dimanche 28 février 2021

L'Ours et le Rossignol - Katherine Arden


Au plus froid de l’hiver, Vassia adore par-dessus tout écouter, avec ses frères et sa sœur, les contes de Dounia, la vieille servante. Et plus particulièrement celui de Gel, ou Morozko, le démon aux yeux bleus, le roi de l’hiver. Mais, pour Vassia, ces histoires sont bien plus que cela. En effet, elle est la seule de la fratrie à voir les esprits protecteurs de la maison, à entendre l’appel insistant des sombres forces nichées au plus profond de la forêt. Ce qui n’est pas du goût de la nouvelle femme de son père, dévote acharnée, bien décidée à éradiquer de son foyer les superstitions ancestrales.


Je termine le Cold Winter Challenge avec cette dernière lecture, un roman aux allures de conte mêlant le fantastique à une pointe d'historique dans une histoire qui nous fait voyager en Russie septentrionale, ses contrées et ses légendes pour nous offrir une lecture envoûtante et enchanteresse.


Ce qui m’a beaucoup plu dans ce roman, c’est le dépaysement qu’il offre. La Russie des temps passés reste assez méconnue, notamment la Russie médiévale, son histoire et son folklore. C’est une histoire qui nous fait voyager dans les lointaines contrées de Russie, dans des terres où l’hiver semble éternel, avec une forêt mystérieuse, un village où chaque habitant se connaît et leurs croyances et histoire sur le monde invisible des esprits protecteurs ou malfaisants pour qui ils laissent des offrandes pour la protection de leur maison ou calmer leur fureur. On apprend un peu le russe à travers quelques mots de vocabulaire par-ci par-là (un lexique est proposé en fin d’ouvrage). C’est une histoire qui nous fait voyager à tous les niveaux, sur le plan culturel, le plan historique (sans que cela prenne une grosse place), le plan folklorique. C’était vraiment intéressant, d’autant plus que la mythologie slave et les légendes russes restent assez méconnues chez nous, ainsi j’ai vraiment beaucoup apprécié en savoir plus et découvrir ces êtres surnaturels de ces légendes comme le dormovoï, le dieu du gel, la roussalka et le liéchi, le vodianoï et le domovoï, Baba Yaga, Morozk, etc.


C’est dans cet univers qu’évolue la jeune Vassia, enfant un peu sauvageonne, dont l’enfance a été nourrie par les histoires et les croyances des siens et qui a hérité, du côté maternel, de la capacité de voir ces êtres et créatures, ce qui ne manque pas de décontenancer sa famille, ce qui ne les empêche pas de former de liens très forts entre eux qui m'ont beaucoup touché. J'ai pris plaisir à suivre cette famille dans ses bonheurs comme dans ses malheurs et notamment la nombreuse fratrie, en particulier Vassia, véritable enfant de la nature, qui est autant attachée à sa famille qu'aux êtres fantastiques qu'elle rencontre et qu'elle fréquente. Cependant, sa vie tranquille va se retrouver chamboulée lorsqu'on donne une nouvelle épouse à son père, sept ans après le décès de sa première épouse et mère de ses enfants, et le moins qu'on puisse dire, c'est que les dons de Vassia ne manquent pas de courroucer sa belle-mère, qui voit en elle une sorcière, une impie, et que les créatures que Vassia voit sont des démons. La situation ne s’arrange pas avec l’arrivée de Konstantin, un prêtre pour qui ces esprits sont des créatures infernales et de simples superstitions à bannir et qui détourne les villageois de leurs anciennes croyances en instaurant en eux la peur de Dieu ; les esprits protecteurs s'affaiblissent et deviennent incapables de s'opposer à l'irruption de créatures maléfiques, tandis que les sermons de Konstantin causent aux villageois de craindre et se méfier de Vassia... 


