dimanche 21 février 2021

Le Fabricant de Poupées de Cracovie - R. M. Romero


Pologne, 1939. Un soir, une poupée du nom de Karolina prend vie dans l'atelier de Cyril, le fabricant de jouets. La joie et le courage de la petite poupée enchantent le quotidien de l'homme solitaire. Karolina lui apprend que le monde des poupées d'où elle vient est en guerre, tout comme celui des hommes. En ces temps sombres et tourmentés, la magie de Karolina et de Cyril suffira-t-elle à protéger ceux qu'ils aiment ?




La couverture de ce roman n’a pas été innocente dans mon choix de lecture, les dessins et couleurs sublimes attirent immédiatement le regard. Le fait que ce roman se déroule pendant la Seconde Guerre Mondiale s’est présenté comme un petit plus de mon côté !


Karolina est une poupée vivant au pays des poupées, où elle est couturière et coud des vœux dans les vêtements qu’elle confectionne, jusqu’au jour où son monde est envahi par une armée de rats avides et avares, dévorant et détruisant tout sur leur passage. Karolina n’a d’autre choix que de fuir… puis se réveille dans une boutique de jouets, tenue par Cyryl, ancien soldat de la Grande Guerre, reconverti en fabricant de jouets à Cracovie, et celui-ci est bien surpris de voir cette poupée vivante et lui parlant. Une amitié se noue entre les deux, alors que Karolina prend conscience que le monde dans lequel elle a atterri est lui-aussi en guerre.


Ce roman alterne entre deux mondes : la Pologne des années 1940 et le monde des poupées à travers des flash-back, nous permettant de découvrir ce que Karolina a vécu avant de prendre vie dans la boutique de Cyryl, de sa vie de couturière à prisonnière des rats lorsque ceux-ci ont envahi le monde des poupées. On remarque d’ailleurs quelques similitudes avec l’histoire de Casse-Noisette, avec un monde peuplé de jouets et des habitations en sucreries, et une armée de rats qui s’attaque à ce royaume, mais les similitudes s’arrêtent là.


On découvre également la Pologne pendant la guerre, l’invasion allemande, la vie des Juifs polonais qui sont persécutés et chassés dans un ghetto à l’extérieur de la ville de Cracovie, contraints aux travaux forcés, sinon déportés dans des camps. Ce roman aborde ainsi, sans surprise, des sujets difficiles comme la mort, la guerre, l’extermination en masse de vies humaine, la perte d’êtres chers. L’auteure nous met face à la violence humaine de l’époque, sans pour autant que ce soit un roman vraiment noir dans le sens où, si ces sujets sombres sont évoqués, l’auteure le fait avec des mots délicats et finement choisis, et, s’il y a des moments sombres, on a des moments plus doux, avec un peu de magie et de fantastique pour adoucir le récit. On peut d’ailleurs remarquer que la Seconde Guerre ici se présente comme un parallèle avec la guerre qu’a vécue Karolina, et les SS comme les rats sont présentés comme des monstres avides qui mettent en place un régime de terreur au sein du pays qu’ils occupent. Il y a également une certaine originalité de voir la Seconde Guerre Mondiale à travers les yeux de Karolina, qui est dans un monde qui ne lui est pas familier, et elle découvre et désigne les choses avec ses propres termes, comme par exemple les SS présentés comme de mauvais sorciers.


Cela dit, si je suis ressortie satisfaite de ma lecture, je ne l’ai pas été complètement. Si je reconnais la qualité de l’histoire, aussi lumineuse que terrible, j’ai relevé quelques points qui m’ont moins enthousiasmé. D’une part, je pensais que le monde des poupées aurait eu une plus grande importance, voire même que Karolina et le fabricant auraient eu un rôle à jouer dans la résolution du conflit au pays des poupées. Si Karolina lui parle bien de son monde et de ce qui se joue chez elle, ce qu’il s’y passe ne constitue qu’une infime partie du roman. Même si j’ai davantage été focalisée sur l’aspect historique et donc la partie du roman se déroulant en Pologne pendant la guerre, je n’aurais pas été contre passer davantage de temps au pays des poupées et que Karolina ait un certain rôle à jouer dans la résolution du conflit chez elle. Au final, cette partie a pris beaucoup moins de place que je l’aurais cru, ce qui m’a laissé sur ma faim.


