vendredi 22 avril 2022

Bergères guerrières - Jonathan Garnier et Amélie Fléchais


Voilà maintenant dix ans que les hommes du village sont partis, mobilisés de force pour la Grande Guerre. Dix ans qu'ils ont laissé femmes, enfants et anciens pour un conflit loin de chez eux... 

La jeune Molly est heureuse car elle peut enfin commencer l'entrainement pour tenter d'entrer dans l'ordre prestigieux des Bergères guerrières : un groupe de femmes choisies parmi les plus braves, pour protéger les troupeaux mais aussi le village ! 

Pour faire face aux nombreuses épreuves qui l'attendent, Molly pourra compter, en plus de son courage, sur Barbe Noire, son bouc de combat, mais également sur l'amitié de Liam, le petit paysan qui rêve aussi de devenir Bergère guerrière même si ce n'est réservé qu'aux filles...



Quelle jolie surprise que cette bande-dessinée !

Je dois avouer que je n'attendais pas grand chose de cette bande-dessinée que, bien que j'avais repéré le titre un moment déjà, je n'avais choisi que pour le Blossom Spring Challenge. Merci au challenge, sans quoi je serais probablement passée à côté de cette petite pépite.


Alors que les hommes sont partis au loin pour une guerre aussi longue que mystérieuse, leur village décide de créer l'ordre des bergères guerrières qui réunit sous sa bannière des femmes aussi fortes que courageuses pour garder les troupeaux et protéger le village. Chaque année, cet ordre recrute et entraîne des apprenties pour en faire les guerrières de demain. La jeune Molly, âgée de 10 ans, qui aspire à devenir l'une d'entre elles, commence son entraînement et suit les enseignements en compagnie de ses amies... et de Liam, son meilleur ami qui, bien que garçon, souhaite intégrer l'ordre des bergères.


J'ai aimé découvrir l'Ordre des Bergères Guerrières qui se compose de femmes guerrières dont la différence de rang s'illustre à travers la couleur de la cape (verte pour les jeunes apprenties, bleue pour les confirmées, rouge pour les aînées), qui ont un bouc pour monture et qui sont chargées de protéger le village et les animaux en l'absence des hommes. C'est un ordre exclusivement féminin, dont la tendance s'inverse par rapport à ce que notre société est habituée, ce qui est déjà intéressant à voir mais nous avons le jeune Liam qui admire ces guerrières et souhaite en faire partie, bien que les garçons ne soient pas admis, et il va se battre pour prouver sa valeur et qu'il n'y a rien de dégradant à faire partie d'un ordre composé de femmes.


L'intrigue est bien menée. Outre Molly qui apprend à devenir une bergère guerrière à travers les enseignements qu'elle reçoit et les missions auxquelles elle participe, nous avons une aura de mystère autour de la guerre qui a éloigné les hommes du village et dont on ne sait rien. Une guerre contre qui ? Où ça ? Pourquoi ? Quelle est la raison de cette si longue absence ? L'histoire va répondre petit à petit à ces questions et apporter des moments tristes comme touchants à l'intrigue, car si les adultes se souviennent bien des hommes disparus, ce n’est pas le cas des enfants, comme Molly et ses amis, qui ne les ont pour ainsi dire jamais vus… et sont en quête de réponses, notamment Molly qui souhaite ardemment savoir ce qui est advenu de son père, et Liam son frère aîné. Petit à petit, on va en apprendre plus sur ces hommes, certains vont revenir, d’autres non, les agissements de certains ont laissé un impact sur l’intrigue.


Ajoutons à cela une pincée de fantastique alors que nous découvrons un monde celtique mystérieux dans lequel évoluent des sorciers, des métamorphes, des créatures fantastiques... J'ai notamment beaucoup aimé l'intrigue autour de la Bête qui terrorise la région et qui se révèle être plus qu'une sous-intrigue. À noter que la bande-dessinée fait la part belle aux animaux qui se révèlent presque aussi importants que nos héros, notamment les boucs de nos bergères.





