mardi 15 août 2023

Sous le soleil - Agatha Christie.



Même les plus aguerris des enquêteurs ont besoin d’un peu de répit de temps à autre et, que leurs faveurs aillent à la beauté d’un temple grec ou à la douceur d’une croisière sur le Nil, la saison chaude a de quoi séduire tous les caractères. Mais le crime, lui, ne prend pas de vacances, et nos fins limiers devraient se méfier : cet été, il se pourrait bien qu’ils aient à redouter davantage que des coups de soleil…

Sous le soleil rassemble dans toute leur diversité les plus grands enquêteurs de la reine du crime : d’Hercule Poirot à Miss Marple, sans oublier les plus atypiques, tels que le futé Parker Pyne ou le mystérieux Harley Quinn. Un recueil incontournable pour tous les amateurs de cosy mystery.




Je ne peux pas envisager mes vacances d’été sans un petit roman policier à me mettre sous la dent. J’ai ici jeté mon dévolu sur un recueil de nouvelles d’Agatha Christie. J’avais lu, pour le Cold Winter Challenge, le recueil Sous laglace qui regroupait douze nouvelles qui se situaient pratiquement toutes pendant l’hiver ou les fêtes de fin d’année. Sous le soleil nous propose, à l’inverse, douze nouvelles dont l’intrigue se déroule (le plus souvent) en été ou pendant les vacances, en compagnie des détectives Hercule PoirotMiss MarpleParker Pyne, etc.



Le seuil ensanglanté : Joyce Lemprière raconte à une assemblée d'amis ainsi que sa tante, Miss Marple, l'étrange événement dont elle a été témoin lors de ses vacances dans les Cornouailles. Alors qu'elle s'était posée pour peindre une toile, elle découvre des tâches de sang sur le paysage qu'elle a choisi de peindre. Quelques jours plus tard, la mer renvoie le corps sans vie de l'épouse du capitaine Dacre. Tragique noyade ? Pas si sûr, puisque la victime porte des blessures sur le crâne. Une bonne petite enquête que l'on pourrait coller à la définition de "folie à deux" tant nous avons affaire à un couple redoutablement efficace dans l'art du crime. Miss Marple est douée pour deviner le fin mot d'une enquête, même sans y avoir été confrontée de près !



Le double indice : Hercule Poirot est mandaté pour résoudre l'affaire du cambriolage de bijoux médiévaux et de pierres précieuses. Sur le lieu du vol sont découverts un gant ainsi qu'un étui à cigarette. Le cambrioleur est-il si négligeant ou ces indices ont-ils été laissés là exprès pour mener les enquêteurs sur une fausse piste ? Une nouvelle intéressante qui nous permet de faire la connaissance de la comtesse Rossakov, une femme intelligente et redoutable qui ne laisse pas Poirot indifférent !



Mort sur le Nil : Depuis qu'elle a embarqué sur un somptueux bateau de croisière, Lady Grayle est exécrable et se plaint de tout, au grand désespoir de ses proches. Lorsqu'elle apprend que le détective Parker Pyne a embarqué à bord, elle sollicite ses services. Lady Grayle soupçonne en effet son mari de vouloir l’empoisonner. Une nouvelle qui n’a rien à voir avec le roman du même nom, mais une enquête efficace où l’empoisonneur n’est pas toujours celui que l’on pense (et tant mieux, sinon le lecteur se serait vite ennuyé), j’ai trouvé efficacement sournois l’astuce du meurtrier [spoiler] de faire coïncider l’empoisonnement de Lady Grayle quand son mari était là, et cesser les doses en l’absence du mari, pour que les soupçons se tournent vers le mari et non lui [/spoiler].



Le sentier d’Arlequin : une enquête de M. Satterthwaite qui séjourne chez un couple d’amis, les Denman, où il s’ennuie fermement. Il y retrouve son ami, Harley Quinn. Pas d’histoire de meurtre ou de cambriolage ici, j’ai même eu du mal à voir où l’auteure voulait en venir avec cette histoire de paravent chinois et puis de spectacle de danse, mais l’histoire de cette mystérieuse danseuse russe et de l’aussi énigmatique Mme Denman reste divertissant, et c’est assez tragiquement romantique.



