jeudi 24 décembre 2020

Casse-Noisette et le roi des souris - Ernst Theodor Amadeus Hoffmann.


Le soir de Noël, Marie s'endort, entourée de ses cadeaux. Elle a couché Casse-Noisette, le pantin de bois, dans un lit de poupée. Mais, lorsque l'horloge sonne le douzième coup de minuit, les jouets s'animent ! Casse-Noisette se prépare à affronter le terrible Roi des Rats pour sauver une princesse victime d'une affreuse malédiction. Marie, qui assiste au combat, se retrouve entraînée dans une aventure fantastique et périlleuse...





Popularisé par l’œuvre musicale mondialement reconnue de Tchaïkovsky, Casse-Noisette est un conte écrit par E.T.A Hoffmann. Je connaissais l’histoire de base, puisque cette dernière est populaire dans notre culture. Je me souviens notamment du film animé des années 1990, qui fait partie des films de mon enfance. C’est un classique que j’avais envie de découvrir depuis un moment déjà, et le Cold Winter Challenge est une bonne occasion pour le découvrir, d’autant plus en cette période de Noël.


Dans cette histoire, nous suivons une petite fille du nom de Marie Stahlbaum. Le soir de noël, elle se voit offrir une poupée et son frère, Fritz, des petits soldats. Leur oncle Drosselmeier offre alors à la fratrie un casse-noisette qui fascine Marie et pour lequel elle s’attache très vite. Alors que Fritz casse malencontreusement des dents et le menton du casse-noisette, bouleversant Marie, Drosselmeier, voyant l’attachement de Marie pour ce pantin de bois, le met sous sa protection. Lorsque vient l’heure d’aller se coucher, Marie reste un peu avec ses jouets afin de les admirer. Minuit sonne alors à la grosse horloge de l'habitation et les jouets jusqu'ici inanimés commencent à bouger...


Si l’histoire ne fut pas une surprise dans son ensemble, l’ayant déjà découverte à travers des films, elle n’en fut pas moins plaisante à suivre. Le style n’est pourtant pas loin d’être simple : l’écriture se replace bien dans son époque, avec un vocabulaire et des structures de phrases riches du XIXe siècle. La lecture n’est ainsi pas toujours aisée, surtout puisque cette histoire se présente comme un conte pour enfant, pour autant, je trouve à l’écriture un certain charme qui me rappelle les romans de la comtesse de Ségur.


Si ce conte n’a rien d’exceptionnel dans son ensemble, c’est une histoire fort divertissante et plein de féerie avec des descriptions enchanteresses où les couleurs et les goûts de Noël sont bien présents : l’arbre de Noël décoré d’or et d’argent, les friandises et sucreries, les nombreuses lumières… Un vrai conte de Noël qui nous plonge également dans un univers magique et envoûtant dans lequel les jouets s’animent et se lancent dans une bataille contre des rats et des souris, il y a une histoire de princesse, de malédiction, ainsi qu’un monde imaginaire aux saveurs gourmandes avec un royaume de chocolat et des paysages en friandises. C’est un plaisir de suivre Marie qui passe d’un monde à l’autre, faisant cohabiter son monde avec celui des jouets, plus gourmand, enfantin et déluré, et sa dévotion pour Casse-Noisette est touchante.


Les personnages sont typiques mais plaisant à découvrir et à suivre : nous avons Marie (connue sous le nom de Clara dans certaines versions), une petite fille avec un cœur noble, Casse-Noisette qui est laid d’apparence mais avec un grand cœur, un vieux bonhomme excentrique, Drosselmeier, qui détient les clés des secrets, un méchant aussi laid qu’effrayant qui se présente comme un rat à sept têtes ainsi qu’une bataille que livre Casse-Noisette qui doit affronter les dangers et tout mettre en œuvre pour se débarrasser du roi des rats, avec l’aide de Marie qui va tout faire pour l’aider à briser la malédiction qui pèse sur lui, ainsi qu’une morale qui est celle de « l’habit ne fait pas le moine », classique mais intemporel.


J’ai été saisie par le personnage du roi des rats et à quel point il pouvait se montrer effrayant, surtout dans un conte pour enfants. Il gratte, il s’infiltre partout jusque dans le lit de Marie, se manifeste sans qu’on le voit, laissant juste entendre sa voix menaçante.


Bien que court, j’ai été conquise par ce conte de noël, son univers, son intrigue et son ambiance. J’ai été un peu déconcertée par la fin, mais je comprends que l’auteur nous laisse le choix, et on se plaît à croire que tout s’est bien passé et qu’il ne s’agit pas d’une histoire sortie de l’imagination de Marie, comme le pensent les adultes de son entourage. C'est un voyage captivant que nous offre Hoffmann et par la-même, il nous donne un classique du conte de noël qui ravira petits et grands.





Mais les enfants devaient avoir été bien gentils et bien sages pendant l’année entière, car jamais leurs cadeaux n’avaient été aussi magnifiques que cette fois. Le grand pin au milieu de la table portait une foule de pommes d’or et d’argent ; des pralines et des bonbons de toute sorte en représentaient les boutons et les fleurs, et de beaux et nombreux jouets étaient suspendus à toutes les branches. Mais ce qu’il y avait de plus beau dans l’arbre merveilleux, c’était une centaine de petites bougies, qui brillaient comme des étoiles dans son sombre feuillage, et tandis qu’il semblait avec ses lumières, au dedans et au dehors, inviter les enfants à cueillir ses fleurs et ses fruits. Tout resplendissait riche et varié. Que de belles choses se trouvaient là, et qui pourrait essayer de les décrire ? Marie regardait les plus belles poupées, toutes sortes de charmants petits ustensiles de ménage ; et ce qui attirait le plus les yeux de la petite Marie, c’était une petite robe de soie qui pendait sur un petit piédestal élégamment ornée de délicieux rubans.

vendredi 18 décembre 2020

La fille dans l'écran - Lou Lubie et Manon Desveaux.


Coralie vit en France et rêve de devenir illustratrice. Ses recherches d'inspiration la conduisent à contacter Marley, une photographe installée à Montréal.

De son côté, Marley a abandonné sa passion pour la photo pour se laisser porter par une vie sociale trépidante : un job alimentaire, un amoureux québécois...