Le scénario est une belle réussite. Après un tome introductif, on entre vite dans l'intrigue et Molly et ses compagnons ont à peine le temps de débuter leurs missions qu'ils sont jetés dans l'histoire, confrontés au danger, découvrant petit à petit la vérité sur le conflit, le mystère de la Bête et ce qui est advenu des êtres aimés partis à la guerre. On bascule d'aventures en aventures, de nombreuses péripéties et des révélations agrémentent le récit, avec l'univers qui s'assombrit et le drame qui s'intensifie au fil des tomes. On découvre d'avantage les personnages et le monde fantastique qu'ils habitent. C'est rythmé et poétique à la fois. Le dosage entre aventures, humour et émotion est parfait. Les personnages sont bien campés et sont attachants pour la plupart, sinon intéressants, avec des caractères parfois ambigus. J'ai notamment bien aimé notre duo Liam/Molly qui ont une dynamique drôle et touchante.


Bien qu'il s'agisse d'une bande-dessinée jeunesse, celle-ci n'a pas peur de prendre des risques et d'aborder des thèmes sombres, j'ai notamment aimé l’ambiguïté chez certains personnages et le fait que [spoiler] Molly et sa mère qui s'attendent à revoir le père de Molly, qui l'espèrent fort, l'attente est insoutenable, pour apprendre finalement qu'il n'a pas survécu, et au final je suis plutôt satisfaite de cette révélation, ça aurait été trop... beau , même prévisible, d'avoir ce retournement [/spoiler], ce qui donne une fin plutôt douce-amère qui m'a plu. L'histoire a su donner de beaux messages sans niaiserie, un soupçon d’humour même dans le drame et beaucoup de douceur, et y verser des instants bouleversants.


Quant au dessin d'Amélie Fléchais, il est tout simplement enchanteur avec un trait doux, rond, léger, une colorisation subtile et fine, presque dans des tons pastels. Les atmosphères brumeuses sont particulièrement réussies. Le découpage et les cadrages sont toujours bien choisis. Même lorsque l'histoire s'assombrit, sa note ronde et rassurante est toujours au rendez-vous.


Bien que, finalement, la fin ait été un peu trop expéditive à mon goût, cette bande-dessinée a su me tenir en haleine, avec des thèmes comme l’acceptation de soi, le courage, l’amitié, le dévouement, la bienveillance ou encore la loyauté, le tout dans un univers sombre, mystérieux, celtique.


En résumé, une histoire solide, pleine de mystères et de rebondissements prenant place dans un univers celtique et brumeux qui fait tout le charme du récit.

vendredi 15 avril 2022

Les amants de Baker Street (T.2) L'ombre de Reichenbach - Isabelle Lesteplume.


Les clients se bousculent à la porte du 221B Baker Street. La réputation de Sherlock Holmes ne cesse de grandir, Watson est toujours prêt à partir à l’aventure à ses côtés et leur relation ne s’est jamais mieux portée. Leur bonheur semble complet.

Mais depuis que Holmes a découvert l’existence du Professeur Moriarty, un criminel aussi génial que lui, l’idée de l’arrêter tourne à l’obsession. Un duel sans pitié s’engage entre eux, un duel qui les mènera au bord du précipice...

Et dont personne ne ressortira indemne.


Le 13 avril marquait pour moi la sortie de deux choses très attendues pour moi : le troisième volet des Animaux FantastiquesLes Secrets de Dumbledore, et le deuxième tome des Amants de Baker Street ! Après un premier tome que j'avais dévoré en novembre dernier, il ne m'a pas fallu beaucoup de temps pour me mettre le deuxième tome sous la dent.



Ce second tome s'annonce plus sombre que le premier avec une intrigue placée dans l'ombre du professeur Moriarty, la célèbre Némésis de Sherlock Holmes. Toute personne ayant lu le canon holmesien connaît l'histoire de leur affrontement près des chutes de Reichenbach en Suisse, [spoiler] résultant en la mort du professeur, la survie de Holmes qui a pourtant dû se faire passer pour mort pendant trois ans afin de démanteler tout le réseau de Moriarty [/spoiler]Moriarty s'affiche comme un spectre menaçant Londres ainsi que la vie d'Holmes et Watson tout au long du roman, même après Reichenbach il laisse sa trace dans les esprits de nos deux héros.