D’autre part, j’ai été saisie par la fin du roman qui m’a, elle-aussi, laissé sur ma faim, m’a donné une sensation d’inachevé, je ne peux pas l’expliquer sans spoiler mais je m’attendais à une autre fin, quelque chose de plus abouti. Enfin, si j’avoue avoir ressenti une sensation de lenteur au début du récit, cela n’a pas duré car plus on avance dans le récit, plus les événements vont crescendo et j’ai été touchée par ce qui se passait, j’étais avide de connaître la suite, de savoir comment les choses allaient évoluer pour le fabricant, pour Karolina, pour leurs amis juifs.


J’ai aimé voir le lien fort qui se tissait entre le fabricant, Cyryl, et Karolina. C’est un homme solitaire, doux mais discret, handicapé d’une jambe de bois, ce qui le rapproche des poupées qu’il fabrique. Avec Karolina puis son amitié pour un violoniste juif et sa fille, Rena, il va apprendre à s’ouvrir au monde qui l’entoure. Lui et Karolina vont beaucoup s’apporter l’un l’autre, d’autant plus que Karolina est un personnage optimiste, qui ne baisse jamais les bras, pousse les gens à être bons, et qui cherche toujours une solution face à un problème rencontré. Ensemble, ils vont faire de leur mieux pour aider les Juifs du ghetto, y compris Rena et son père. Brandt, un militaire allemand haut gradé, ne sera pas là pour leur faciliter la tâche. J’avoue avoir été intéressée par cet antagoniste, notamment par son intérêt pour Cyryl et les similitudes qu’ils partagent, ou du moins le don qu’ils ont en commun. L’un est un peu le miroir de l’autre car ils partagent le même don, mais ils diffèrent par leur façon de l’utiliser, l’un pour aider, l’autre pour détruire. Ils auraient pu former une dynamique intéressante, mais la cruauté de Brandt fait qu’au final, on souhaite que l’Allemand souffre et disparaisse, bien que le parallèle entre les deux personnages ait pu être intéressant. À la place de Brandt, on lui préférera Janosik, sorte de Robin des Bois des temps modernes qui vole aux Nazis.


C’est aussi une histoire qui nous fait voyager à Cracovie, ses rues, ses monuments, ses légendes aussi que j’ai apprécié découvrir, notamment la légende de Juraj Janosik, sorte de Robin des Bois polonais, ou celle de Krakus, un souverain qui aurait vaincu un dragon puis construit un château au-dessus de l’antre du dit-dragon.


En résumé, c'est un joli conte jeunesse, plutôt original, que j'ai aimé découvrir. Les thèmes tels que l'amour, la solidarité, la haine y sont abordés sur fond de magie et guerre mondiale à la fois, agrémenté de jolies illustrations.


Ce qui inquiétait le plus Karolina chez Brandt, c'était combien son désir de rester à proximité du Fabricant et de sa magie lui donnait l'air vorace? Elle redoutait qu'avec le temps le sorcier ne se comporte comme les ogres de contes de fées et ne dévore le magicien. Et la quantité de sucre que Brandt mettait dans la tasse du Fabricant confortait Karolina dans la conviction que l'Allemand voulait l'engraisser à seule fin de le manger.

- Alors, vous allez m'aider ?

- Oui. Je peux vous arranger ça. Après tout, il ne s'agit que d'une maison de poupée. Cela ne m'ennuie pas de vous faire une faveur. Vous et moi... j'ai l'impression que nous allons être bons amis. C'est un peu grâce au destin que nous nous sommes rencontrés.

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