Les deux jeunes femmes que tout oppose vont tisser sur internet un lien plus fort que la distance et le décalage horaire, qui va grandir de façon troublante jusqu'à la rencontre...


Bien que je n'en ai pas lu beaucoup cette année, 2020 aura été l'année des jolies découvertes en matière de bande-dessinée/roman graphiques, je reviens aujourd'hui avec une jolie lecture !


Nous suivons deux jeunes femmes. Coline, 20 ans, vit en France à Périgueux avec ses grands-parents pour échapper à la pression maternelle, et qui souffre de phobie sociale. Son rêve est d’être illustratrice. Pour son projet en cours, elle souhaite dessiner des animaux vivant dans des contrées froides, ce qui l’amène à découvrir les photographies de Marlène, 27 ans, qui vit à Montréal avec son conjoint, où elle travaille en tant que barista, après avoir laissé tomber sa passion pour la photographie. Ce projet est celui de la dernière chance : si elle échoue, elle devra se résoudre à suivre la voie que souhaite lui imposer sa mère. Inspirée par ces photos, Coline contacte Marlène, qui se fait appeler Marley, pour avoir l’autorisation d’utiliser ses photos pour son projet. S'installe entre les deux femmes une longue correspondance et une relation naissante…


J’ai eu un véritable coup de cœur pour ce roman graphique qui nous raconte une relation à distance, dans un premier temps professionnel, puis amicale et enfin amoureuse entre deux jeunes femmes. Ne vivant pas dans le même pays, elles se découvrent à travers les écrans de leurs PC et de leurs smartphones, avant de sauter le pas et de se rencontrer dans la vraie vie, ce qui déclenchera beaucoup de question dans leurs relations mais également chez leurs proches.


J’ai aimé découvrir nos deux personnages principaux. Je me suis notamment reconnue en Coline, qui est timide et anxieuse par nature mais qui cherche à réaliser son rêve, tout en subissant les pressions de sa mère de trouver « un vrai travail », c’est une jeune femme qui se cherche encore, au niveau du caractère mais aussi de l’image qu’elle renvoie, car elle a longtemps cherché à passer inaperçue et j’ai été touchée de la voir évoluer et s’épanouir professionnellement et personnellement. J’ai aussi beaucoup aimé Marley qui nous semble de prime abord plus épanouie, mais on s’aperçoit au fil de l’histoire qu’elle n’est pas toujours prise au sérieux par son entourage qui considère sa passion pour la photographie comme un simple passe-temps, ou lorsqu’on la pousse à rencontrer des gens et sortir. Il s’agit ici de deux femmes totalement opposées dans leur façon de vivre, leur façon de penser et leur façon de voir le monde qui les entoure. Elles ont des vies et des personnalités très différentes, ainsi que des rêves différents. On se rend compte, au fil des pages, qu’elles ne sont finalement pas si différentes que ça et qu’elles se complètent parfaitement. J’ai trouvé touchante leur relation qui se noue au fil des mails et des SMS. Elles vont s’écrire tous les jours, plusieurs fois par jour, se confier l’une à l’autre, rire ensemble, pleurer ensemble, se soutenir mutuellement.


C’est une romance épistolaire aussi réconfortante que touchante. La manière dont le dialogue s'installe et se développe est très juste. Je me suis retrouvée à de nombreuses reprises pour les avoir déjà vécu, par exemple dans ces façons de ré-écrire plusieurs fois un même message, d'interpréter les absences de réponse, d'appréhender les réactions de l'autre.


Le scénario prend son temps, il n’est pas précipité et on a le temps de voir arriver l’évolution de cette relation, ce qui nous fait sourire et nous touche. La narration est plutôt originale : les pages de gauche racontent l'histoire de Coline dans des nuances de gris, noir et blanc, et celles de droites qui sont celles de Marley sont en couleur. Par moments, les pages se rejoignent et, quand Marley rend visite à Coline, elle devient le seul élément coloré du dessin ; j'ai également trouvé intéressant que les situations s'inversent pour nos deux héroïnes vers la fin de l'histoire, en quelque sorte [spoiler] c'est Coline qui a trouvé un travail, s'épanouit et s'affirme tandis que Marley a choisi de quitter son travail et son petit-copain, et quittant sa situation de départ pour un renouveau [/spoiler]. J’ai aussi beaucoup aimé la façon des auteures de représenter certaines situations, sans mots mais à travers le dessin. Par exemple, tel personnage peut apprendre une terrible nouvelle et le dessin est celui de verre qui se brise, ou lorsque tel personnage apprend une nouvelle qui change sa vie, le personnage a l’impression de flotter dans l’espace, ou encore l’échange de mail qui se fait parfois à travers une enveloppe qui va de la page de Coline vers la page de Marley. J’ai trouvé tout cela très joli et original.


C’est aussi une œuvre qui aborde des sujets actuels, comme la pression sociale, les troubles de l’anxiété, l’abandon de ses rêves mais aussi l’homosexualité. C’est aussi une jolie histoire qui ne dévalorise pas l’importance des relations à distance, qu’il s’agisse d’amitié ou d’amour, ce que j’ai trouvé très agréable. Les auteures nous montrent bien qu’une relation nouée sur internet peut être aussi belle et importante qu’une relation faite dans la vraie vie. C’est vraiment un joli roman graphique, plein d’optimisme, de fraîcheur, de sensibilité et d’émotions.



lundi 14 décembre 2020

Une seconde avant Noël - Romain Sardou.

1851. À Cokecuttle, une cité industrielle anglaise, le petit Harold survit péniblement, vivant sous les ponts et ramonant des cheminées. Et pourtant...

Harold est promis à un destin fantastique. Guidé par un génie invisible, il va découvrir un monde peuplé de lutins, d'arbres magiques et de rennes volants. D'extraordinaires voyages l'y attendent. Il est appelé à devenir un personnage que nous connaissons tous très bien : à la longue barbe blanche et au costume rouge éclatant...

Ce petit orphelin est le Père Noël avant qu'il devienne le Père Noël !


Déjà présent dans ma pile à lire du Cold Winter Challenge de l’année dernière sans que je réussisse à mettre la main dessus, je suis heureuse d’avoir eu l’opportunité de lire ce livre cette année ! C’est une lecture idéale pour Noël !