Nous commençons l'histoire avec une première enquête, celle de la fameuse affaire du rat géant de Sumatra. J'ai trouvé qu'il s'agissait d'une appropriation prenante et originale de cette affaire dont Watson, dans le canon de Doyle, ne nous a révélé que le titre, et qui se lie très bien avec l'intrigue principale autour de Moriarty et qui a lancé le jeu mortel entre le détective et le Napoléon du crime, tel un jeu d'échec, où chacun essaye de déjouer les plans de l'autre, avoir un train d'avance, se mettre des bâtons dans les roues. S'il est peu présent au final, Moriarty se révèle être un criminel fort efficace, un digne adversaire pour Holmes, avec son intelligence et son redoutable bras droit, le chasseur et colonel Sebastian Moran. Corruption, espionnage, pièges mortels, faux semblants... L'auteur nous offre une histoire prenante de la confrontation Holmes/Moriarty, nous montrant une fois de plus que ce n'est pas qu'une romance Holmes/Watson, c'est un roman policier regorgeant de péripéties !



J'ai beaucoup aimé l'approche de l'auteure sur le hiatus, en nous montrant les vies d'Holmes et Watson loin de l'autre, l'un désespérant de pouvoir revenir à Londres auprès de son amant, et l'autre croyant son amour disparu à tout jamais et portant son deuil.



A thousand apologies, de FerioWind (DeviantART)


D'un côté, nous avons Holmes sans cesse traqué par les alliés de feu Moriarty, devant vivre caché, déguisé, toujours sur le qui-vive, s'attendant à trouver le moindre danger partout où il est, ne pouvant se fixer longtemps dans un endroit tandis qu'il travaille d'arrache-pied à démanteler le réseau de Moriarty et cacher la nouvelle de sa survie à ses proches afin de les protéger. Il supporte souvent difficilement cette vie et il aurait été prêt à abandonner tout espoir de revenir si ce n’était que la pensée de Watson pour le faire tenir.



De l'autre, Watson qui sombre dans la dépression, n'ayant plus le goût de rien, la vie perdant ses couleurs avec l'absence de Holmes s'imposant comme un spectre le hantant sans cesse, un personnage à part entière, l'Absence avec un grand A. J'ai ensuite observé avec fascination [spoiler] le début de son affaire à Whitechapel où il s'attelait à soigner gratuitement les personnes démunies de ce quartier pauvre et misérable, se lier avec leurs habitants, participer à des combats de boxe, gagnant le respect et la protection des gangs de Whitechapel [/spoiler] ; puis son travail en tant que médecin légiste pour Scotland Yard (que nous retrouvons dans la série Granada Sherlock Holmes il me semble).



Bien-sûr, les retrouvailles entre Holmes et Watson étaient touchantes, ce que j'ai attendu le plus de lire. Tout au long du roman, ils sont toujours aussi complices et amoureux, sans mièvrerie ou de guimauve, avec beaucoup de tendresse, de loyauté et de passion. Chaque scène entre eux, chaque plaisanterie, chaque geste ou parole tendre, chaque discussion, est un bonheur à lire. Bien évidemment, comme il fallait s'y attendre, ces trois années d'absence ont laissé leur marque en eux et dans leur relation. Même si Holmes ressort victorieux de son duel contre Moriarty et qu'il finit par revenir à Londres sans cette menace, ce n'est pas sans conséquence pour lui comme pour Watson.



C'était intéressant de découvrir les traces psychologiques laissées par l'affaire Moriarty et le hiatus de trois ans. Holmes a bien du mal à revenir à la vie civile après avoir passé toutes ces années, caché. Il garde des réflexes de cette vie de cavale, s'attendant à être attaqué, espionné, le moindre bruit lui paraissant suspect et lui faisant craindre le pire. Et malgré le retour de HolmesWatson a du mal à se dire que c'est bien réel et non un fragment de son imagination. Il a du mal à se remettre dans ses habitudes domestiques avec Holmes, à rire, à faire taire les craintes et les cauchemars. On ressent bien que le Watson d'avant Reichenbach n'est plus le même que celui des événements de l'affaire de la Maison Vide. Même s'il reste lui-même profondément, il a changé et aura du mal à se remettre complètement de ce qu'il a vécu. Et quel bonheur est-ce au final de les voir se retrouver définitivement et goûter au bonheur qui leur a fait longtemps défaut, sans crainte... ou presque.



Moriarty, de Umino-aka-Morskaya (DeviantART)


L'auteure nous rappelle, en effet, l'homophobie encore présente de l'époque, notamment en dernière partie de roman lorsqu'elle évoque à de nombreuses reprises l'affaire Oscar Wilde, condamné pour ses mœurs et amours homosexuelles. Au terme de trois procès retentissements, évoqués dans le roman, l'écrivain a fini ruiné et condamné à deux ans de travaux forcés en prison. Une affaire qui a beaucoup ébranlé Holmes et Watson qui doivent, plus que jamais, faire preuve de prudence.



