Aristote était un être de chair et de sang, et Alexandre le Grand, un adolescent plein de doutes et d'arrogance. Lorsqu'en 342 avant Jésus-Christ, le philosophe devient précepteur du futur roi de Macédoine, la relation qui s'établit est aussi singulière et enrichissante pour l'un que pour l'autre.
Par ses démonstrations très concrètes sur une table de dissection, comme par ses réflexions éthiques et métaphysiques, Aristote transmet à son jeune élève la notion de «juste milieu», point d'équilibre entre deux extrêmes, si difficile à atteindre.
De son côté, le fougeux Alexandre, qui désire déjà ardemment «ouvrir la gueule pour avaler le monde entier», offre des perspectives au maître peu aventureux que son père lui a choisi.
Livre repéré chez Parthenia, et choisi parce que 1) mordue d'histoire depuis des années et de 2) parce qu'Alexandre le Grand est un personnage historique qui m'intéresse de plus en plus; ainsi pour ces raisons, j'avais décidé d'y jeter un œil.
Cette histoire se centre et est cependant narrée par Aristote que sur le grand conquérant, et nous raconte principalement les sept années qu'il a passé à la cour de Macédoine pour transmettre son savoir à Alexandre, l'héritier du roi Philippe II de Macédoine, et ses camarades, mais il nous raconte aussi l'enseignement et les soins prodigués à Philippe Arrhidée, le demi-frère d'Alexandre, qu'une maladie rend mentalement retardé et exclu de la succession (étant l'aîné d'Alexandre) et laissé à la surveillance de son garde-malade, qui ne sait pas toujours comment s'y prendre avec lui. Nous avons donc affaire ici à une biographie romancée d'Aristote !
Étant attachée au personnage historique d'Alexandre le Grand, j'avais crains de ne pas trop m'attacher à Aristote et à Philippe Arrhidée. Heureusement, mes craintes n'étaient pas fondées car j'ai beaucoup apprécié suivre l'histoire du point de vue d'Aristote et de découvrir un peu plus ce grand philosophe = son enfance, son apprentissage de la médecine par son père médecin, puis ses "études" sous l'égide d'un philosophe un peu étrange, son mariage, sa vie vécue à la cour de Macédoine où il est davantage perçu comme un Athénien que comme un Macédonien (ce qui fait qu'il est vu comme un étranger et qu'on ne porte pas toujours sur lui un regard bienveillant), son approche pour apprivoiser Philippe Arrhidée, le faire progresser et lui enseigner des choses et ce, malgré son handicap, malgré les préjugés des autres sur lui. Nous assistons aussi à sa rencontre avec le futur Alexandre le Grand, les leçons qu'il lui donne, aussi bien sur la biologie que sur la littérature car Aristote est plus qu'un philosophe, c'est un véritable toutche-à-tout qui s'intéresse à de nombreux domaines et observe et analyse ce qui l'entoure. Donc si ce livre vous intéresse mais que vous craignez de voir quelques débordements sur la philosophie, ne craignez rien : Aristote philosophe n'est qu'un aspect de son personnage. On découvre plus chez lui que le philosophe, et d'ailleurs l'auteur met en avant le pluralisme de ses travaux, preuve qu'il s'intéresse à tout ! Et elle s'intéresse davantage sur le point humain du personnage.
Enseignement d'Alexandre par Aristote, d'après Charles Laplante. |
Cependant, Aristote a aussi ses difficultés avec Alexandre. Élève brillant, il est pourtant difficile à discipliner car arrogant, plein de fougue, parfois colérique et pourri gâté, avec un goût pour le sang et le morbide un tantinet inquiétant [spoiler] comme cette fameuse scène où Alexandre remplace une fausse tête par une vraie fraîchement décapitée lors d'une représentation au théâtre... et manque de donner des arrêts cardiaques aux acteurs ! [/spoilers] (qui inquiète même Héphaïstion, alors le plus proche compagnon d'Alexandre. Ah Héphaïstion, j'ai une tendresse toute particulière pour lui. Dieu sait que, dans le roman comme dans l'Histoire avec un grand H, ça n'a pas du être évident d'être le conseiller et plus proche compagnon d'Alexandre. Pourtant, je n'ai pu m'empêcher de trouver Alexandre assez caricaturé dans son rôle de prince héritier, même si je sais qu'il avait son caractère. D'ailleurs, si on ne le voit que peu dans ce roman, on peut tout de même noter son attachement à Alexandre, et le fait que le tempérament et les goûts de celui-ci le dépassent parfois). Aristote se donne alors comme mission d'éduquer le jeune chenapan et d'essayer de calmer ses ardeurs, ses envie de gloire, tout en l'incitant à trouver le juste milieu, le point d'équilibre.
