vendredi 28 juillet 2023

Rebecca - Daphné du Maurier.


Sur Manderley, superbe demeure de l'ouest de l'Angleterre, aux atours victoriens, planent l'angoisse, le doute : la nouvelle épouse de Maximilien de Winter, frêle et innocente jeune femme, réussira-t-elle à se substituer à l'ancienne madame de Winter, morte noyée quelque temps auparavant ? 

Daphné du Maurier plonge chaque page de son roman - popularisé par le film d'Hitchcock - dans une ambiance insoutenable, filigranée par un suspense admirablement distillé, touche après touche, comme pour mieux conserver à chaque nouvelle scène son rythme haletant, pour ne pas dire sa cadence infernale. 

Un récit d'une étrange rivalité entre une vivante - la nouvelle madame de Winter - et le fantôme d'une défunte, qui hante Maximilien, exerçant sur lui une psychose, dont un analyste aurait bien du mal à dessiner les contours avec certitude.



J’ai rêvé la nuit dernière que je retournais à Manderley.


C’est l’histoire d’une jeune orpheline qui exerce comme dame de compagnie à une employeuse qu’elle a bien du mal à satisfaire. Un jour, elle rencontre Maxime de Winter, beau, riche et veuf, pendant leur séjour à Monte Carlo. Une idylle naît entre eux et, très vite, Maxime lui demande sa main en mariage et ils profitent d’une lune de miel tranquille en Italie avant de ramener sa jeune épouse dans sa belle et ancestrale demeure à Manderley, au sud de l’Angleterre. Jusqu’ici, cette histoire a des airs de conte de fées, mais notre narratrice va vite s’apercevoir que sa belle histoire va s’accompagner de touches bien amères alors qu’elle découvre l’emprunte encore vive de Rebecca, la précédente Mrs de Winter sur Manderley et ses occupants.



J’avais déjà vu au préalable l’adaptation de 2020 ainsi que le musical allemand, ainsi l’histoire n’a pas eu de mystère pour moi. Cela dit, ce sont les adaptations qui m’ont poussé à découvrir le roman d’origine, ce que je ne regrette pas tant la lecture fut addictive ! La plume de Daphné du Maurier est exquise, elle n’a pas son pareil pour décrire l’être humain dans toute sa complexité, pour construire une intrigue maîtrisée et nous fournir une ambiance pesante, voire gothique.



L’histoire commence sur un ton léger, sous le soleil de Monte Carlo, alors que la narratrice et Mr de Winter font connaissance puis passent leurs journées ensemble. Lui qui était si sombre semble retrouver le sourire face à la naïveté toute enfantine de celle qui deviendra sa seconde épouse. Puis, tout change lorsque le jeune couple arrive à Manderley. Tout au sein de l’illustre demeure rappelle Rebecca. La maison a été décorée selon son goût, les domestiques continuent de faire les choses à la façon dont elle le désirait et toute l’aile ouest, où elle logeait, garde les empruntes de l’épouse disparue. Tout a été laissé à l’identique dans sa chambre, comme un musée à son honneur. Au sein du manoir et dans la région alentour, on ne parle que de RebeccaRebecca et ses longs et magnifiques cheveux, Rebecca qui savait si bien entretenir ses hôtes, Rebecca qui excellait à l’équitation et naviguait avec brio, Rebecca et son sourire, qui charmait chaque personne qu’elle rencontrait. Tout ne semble être que perfection chez Rebecca et Rebecca est le sujet sur toutes les bouches.



La narratrice : I didn't sign up for this!