Outre Moriarty, les enquêtes et le couple Holmes/Watson, j'ai retrouvé Mrs Hudson, Mycroft, Mary et Lestrade avec beaucoup de plaisir. J'ai constaté avec plaisir l'évolution du personnage de Gregson et j'ai beaucoup aimé sa dynamique entre lui, sa femme et l'inspecteur Lestrade, ils forment un trio proche et très attachant.



J’ai, en outre, repéré quelques références sympathiques : Reginald Jeeves, Hercule Poirot, Sigmund Freud... puis-je espérer une référence à Arsène Lupin dans le tome 3 ?



En résumé : un très bon tome, aussi prenant que le premier, et dévoré en peu de temps ! J’ai hâte de lire le tome 3 prévu pour fin décembre !


Il voulait de nouveau écrire. Il voulait écrire sur lui. Sur eux. Il voulait offrir au papier, et au monde, le souvenir de l’être extraordinaire que son compagnon avait été. Il choisit une affaire un peu au hasard, un moment joyeux qui n’impliquait rien de personnel pour son détective et lui. Cette histoire avec Irène Adler, par exemple. Bon sang, qu’est-ce qu’il avait ri, à l’époque… 

Il traça la première lettre et les mots commencèrent à se déverser sur le papier comme un torrent libéré des digues qui l’entravaient. Et soudain, l’espace d’un instant, une fraction de seconde arrachée au temps, il fut de retour à Baker Street. Holmes fumait sa pipe dans son fauteuil, des odeurs de cuisine montaient du rez-de-chaussée, des bruits de fiacre passaient dans la rue, le feu dansait dans la cheminée… 

Le temps d’un saut entre les mots, Holmes fut présent de nouveau. Cher, cher Holmes… Dans sa douleur, il avait presque oublié à quel point il l’aimait et l’admirait. Il écrivit longtemps ce soir-là, en ne s’arrêtant que pour sécher ses larmes.

jeudi 14 avril 2022

L'art d'aimer - Ovide.



La séduction : un art subtil, un rite mis à l'honneur pendant la Renaissance avec les cours d'amour, mais déjà chanté par Ovide. La femme étant libre de ses sens et de ses sentiments, comment la conquérir ? Où tendre ses filets ? Compliments, promesses, larmes, baisers, hardiesse... Toutes les armes sont bonnes. Celle que l'on aime une fois séduite, comment la retenir ? 

Au terme d'un jeu dont le prix est le plaisir, l'amant raffiné a plus d'une corde à son arc... Quant à la femme, il lui appartient de garder son éternel féminin, ce qui n'est pas le plus facile... 

Au-delà de l'artifice, l'art doit gouverner l'amour. Un art dans lequel Ovide est passé maître.



L'art d'aimer se veut être un guide d'initiation à l'amour mais surtout à la séduction pour les Romains et les Romaines de son temps. Il est divisé en trois livres, assez courts :



Le premier livre enseigne aux hommes à comment séduire les femmes (Ovide ne parle pas des amours homosexuelles, les considérant comme non-naturelles) en décrivant notamment où faire des rencontres à Rome (le cirque, le forum, le théâtre, lors de repas, etc.), les périodes les plus favorables pour séduire selon le calendrier romain, comment engager la conversation. Par exemple : si la rencontre se fait au cirque lors des jeux, il suggère de demander à la personne désirée quel est son cheval préféré parmi ceux qui font la course et ce cheval doit devenir le préféré de l'amoureux transit ; ou encore, enlever la poussière de ses vêtements, ramasser un pan de manteau qui traîne à terre afin qu'il ne se salisse pas, etc. Il parle également des lettres d'amour ainsi que le soin à porter à sa tenue et à sa personne afin de mieux séduire, par exemple : pas de tenue large, pas de coupe de cheveux maladroite, être bien coiffé, bien rasé ou sinon une barbe bien taillée, avoir bonne haleine, l'importance des compliments mais ne pas parler sous l'influence du vin, etc.



