui se nomme Mikweh. Le village de Salem voit pourtant avec mauvais œil ces Indiens peints en noir que les habitants voient comme des démons envoyés par le Malin et qu'ils considèrent comme responsables de leurs malheurs. En effet, les récoltes se font rares et la famine gagne la région, les habitants peinent à se nourrir. La psychose s'installe et les habitants prennent peur et se méfient, accusant même les leurs de sorcellerie. Profitant de la situation, le révérend Parris nourrit la haine et la méfiance pour gagner la confiance et l'argent des villageois. Très vite, la violence et l'instabilité s'installent et des procès pour sorcellerie prennent place au sein du village de Salem...

Je ne savais pas exactement à quoi m'attendre avant de lire Les filles de Salem, je savais juste que l'histoire était en lien avec les procès de sorcellerie de 1692, je ne m'attendais pas à recevoir une telle claque ! Les filles de Salem est un ouvrage bouleversant, fort en émotions. Salem, tel qu'il est au début de l'histoire, est coloré, vivant, avec des visages souriants et nous voyons que les dessins s'assombrissent en même temps que l'atmosphère au sein du village lorsqu'arrivent les premières accusations, la psychose puis les procès, comme un poison qui se propage et touchant principalement les femmes, celles qui sont différentes, celles qui se révoltent, celles qui sont innocentes. L'auteur parvient à nous faire ressentir l'horreur ressentie et vécue par ces femmes, nous sommes partagés entre l'indignation et le dégoût. Nous sommes témoins de la lâcheté, la violence et l'hypocrisie des hommes, ainsi que leur ignorance, leur intolérance, leur folie, nourries par un représentant de la foi rigoriste, puritain et dangereux, de l'autoritarisme qui prend le pas sur la solidarité. 



Les dessins sont parfois grossiers et violents, et ne peuvent pas être au goût de tout le monde, j'ai eu moi-même du mal au début, mais je pense que c'est pour mieux nous montrer l'atrocité des faits racontés et les horreurs dont l'être humain est capable. À travers les dessins et l'histoire, Thomas Gilbert montre à quel point une société peut se scinder et l'impact sur les minorités, les plus faibles de la population, ici les femmes. Avis toutefois aux âmes sensibles pour les scènes de violence et de mort, souvent brutale, de personnages mais aussi d'animaux. L'histoire comme les illustrations sont terrifiantes et bouleversantes, et j'ai craint pour le devenir de ces femmes, et notamment Abigail. Notre protagoniste est une jeune fille d'abord insouciante, qui ne comprend pas pourquoi ces soudaines restrictions sur sa liberté, et qui tente de trouver une bouée de sauvetage lors de ses visites en forêts, ses rencontres avec Mikweh, ses jeux de divination avec Betty, puis c'est une jeune fille qui est témoin, avec horreur, de la psychose qui envenime Salem, de la violence qui prend place, de la famine qui s'installe, et dont le seul crime aura été d'être témoin des péchés du révérend Parris, une jeune fille qui se révolte et qui veut tout simplement vivre.

Le révérend Parris est un personnage ignoble, un homme dégénéré tout puissant et qui est prêt à tout pour asseoir définitivement son emprise sur de bien pauvres âmes tourmentées et de gagner sa vie à travers ses sermons de haine. Au lieu de rassurer ses paroissiens, de préconiser la solidarité, il ajoute de l'huile sur le feu en parlant de sorcellerie, de malédictions sur le village et en organisant des procès pour sorcellerie. J'ai eu la boule au ventre lorsqu'ont débuté les procès et j'ai espéré que ces femmes s'en sortent jusqu'au bout [spoiler] y compris et surtout Abigail, j'avais espéré une fin heureuse pour elle, un miracle, qu'elle s'en sorte et qu'elle vive, même en fuite, sauvée par Mikweh [/spoiler]. J'ai eu peur pour ces femmes, j'ai espéré pour elle, je me suis attachées à elles. Avis aux lecteurs et aux lectrices : ce n'est pas une histoire qui se termine bien, le but de l'histoire est de nous raconter le destin poignant de femmes, comme il y en a eu dans notre Histoire, victimes de ces procès de sorcellerie, et de ne pas oublier ce qu'il s'est passé pour ces femmes victimes d'injustice, de la haine et de la peur de leurs semblables.