Le jeune Harold Gui n’a pas la vie facile. Petit garçon vivant dans la pauvreté, il est contraint de dormir dans les rues et de travailler rudement pour survivre. Son seul réconfort, il le trouve en la personne de son ami, Le Falou, un vieil homme, pauvre tout comme lui, qui l’émerveille de ses histoires et lui apprend à lire et à écrire. Tout bascule lorsqu’Harold est accusé de crimes qu’il n’a pas commis et envoyé en Écosse pour travailler dans une ferme, tenu par des adultes peu charitables, en compagnie d’autres garçons. Mais, voilà qu’un jour, alors qu’il travaillait dans les bois, il tombe sur deux étranges êtres ressemblant à des lutins ! Il l’ignore encore, mais son destin commence à se mettre en place…


Je ne m’attendais pourtant à rien en débutant ma lecture, n’ayant pas lu la quatrième de couverture pour me faire une idée, le début fut un peu laborieux mais au final, je ressors ravie de ma lecture et j’ai passé un moment magique avec ce conte de Noël. Romain Sardou a su me transporter dans un monde fantastique et féerique, en compagnie d’Harold, des lutins, des rennes volants et autres génies. Tous les ingrédients du conte sont présents, avec la part de fantastique à travers la présence d’êtres et créatures magiques qui ont peuplé la Terre et aidé les hommes, avant de se cacher lorsque les hommes ont voulu s’approprier leur pouvoir et leur savoir, des fées et génies qui veulent apporter de la joie aux enfants en cette époque difficile pour eux, le héro choisit pour une grande destinée. J’ai également aimé l’initiative de l’auteur de s’adresser directement aux lecteurs, comme si nous étions les témoins privilégiés de l’histoire qu’il nous présente.


J’ai aimé découvrir les références aux différents symboles de Noël et leur histoire, tels que Saint Nicolas, la bûche de Noël (qui n’était pas comestible au départ), les cadeaux, etc. J’ai également beaucoup aimé découvrir d’autres symboles et histoires autour de Noël selon la version de l’auteur, pour coller à son roman, comme la figure du Père Noël, comment les lutins et le Père Noël en sont venus à vivre au Pôle Nord, comment il fut décidé d’offrir des cadeaux à tous les enfants sages et d’utiliser un traîneau et des rennes volants pour distribuer les cadeaux, l’arrivée du papier cadeau, la décoration du sapin, l’arrivée de la lettre au Père Noël, et de l’usine des lutins pour fabriquer les jouets, le cadeau qui était d'abord un simple geste et dont la nouvelle a voyagé partout. Tout n’est pas arrivé au hasard, cela s’est fait après des essais et des idées mûrement réfléchies, et progressivement. Tous ces éléments ont été bien pensés, et j’ai beaucoup apprécié découvrir la fête de Noël avec son personnage emblématique et ses symboles bien connus dans l’univers de l’auteur.


Ce n’est pas pour autant un roman guimauve, plein de bons sentiments puisque l’histoire nous présente un temps rude, surtout pour les enfants vivant dans la pauvreté qui doivent travailler pour survivre. C’est l’âge de la révolution industrielles, et les enfants sont facilement employés, voire même exploités, par les adultes pour leurs petites mains, souffrant du froid, de la faim et de maladies. Les hivers sont rudes, la mortalité enfantine est élevée et la pauvreté présente à chaque coin de rue. On retrouve ici une ambiance à la Oliver Twist, et on devine sans peine que Dickens a du inspirer l’auteur pour cette histoire, car il nous peint la société anglaise de cette période avec le travail des enfants, le dur labeur dans les usines qui « salissent » les villes qui deviennent sombres, grises, avec de l’insalubrité, la pollution, la violence. Ici les enfants sont de vulgaires ouvriers que l’on exploite juste assez pour qu'ils ramènent quelques pennys, qui sont parfois battus et qui n’ont aucun droit. Réalité sordide qui n'en est pas moins historique.


Cependant, à cette dure réalité historique s’ajoute cette dimension féerique. Si la magie n’est pas très présente au début et que la situation du jeune Harold semble empirer au fur et à mesure qu’on avance dans l’intrigue, avec ses mésaventures, la magie finit par prendre une place plus importante. Si la première partie peut nous sembler longue, je ne peux pas nier son utilité car elle nous permet de saisir le caractère du héro, et elle justifie complètement le besoin et la naissance du Père Noël telle qu'on pourra le voir dans la suite du roman, comment les êtres magiques décident de se manifester à nouveau et de choisir un humain pour créer un événement qui permettra de faire revenir la magie, d’émerveiller les enfants. Donc, même si nous avons un mélange entre la dure réalité historique et la partie magique et fantastique, c’est mené et abordé avec justesse et naturel.


J’ai aimé Harold, qui est un personnage débrouillard et généreux qui va s’accorder parfaitement avec les êtres magiques. S’il est mature pour son âge et à cause de son vécu, il a gardé une âme d’enfant. Étant un enfant, il sait comment les enfants fonctionnent, ce qu’ils désirent, ce qu’ils aiment moins. J'ai aussi aimé faire la connaissance des lutins, leur génie, leur enthousiasme, les voir redécouvrir le monde des hommes depuis leur absence, la technologie industrielle, ce qui offre un contraste avec Harold qui découvre le monde des lutins, des fées et des génies.


Grâce à son formidable talent de conteur, Romain Sardou prolonge la magie de Noël, avec un conte comme à l’ancienne qui ressuscite l’esprit de Noël et notre âme d’enfant. C’est une lecture que j’ai beaucoup aimé, à l’approche de Noël. Je sens mon âme d’enfant qui s’éveille, et qui voudrait visiter l’usine de jouets, voir les lutins à l’œuvre, marcher dans la neige. Une histoire magique, pleine de rebondissements, de surprises et d’émotions.


Les deux amis ne parlèrent pas beaucoup. Joe était épuisé. D'ordinaire, ils ne cessaient de commenter la création des nouveaux jouets de la fabrique, s'étonnant que ce soit toujours des adultes qui choisissent ce qui devait plaire aux petits, riant des prototypes qui fonctionnaient mal, rêvant de pouvoir ne serait-ce qu'une seule fois toucher des mains ces petits bijoux d'amusement qui aussitôt mis en caisse quittaient Cokecuttle pour Londres ou Manchester. Harold et Joe rivalisaient d'invention sur les joujoux qui créeraient, eux, s'ils avaient ces moyens de production à leur portée.