Le second livre apprend à transformer sa conquête en amour durable, notamment en étant aimable car la beauté ne suffit pas pour continuer à plaire et la beauté est une chose fragile, éphémère ; ne pas s'arrêter aux obstacles, se dépouiller de son orgueil ; offrir également des cadeaux, faire preuve de dévouement, et bien d'autres conseils.



Le troisième livre s'adresse aux femmes, comment elles peuvent séduire et faire durer leur couple, comment prendre soin d'elles, le maquillage, la coiffure, les vêtements et autres artifices pour dissimuler les défauts physiques (par exemple, ne pas rire si les dents sont en mauvais état), toutefois sans se laisser paraître en train de s'apprêter, car il considère cela désagréable pour ces sensibles messieurs. Ovide leur parle également les hommes à éviter (les beaux parleurs qui font promesses sur promesses, les hommes volages et vaniteux, ceux dont l'amour papillonne et ne sait se fixer nulle part), comment ne pas traiter pareillement un homme expérimenté d'un novice. Ovide parle également de l'importance pour une Romaine de savoir chanter, danser, faire la conversation, jouer (le jeu étant très important dans la société romaine), comment se comporter en présence d'une rivale, et encore bien d'autres choses.


L'écriture d'Ovide est très imagée, il y a de très nombreuses références à la nature, la chasse, l'agriculture mais aussi et surtout à la mythologie qu'il cite très régulièrement, utilisant des épisodes de la mythologie comme exemples pour illustrer ses propos, ce qui peut être intéressant pour tout féru de mythologie mais aussi déconcertant si l'on est moins familier avec ces mythes.


Ovide


J'ai été frappée de constater, le long de ma lecture, des conseils souvent très misogynes. Les femmes y sont décrites comme des âmes légères, un cœur délicat, qui aiment qu'on leur fasse la cour même si elles résistent. C'est une créature qui a l'art de s'approprier l'argent de son amant, lui demande des choses en se faisant câline.



Il est également fait mention d'une forme de séduction forcée, dans laquelle il conseille de ne pas hésiter à forcer car la femme finira par céder, qu'elle cache souvent son amour sous le voile de l'amitié. Il nous présente une vision de l'amour semblable à une chasse où la femme est une proie farouche à emprisonner dans ses filets.



Il prodigue également des conseils plus que douteux notamment en proposant de ne pas hésiter à tromper (par exemple, en se rapprochant de la servante pour séduire la maîtresse, si l'homme désire la servante, qu'il possède d'abord la maîtresse avant de coucher avec la servante) ou comment la moisson plus riche dans le champ d'autrui ; ou encore, si l'homme est infidèle, qu'il s'arrange pour cacher ses infidélités et si elles sont découvertes, nier tout, ne pas se montrer coupable ou câlin car ça prouve l'infidélité. Il conseille également de rendre la femme aimée jalouse pour raviver la flamme car son amour languit sans rivale, faire craindre à la femme de lui être infidèle, cela réveillera l'ardeur de son cœur attiédi. Macho, vous avez dit macho ?



Pourtant, tout n'est pas à jeter dans les conseils du cher poète, et il a mis un point d'honneur à parler de l'importance du désir féminin dans les rapports intimes, nous offrant un texte libertaire sans pour autant être érotique. Le plaisir ne doit pas être uniquement celui de l'homme mais aussi et surtout celui de la femme, il est important pour l'amant de se concentrer sur le plaisir de la femme, ne pas presser l'acte d'amour mais découvrir là où elle aime être embrassée et caressée. Il évoque également son mépris pour les amours forcés, que les femmes ne doivent pas s'appliquer à l'acte d'amour parce qu'elle le doit, que c'est un devoir, mais par plaisir, ce qui est un peu contradictoire avec certains conseils misogynes évoqués plus haut...



Sans doute s'agit-il d'une œuvre à replacer dans son contexte. Dans la Rome antique, la société était une société patriarcale stricte dans laquelle la femme était une éternelle mineure sous l'autorité de son père puis de son époux puis le fils si elle devient veuve, elle n'était jamais autonome même si l'on a des exemples de figures romaines féminines puissantes, des exceptions (les vestales par exemple).



