jeudi 12 mai 2022

Moi les hommes, je les déteste - Pauline Harmange



Et si les femmes avaient de bonnes raisons de détester les hommes ?

Et si la haine des hommes était un chemin joyeux et émancipateur ?

Dans ce court essai, Pauline Harmange défend la misandrie et entend lui redonner ses lettres de noblesse.

Un livre féministe et iconoclaste.




En dépit de son titre polémique, Moi les hommes, je les déteste est un essai plutôt posé et nuancé dans ses propos où l'auteure questionne davantage la place des hommes dans la société et dans la vie des femmes, nous rappelle les réalités sur cette place plutôt que de lancer un appel à la haine. Remettre en cause le pouvoir des hommes et le droit de ne pas ressentir d'attirance pour eux.


Elle s'interroge sur le pourquoi les hommes sont ce qu'ils sont. Tous les hommes ne sont pas des violeurs, des agresseurs ou des machos, mais une grande majorité des violeurs, des agresseurs et des machos sont des hommes. Elle présente les défauts fréquents des hommes et comment la société demande aux femmes de les accepter avec grâce. La société dira boys will be boys tandis que les femmes doivent apprendre à faire avec, le contraire catégoriserait ces femmes comme des hystériques, des mal-baisées, des lesbiennes.


L'auteure nous raconte trouver refuge dans la misandrie, voir en elle un moyen de se protéger. Toutefois, la misandrie est mal vue dans son ensemble. Elle décrédibilise la cause des femmes et les hommes se plaignent qu'il est difficile pour eux de la vivre... que dire dans ce cas de la misogynie qui est, elle, beaucoup plus fréquente et fait beaucoup plus de mal aux femmes que la misandrie les hommes ? La misandrie ne totalise au final qu'un nombre de zéro décès et zéro blessé. Pourtant, il serait difficile pour les hommes de vivre avec et d'être un homme de nos jours, avec tous ces mouvements de #MeToo, Men Are Trash ou #Balancetonporc. Ils ne savent plus comment draguer, comment approcher une femme, comment se comporter avec les femmes, comment faire des blagues.


Qu’ont-ils encore le droit de dire et de faire ? Tant d’angoisses existentielles pour lesquelles je n’arrive pas à ressentir beaucoup d’empathie. Tout le temps qu’ils passent à pleurnicher sur leur sort de pauvres mecs persécutés, ils esquivent habilement leur devoir : celui d’être un peu moins des purs produits du patriarcat.


Force est de constater que les hommes sont trop peu nombreux à s'interroger sur leur place au sein de la société et le pourquoi de ces mouvements féministes, préférant expliquer aux femmes que, eux, ne sont pas comme ça, que ce n'est pas bien de faire des généralités. Not all men. Des commentaires que je retrouve que trop fréquemment sur la toile, dans des commentaires d'articles ou d'une publication d'une femme osant se plaindre des hommes et parler de viols ou féminicides, en ne manquant pas de nous dire que ce genre de commentaire n'allait pas aider les femmes dans leur lutte ou de voir les hommes les rejoindre. Pourtant, nous pouvons constater une certaine indifférence des hommes envers les femmes concernant les chiffres sur le viol, le harcèlement, les féminicides et les débats. Je ne dis pas que tous les hommes agissent ainsi, il faut cependant bien avouer que ce sont des sujets bien plus souvent dénoncés par des femmes que par des hommes.


C’est pourtant égocentrique de ne savoir réagir que par un « not all men » quand une femme a le malheur de laisser échapper qu’elle en a marre des hommes ou parle d’un violeur ou agresseur. Tous les hommes ne sont pas des violeurs mais quasiment tous les violeurs sont des hommes, et quasiment toutes les femmes qui ont subi des violences de la part des hommes, c’est là le problème.


L'auteure se revendique misandre, tout en remarquant que les femmes ont du mal à se revendiquer misandres, au risque d'être considérées comme des hystériques, des lesbiennes ou des mal baisées. Si elles le font, c'est avec beaucoup de second degré. Il y a beaucoup de malaise à clamer, même entre femmes, une hostilité et une méfiance envers les hommes. Pourtant, elle trouve en la misandrie une sorte de porte de secours, un échappatoire, un moyen de sortir sa colère légitime.


