samedi 17 septembre 2022

La dame au linceul - Bram Stoker.



"Là, sur la terrasse, dans la clarté lunaire maintenant plus intense, se tenait une femme vêtue d'un linceul trempé qui ruisselait sur le marbre, faisant une flaque qui s'écoulait lentement sur les marches mouillées. Son attitude et sa mise, les circonstances de notre rencontre, me donnèrent aussitôt à penser, même si elle se mouvait et parlait, qu'elle était morte. Elle était jeune et très belle, mais pâle, de la pâleur éteinte et grise des cadavres. " 

Extrait du journal de Rupert Sent Leger, cette scène - dans la pure tradition du genre - donne bien le ton de cet admirable roman gothique où s'entrelacent lettres, billets, fragments de journal intime et notes pour raconter les aventures étranges et inquiétantes d'un jeune homme sans le sou devenu du jour au lendemain châtelain dans les Balkans...




Rupert Sent Leger hérite de son oncle décédé son château de Vissarion, situé dans les Montagnes Bleues, en Europe de l’Est. Aventurier dans l’âme, il décide de quitter son Angleterre natale pour y vivre. Il est vite conquis par le charme désuet du château ainsi que par les paysages et ses habitants, et entend bien se faire aimer d’eux tout comme il les aime déjà. Après quelques semaines passées dans sa demeure et après avoir invité sa tante Janet en vue de compagnie, les nuits de Rupert se retrouvent hantée par une mystérieuse apparition. Celle d’une femme envolée d’un linceul humide. Rupert se hâte de la faire entrer et la réchauffer, s’interrogeant sur sa curieuse invitée. Qui est-elle, d’où vient-elle et que lui est-il arrivé ? La jolie dame ne se dévoile pas mais supplie son hôte de la laisser se reposer près de lui et de lui apporter chaleur et réconfort, avant de s’enfuir le matin venu. Rupert est dévoré de curiosité et ne cesse de guetter, chaque nuit, l’apparition de cette étrange dame…


Le début est un peu long et laborieux et peut dissuader le lecteur de continuer sa lecture. Pourtant, après être enfin venu à bout du testament de l’oncle du protagoniste et les histoires de famille, le roman devient plus intéressant. Les premières pages ne présentent d’intérêt autre que celui de poser le contexte et d’introduire l’arrivée de Rupert au château. Fort heureusement, le lecteur n’aura pas grand besoin de connaître l’histoire des ancêtres et parents du protagoniste pour suivre le récit.


La force du roman, c’est bien entendu sa charmante et envoûtante atmosphère gothique. Il n’y a rien d’étonnant à cela, car La Dame au Linceul compile de nombreuses caractéristiques propres au roman gothique : nous avons un château magnifiquement décrit, une crypte mystérieuse, des décors naturels sortis tout droit des légendes, des paysages nocturnes, des tempêtes, une femme désespérée, voire persécutée, diablement belle et entourée de bien des mystères, des mentions au vampirisme, l’omniprésence de la nature et des ténèbres. Dès le départ, Bram Stoker nous plonge dans une ambiance de mystère, d’inconnu, d’inexplicable, un personnage féru d’occultisme (la tante), un paysage envoûtant par son côté sauvage et son exotisme (nous sommes ici dans les Balkans), un jeune héros fringant et aventurier avec un esprit noble et aventureux. Une dame étrangement belle et entourée de mystères, elle semble sortie d’un songe, elle semble même venue d’un autre monde. On se demande qui elle est exactement, quelle est sa nature, quelles sont ses intentions. Comme le protagoniste, on guette chacune de ses apparitions. N’oublions pas non plus le romantisme qui n’est pas à négliger avec le jeune Rupert qui va vite vouer un amour aveugle à sa belle inconnue dont il ne sait pourtant absolument rien.


La romance, si elle est rapide, a un aspect plutôt intéressant dans le sens où Rupert a vite conscience de la probable nature surnaturelle de son aimée, ce qui change de la plupart des romans gothique où l’on découvre la véritable nature du vampire/monstre/etc vers la fin du récit, alors que Rupert a des doutes assez rapidement et qu’il est prêt à tout pour celle qu’il aime, peu importe ce qu’elle pourrait être et qu’il espère même la sauver (j’aurais trouvé plus intéressant qu’il choisisse d’avoir une relation avec elle, en dépit de sa nature monstrueuse). La scène de rituel dans l’église [spoiler] ou plutôt leur mariage [/spoiler] m’a beaucoup plu, l’ambiance était mystique à souhait !


La Dame au Linceul n’est pas sans rappeler La Morte Amoureuse, de Théophile Gautier, lui-aussi étant un récit gothique. Si je devais retenir une chose de ce texte, ce serait sa résolution… à travers les secrets de cette chère dame blanche. C’est inattendu, complètement sorti de nulle part, et j’ignore si je dois féliciter Bram Stoker pour nous avoir surpris à travers son plot twist inattendu ou si je dois être déçue et me plaindre d’avoir été ainsi trompée [spoiler] c’était bien joué, de nous faire croire que la dame était un vampire alors qu’il n’en est rien et que c’est un stratagème mis en place pour sa sécurité… c’est finement trouvé, mais je ne peux m’empêcher d’être déçue car je m’attendais vraiment à trouver une histoire de vampire [/spoiler]. Bien joué Bram Stoker, bien joué…


Cela n’enlève rien à la qualité du texte bien qu’il reste assez oubliable. Je ne peux pas nier la beauté du récit, notamment à travers ses descriptions et son ambiance purement gothique qui envoûte son lecteur et lui donne envie de visiter, lui-aussi, le château de Vissarion et ce pays mystérieux, un peu hostile, mais enchanteur.


Inter arma silent leges - la voix de la raison se tait dans les moments de passion. Morte, ou morte-vivante, elle peut bien l'être, mais je l'aime, et quoiqu'il arrive, dans ce monde-ci ou dans un autre, elle est mienne. Dussé-je la sauver des enfers, elle sera ma compagne.

Livre quatrième - Sous le mât du drapeau.

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