J'ai toutefois du mal à considérer, à l'instar de nombreux commentaires sur cette œuvre, qu'il s'agit d'une œuvre encore très moderne ou encore "d'une fraîcheur incroyable", sauf si l'on se dit qu'en effet, nombreux sont encore les hommes à forcer et à avoir cette mentalité (les mouvements #MeToo, #Balancetonporc et autres, le prouvant bien). Après, peut-être n'ai-je pas bien saisi le sens de cette œuvre. Au cours de mes lectures des différentes critiques, certaines affirment qu'il s'agit ni plus ni moins qu'une parodie, que l'œuvre n'est pas à prendre au sérieux et qu'Ovide a utilisé la satire (celle des mœurs de son époque) et l'ironie. Peut-être s'agit-il effectivement d'une parodie (pourvu que ce soit une parodie...) mais il n'est pas donné à tout le monde de le découvrir ou le deviner, peut-être une étude de cette œuvre m'aurait permis de mieux la comprendre et en saisir l'humour et les subtilités... 


Crois-moi, il ne faut pas hâter le terme de la volupté, mais y arriver insensiblement après des retard qui la diffèrent. Quand tu auras trouvé l'endroit que la femme aime à sentir caressé, la pudeur ne doit pas t'empêcher de la caresser. Tu verras les yeux de ton amie briller d'un éclat tremblant, comme il arrive souvent aux rayons du soleil reflétés par une eau transparente. Puis viendront des plaintes, viendra un tendre murmure et de doux gémissements et les paroles qui conviennent à l'amour. Mais ne va pas, déployant plus de voiles [que ton amie], la laisser en arrière, ou lui permettre de te devancer dans ta marche. Le but, atteignez-le en même temps ; c'est le comble de la volupté, lorsque, vaincus tous deux, femme et homme demeurent étendus sans force.

lundi 4 avril 2022

La Momie - Anne Rice.


Le pharaon Ramsès ressuscité dans l'Angleterre de 1914, voilà la folle histoire que nous propose Anne Rice ! 

L'absorption d'un élixir l'ayant rendu immortel, Ramsès - rebaptisé Docteur Ramsey pour plus de discrétion - découvre le monde moderne. 

Mais le souvenir de la belle Cléopâtre le hante. Revenue à la vie à son tour, celle-ci va se révéler bien plus dangereuse que ne le dit la légende...



C’est étrange, la première fois que j’ai emporté ce livre à la bibliothèque. Je n’avais plus lu d’Anne Rice depuis des années, et c’était ma première lecture depuis l’annonce de sa mort en décembre 2021, qui nous a causé choc et tristesse. Me replonger dans son écriture a finalement été plus facile que je ne le pensais, et je me suis laissée bercer par ses mots.


Je regrette que ce roman m’ait finalement laissé un avis plus que mitigé.


Nous sommes en 1914, et Lawrence Startford, éminent archéologue anglais, fait la découverte du siècle. Un étrange tombeau dans une pièce au style gréco-romain et dont l’occupant momifié n’est d’autre que Ramsès II. Impossible, puisque la momie de ce célèbre pharaon a déjà été découverte il y a près de deux siècles. Pourtant, les écrits qui s’y trouvent semblent prouver le contraire et révèlent une bien étrange histoire. Ramsès le Grand est un immortel, qui a planifié sa mort et voyagé à travers les siècles et les contrées, avant de plonger dans un éternel sommeil… du moins, jusqu’à ce qu’il ne soit réveillé bien plus tard par une jeune reine d’Égypte demandant son aide et ses conseils, Cléopâtre.


Si j'étais sceptique quant à l'idée de départ, il faut avouer qu'elle présente une sacrée originalité ! Faire de Ramsès un immortel qui a non seulement joué un rôle auprès d'une autre figure historique toute aussi célèbre que lui et qui se retrouve dans le monde moderne, non pas en tant que momie meurtrière laissant des cadavres sur son chemin, mais en tant qu'homme de raison déstabilisé mais fasciné par ce nouveau monde, ce qui nous présente un choc des cultures déstabilisant pour Ramsès, mais ô combien intéressant pour les lecteurs, entre Antiquité égyptienne et modernité occidentale.