"C'est un drôle de monde, disait Harold. Que connaissent les adultes des jouets destinés aux enfants ? C'est comme si nous, nous prenions la place des tailleurs de costume pour habiller les banquiers de Londres !"

dimanche 13 décembre 2020

Nous qui n'existons pas - Mélanie Fazi.


« Est arrivé un jour où la fiction n'a pas suffi. »

Aussi curieux que cela puisse paraître, il me semble qu'une des forces de l'œuvre de Mélanie Fazi est que précisément la fiction n'a jamais suffi. Qu'elle a toujours su trouver d'autres biais pour exprimer cette tension personnelle, intime, dont elle nous fait part dans ce livre, et qui est matière de toute sa création.




Je ne sais pas trop de quelle manière commencer cet article… c’est assez délicat de « juger » un livre aussi intime, cependant je tiens à en parler car c’est une lecture qui m’a marqué, dans laquelle j’ai su me reconnaître sans pour autant partager l’expérience de l’auteure car chaque individu est unique et qu’il y a autant d’expérience que de gens sur terre. Toutefois, les mots de l’auteure m’ont parlé, elle a su me toucher, et je me suis sentie… moins seule, dans ce que je ressens, ce que je vis.


Ce livre est un témoignage, dans lequel l’auteure parle d'elle-même, des autres, de ses questionnements, ses souffrances, sa solitude, son mal être, son mode de vie, sa sexualité, sa perception du monde et le décalage qui en résulte et qu’elle détecte très tôt vis-à-vis de son entourage, son expérience modelée par une différence présente en elle depuis longtemps, mais qui fut longue à identifier. Une différence parfois source de souffrance, de doutes, car elle se manifeste sur un « sujet » qui semble, à la majorité d’entre nous, si évident, si naturel. Il s’agit de l’envie d’être en couple, une envie que l’auteure ne comprend pas et ne « possède » pas. Mélanie Fazi considère en effet le fait de vouloir être en couple comme un concept étrange, car elle ne comprend pas l’attrait et le besoin de se mettre dans cette cas. Elle n’en a jamais ressenti le besoin, sa vie lui convient comme elle est, et elle ne trouve pas qu’il y a un manque dans sa vie.


Cependant, comme Mélanie Fazi nous le raconte, c’est une différence qui est difficile à vivre et à expliquer dans une société où vivre en couple est une normalité, quelque chose de banal et universel et que c’est davantage le fait de ne pas vouloir vivre en couple qui est considéré comme étrange. La majorité des individus aurait en effet tendance à croire que de ne pas se mettre en couple est un choix prit par dépit, parce qu’on se lasse de chercher la bonne personne, parce qu’on a vécu des déceptions amoureuses, parce qu’on a vécu quelque chose de traumatisant dans notre passé qui nous fait refuser cette intimité. Le fait est que... ce n’est pas forcément le cas. C’est quelque chose que l’auteure, ainsi que d’autres personnes, ne souhaitent pas, simplement parce que c’est pour une notion étrangère, voire absurde. C’est quelque chose qui ne les attire pas, et ce n’est pas forcément parce que quelque chose est arrivé. Ce n’est pas un manque non plus, puisque l’auteure n’a jamais ressenti de manque, comme elle n’a pas ce désir de se mettre en couple. Il ne s’agit pas non plus d’un blocage, car le blocage est une envie contrariée, ne pas pouvoir faire ce qu’on voudrait faire, ce qui n’est clairement pas le cas chez elle.


J’aurais aimé pouvoir dire : moi aussi, j’ai connu tout ça. J’aurais aimé me savoir « normale » et ne pas avoir à me cacher. La société n’est pas tendre avec ceux qui sortent du rang ; on n’a pas envie de subir les regards moqueurs ou navrés, d’être qualifiée de coincée, de frigide, de vieille fille.


L’amour romantique est un sujet universel, bien difficile à esquiver en société ! L’auteure nous évoque les remarques blessantes du quotidien sans mauvaise intention car les personnes autour de nous ne savent pas de quelle manière ces mots résonnent en elle, en nous. Par exemple, ses amies parlant de leur couple et s’attendant à ce qu’elle fasse de même, le médecin ou gynécologue qui demande la date du dernier rapport sexuel, des questions de contraception, et devoir expliquer pourquoi on en utilise pas. Il y a aussi ces personnes qui disent que c’est simplement parce qu’on a pas assez cherché, qu’on a pas encore trouvé le bon alors qu’on attend simplement qu’on nous dise : « Ce n’est pas un problème », qu’il était réellement possible de ne pas souhaiter ce genre de relation et que l’image populaire de la célibataire qui vit seule avec ses chats le fait par choix, parce que c’est ce qu’elle désire et que c’est ainsi qu’elle peut vivre en paix avec elle-même et non par dépit, non pas parce qu’elle a mal tourné ou parce qu’elle fait fuir le reste du monde.


Cela ne veut pas dire que les personnes comme l’auteure sont asociaux pour autant, comme Mélanie Fazi l’explique : elle a besoin de la présence des autres, de relation d’amitié, de moments partagés avec ses proches, tout comme elle a un besoin tout aussi important de solitude. La solitude n’est pas une chose nécessairement triste comme le veut l’image populaire, mais comme un besoin vital. C’est quelque chose de naturel pour elle.


Elle nous parle de son incompréhension, depuis l’enfance, de ne trouver que des récits qui se terminent en histoires d’amour, pourquoi les filles regardent les garçons (ou d’autres filles), comment la plupart des chansons aborde l’amour romantique car c’est universel, comment chaque histoire comprend une histoire d’amour pour être complète et que, si la romance n’est pas le cœur du sujet, les personnages seront déjà en couple ou désolés de ne pas l’être, que la plus belle chose qui puisse arriver au héro est de trouver son âme sœur, comment les personnages de fiction seuls le sont parce qu’ils ont “un problème”, qu’ils sont immatures, tordus, ridicules ou dangereux ou parce que la vie les a brisé. Que peut-on alors en déduire ? Quel message cela donne aux personnes comme Mélanie Fazi ?


