Derrière leur réputation d'histoires un peu naïves, les contes de fées ont des racines sombres et anciennes !
Aujourd'hui édulcorées, les versions originelles osaient le meilleur comme le pire : des princes pas si charmants, Raiponce vendue contre une botte de persil et Cendrillon qui décapite sec sa belle-mère !
En décapant avec humour ces récits d'autrefois, Lou Lubie pose une question d'éthique : violence, sexisme, racisme... Les contes sont-ils encore adaptés à notre époque ?
Une réussite que cette bande-dessinée ! Drôle, passionnante et instructive, elle nous fait un tour non-exhaustif des contes de fées européens. Vous pensiez tout savoir des contes de notre enfance ? Des princesses passives à sauver, de valeureux princes charmants, des histoires niaises où tout finit bien ? Que nenni, mes braves gens ! Dans cet ouvrage, Lou Lubie dissèque les contes de fées sous un trait analytique et surtout beaucoup d’humour !
La construction de l’ouvrage en lui-même est déjà très bien pensé : chaque chapitre représente une thématique précise et chaque chapitre est entrecoupé par un conte mis en scène sous le trait de l’auteure. Son style est doux, rond, assez mignon, et permet de traiter de certains sujets durs propres aux contes sans tomber complètement dans le glauque. En effet, si certaines situations vécues par les personnages peuvent être très glauques, c’est en partie atténué par le style graphique.
L’ouvrage aborde des sujets aussi variés que nombreux qui nous permettent de mieux cerner et définir les contes de fées. D’où viennent les contes, qu’est-ce qu’un conte, la différence avec les fables et mythes, l’évolution des contes à travers l’Histoire, les différents types de contes (contes de fées, contes réalistes et donc sans élément magique, contes religieux, etc), leurs auteurs, leur construction, les différentes thématiques, etc).
Tous les contes n’ont pas toujours un auteur bien défini. Certains remontent à si loin dans l’Histoire qu’il est impossible de déterminer qui en est l’auteur. Certains contes que nous connaissons déjà sous la plume d’un auteur ne sont pourtant pas les siens à proprement parler car l’auteur s’est inspiré d’une version beaucoup plus ancienne (Cendrillon a par exemple une sacrée ascendance ! On retrouve ainsi en Chine, plus de mille ans avant Disney, l’histoire d’une jeune fille maltraitée par sa belle-famille et qui perd son soulier d’or en s’enfuyant d’une fête). Bien-sûr, contes repris ou contes originaux, trois auteurs (ou plutôt quatre) se démarquent tout au long de l’ouvrage.
Nous avons Basile (Giambattista Basile), poète, courtisan et écrivain italien du XVI-XVIIe siècle. Ses contes s’adressaient davantage à un public adulte et dont le statut social était élevé, ainsi ses histoires étaient beaucoup plus crues que celles que l’on connaît (par exemple, dans sa version de la Belle au Bois Dormant, le prince n’avait pas d’intentions courtoises envers la belle endormie, et il a plus ou moins profité d’elle pendant son sommeil enchanté. C’est lorsque l’enfant qu’elle a eu de cet acte non-consenti lui suça le pouce qu’elle se réveilla). C’est parfois violent, souvent absurde et toujours très cru.
Ensuite, Charles Perrault dont les contes ont apporté plus de soin dans ses descriptions et qui s’adressaient avant tout aux enfants. Ainsi, il y avait une morale à la fin, et les héroïnes recevaient de l’aide des fées, le héro est vertueux, etc.
Enfin, nous avons les frères Grimm, dont les héros étaient plus débrouillards et géraient davantage leurs problèmes eux-mêmes que grâce à une fée ou autre être magique, mais les contes étaient plus cruels (les belles-sœurs de Cendrillon qui ont les yeux crevés par des oiseaux lors du mariage de Cendrillon par exemple).
Lorsque Walt Disney reprend ces contes pour en faire des films d’animation, il est bien entendu hors de question de présenter les passages crus de Basile ou les scènes de cruauté chez Grimm. Les histoires sont édulcorées : moins sanglantes, plus romantiques, plus ludique. Après 1989, les personnages Disney gagnent en personnalité (Ariel qui se rebelle contre son père et a comme passion le monde des humains, Belle et son goût de la lecture, etc). À partir des années 2010, on observe un autre changement : les films s’ajustent à l’air du temps, les princesses s’éloignent des stéréotypes, sont plus actives face à leur destin (La Reine des Neiges qui se moquent du mariage au premier mec rencontré et valorise la sororité, La Princesse et la Grenouille avec une héroïne qui exerce un métier), ce qui fait aussi que les premières princesses Disney sont maintenant critiquées, considérées comme naïves, passives, les histoires sexistes, manichéennes…
Cela donne l’occasion à l’auteure d’analyser le sexisme chez les contes de fées. Les héroïnes sont souvent définies par ce qu’elles sont (soit une princesse, soit une belle jeune fille, etc) et non ce qu’elles font. À l’inverse, on n’accorde pas d’importance à l’apparence des héros mais plutôt ce qui les qualifie, ce qu’ils font (brave, intrépide, etc). Ce sexisme se retrouve également chez les méchants : à la fin de l’histoire, les femmes sont toujours punies plus sévèrement que les hommes (exemple du conte La pauvre manchote).
Lou Lubie nous parle également de la place du racisme, mais aussi de la religion dans les contes. Par exemple Perrault était catholique, ainsi ses personnages incarnent les valeurs catholiques comme l’humilité, la vertu, le pardon. Les frères Grimm étaient protestants, ainsi les personnages sont plus maîtres de leur destin. Elle nous parle également des contes LGBT+. Les contes s’inspirent de la mythologie où les relations queer existent, il semble peu probablement qu’il n’y ait jamais existé de conte LGBT+, mais alors où sont-ils donc passés ? Il nous semble probable qu’ils aient soit été effacés car être queer était reprouvé, voire criminalisé, ou alors ces contes existent, sauf qu’ils ont été modifiés pour en faire des contes hétéronormés. Il en existe pourtant, et Lou Lubie a choisi d’en illustrer un, Le chien et la mer, qui a été très plaisant à découvrir.
Les premiers films Disney et les contes de fées ont aujourd’hui mauvaise réputation (princesses considérées comme passives, baisers non consentis, histoires trop manichéenes, etc), ce qui donne parfois lieu à des réécritures pour qu’ils reflètent ainsi notre société, incorporant des éléments du monde réel pour apporter plus de réalisme. Cela donne ainsi lieu à de nombreux romans, films et séries tv pour plaire à notre société actuelle mais aussi aux adultes (les séries Grimm et Once upon a time, par exemple).
Et à la fin, ils meurent est donc un livre très complet sur le monde des contes, leurs origines, leur évolution à travers l’Histoire et en fonction de la plume de l’auteur, les différentes versions selon les différentes périodes et les mœurs de l’époque, ce qui permet bien d’illustrer l’évolution de la société au fil des époques et des pays. En outre, Lou Lubie nous montre bien que les contes de fées sont bien plus que des naïves histoires pour enfants, ils sont notre patrimoine littéraire, notre héritage culturel, les origines de notre imaginaire.
C’est un ouvrage très complet, instructif, drôle et passionnant que je conseille. Ajoutons à cela que l’auteure termine son ouvrage par un petit bonus très plaisant : un conte qu’elle a elle-même créé lorsqu’elle était plus jeune, ce qui rend la lecture encore plus appréciable !
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