La narratrice se rend compte, plus que jamais, de l’influence que Rebecca avait et combien elle n’est pas ce à quoi l’entourage de son mari, ainsi que les domestiques et locaux, s’attendaient. De nombreux non-dits, sous-entendus et comparaisons font que la narratrice se fait une idée sur qui était Rebecca et qu’elle se sente progressivement inférieure à elle, gauche et insignifiante. Il faut dire qu’elle entre dans un monde qui lui est inconnu, d’autant plus que ses origines sont très modestes à l’inverse de son époux bien né, et elle craint de ne pas être à sa place et de ne pas savoir bien faire les choses. Elle n’a pas l’assurance qu’elle souhaiterait avoir et le faste de Manderley qu’on attend d’elle lui pèse. Pour ne pas déplaire, elle décide de ne rien changer à Manderley et de ne pas effacer la présence de la si regrettée Rebecca. Son mari n’est pas d’une grande aide, se fermant à sa jeune épouse dès qu’elle tente d’en savoir plus sur sa vie d’avant et sur Rebecca.



J’ai beaucoup aimé suivre notre héroïne. Pourtant, nous savons si peu de choses sur elle. Nous ignorons son nom (on sait juste qu’elle a un prénom assez inhabituel), son âge (hormis le fait qu’elle soit jeune), son passé (juste qu’elle est orpheline). C’est une jeune femme timide, maladroite, douce, effacée et qui manque cruellement de confiance en elle (trop, diront certains). Elle tente de se faire une place à Manderley mais semble accumuler les maladresses et craint que son mari pense encore à sa première épouse et regrette de l’avoir épouse, elle. Il faut dire que le comportement des gens autour d’elle l’intrigue tout comme cela l’angoisse progressivement. Elle est influençable et interprète la moindre chose avec une tendance à s’imaginer les pires scénarios… parfois à l’extrême (son mari est en retard, elle s’imagine qu’il a eu un accident sur la route et se voit déjà veuve ; elle passe devant des gens qui éclatent de rire, elle s’imagine qu’ils se moquent d’elle car elle n’est pas comme Rebecca, etc), et j’avoue m’être reconnue plus d’une fois en elle mais, je l’espère, que je n’ai jamais été aussi loin dans ma proportion à me faire des films ! Fort heureusement, notre héroïne va savoir évoluer et gagner peu à peu en assurance et s’imposer comme Mrs de Winter, la nouvelle maîtresse de maison et une femme sur laquelle sa famille peut compter en toute circonstance. Ce fut un plaisir de voir son évolution !



Le personnage de Maxime est intriguant, on ne sait pas toujours sur quel pied danser avec lui. Il est tantôt froid et distant, tantôt colérique, tantôt calme. C’est un homme avec un sombre vécu qui veut à tout prix s’éloigner d’un passé qui ne cesse de le hanter et cela l’empêche parfois de témoigner de l’affection à sa jeune épouse. Il peut toutefois être très tendre avec elle, tout comme il peut être assez paternaliste. J’ai beaucoup aimé le personnage de Frank, domestique et ami de longue date de Maxime, ainsi que Béatrice, la sœur de Maxime, qui ne mâche pas ses mots, qui est vigoureuse, franche et parfois rentre-dedans mais qui a bon cœur et qui s’attache à la narratrice.




Rebecca a connu de nombreuses adaptations sur petit et grand écran, au théâtre comme
sur la scène musicale. La plus connue étant le film d'Hitchcock (1963) et la plus récente
étant celle de Netflix (2020)


Je ne peux pas parler du roman sans parler de Mrs Danvers, la gouvernante ainsi que l’ancienne dame de compagnie de Rebecca, toujours vêtue de noir avec un chignon serré. Elle voue un véritable culte à sa maîtresse et ne s’est jamais remise de sa disparition. Son attitude envers la nouvelle Mrs de Winter est glaciale, elle n’aura de cesse de faire comprendre à celle qu’elle considère comme une usurpatrice qu’elle est bien en-dessous de Rebecca et qu’elle n’a rien à faire à Manderley. Son animosité envers la narratrice ainsi que sa dévotion presque religieuse à Rebecca la font parfois s’approcher de la folie. C’est un personnage complètement dérangée et elle nous inspire de la répulsion mais aussi de la curiosité car c’est un bien étrange animal, cette Mrs Danvers.