Je me suis laissée tranquillement porter par l'histoire qui se met doucement en place durant tout la première puis la seconde partie de l'histoire, bien que je me demandais où allait nous emmener l'auteure. Le début est en effet lent, sans pour autant causer l'ennui chez le lecteur car nous découvrons la vie de famille dans un village de Russie à l'orée d'une forêt, une vie rurale et parfois dure tant l'hiver semble durer toute l'année ; heureusement pour les villageois, les esprits auxquels ils croient leur fournissent leur aide profitant des offrandes laissées par les villageois. On découvre l'histoire de la famille que nous allons suivre au long du roman, la naissance de Vassia puis son enfance d'abord heureuse puis les jeunes années chamboulées par l'arrivée de Konstantin, ainsi que la sensation d'une menace qui se rapproche et risque de nuire au village. L'ambiance devient de plus en plus sombre au fil de la lecture alors que l'étau se resserre sur la famille et que le danger grandit, alors que les villageois rejettent leurs croyances, abandonnant les offrandes et rituels aux êtres du monde invisible. Vassia, qui se doute de la menace, fait de son mieux pour protéger les siens mais aussi continuer à croire et rendre visite aux êtres fantastiques. C'est un personnage qui tente de préserver l'équilibre fragile entre les croyances de l'ancien monde et ses richesses et celles du christianisme naissant, et qui va évoluer et s'affirmer.


J'ai trouvé les personnages très bien traités et intéressants à suivre pour la plupart, à commencer par Vassia qui est un personnage attachant, indépendante, loyale et une véritable enfant de la nature. Son père, dur mais plein d'amour pour sa fille, la grand-mère Dounia qui tente le plus longtemps possible de préserver sa petite fille de tout ce monde invisible des dieux et des esprits. Les personnages du prêtre Konstantin ou encore Anna la belle-mère de Vassia sont également intéressants et complexes. Si le personnage d’Anna est horrible envers Vassia tout au long de la lecture, j’ai apprécié que l’auteure nous montre une autre facette de ce personnage que celle de l’affreuse belle-mère, et de faire d’Anna un personnage fragile et complexe : comme Vassia, Anna a le don de voir les créatures surnaturelles qui demeurent invisibles au commun des mortels... sauf que, en tant que fervente chrétienne, elle rejette ces visions qu'elle assimile à des manifestations démoniaques, la faisant passer pour folle auprès des autres. J’ai aussi apprécié que Vassia ne tombe pas dans le cliché du personnage féminin qui se veut indépendante et féministe (ces deux qualités ne sont pas un reproche, mais ça peut tourner en cliché qui en fait trop).


C'est un beau récit d'apprentissage mais aussi une histoire dénonçant l’intolérance de ceux qui ont initié l’instauration du christianisme non sur l'amour du prochain et la charité, mais sur la peur d'un châtiment éternel. Après, c'est une jolie histoire, semblable à un conte, mais il m'a manqué un je-ne-sais-quoi pour avoir vraiment un coup de cœur. Dans l'ensemble, je dirais que le roman vaut plus pour son atmosphère que pour son intrigue. Pendant la majeure partie du récit, on suit l'évolution des différents personnages, sans trop savoir où l'auteure compte nous mener. Tout s'éclaircit dans les derniers chapitres, qui laissent plus de place à l'action... pour une menace rapidement réglée. Toutefois, il ne s'agit que du premier tome d'une trilogie, l'auteure développera sans doute le reste !


"Raconte-nous celle de Gel, Dounietchka. Parle-nous du démon des glaces, du roi de l'hiver, de Karatchoun. Il est de sortie ce soir, blanc de colère contre le dégel."
Dounia hésita. Les plus âgés des enfants se regardaient entre eux. En russe, Gel était appelé Morozko, le démon de l'hiver. Mais auparavant, il y a longtemps, les gens l'appelaient Karatchoun, le dieu de la mort. Sous ce nom, il était roi du plus noir de l'hiver et venait la nuit geler les enfants méchants. Son nom était de mauvais augure, et il portait malheur de le prononcer pendant que les terres étaient encore sous son emprise. Marina serra plus fort son fils. Aliocha se trémoussa et tortilla la natte de sa mère.
"Très bien, dit Dounia après un instant d'hésitation. Je conterai l'histoire de Morozko, de sa gentillesse et de sa cruauté."

2 commentaires:

  1. J'ai eu un peu la même sensation que toi : c'est cool mais on va où en fait ?! :D
    Finalement, j'ai clairement accroché à Vassia et à l'ambiance générale et j'ai passé un bon moment.

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    1. C'est vrai, je me demandais où l'auteure allait nous mener, heureusement que l'histoire était intéressante et qu'il n'y avait pas de longueur, la lecture n'était pas pénible !
      Oui, ce voyage au coeur de la Russie et de ses légendes était vraiment dépaysant :)

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