L'auteure évoque également les hommes dits féministes. Pas qu'un homme féministe soit une espèce inexistante dans notre société, une denrée rare. Toujours est-il qu'hommes féministes ou soi-disant féministes reçoivent bien des lauriers pour le minimum qu’ils font, comme partir plus tôt du boulot pour aller chercher son enfant à l’école alors que les femmes sont soumises à d’impossibles standards, sont pointées du doigt et critiquées, quels que soient leurs choix. Cela ne veut pas dire pour autant que les hommes ne doivent pas s'intéresser au féminisme et ne pas prendre part aux tâches du foyer, cependant beaucoup s'y intéressent que trop peu ou pour les mauvaises raisons (pour draguer par exemple), sans oublier que derrière chaque homme féministe un peu conscient de ses privilèges masculins, il y a une ou plusieurs femmes qui ont travaillé pour l'aider à ouvrir les yeux, et ça, peu d'entre eux le reconnaissent.


Il y a un monde entre « comprendre une oppression, ses mécanismes et reconnaître sa place dans ce système » et « se l’approprier pour prendre le devant de la scène et tout rapporter à soi encore une fois ». On demande aux hommes d’utiliser leur pouvoir, leurs privilèges, à bon escient : en poliçant les autres membres masculins de leur entourage, par exemple, pas en expliquant aux femmes comment mener leur combat. On demande aux hommes de rester à leur place. Non, en fait, on exige d’eux qu’ils apprennent à en prendre moins. Ils n’ont pas le premier rôle et il va falloir s’y faire.


Il y a également le problème de la charge mentale. Même s'il y a eu une certaine amélioration, force est de constater qu’au XXIe siècle, c’est encore la femme qui s’occupe essentiellement des enfants, des courses, du travail émotionnel, elle doit rappeler à l’homme ses rendez-vous, lui expliquer comment faire certaines tâches à la maison... Bref, la charge mentale reste encore le poids de la femme qu'elle porte seule… Le problème est aussi dans le fait que les hommes prennent toute la place dans l’espace public, dans les conversations, quand ils rient à des blagues sexistes parce que « ça ne fait de mal à personne », ou qu’une femme l’a peut-être un peu cherché en se faisant violer ou agresser... 


Mais les hommes, pourquoi détestent-ils les femmes ? Depuis des siècles qu'ils profitent de leur position de dominants, qu'ils profitent d'une société patriarcale, qu'ont fait les femmes pour mériter encore et toujours leur violence et leur haine ? Lorsque l'on compare la misogynie à la misandrie, on remarque tout de suite une différence au niveau des chiffres : la misandrie ne fait pas de victime dont le nombre morbide augmente chaque jour. Personne n'empêche d'autant plus les hommes à exercer la passion ou le métier qu'il souhaite. On ne dit pas à un homme comment s'habiller, où et jusqu'à quelle heure sortir, il peut marcher librement dans la rue à la nuit tombée et s'exprimer comme il l'entend.


L'auteure adresse un autre point : la colère des filles n’est pas encouragée. Une fille peut se mettre en colère mais c’est difficile pour elle face à un homme de son entourage d’exprimer des reproches et des critiques. Les filles sont élevées pour être douces, calmes, dociles, compréhensives. On n'encourage pas les filles à se mettre en colère et à rendre les coups, alors que c'est tout l'inverse pour les garçons car c'est vu comme de la virilité. Les filles sont aussi élevées pour douter d’elles, tandis que garçons grandissent avec l’assurance qu’ils peuvent faire beaucoup de choses. On place bien des attentes sur les épaules des femmes, les femmes sont celles qui pensent beaucoup, qui ont beaucoup d'inquiétudes en tête.

 

Si tant de mecs peuvent se frayer un chemin dans le monde sans approcher même de loin la perfection dans aucun domaine, il est peut-être temps de nous autoriser à lâcher du lest aussi. 
Ils sont où, les hommes qui culpabilisent jusqu’à ne plus dormir parce qu’ils ont laissé leur enfant à leur partenaire pour un déplacement professionnel ? Ils sont où, les hommes qui ressassent pendant deux semaines une confrontation avec un·e collègue en craignant d’avoir été trop cash ? 
Je ne dis pas qu’on doit s’abaisser au niveau relationnel abyssal de la majorité des hommes. Juste qu’il est temps de ne plus culpabiliser d’échouer à être des Wonder Women doublées de saintes, qu’il est temps de nous laisser être des humaines avec quelques défauts. Les standards sont très bas pour les hommes, mais pour les femmes ils sont bien trop hauts. Réservons-nous le droit d’être moches, mal habillées, vulgaires, méchantes, colériques, bordéliques, fatiguées, égoïstes, défaillantes


L'auteure évoque également le piège de l’hétérosexualité.