J'ai beaucoup aimé voir la première partie du roman avec le réveil de Ramsès et le voir découvrir l'Angleterre de 1914, ainsi que toutes les avancées sociales, culturelles, scientifiques et technologiques, être submergé par la surprise et l'émerveillement... j'en viens à regretter qu'il soit semblable à un surhomme, capable d'assimiler toutes ces nouvelles connaissances à une vitesse folle et être capable de maîtriser l'Anglais et son environnement assez facilement. Toutefois, c'est un personnage charismatique et plein d'assurance que l'on découvre pendant une bonne partie du roman. Tout doué qu'il est, il n'échappe pas aux suspicions de l'entourage de Julie Startford, la fille de l'archéologue qui a découvert Ramsès, qui vont essayer de percer les secrets de son identité mais aussi de son élixir d'immortalité. J'ai trouvé intéressant les réflexions de Ramsès quant à l'époque dans laquelle il se trouve, et le semblant de mystère autour de la mort de l'un des personnages de l'expédition archéologique, notamment l'identité du coupable et ses prochains agissements. 



Couvertures proposées par Pocket à travers les années



La seconde partie du roman, celle où Ramsès et Julie voyagent en Egypte pour permettre à l'ancien pharaon de faire ses adieux à son passé, est un peu plus longue... du moins, jusqu'à ce que Ramsès ne découvre inopinément la momie de Cléopâtre et ne décide, sur un coup de tête inconséquent, de la ramener à la vie. Cependant, sa momie n'est pas complète et cette résurrection ne se passe pas comme prévu, et c'est là où ça coince.


Je peux accepter l'idée de Cléopâtre réveillée contre son grès, dont le réveil se passe mal car elle est une momie incomplète. De ce fait, son apparence présente de nombreux défaut et elle a perdu de très nombreux souvenirs de sa vie passée. Déboussolée, rejetée par Ramsès dans un premier temps, elle ne s'y retrouve pas dans ce monde qui n'est pas le sien et se présente plus comme créature meurtrière, pourtant vulnérable dont on ne peut prédire les réactions. Je n'ai toutefois pas du tout adhéré au fait de voir Cléopâtre sauter sur tout ce qui bouge (ou sauter tout ce qui bouge, mais que des hommes hein, forcément…) et la voir comme une femme fatale qu'aucun homme ne peut résister et qui [spoiler] tombe sous le charme de l'insipide Alex, (le fiancé de Julie, comme c'est pratique tiens !) [/spoiler]


J'ai également été déçue par le personnage de Julie qui était prometteur. Fille unique, elle se retrouve comme seule héritière de l'empire de son père, et s'est donnée pour tâche de faire découvrir son monde à Ramsès et de l'aider, tout en évitant ce mariage dans lequel on la presse et les manigances de son entourage pour avoir la main mise sur l'entreprise familiale. C'est au départ une femme forte cherchant à s'émanciper, ne pas se laisser dicter sa conduite et vivre comme elle l'entend. Elle perd de sa saveur en tombant amoureuse de Ramsès et en devant une amante malheureuse sans son Ramsès, prête à se donner la mort s'il la quitte car elle ne peut vivre sans lui, et qu'elle passe son temps à pleurer et se languir.


La plupart des personnages n'est pas inintéressante mais ne m'a pas laissé forte impression, en particulier l'entourage masculin de Julie, outre Samir (Samir parfait, Samir pas besoin de changer) qui cherche à avoir main prise sur l'entreprise des Startford et à marier Julie au poulain de leur choix pour les avantages que cela leur apporterait.


Cependant, c'est toujours un plaisir de retrouver l'écriture d'Anne Rice qui maîtrise sa plume à la perfection (à part ses scènes hot risibles tant au niveau du dialogue que des descriptions), et qui parvient à nous faire voyager en Angleterre aussi bien qu'au Caire, mais au final je suis ressortie très mitigée de cette lecture, presque déçue. Peut-être en attendais-je un peu trop, ou que je m'attendais tout simplement à autre chose. Je reste davantage charmée par ses vampires que par sa momie. Peut-être que j'aime tout simplement mes momies comme assoiffées de sang que comme des âmes torturées... Dommage ! Peut-être me laisserais-je convaincre un jour par ses loups-garous... 


- Ce que vous voulez nous faire comprendre, dit Elliott, c'est que nous ne sommes ni meilleurs ni pires que les anciens Egyptiens.

(...) - Non, ce n'est pas ce que je veux dire, dit Ramsès d'un air pensif. Vous êtes meilleurs. D'un millier de façons. Mais vous êtes toujours humains. Vous n'avez pas encore trouvé toutes les réponses. L'électricité, le téléphone, ce sont là des objets magiques. Mais les pauvres meurent de faim. Les hommes tuent pour avoir ce que leur refuse leur propre travail. Comment partager la magie, les richesses, les secrets, voilà bien le problème.