Un dîner peu ordinaire : Nous retrouvons Hercule Poirot. Alors qu’il était en compagnie du docteur Hawker, celui-ci reçoit un appel alarmé d’un de ses patients qui déclare être en train de mourir. Lorsque Poirot et Hawker arrivent sur place, il est déjà trop tard. Le valet, interrogé, avoue que son employeur avait reçu deux hommes pour dîner et qu’il a été question d’argent et de menaces. Ce n’est pas une enquête bien mémorable mais le meurtrier est astucieux et méticuleux dans les détails et la mise en scène… à un détail près. Les lecteurs, tout comme le capitaine Hastings, ne découvrent le fin mot qu’à la toute fin et tout nous semble plus logique une fois que Poirot dévoile tout !



Jane trouve du travail : Jane Cleverland cherche du travail. Elle découvre une intrigante offre dans le journal, recherchant une jeune femme entre 25 et 30 ans, cheveux blonds, yeux bleus, sourcils bruns, sachant l’art de l’imitation et la maîtrise du français. Une bien étrange demande mais, désespérée, Jane décide d’y répondre sans savoir à quoi s’attendre. On lui demande alors de se rendre dans un hôtel de prestige pour aller à la rencontre d’un comte russe. Là-bas, elle y découvre la véritable nature de son travail : se faire passer pour la grande-duchesse Pauline de Russie, menacée d’assassinat… Quel plaisir que la lecture de cette nouvelle ! Jane est un personnage qui n’a pas froid aux yeux, est pleine d’audace et de ressources ! Encore une fois, je n’ai pas vu venir la chute et je salue Agatha Christie pour cette sympathique nouvelle.


— Pour en revenir à mon histoire, j’étais allée passer quinze jours en Cornouailles pour y faire des croquis. Il y a une vieille auberge à Rathole : Aux Armes de Polharwith. On prétend que c’est la seule maison qui aurait résisté aux bombardements des Espagnols en 1500 et quelques.

— Pas aux bombardements, dit Raymond West en fronçant les sourcils. Tâchez d’avoir une vue plus juste de l’histoire, Joyce.

----- Le seuil ensanglanté. (Raymond West is me) 



Une étrange disparition : Poirot, son ami Hastings et l’inspecteur Japp discutent de l’étrange disparition de Davenheim, banquier et financier renommé. Un peu plus tard, son coffre-fort est dévalisé, sans aucun signe d’effraction venant de l’extérieur de la pièce. Joueur, Japp fait le pari avec Poirot que, d’ici son fauteuil avec uniquement les faits à sa disposition, il ne saurait résoudre l’énigme en une semaine. C’est mal connaître Poirot et l’efficacité redoutable de ses petites cellules grises. Un type qui espère tromper son monde et excelle dans l’art du déguisement, les piques amicales entre Japp et Poirot sous fond d’un pari, une petite lecture sympathique.



Le sanctuaire d’Astarté : Miss Marple et ses compagnons écoutent l’histoire narrée par un révérend. Alors qu’il était invité à séjourner chez son ami auprès d’autres convives, il s’aperçoit bien vite qu’une jolie femme mariée fait tourner la tête à son ami. Un jour qu’ils visitent les environs, la dame disparaît après s’être aventurée dans un bosquet que le révérend décrit comme maléfique. Une étrange scène se produit alors qu’ils retrouvent la disparue. Celle-ci n’est pas dans son état normal et le révérend voit son ami mourir subitement devant ses yeux. Comment le meurtre a eu lieu sans que l’arme du crime n’ait été visible aux témoins, qui est l’assassin, le bosquet est-il vraiment maudit ? Une enquête intéressante où l’on ne découvre le fin mot qu’à la fin et l’ambiance autour de ce bosquet mystique est plaisante.