L’auteure nous raconte alors comment elle a essayé de faire comme les autres filles, d’imiter leurs discours pour s’intégrer aux conversations ou d’essayer de se projeter dans ces situations qu’elles semblent toutes rêver, mais elle s’est rendue compte que cela sonnait faux, et que cette situation ne l’intéresse pas.


Elle nous parle alors de ses questionnements. Pourquoi tout ça semble naturel aux autres et pas à elle ? Pourquoi les autres y arrivent mais pas elle ? Elle nous évoque son angoisse lorsqu’elle s’est rendue compte que, plus elle avance dans l’âge, plus ce “problème” n’est pas réglé et cela lui pèse puis l’acceptation qu’elle n’aurait jamais envie d’être en couple, sans toutefois se défaire de cette envie de savoir : comment ça fait d’être en couple, d’aimer et de vivre avec quelqu’un, le plaisir qu’on a, pourquoi ce besoin. Elle nous parle de sa dépression, de ses séances avec une thérapeute ouverte et chaleureuse, à l’écoute, qui ne juge pas sa différence mais qui l’a encouragé à respecter cette particularité plutôt qu’à l’effacer.


Elle nous parle aussi de la découverte de son attirance pour les femmes, mais comment elle ne cherche pas de relation pour autant ou d’aventure d’un soir. Elle se pose des questions d’identité, sur l’homosexualité, mais aussi des questions de genre (comment elle se sent plus féminine en cessant de porter des robes et des talons par exemple). Elle nous confie ses doutes et ses questionnements, elle se demande comment se qualifier de lesbienne alors qu’elle n’a eu aucune relation avec une femme et n’en a aucune envie. Elle parle également des étiquettes. Certains se demandent à quoi bon s’affranchir d’une norme pour en endosser une autre, puis elle y répond : parce que c’est rassurant, tout simplement, de ne pas être seul, de ne pas être une bête curieuse, que ce qui nous arrive est normal, différent mais normal, l’étiquette donne le droit d’exister.


Lire ses mots m’a réconforté, m’a fait me sentir moins seule. Je me suis retrouvée plusieurs fois dans ses propos, dans son expérience, ses peurs, ses doutes, ses questions, son mal-être. Ce témoignage m’a parlé et m’a beaucoup touché, l’écriture et la publication de ce livre n’ont pas du être facile pour elle tant ce témoignage est intime, ce n’est pas aisé de se mettre à nu, ainsi je la remercie pour ce livre car grâce à elle et son témoignage, je me sens moins seule, et je sais qu’il y a des personnes comme nous qui existons et qui revendiquent leur différence.


J’ai aimé découvrir son rapport à l'écriture, aux livres, le cheminements de ses pensées, la manière dont elle nous présente les choses. En bref, c'est une autobiographie touchante,  juste, intime, pleine de sensibilité, qui fait la lumière sur de nombreux sujets qui ne sont pas facilement abordés.


La différence dont je vous parle tient à l’absence d’une petite chose très bête que tout être humain est censé posséder : une pulsion considérée comme la chose la plus universelle et la plus banale au monde. Celle qui pousse à chercher un partenaire, à désirer la vie de couple, les relations charnelles, celle qui incite à fonder une famille. La recherche de l’âme sœur, si vous voulez. Après tout, les contes de fées de notre enfance se terminaient toujours quand nos héros partaient vivre heureux et faire beaucoup d’enfants.

C’est un présupposé très fort, admis par tous : l’être humain a besoin de nourriture, d’oxygène et d’une vie de couple. Il en a toujours été ainsi.

Alors que faire, et comment vivre, quand vous ne vous y reconnaissez pas ?

samedi 5 décembre 2020

Christmas Pudding - Agatha Christie.


Un soir de Noël, un rubis – gros comme un bouchon de carafe – est dérobé à un prince oriental…


Noël, la douceur des retrouvailles familiales et les délicieux souvenirs de l’enfance ! Cela peut aussi être le moment idéal pour régler ses comptes et commettre un crime… Seulement, même à Noël, rien ni personne ne peut mettre au repos les petites cellules grises d’Hercule Poirot.



Cqu’il y a de bien avec les livres d’Agatha Christie, c’est qu’on a la promesse de passer un agréable moment. C’est une auteure que je retrouve avec plaisir car, même si je vais davantage me passionner pour certaines enquêtes et moins d’autres, ce sera un agréable moment de lecture. Cela faisait un moment que je ne m’étais plus replongée dans un de ses livres et retrouver son célèbre détective belge.


À l'approche de Noël, Hercule Poirot reçoit de la visite, et pas n’importe laquelle ! Celle d’un jeune prince héritier d’un royaume oriental, accompagné d’un agent de Sa Majesté, et il est bien embêté : alors qu’il était en charmante compagnie un soir, il prête à la dame un précieux rubis pour magnifier sa tenue. Seulement, la dame a disparu avec ce rubis… Le prince devant se marier prochainement et la pierre précieuse étant promise à la future épouse, ce larcin est particulièrement embarrassant ! Si l’affaire intéresse Poirot, le cadre de son enquête l’attire moins car, pour retrouver la pierre et éviter un scandale international, le détective doit braver son aversion pour le froid et l’inconfort de la campagne anglaise pour s’intégrer au sein d’une famille aisée et prétendre souhaiter découvrir le Noël anglais traditionnel…


Christmas Pudding est davantage un prétexte pour nous faire découvrir le Noël anglais traditionnel, avec un semblant d’enquête dans le fond. Il s’agit d’une nouvelle de moins de cent pages, cela ne laisse que peu de temps pour voir une bonne enquête évoluer. Toutefois, j’ai beaucoup apprécié cette lecture ainsi que ses rebondissements ! À noter aussi que, Hercule Poirot étant Belge, l’auteure a pris en compte la vision d’un étranger et confronte les points de vue, ce que j’ai trouvé intéressant !