N'étant pas familière avec cette partie de l'Histoire, je ne prétends pas que c'est une histoire qui retrace fidèlement ce qu'il s'est réellement passé. Je pense plutôt que l'auteur s'est inspiré de ces faits pour raconter sa propre histoire, et que les vrais événements qui ont eu lieu à Salem sont plus complexes qu'il n'y paraît et qu'il s'agissait vraisemblablement d'un conflit entre voisins et entre deux puissantes familles qui a ensuite engendré ces procès. Comme je l'ai évoqué, ce n'est pas une partie de l'Histoire que je prétends bien connaître, mais si vous souhaitez en savoir plus, la chaîne Youtube Occulture traite le sujet de manière très instructive, après plusieurs et longues recherches. Je tiens donc à avertir les futurs.es lecteurs et lectrices que cette histoire n'est pas un ouvrage qui présente avec exactitude ce qu'il s'est passé à Salem en 1692, car l'histoire est plus longue et complexe, et que l'auteur a pu prendre des libertés historiques, ce qui n'enlève pas à cette bande-dessinée ses qualités.

En résumé : une oeuvre sombre, bouleversante, sans doute non historiquement fiable, mais poignante dans laquelle Thomas Gilbert propose une version de la tragédie qui a bouleversé Salem et dont on ne ressort pas indemnes...

Thomas Ragon on Twitter: "« Les Filles de Salem », par @ThomasGilbertBD… "

mardi 8 septembre 2020

Funèbre ! : Tour du monde des rites qui mènent vers l'autre monde - Juliette Cazes.

Funèbre ! - Juliette Cazes - Babelio
"Lorsqu'ils me demandent pourquoi j'étudie la mort sur mon temps libre, les gens sont souvent étonnés que je leur réponde que c'est parce que je m'intéresse aux vivants. Et pourtant, en France, parler de deuil n'est pas chose aisée, ce tabou n'existe pas partout. Au contraire, à certains endroits de la planète, la mort est totalement intégrée à la vie, voire résolument célébrée ! Je vous invite donc à me suivre dans un voyage fascinant où se côtoient les vivants et les morts, à cheval entre deux mondes : le nôtre et "l'autre". "

Avec une rigueur méticuleuse et un humour subtil, Juliette Cazes nous embarque dans une expédition pleine de rebondissements à travers le monde et ses traditions funéraires. Des cercueils en cage en Écosse, des têtes momifiées en Nouvelle-Zélande, des funérailles musicales à La Nouvelle-Orléans ou encore des inhumations célestes au Tibet…  À ses côtés, découvrez dans la joie et la bonne humeur comment on cohabite avec les morts, ailleurs !


J'ai acheté ce livre il y a quelques mois déjà et je voulais le lire dès que possible, je me suis retenue avec peine parce que je voulais le placer dans le Pumpkin Autumn Challenge, (Sous-menu "Les chimères de la Sylve Rouge" avec son mot-clé « Macabre »). La raison de mon enthousiasme est en partie du au fait que je suis l'auteure sur Twitter et Youtube depuis un moment, sous le pseudonyme du Bizzareum, où je suis avec intérêts ses tweets, vidéos et articles au sujet de l'archéologie, l'histoire, et la mort. Car Juliette Cazes a fait de la mort son sujet de prédilection. Après des études en archéologie et anthropologie, c'est naturellement qu'elle a gravité dans cet environnement, et depuis 2017 elle vulgarise ce sujet sur la toile. Funèbre ! regroupe sur papier quelques exemples introductifs sur le sujet des rites funéraires et donc la façon dont la mort, et plus exactement le soin apporté aux défunts, est perçue à travers le monde.


Juliette Cazes nous propose pour cela un véritable tour du monde des rites funéraires, dans lequel nous voyageons en Italie, en Bolivie, en Roumanie, au Tibet, en Nouvelle-Zélande, sans pour autant négliger la France à qui elle a consacré un chapitre : l’origine du mot « corbillard », d’où vient la tradition d’annoncer le décès de nos défunts ainsi que la célébration du 1er novembre, la tradition de porter du noir mais aussi de quand dates nos rites funéraires ?


