mercredi 23 août 2023

Là où règnent les baleines - Jolan C. Bertrand.



Roanne adore les romans d'horreur et la natation synchronisée, d'accord, mais elle avait vraiment d'autres projets que de partir passer l'été chez son oncle Kierzic, qu'elle ne connaît même pas ! Ce type aussi grincheux que mystérieux vit en solitaire dans un phare planté au large de la côte Atlantique, avec pour toute compagnie une mouette rieuse et les rumeurs de l'océan. 

Dès son arrivée, Roanne est déterminée à s'en aller au plus vite de ce tas de caillou désert. Désert, vraiment ? Dans la bourgade du coin, on raconte que des naufrages auraient lieu les soirs de pleine lune. Au même moment, un bateau de pêche est porté disparu. Et d'où vient cette voix d'enfant qui l'appelle chaque nuit ? Plus le temps passe, plus Roanne se demande si Kierzic ne serait pas un...




Parce qu'elle privilégie sa passion pour la natation synchronisée au lieu de ses études, Roanne est envoyée par sa mère passer les vacances d'été chez son oncle, Kierzic. Celui-ci habite dans un phare, perdu au milieu de nulle part, sur une petite île, sans eau, électricité ou réseau et dont la seule agglomération potable n'est accessible que par bateau. L'enfer sur terre pour Roanne qui se désespère de passer ses vacances dans ce trou perdu avec un oncle qu'elle ne connaît pas et quelques romans. Alors qu'elle s'installe difficilement, elle croit entendre des voix. Son imagination, nourrie par les romans et films d'horreur et de fantastique, ne fait qu'un tour et Roanne enquête... jusqu'à rencontrer des créatures bien inhabituelles qui peuplent les océans et qui possèdent un lien que Roanne n'aurait jamais imagé avec son oncle Kierzic.


Là où règnent les baleines est un sympathique roman jeunesse qui sent bon l'océan avec son sel marin, ses vents et marées. Nous sommes pourtant loin des belles plages au sable doré, au soleil brûlant et aux eaux marines bleu turquoise. Imaginez plutôt un phare sombre et coupé du monde, un océan bleu foncé, voire gris ou noir, un ciel tantôt clément tantôt sombre, un climat froid et humide. On comprend que Roanne, dont la passion est l'eau et la natation, ne soit pas emballée, d'autant plus que son oncle est un véritable misanthrope. à l'inverse de Roanne, j'ai aimé l'atmosphère qui se dégage du roman (mais sans nul doute que j'aurais moyennement apprécié si j'avais été à sa place haha) et qui ne peut que plaire aux amoureux de la mer.


L'auteur a su construire un univers intéressant autour des Nelphides, ces créatures qui ressemblent à des sirènes tout en s'éloignant des stéréotypes liées à ces dernières. C'est un peuple de la mer énigmatique et intéressant à découvrir, les créatures en elles-mêmes, leur culture, leurs rites et coutumes, leur comportement face à la mort ou aux naissances, leur habitat. C'était très intéressant à découvrir, d'autant que l'auteur a agrémenté son roman d'illustrations à certains passages, pour mieux nous représenter les Nelphides.




Les personnages sont relativement attachants et agréables à suivre. J'ai aimé le piquant de Roanne et son imagination débordante, ainsi que son amour pour le fantastique et l'horreur à travers les figures de Lovecraft, Guillermo del Toro, Bram Stoker. C'est son attrait pour l'étrange qui lui permet d'affronter cette aventure avec aplomb, mais aussi d'avoir beaucoup d'empathie envers son oncle et les créatures marines. Ajoutons à ça que c'est agréable d'avoir un personnage considéré comme rond/gros, ça change de ce qu'on peut voir d'habitude. Kierzic, quant à lui, est un personnage solitaire, timide, qui a des difficultés à agir en société car moins il sort en compagnie des autres personnes et mieux il se porte, et il est davantage attaché aux Nelphides qu'aux humains. C'est le classique du personnage bourru au grand cœur qui va s'ouvrir peu à peu à la pile électrique qu'est sa nièce et leur relation est plutôt mignonne et assez hilarante, même si elle aurait gagné à être plus développée et approfondie.


Outre la fascinante mythologie autour des Nelphides, le roman est rythmé entre mystères, aventure et un ton drôle et piquant. L'auteur aborde des sujets comme la différence, le regard des autres, la grossophobie, l'isolement mais aussi l'écologie à travers la pèche illégale. C'est un roman riche en thématiques avec une dynamique familiale sympathique.


Pour autant, la thématique liée à l'écologie n'était que peu abordée au final. Le sujet a été abordé de façon subtile sans que ce soit un enjeu dans l'intrigue, mais juste un message subtil pour éveiller la conscience d'un jeune public, mais sans plus. Il m’a également manqué un je ne sais quoi pour que ce roman soit un coup de cœur, je ne parviens pas à définir quoi mais il m’a manqué quelque chose. Sans doute que j’espérais me sentir plus impliquée et attachée aux personnages et que je m’attendais à ce que les enjeux du roman soient plus importants.


Pour autant, cela reste une lecture agréable, le roman se lit avec beaucoup de facilité. Le rythme est bien présent et l’intrigue ne manque pas de mystères progressivement révélés. Pour moi, la force de ce roman est l’univers – aussi bien le cadre marin que les Nelphides et leur civilisation – ainsi que le ton piquant et humoristique de l’écriture. En bref, une lecture très sympathique mais pas marquante sur le long terme. J’ai passé un bon moment mais ce n’est pas le coup de cœur que j’espérais. Néanmoins, je suis très curieuse de lire l’autre roman de l’auteur et qui s’intéresse à des thèmes plus hivernaux !


Les corps sombres des deux baleines à bosse ressemblaient à des nuages de nuit constellés d’étoiles. Des tâches blanches s’étalaient le long de leurs nageoires et de leurs museaux. Elles glissaient en une brasse lente, étrangement délicate pour des créatures de cette taille. Roanne écarquilla les yeux. Une large queue, au dessous plus clair, se courba et, das son esprit elle entendit Mathilde, son entraîneuse : « On cambre le dos, les filles ! ». 

Le long corps épais de la baleine aurait dû être pataud et maladroit, mais il ployait pour suivre les mouvements des vagues, monter, redescendre, rouler lentement sur le côté. Le ventre strié de blanc se dévoila, les nageoires formant des arabesques si parfaites que la vue de Roanne se brouilla derrière son masque. Elle se surprit à courber le bras pour les imiter. Elle se mit à battre des palmes et se rapprocha d’elles. Elle flottaient dans l’immensité de l’océan – l’océan parfait, les baleines parfaites. 

Chaque bosse, chaque creux sur leur peau, chaque protubérance était comme un code ou un message, un symbole inscrit à cet endroit précis pour une raison précise. L’océan était fait pour les baleines, un royaume sur lequel elles régnaient. Roanne n’aurait pas su l’expliquer avec des mots, mais elle ressentait la même chose que lorsqu’elle plongeait dans la piscine. 

Quand la musique pulsait, étouffée par l‘eau. Quand elle tournait, exécutait les mouvements, dansaient. Quand ses bras créaient un son feutré et humide, si satisfaisant à entendre. C’étaient les moments où elle savait qui elle était, et qu’elle était à sa place. Quand elle faisait ce qu’elle aimait faire, ce pour quoi elle était faite. 

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