Cette nouvelle nous met parfaitement dans l’ambiance d’un Noël traditionnel anglais avec l’arbre de Noël, les bas pleins de friandises, la branche de gui, la soupe aux huîtres, les anciens desserts comme les pommes au sirop, les fruits sec ou conflits, sans oublier la « star » de cette nouvelle, à savoir le plum-pudding, ce célèbre dessert anglais dans lequel on y ajoute, selon la traditions, diverses babioles comme une bague (annonçant un mariage) ou un bouton (annonçant un célibat), et bien-sûr un Noël blanc dans un manoir anglais, de quoi nous mettre dans l’ambiance ! C’est dans ce cadre enchanteur qu’Hercule Poirot va démasquer le coupable du vol du rubis, tout en profitant d’un Noël à l’ancienne… sans se douter que de jeunes gens, aussi invités pour les fêtes, veulent mettre en déroute le célèbre détective en lui faisant une farce, à travers un faux meurtre.


Je me suis amusée des réactions de Poirot, qui aurait bien préféré passer cette période de fêtes tranquillement chez lui, dans son petit appartement bien chauffé, et non dans une de ces vieilles demeures anglaises dans la campagne dont il craint le froid. Je me suis également amusée à voir ces jeunes gens essayer de faire une farce à Poirot et la réponse de ce dernier ! On se perd facilement dans ce cadre d’un Noël anglais et des scènes entre les différents invités, en se demandant tout de même comment Poirot va mener l’enquête et découvrir le voleur de rubis. Bien-sûr, le détective reste fidèle à lui-même et démasque le voleur de manière théâtrale. Tout s’enchaîne assez rapidement, mais avec logique et déduction. 


À noter que ce livre est un recueil comprenant six nouvelles, je n'ai toutefois pas lu les suivantes et j'ai préféré me consacrer à la lecture de la toute première. Non pas parce que les autres histoires manquaient d'intérêt, mais plutôt parce que mon objectif était de lire les histoires d'Agatha Christie en rapport avec Noël uniquement, à savoir cette nouvelle et Le Noël d'Hercule Poirot à l'occasion du Cold Winter Challenge. Je n'exclue donc pas la possibilité de lire les autres nouvelles prochainement !


- Ah ! mais en Angleterre, Noël est une véritable institution, et je puis vous assurer qu'à Kings Lacey vous la verriez dans toute sa splendeur. C'est une vieille maison merveilleuse, vous savez. Pensez donc, l'une des ailes remonte au XIVe siècle !

Nouveau frisson de Poirot. L'idée même d'un manoir anglais du XIVe l'emplissait d'appréhension. Il avait trop souvent souffert dans les grandes demeures rurales historiques d'Angleterre. Il jeta avec satisfaction un regard circulaire sur son confortable appartement moderne, avec ses radiateurs et ses tout derniers équipements anti-courant d'air.

Le Noël d'Hercule Poirot - Agatha Christie.


Pour la première fois depuis vingt ans, le vieux Siméon Lee a décidé de réunir tous ses enfants pour les fêtes de fin d'année.

Le 24 décembre, on le trouve sauvagement assassiné dans sa chambre. Tout le monde, évidemment, détestait ce vieillard cynique : Alfred et sa femme pour la tyrannie qu'il exerçait sur leur couple, David pour les humiliations dont il a abreuvé sa mère, George pour la rente - trop parcimonieuse à son goût - qu'il lui sert, Harry, le fils prodigue, pour le mépris dans lequel il le tient. Et puis il y a ce mystérieux M. Farr qui vient d'Afrique du Sud. Et la jeune Pilar, la petite-fille espagnole, n'a-t-elle pas déclaré froidement que, si elle avait un ennemi, elle n'hésiterait pas à lui trancher la gorge ? 

Vraiment le vieux Siméon n'aurait pas dû faire part devant tout le monde de son intention de modifier son testament, il n'aurait pas dû faire cette scène détestable à ses enfants réunis, il n'aurait peut-être pas dû faire devant Pilar étalage de ses diamants...


Cela faisait un bon moment déjà, depuis ma dernière lecture d'un roman d'Agatha Christie. Le Cold Winter Challenge se présente justement comme un moyen de retrouver cette auteure avec grand plaisir avec deux titres qui nous mettent dans l'ambiance de Noël, à savoir Christmas Pudding et Le Noël d'Hercule Poirot !


Siméon Lee, un vieux notaire veuf, décide de réunir toute sa famille à l’occasion de Noël. Derrière ce geste désintéressé se cache toutefois quelque chose de plus pervers… En effet, sadique et rongé par l’ennui, le vieux Siméon décide de se jouer de ses enfants, en affichant sa préférence pour certains d’entre eux et s’amuser de leurs réactions alors que cette grande réunion familiale ravive des tensions au sein de la fratrie. Cerise sur le gâteau, il annonce son intention de changer son testament devant toute la famille avant d’insulter copieusement ses fils un à un ainsi que sa défunte épouse… La goutte d’eau qui aura fait déborder le vase puisque, le soir de cette annonce, Siméon est retrouvé assassiné. Comment désigner le coupable quand tout le monde détestait ce vieil homme ? Hercule Poirot, accompagné du colonel Johnson et son surintendant Sugden, vont tenter de résoudre cette énigme...


Le Noël d’Hercule Poirot est plus dramatique que Christmas Pudding. Là où Christmas Pudding était une nouvelle tout en légèreté, nous avons affaire ici à un roman et Agatha Christie a pu prendre le temps de mettre en place son enquête et le contexte. Le roman se déroule sous plusieurs jours : du 22 décembre au 28 décembre, avec le meurtre prenant place ni plus ni moins que la veille de noël !


L’auteure prend d’abord le temps de nous présenter les personnages un à un : les invités puis les fils du vieux Siméon Lee avec leurs femmes respectives, qui ont tous reçu une invitation à passer Noël chez lui dans la demeure familiale. Les personnages se font des confidences, ce qui nous permet de découvrir leur passé et leurs rapports avec le vieux Siméon. On découvre bien vite que chacun a ses propres griefs avec le chef de famille. Lydia déplore que son mari, Alfred Lee, le fils docile et obéissant, continue de subir sans broncher la tyrannie de son père sur lui et son couple. George Lee et sa femme doivent compter sans cesse leurs sous, à cause de la rente parcimonieuse que le vieux Lee leur donne. David Lee, ayant toujours été proche de sa mère décédée, confie à son épouse combien son père a rendu sa pauvre mère malheureuse, si bien qu’elle en serait morte de chagrin. Quant à Harry Lee, n’a-t-il pas fuit la maison avec une belle somme d’argent, après avoir imité la signature du père sur un chèque ? Sans oublier Pilar, le seul enfant de Jennifer, la fille décédée de Siméon, qui fait tout pour se faire aimer de son grand-père et s’attirer ses faveurs.