Nous voyageons ensuite en Roumanie, où les vivants déposent des vivres dans le cercueil – pour que le défunt puisse se nourrir dans le chemin vers l'au-delà - des pièces pour payer sa traversée ainsi que des objets qu'il aimait de son vivant, ce qui n'est pas sans rappeler les rites funéraires antiques. Nous avons aussi les cages à cercueil en Écosse. Mais pourquoi donc enfermer ces pauvres défunts ? Les Écossais ont-ils peur d'une prochaine invasion de zombies ? Pas du tout, car ces mortsafes ont davantage le but de protéger le corps des défunts, par crainte de se faire voler son propre corps ! Avec la découverte et le développement de l'anatomie humaine, il est logique d'utiliser le corps des morts pour apprendre à soigner les vivants. Seulement, peu d'individus sont prêts à offrir leur corps à la science, d'où l'idée de dérober des cadavres. La population, terrifiée par ces trafiquants de cadavres, tente de se défendre : des cercueils plus lourds, des gardiens de cimetière, les cercueils dans des fosses plutôt que sous une pierre tombale, et des cages métalliques surmontant les tombes, donc les mortsafes.



Encyclopédie du paranormal - Mortsafe

Exemples de mortsafes qu'on peut trouver en Ecosse (source)

Parmi les autres exemples à m'avoir marqué, il y a la cité des morts du Caire, Al-Qarafa, où les vivants cohabitent avec les morts. La pauvreté au Caire a fait qu'une certaine partie de la population doit vivre dans les cimetières. Les tombes sont donc aménagées et décorées, certaines ont l'eau et l'électricité, et on peut même y trouver des magasins ! Ces familles pauvres peuvent y vivre pendant des générations. Cela attise la curiosité des touristes, ce qui donne à l'auteure l'occasion de poser une réflexion intéressante sur ce dark tourism (une forme de tourisme controversée qui consiste en la visite, souvent payée, de lieux associés à la mort).


Je mentionnerai également le Japon où la technologie se mêle à la mort à travers deux exemples : celui d'un robot domestique de deuil, avec un masque en 3D représentant le visage du disparu, dont le logiciel est programmé pour fonctionner pendant 49 jours (suivant la pratique du deuil de 49 jours empruntée aux traditions bouddhistes), suite à un deuil mal vécu par sa créatrice, Etsuko Ichihara, pour dire adieu en douceur à sa grand-mère décédée. Ce robot a été développé pour être capable de reproduire les mimiques du langage et les intonations du défunt, ce qui a été accueilli par une vague d'incompréhension, sinon de malaise auprès des Occidentaux. Je mentionnerai également la création d'une cabine téléphonique par Itaru Saski pour lui permettre de parler à son cousin décédé, le kaze no denwa, et il permet également à d'autres visiteurs d'en bénéficier. Ce sont des discussions à sens unique mais semblant bénéfiques pour les visiteurs.


Il y a encore tellement d'autres exemples présentés dans cet ouvrage, et ce que nous présente l'auteure n'est qu'un échantillon parmi tout ce qui existe dans le monde, car il y a autant de pratiques funéraires qu'il y a de peuples et de cultures. Toutefois, Juliette Cazes nous présente ici un bon nombre d'exemples aux quatre coins du monde, nous permettant ainsi de nous ouvrir de nouveaux horizons et de nous faire découvrir différents peuples et leurs coutumes, ce que j'ai trouvé vraiment intéressant ! Si on peut retrouver des similitudes parmi certains rites funéraires, aucun rite funéraire ne se ressemble et ces rites reflètent bien la population qui les suivent et leur culture, notamment vis-à-vis de la mort. Car s'intéresser à la mort, c'est s'intéresser à la vie, et plus particulièrement les gestes des vivants à l'égard de leurs défunts.


