jeudi 10 août 2017

Le crime du comte Neville - Amélie Nothomb.






« Ce qui est monstrueux n'est pas nécessairement indigne. »













Amélie Nothomb, c'est des romans aux quatrièmes de couvertures trop courtes ne résumant rien du roman, c'est des couvertures représentant l'auteure, c'est des romans avec des personnages complètement frappés aux prénoms originaux, ce sont des romans courts qui ne laissent pas indifférents, c'est la Belgique, c'est l'étrange, c'est la loufoquerie. Souvent bizarre, parfois dérangeant, soit on aime, soit on n'aime pas, mais ça ne laisse jamais indifférent. C'est tout le charme de l'auteure et ses romans, ce qui m'avait bien manqué !

 

Henri de Neville est un comte dont la richesse est en déclin. C'est avec déchirement qu'il songe à se séparer de son château familial. Si seulement c'était le cadet de ses soucis ! En allant rechercher sa fille, Sérieuse, qui a fugué et qui a été retrouvée par une voyante, cette dernière lui annonce qu'il assassinera l'un des invités à la dernière garden party qu'il va organiser. Refusant tout d'abord de croire à ces sornettes, l'idée commence bien vite à hanter le comte... S'il doit tuer quelqu'un, soit ! Mais qui et comment et pourquoi ? Préméditation ? Il serait renié par ses paires et sa famille sera méprisée. En revanche, le meurtre suite à un coup d'éclat... c'est bien plus attrayant et compréhensible, et lui permettra de marquer l'histoire !

 

J'ai pris un certain plaisir à suivre les déboires de ce pauvre comte de Neville qui, après avoir refusé de croire à la prédiction de la voyante, décide que quitte à devoir tuer un invité, autant choisir sa victime et le voir égrener sa liste en quête de la parfaite victime à assassiner, allant jusqu'à demander l'aide d'un de ses amis aristocrates pour en apprendre plus sur l'histoire des meurtres au sein de l'aristocratie pendant une réception. Peu à peu, on s'éloigne des projets rocambolesques d'assassinat alors qu'Henri se retrouve hanté par la vision de la voyante. Qui assassiner sans que cela ne nuise à ses principes et à sa famille ? Peut-il vraiment échapper à son destin ? Peu à peu, Henri déprime... l'histoire prend ensuite un tournant un peu plus étrange lorsque Sérieuse propose à son père [spoiler] de la tuer, elle, car elle souffre de sa dépression et de ne plus rien ressentir [/spoiler]

 

Si Henri est un personnage plutôt plaisant à suivre, j'ai été régulièrement déconcertée par Sérieuse, de par son étrange demande, sa persistance auprès de son père à accomplir ce qu'elle souhaite de lui, sans oublier le fait [spoiler] qu'elle prenne un certain plaisir à voir son père souffrir de l'ultimatum qu'elle lui pose, tout ceci amenant Henry à perdre la boule alors qu'il finit par craquer de rage et vouloir provoquer un infanticide, même lorsque Sérieuse change d'avis [/spoiler]. Toutefois, le suspense est bien maîtrisé et jusqu'au dernier moment, on attend de voir si la prédiction va se réaliser. Les dialogues sont toujours un délice, les répliques fussent. L'auteure joue sans cesse avec l'humour, les beaux mots et le drame.

 

Bien-sûr, qui dit Amélie Nothomb, dit réflexions parfois philosophiques, et cela ne loupe pas dans ce roman. Madame Nothomb nous parle des rêves de gloire et le paraître auxquels aspirent beaucoup de gens, mais nous dresse aussi le portrait d'une aristocratie soucieuse de (trop) plaire lorsqu'elle reçoit, à travers Henri avec le soin et le déploiement d'attentions qu'il met à recevoir. Recevoir, c'est une finesse, un art dans lequel Henri entend exceller. Il sait qu'il appartient à l'aristocratie et cela lui confère un rôle ainsi que des devoirs. Amélie Nothomb prend un malin plaisir à se moquer des us et coutumes d'une aristocratie belge décatie, à tourner en dérision les codes d'honneur d'une aristocratie qui est davantage dans le paraître et à qui cela ne dérange pas de voir un meurtre en son cercle, pourvu que cela soit bien fait. Elle évoque également les relations parents-enfants, les façons d'être manipulé, de se laisser convaincre ou pas, et du poids des traditions et des générations.



Sans que ce soit un coup de cœur, j'ai aimé retrouver l'univers fantasque et farfelu de notre dame au chapeau. Ses œuvres ont un certain charme, une loufoquerie que j'aime retrouver de temps en temps, surtout lorsque j'aspire à un moment de détente. Amélie Nothomb nous livre comme toujours un récit rapide et déroutant, qui s'avale d'une traite.



Mon cher Evrard, j’ai besoin de tes lumières. Y a-t-il un précédent en matière d’assassinat au cours d’une réception, dans notre milieu ?

Il y en a beaucoup. Je ne pourrais pas tous te les citer, mon cher Henri.

Détail qui a son importance : y a-t-il eu un cas où l’assassin était celui qui recevait ?

Bien-sûr. Le prince de Retors-Carosse a tué le duc de Moilanwez lors du cocktail qu’il offrait en l’honneur de la fête du roi, la baronne de Bernach a tué la vicomtesse de Lambertye pendant un bal de charité qu’elle donnait chez elle, etc. Là aussi, les cas abondent. Il est plus rare que l’invité tue l’hôte : c’est plus difficilement défendable. Alors que l’hôte qui tue l’invité, tout le monde peut le comprendre.

Tu veux dire qu’il n’y a pas eu de conséquences ?

Que vas-tu imaginer ? La justice a sévi, bien-sûr.

Je voulais parler de l’opinion. Comment notre monde a traité ces assassins ?

Notre monde a très bien compris et a continué de recevoir ces gens et leur famille.

Comment recevoir des personnes qui sont en prison ou sur l’échafaud ?

En leur envoyant des cartons d’invitation à leur nom.

(…) — Pourquoi ces questions, mon cher Henri ?

Comme tu le sais, je prépare la garden-party pour ce dimanche, et j’avais le projet de t’assassiner, mon cher Evrard.

Je te reconnais bien là. À dimanche, cher ami, je me réjouis de te revoir.

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