Le juste milieu est d'ailleurs un point sur lequel l'auteur revient souvent et d'une certaine manière : tout au long du roman, nous avons affaire à des extrêmes (notamment les extrêmes que sont Philippe II, roi guerrier qui ne conçoit pas la philosophie, et Aristote, philosophe et médecin qui ne veut pas de guerre. Et pourtant ces deux personnages sont amis; ou encore entre Alexandre qui est beau, charismatique et intelligent tandis qu'on dit son frère laid, mentalement retardé, idiot), l'équilibre entre deux extrêmes (que ce soit deux comportements, deux personnages, deux choses). Ce livre a un côté sociologue dans ce sens, et aussi dans le fait où Aristote analyse et s'interroge sur l'âme, les rapports humains, l'évolution de la pensée, le comportement humain, le fonctionnement de la société, etc.
Buste d'Aristote |
De même que certains personnages du roman pensent qu'Aristote est attiré par Alexandre, sans qu'elle l'ait été. Le roman nous peint diverses relations complexes et c'est un aspect que j'ai aimé découvrir : relation entre le maître et l'élève, relation entre mari et femme (Aristote et son épouse donc, oscillant entre tendresse et devoir), entre maître et esclaves (il éprouve de l'attachement pour eux, ils font quasiment partie de la famille) mais ces relations ne se centrent pas que sur Aristote car le roman évoque les rapports princes/serviteurs, mère/fils (la tendresse infinie qu'Olympias voue à son fils, Alexandre). L'auteur évoque aussi, à travers Aristote, les différences culturelles, politiques et autres entre la Grèce (Athènes) et la Macédoine. Deux lieux qu'a connu Aristote mais où il ne trouve sa place. En Macédoine, il est vu comme un grec, un étranger et, lorsque les relations deviennent tendues et conflictuelles entre Philippe II et les cités de Grèce, les Macédoniens se méfient bien vite d'Aristote, vu alors comme un ennemi. Aristote compare d'ailleurs souvent la Grèce à la Macédoine qu'il trouve plus... barbare.
Ce livre est aussi une occasion de découvrir un peu plus l'Antiquité : la médecine antique, le théâtre grec, la célèbre Académie de Platon, la philosophie grecque, jusqu'à la politique guerrière de Philippe II. Sans être assommante, l'auteur nous apprend des choses sur la vie d'Aristote, l'histoire de la Macédoine, de la Grèce, la cour de Macédoine, les stratégies politiques et militaires. Néanmoins, ce n'est pas un roman purement historique, l'auteur a crée des personnages et altéré la réalité historique pour les besoins de son récit (elle invente un voyage, supprime un personnage), pour certains éléments, je pense qu'elle s'est plus basée sur des spéculations que sur des réalités historiques.
Le style d'écriture est plutôt agréable, assez contemporain par rapport à l'époque qu'il décrit, on pourra également être gêné par la présence de mots vulgaires, notamment venant de la bouche d'Aristote lui-même (d'un côté, les Macédoniens sont présentés comme vulgaires, rustres, grossiers, par contraste aux Grecs, plus raffinés, plus sophistiqués) mais c'est le rare reproche que j'ai pour ce livre car le style est sensible, intelligent et que, dans l'ensemble, cette lecture fut agréable et intéressante. L'auteur a su recréer avec intelligence l'époque, les personnages historiques ainsi que leurs rapports.
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