Nous avons tendance à penser que la vie et la mort s'opposent radicalement, alors que la vie est liée à la mort. La mort est un élément qui accompagne les vivants, c'est un sujet de société, de morale, de loi, et même financier. La mort se présente donc comme un élément social chez les vivants. Par exemple, nous avons les Famadihana à Madagascar qui consistent en une cérémonie où l'on invite, où l'on se retrouve lors d'un repas ou encore les funerals with music à la Nouvelle-Orléans où les processions funéraires sont accompagnées d'un orchestre avec des danseurs qui escortent le défunt en musique, c'est une cérémonie très codifiée qui suit un protocole précis. Ce dernier exemple, ainsi que el dia de los muertos au Mexique que l'on commence à connaître en Occident, sont une façon de découvrir que la mort peut être gaie, festive et musicale dans d'autres contrées. Ce n'est pas meilleur que les funérailles en France ou ailleurs, ni incompréhensif, c'est tout simplement une autre façon de célébrer le défunt.




Photographie, vue sur une partie de El Qarafa, la cité des morts (source)


C'est aussi l'occasion de découvrir par quelles diverses façons les vivants s'occupent de leurs disparus, à la fois par amour et pour entretenir leur souvenir... mais aussi pour éviter son courroux ! Il n'est jamais bon de s'attirer les foudres de nos ancêtres, et tous les prétextes sont bons pour s'attirer leurs bonnes grâces. C'est pourquoi certains Boliviens possèdent le crâne d'un membre de leur famille (ce qu'on appelle les natitas), ou le crâne d'un défunt qu'ils ont adopté, et partagent leur vie avec, le crâne est considéré comme un membre à part entière de la famille, et dispose d'une niche avec des objets lui ayant appartenu, par exemple.


Pour citer encore quelques exemples, la Famadihana de Madagascar, où les corps des ancêtres sont exhumés le temps d'une cérémonie est aussi l'occasion de prendre soin du défunt et de changer son linceul, par crainte de son courroux. Ou encore la Roumanie où une partie de la population croit aux strigoï, ces défunts qui se relèvent d'outre-tombe pour se nourrir de l'énergie vitale des mortels, des sortes d'âmes troublées partageant quelques similitudes avec les vampires. Les Japonais sont également très prudents, car la mauvaise exécution des rites funéraires est préjudiciable, l'esprit du mort risquerait d'errer et de tourmenter ceux qui auraient manqué à leurs obligations ! Morts... mais donc jamais oubliés !!


C'est un livre fascinant et dépaysant que nous offre Juliette Cazes. Elle nous partage sa passion, et c'est communicatif ! Je me suis retrouvée à m'intéresser à ses propos, à découvrir avec fascination les différents rites dans le monde, à faire ce tour du monde des rites et découvrir diverses populations avec leur culture. Le texte est d'autant plus aéré et écrit avec simplicité, légèreté et parfois humour. J'ai également beaucoup apprécié la présence d'une bibliographie en fin d'ouvrage, par pays, permettant de découvrir les sources de l'auteure mais aussi de découvrir plusieurs titres si jamais on souhaite élargir le sujet et lire davantage. Si je ne devais reprocher qu'une seule chose, c'est le manque de photographies et d'images pour illustrer ses propos, mais sans doute que l'auteure a ses raisons et qu'il aurait été difficile de proposer d'illustrer certaines pratiques funéraires, par pudeur... cela n'empêche pas que j'ai passé un bon moment avec cet ouvrage, et que j'ai pu apprendre des choses bien intéressantes. Je conseille aux éventuels.les curieux.ses, vous ne serez pas déçus.es du voyage !




Pour en savoir plus :



Pour faciliter le retour sur terre des esprits des défunts, plusieurs étapes incontournables sont mises en œuvre. Tous les sens - des vivants comme des morts - doivent être mis en éveil. Ainsi, dès le mois d'octobre, une ambiance festive commence à s'installer à travers le pays, avec des défilés de fanfares et de cortèges musicaux qui viennent flatter l'ouïe de chacun. La vue et l'odorat ne sont pas publiés, avec la présence un peu partout de fleurs colorées et parfumées, notamment les roses d'Indes, les œillets d'Inde et les tournesols. Ces décorations permettent aux âmes de retrouver le chemin entre le monde des morts et celui des vivants, mais aussi de leur montrer qu'elles sont attendues par leurs proches. Des bougies sont également posées devant les portes des maisons, à la fois pour guider les morts dans leurs déplacements et pour qu'ils aient la certitude qu'ils seront bien accueillis.
El dia de los muertos au Mexique - Faire la fête pour et avec les morts.