Mrs Christie nous plante ensuite le décor, un vieux manoir anglais austère ; l’atmosphère avec les tensions entre les personnages et l’animosité qu’ils ont envers Siméon, et ce dernier qui s’amuse à semer les graines de la discorde ; puis le meurtre, mystérieux et énigmatique, où chaque personnage fait, ou presque, le suspect idéal ; l’arrivée d’Hercule Poirot ; l’interrogation des suspects ; les réflexions d’Hercule Poirot, ses autres rencontres avec les Lee, puis le coup de théâtre final. On peut déplorer certaines lenteurs, notamment lorsque l'auteure prend le temps de nous présenter chaque personnage et lorsque les enquêteurs interrogent les habitants du manoir un à un. Toutefois, chacun relate sa propre version des faits, ce qui peut varier d’un personnage à un autre, leur possible alibi, les détails qu’ils choisissent ou oublient de formuler.


La reine du crime nous offre un huis-clos dans une vieille demeure gigantesque et luxueuse pendant la période de Noël, une recette qui fonctionne, d’autant plus qu’il s’agit d’une période propice aux réunions de famille… et souvent les tensions et conflits qui vont avec… notamment avec le retour du fils prodigue, que l’on croyait mort et dont la fuite il y a des années n’a pas plu à tout le monde, l’arrivée de deux invités inconnus des enfants Lee, et un père comme Siméon Lee, joueur, rancunier et cynique qui profite des retrouvailles familiales pour Noël pour humilier ses enfants une fois de plus, la poudre ne tarde pas à exploser !


Agatha Christie, comme à son habitude, sème des indices au fil des pages, que nous tentons de comprendre et de restituer, elle nous mène également vers une piste et puis une autre, en détruit une, nous mène vers une fausse piste pour nous surprendre. On s’interroge – qui a tué le vieux Siméon, comment, pour quel motif. Le mystère plane puisque la pièce est barrée de l'intérieur et que personne n’a pu en sortir, même pas par la fenêtre… On ne peut pas compter sur Poirot pour espérer comprendre, car le détective aime s’exprimer de façon mystérieuse, rester vague et ne laisser échapper aucun indice, gardant tout jalousement jusqu’à l’annonce de la vérité qu’il fait de façon théâtrale. Je dois avouer que, si j’avais deviné un rebondissement, l’identité du coupable fut une vraie surprise, je ne l’avais pas vu venir !


Ainsi, les rebondissements ne manquent pas, et certaines phrases prononcées innocemment annoncent ces rebondissements et révélations surprenantes, ce qui nous montre bel et bien qu’aucune famille n’est parfaite, surtout celle des Lee, et que chaque famille a ses secrets, certains plus gros que d’autres. C’est un élément que j’ai beaucoup apprécié dans le roman. Loin de l’ambiance chaleureuse et familiale de Christmas Pudding, ici les faux-semblants, tensions, rancœurs et secrets de famille sont au centre du récit. Sans m’être particulièrement attachée à la plupart des personnages, j’ai pris plaisir à suivre cette famille où chaque révélation, chaque détail de leur vie est un plaisir à découvrir.


La recette a de nouveau pris chez moi, je me suis régalée à lire ce roman policier, ainsi que les surprises et révélations à la pelle, et revoir ce cher détective belge ! Je serais à présent curieuse de découvrir l'adaptation avec le célèbre David Suchet !


- (...) Il paraît que toute la famille se trouvait réunie dans la chambre de votre grand-père cet après-midi, et que... des paroles vives furent échangées.
Pilar sourit :
- Oui. C'était bien amusant. Grand-père les a tous mis en colère.
- Oh ! cela vous a amusée ? Pas possible ?
- Si, j'aime voir les gens se disputer. Mais ici, en Angleterre, on ne se met pas en colère, comme en Espagne. Là-bas, on tire son couteau, on jure, on crie. Ici, les hommes deviennent rouges et serrent les lèvres.
- Vous souvenez-vous de la conversation qui eut lieu chez Mr. Lee ?
- Pas très bien. Grand-père leur a dit qu'ils n'étaient bons à rien... qu'ils n'avaient pas d'enfants, que je valais mieux que n'importe lequel d'entre eux. Il m'aimait beaucoup, mon grand-père.
- A-t-il parlé d'argent et de testament ?"

vendredi 4 décembre 2020

Peau d'Homme - Hubert et Zanzim.

 


« Les femmes de notre famille, nous avons un secret, nous avons en notre possession une peau d’homme. Nous l’appelons Lorenzo. Une fois la peau revêtue, nul ne peut se douter que tu n’es pas un garçon. Ainsi, tu pourras voyager incognito dans le monde des hommes. »







Je débute le Cold Winter Challenge avec Peau d’Homme. À l’origine, je voulais lire cette bande-dessinée pour le Pumpkin Autumn Challenge, ayant eu l’occasion de retrouver ce titre plusieurs fois parmi les lectures des participants.es. Je n’en ai cependant pas eu l’occasion de le lire, tout simplement parce que ce livre était sans cesse emprunté et sur liste d’attente mais tout vient à point à qui sait attendre, et j’ai pu l’emprunter pour le Cold Winter Challenge. Une fois ce titre lu, je peux comprendre l’engouement des lecteurs et des lectrices, car Peau d’Homme s’est révélé être un coup de cœur !


Dans l’Italie de la Renaissance, Bianca, une jeune femme de bonne famille, doit épouser Giovanni, un riche marchand, jeune et séduisant. Un mariage arrangé, comme cela se fait à l’époque. Si Bianca accepte de se plier à la décision familiale, elle exprime son regret de ne pas avoir pris le temps de connaître l’homme qu’on lui destine avant leur mariage qui approche à grands pas. La voyant si morose, sa marraine lui propose de passer quelques jours chez elle pour lui changer les idées. Ce séjour sera l’occasion de dévoiler à sa filleule un secret de famille transmis par les femmes : une peau d’homme, conservée dans une malle. Puisque Bianca regrette de ne pas connaître son fiancé, sa marraine lui en offre l’opportunité : en revêtant cette peau, Bianca devient un homme séduisant, à la peau halée et aux cheveux de jais nommé Lorenzo. Désormais un homme, Bianca est libre de visiter le monde des hommes et apprendre à connaître son fiancé dans son milieu naturel.