Évidemment, la grande absente du roman mais qui brille paradoxalement par son omniprésence, c’est Rebecca. Bien que morte, son aura et sa personnalité ont marqué les lieux et les esprits.  Son ombre plane sur Manderley et le couple, à tel point que la narratrice souffre d’un complexe d’infériorité et finit par douter même de la réussite de son mariage... Même un an après sa mort, tout le monde continue de parler de Rebecca et de la regretter. Il faut dire qu’elle a disparu de façon brutale et dans des circonstances tragiques. L’affaire de sa mort a été close comme étant une mort accidentelle, mais de nouveaux événements vont amener à rouvrir le dossier, donnant à la narratrice l’occasion de voir se dévoiler peu à peu la véritable personnalité de Rebecca et les véritables circonstances de sa disparitions. Même après sa mort, Rebecca n’a pas fini de surprendre !



Le roman alterne entre description de la vie quotidienne de la nouvelle Mrs de Winter et une enquête pour lever le voile sur les circonstances de la mort de Rebecca, le tout avec Manderley comme cadre, cette ancienne demeure au bord de la mer, fleurie à outrance, avec ses fêtes inoubliables. L’intrigue, qui commençait sous des tons légers, devient progressivement lourde, pesante, étouffante. Le suspens monte crescendo. Daphné du Maurier décrit à la perfection les peurs psychologiques de son héroïne et la personnalité perverse de Rebecca qu’elle a su dissimuler avec une efficacité diabolique. J’ai vraiment été  happée par l'histoire et ses rebondissements. J'ai marché sur les traces de Rebecca autant que la narratrice, avec la curiosité malsaine et pourtant légitime de tout découvrir sur elle... 



Si je devais relever un bémol, c’est la fin brutale. Il m’a fallu relire le début du roman pour me remémorer la suite des événements (l’histoire nous est narrée par notre héroïne après les événements du roman) et même ici, ce n’est pas évident de comprendre [spoiler] que l’incendie de Manderley était criminel mais sans deviner avec exactitude qui en est l’auteur [/spoiler]Toutefois, ce fut un classique que j’ai pris beaucoup de plaisir à lire et qu’il y a tant de choses à dire et à retenir sur ce roman, mais ma critique étant déjà bien assez longue, je n’en dirais pas plus !


Il se tourna vers moi.  
« Tout à l'heure, vous avez parlé d'une invention, un procédé pour capturer les souvenirs. Vous m'avez dit que vous voudriez pouvoir revivre le passé quand bon vous semble. Je crains de ne pas voir tout à fait les choses comme vous. Mes souvenirs sont amers, et je préfère les ignorer. 
Un événement s'est produit il y a un an qui a bouleversé ma vie, et je veux oublier chaque phase de mon existence jusqu'à cette date-là. Cette époque est terminée. Rayée de ma mémoire. Je dois repartir à zéro. Le jour de notre rencontre, votre Mme Van Hopper m'a demandé pourquoi je venais à Monte Carlo. Ces souvenirs que vous rêvez de ressusciter, son indiscrétion les a étouffés. Il arrive qu'ils s'échappent quand même, bien-sûr : parfois le parfum est trop puissant pour le flacon, et trop puissant pour moi. Le démon que j'ai en moi, comme un voyeur perfide, essaie d'arracher le bouchon. C'est ce qui s'est passé lors de notre première sortie ensemble. Quand nous sommes montés dans les collines et que nous avons regardé le précipice. J'étais déjà venu là, il y a quelques années, avec ma femme. 
Vous m'avez demandé si l'endroit était toujours pareil, ou s'il avait changé. Il était exactement pareil, mais, à mon grand plaisir, les lieux m'ont laissé froid. Rien ne m'évoquait la fois précédente. Aucune trace de notre passage à elle et moi. Peut-être parce que vous étiez là. Vous savez, vous m'avez fait oublier le passé bien plus efficacement que toutes les attractions de Monte Carlo. Sans vous, je serais parti depuis longtemps, pour l'Italie, la Grèce, peut-être plus loin encore. Vous m'avez épargné toutes ces errances. »

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