Depuis l’enfance, filles et garçons sont conditionnés pour être en couple : le traditionnel « alors tu as un amoureux ? », ou dire d'un garçon qu'il sera un tombeur lorsqu'il fait la bise à une fille. Ce conditionnement est davantage placé sur les femmes à qui on fait comprendre qu'il y a nécessité à être en couple, qu'une femme célibataire a moins de valeur qu'une femme en couple avec des enfants. L'opinion collective imagine la femme célibataire et sans enfant comme seule, triste, égoïste, aigrie. Beaucoup d'énergie est déployée pour persuader les femmes d'être en couple avec un homme et que ce serait la chose la plus bénéfique pour elles, la peur de la vieille fille à chats plane au-dessus d'elles comme un spectre sinistre et que l'épanouissement ne passe que par un homme, quand bien même il serait insensible et paresseux. Tout, plutôt que d'être seule. Pourtant, le bonheur de vivre seule existe, être son propre chef avec seulement nos propres inquiétudes et pas celles des autres, cultiver nos réseaux de relations non amoureuses. Personnellement, je ne vois pas le mal dans le fait de vivre entourée de chats et dont les personnes de ma vie seraient des personnes de ma famille et des amies.


Est également évoquée la sororité et comment les femmes ne sont pas encouragées à être unies, soudées. Quand on est jeune, on se targue de ne pas être une fille comme les autres, surtout lorsqu’on ne partageait pas les passions communément considérées comme féminines. Se dire qu’on est pas comme les autres filles, mépriser ces dernières, c’était avoir cette impression d’être cool, surtout auprès des garçons, une chose que j'avoue avoir vécu et reproduit dans ma jeunesse avant de me rendre compte que ce comportement était plutôt puéril... 


Or, il est bon de solidifier ses relations avec les femmes, celles de son entourage mais aussi les inconnues. Être des alliées pour elles lorsqu’elles ne se sentent pas en sécurité, être à leurs côtés si elles sont victimes de sexisme ou d’agression. Donner aux femmes du réconfort, de l’amitié, du soutien et il y a dans les relations féminines une réciprocité. La sororité fait du bien. Pourtant, bon nombre d’hommes ne voient pas d’un bon œil les rassemblements entre femmes, ne saurant tolérer d’être tenus à l’écart.


Ce n’est pas tant qu’on se rassemble entre femmes qui les choque : quand ce sont des clubs de tricot, des associations de mères ou des réunions Tupperware, rien ne pourrait moins les intéresser. Ce qu’ils ne supportent pas, ce qui les effraie même, c’est qu’on s’organise, qu’on s’assemble et qu’on forme une masse politique d’où émergent des idées et des plans d’action. Et qu’on ne leur accorde aucune importance.



En bref, je pourrais citer tout l’ouvrage tant les propos de l’auteure sont justes et percutants, mais j’ai déjà cité bien des extraits… impossible de me décider sur mon préféré, celui qui m’a le plus frappé, tant l’auteure a abordé tout un tas de sujets essentiels dans un court ouvrage. La plume et le style sont agréables, cela se lit avec beaucoup de fluidité.


Bien que son titre soit provocateur, c’est un essai qui touche juste et qui comprend une vraie réflexion autour du mal qu’engendre le patriarcat à la société, la trop grande place des hommes dans cette dernière, la charge mentale, la différence d'éducation entre les hommes et les femmes, sexisme ordinaire et autres sujets. L’auteure explique le cheminement de sa pensée, ce qui l’a mené à la misandrie, sans pour autant que ce soit un texte scandaleux qui appelle à cramer les hommes. Non, c’est une simple explosion de sa colère, de son ras-le-bol, sans que le ton soit agressif ou haineux. C’est un essai qui touche juste, qui est instructif et percutant, tout en s’appuyant sur d’autres textes féministes et de statistiques. Je conseille, aussi et surtout si l’on n’a pas le courage de se lancer dans un long essai féministe.



Si la misandrie est la caractéristique de qui déteste les hommes, et la misogynie celle de qui déteste les femmes, il faut bien admettre qu’en réalité, ces deux concepts ne sont pas égaux, que ce soit en termes de dangerosité pour leurs cibles ou de moyens utilisés pour s’exprimer. On rappelle que les misogynes usent d’armes allant du harcèlement en ligne jusqu’à l’attentat, comme celui de l’École polytechnique de Montréal en 1994, dont il n’y a à ce jour pas d’équivalent misandre. On ne peut pas comparer misandrie et misogynie, tout simplement parce que la première n’existe qu’en réaction à la seconde.


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