C’est sur ce concept original que les auteurs nous offrent une histoire dense et passionnante. En lisant cette histoire, je m’attendais alors à un récit où l’héroïne évolue dans l’univers des hommes pour y vivre des aventures rocambolesques avant d’avouer la vérité à son promis qui finit par l’aimer malgré ce secret. De ce côté-là, les auteurs ont su me surprendre ! Il ne s’agit pas seulement d’une histoire où Bianca découvre l’univers des hommes, c’est un prétexte pour véhiculer des messages intéressants et encore d’actualité sur la place de la femme, la recherche de sa sexualité, la liberté de vivre et d’aimer comme on le souhaite. Je ne m’attendais pas à trouver une telle richesse dans ce livre quand je l’ai commencé.


L’héroïne, Bianca, évolue dans une société où la femme n’a pas son mot à dire car la Bible dit qu’elle a été créée comme inférieure à l’homme. Dans ce contexte, difficile d’évoluer en tant que femme ! Pourtant, Bianca se révèle être une jeune femme instruite, intelligente, perspicace et elle a des idées qu’elle compte bien défendre et Lorenzo va l’aider en ce sens ! Après un premier essai peu concluant, Bianca découvre bien vite qu’elle ne peut résister à l’envie de redevenir Lorenzo car Lorenzo lui permet de s’affranchir des limites imposées aux femmes, et lui donne la liberté et la possibilité de découvrir l’amour et la sexualité... Lorsqu’elle revêt la peau d’homme, cela lui permet non seulement de découvrir un monde inconnu ainsi que son fiancé, mais aussi de réaliser le fossé entre l’attitude que la société exige des hommes et des femmes. En tant que Lorenzo, Bianca est libre d’aller et faire ce que seuls les hommes sont censés pouvoir faire, elle se révèle progressivement à elle-même. Elle devient alors, grâce à un caractère trempé, engagé et moderne pour l’époque, une femme qui revendique ses opinions en s’opposant à la condition du « sexe faible » : non, les femmes ne sont pas nées pour être soumises, non elles ne sont pas sources de vices mais plutôt le regard porté sur elle, non elles n’ont pas toutes le dégoût pour « la chose ».


« Et alors ? J’ai un corps et je n’en ai pas honte. En soi, il n’est ni bon ni mauvais. Ce n’est pas lui le problème : c’est ton regard qui est sale ! »


Devenir Lorenzo donne également à Bianca l’assurance de prendre des initiatives, d’être plus entreprenante mais aussi de revendiquer ses idées, poussant les gens autour d’elle à s’interroger et à évoluer. Ce qui ne veut pas dire que Bianca s’efface au profit de Lorenzo car c’est justement cette liberté qu’elle a goûtée en tant que Lorenzo qui va l’aider à exprimer son opinion et son mécontentement alors que les autorités religieuses durcissent le mode de vie de sa ville. Si Lorenzo devient un défenseur des droits, c’est Bianca qui devient une activiste forte et déterminée. C’est un personnage que j’ai beaucoup aimé, aussi bien en tant qu’homme que femme.


Son fiancé puis mari Giovanni n’est pas en reste pour autant. C’est avec lui que tout démarre. J’ai trouvé intéressant son évolution au cours de l’histoire. L’homme que Bianca découvre est d’abord imbu de lui-même, mais il va se révéler être un homme doux et touchant sous les yeux de Lorenzo et une relation très tendre et intime va se nouer entre Giovanni et Lorenzo, un autre élément à m’avoir surprise. J’ai pris beaucoup de plaisir à voir évoluer cette relation avec, en parallèle la relation Bianca/Giovanni, tout en m’interrogeant… Bianca va-t-elle révéler son secret à Giovanni ? Comment la relation entre Lorenzo et Giovanni va-t-elle évoluer et s’achever ? Combien de temps les escapades de Bianca en tant que Lorenzo allaient continuer ? Si je n’ai pas su deviner le dénouement et que j’aurais aimé… un peu plus de… mais au final, je ne suis pas mécontente et peut-être était-ce la meilleure façon de terminer le récit, avec nos deux personnages principaux libres de faire ce qu’ils souhaitent et en paix avec eux-mêmes et entre eux, et entretenir une relation entre complicité et affection...




Au-delà d’un récit féministe, les auteurs nous livrent également une histoire engagée, promulguant une liberté des mœurs et une liberté d’aimer au sens large, c’est une ode à la tolérance, à la découverte de la sexualité et du corps mais aussi à la vie et l’amour libres, car les protagonistes ne peuvent pas assumer pleinement leur sexualité ou leurs envies, sous peine d’être traités en hérétiques par une société puritaine qui n’accepte que le mariage religieux. Cette religion, c’est Fra Angelo, le frère de Bianca, qui la représente, un prédicateur souhaitant bannir toute forme de nudité et les œuvres d’art la représentant, un moralisateur rejetant le sexe, la luxure et la concupiscence, et qui s'attaque d'abord et avant tout aux femmes "pécheresses", et qui cherche par tous les moyens à imposer la "bienséance morale". Et, comme Bianca, on a envie de le secouer un bon coup en espérant lui remettre les idées en place, et s’insurger face à cet obscurantisme.


« - Les bravades, c’est bien joli, mais parfois il faut savoir faire profil bas.

- Et laisser les hypocrites et les bigots gagner parce que tout le monde baisse la tête ? »


Les auteurs n’ont pas cherché à faire d’opposition entre les hommes et les femmes, alors qu’il aurait été si facile de le faire, même accidentellement, et c’est un point que j’ai beaucoup apprécié. Le récit nous illustre bien une société et le rôle qu’elle veut attribuer aux femmes, mais aussi ce qu’elle attend des hommes et ce qu’elle ne souhaite pas voir.


Pour conclure : c'est en lectrice comblée que je referme ce livre, que j'ai déjà envie de relire et de partager mon amour pour cette œuvre. C'est une excellente découverte que je conseille à tous et à toutes !