L’émeraude du Radjah : Un dénommé James Bond a la surprise de sa vie en regagnant les cabines de plage pour se rhabiller après une journée au bord de la mer. Au fond de la poche de son pantalon, une magnifique émeraude. Ce pantalon n’est pas le sien ! D’où vient cette émeraude ? A-t-elle été volée ? Doit-il en parler à la police ? Pourrait-on seulement croire que sa découverte est tout à fait hasardeuse ? Le personnage n’a rien d’un espion mais il est audacieux et plutôt hilarant dans ses petites piques, j’ai beaucoup aimé le suivre et la fin est un délice !



L’oracle de Delphes : Après ses déboires dans la nouvelle « Mort sur le Nil », Parker Pyne aspire à des vacances tranquilles en Grèce. Mais voilà qu’il apprend que l’on utilise son identité pour un mauvais escient et qu’une dame consulte ce faux détective concernant l’enlèvement de son fils.



Le sinistre inconnu : Une enquête de Tommy et Tuppence dans laquelle ils sont sollicités par un médecin victime de supercheries au téléphone. Du moins, le croit-il. À la fin de l’appel, il s’aperçoit avec effroi que son bureau a été fouillé. Avec l’aide des deux détectives, il espère prendre le ou les responsables la main dans le sac. Cependant, ils s’aperçoivent tous deux que l’adresse donnée par le médecin n’existe pas. Moins mémorable que les autres en mon sens mais assez divertissant. Tout le monde trompe tout le monde et on ne sait pas à qui se fier, en dehors de notre duo.



L’invraisemblable vol : On termine le recueil avec Hercule Poirot, mandaté par un lord et politicien pour résoudre l’affaire du vol de plans du nouveau bombardier de la Royal Air Force. Le lord soupçonne un de ses invités d’être un espion au service des nazis. Au cours de son enquête, Poirot découvre que le voleur est encore dans les parages et que les plans du bombardier n’ont pas encore quitté les lieux tandis que le lord et son ami sont persuadés qu’il s’agit d’une invitée à qui ils prêtent tous les maux. Une nouvelle un peu plus longue présentant un huis clos intéressant. Fidèle à lui-même, Poirot ne dévoile la vérité qu’à la toute fin, surprenant son monde !



J’ai retrouvé avec plaisir les différents héros d’Agatha Christie pour ces douze récits, mais, je l’avoue, surtout Hercule Poirot et Miss Marple. Le format nouvelle donne parfois l’impression que l’intrigue est rapide et bâclée, pourtant je n’ai pas boudé mon plaisir à l’occasion de cette lecture, je dirais même avoir préféré ce recueil à Sous la glace. Si les nouvelles restent d’intérêt inégal, j’ai aimé la quasi totalité d’entre elles. Globalement, cette sélection de nouvelles est de très bonne qualité, même si l’action de certaines d’entre elles ne se déroule pas toujours forcément en été. On y retrouve tout de même parfois le cadre de la plage, d’un voyage en train ou en bateau ou lors d’un dîner ou de vacances où les personnages sont conviés par des amis ou connaissances. J’ai trouvé amusante la présence d’une nouvelle intitulée « Mort sur le Nil » qui comporte quelques points communs avec le roman du même nom, ainsi que la présence d’un James Bond dans une autre nouvelle et qui n’a rien à voir avec le célèbre espion anglais.


En résumé, un sympathique florilège de nouvelles de la reine du crime, parfait pour la saison estivale. De bons petits crimes à se mettre sous la dent sous le parasol, à la plage ou en repos chez soi.


« Tandis qu’il me parlait, j’avais continué de peindre et je m’aperçus soudain que, prise par son récit, j’avais peint quelque chose qui n’existait pas. Sur les dalles blanches où tombait le soleil, devant les Armes de Polharwith, j’avais représenté des taches de sang. Il me sembla inouï que l’esprit puisse jouer des tours aussi extraordinaires à la main, mais en regardant encore une fois l’auberge, j’éprouvai un nouveau choc. Ma main n’avait fait que peindre ce que mon œil voyait – des taches de sang sur les dalles blanches. Je les fixai un moment. Puis je fermai les yeux en me disant : ne sois pas stupide, en fait, il n’y a rien du tout. Mais quand je les rouvris, les taches de sang étaient toujours là. Je me sentis soudain incapable de le supporter. »

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