jeudi 17 mars 2022

Bambi - Félix Salten et Benjamin Lacombe.

Bambi retrace les premières années d'un faon et, à côté de ses émerveillements, les épreuves qu'il affronte et qui le construisent : dangers, deuil, solitude, métamorphoses, défis, et toujours l'angoisse d'être chassé et tué.  L'histoire, oscillant entre anthropomorphisme (les animaux parlent) et naturalisme (les observations sont magnifiques), nous plonge dans une forêt qui bruisse de multiples émotions, d'expériences intenses, de sensations contrastées vécues par une société d'animaux, miroir de notre humanité, tout à la fois violente, cruelle et fragile, et dotée d'une prodigieuse résilience.


Pour la majorité d’entre nous, Bambi est cet adorable faon de Disney, ami de Panpan le lapin et Fleur le putois, et qui perd sa mère tragiquement. En vérité, il s’agit à l’origine d’un roman écrit par Félix Salten, grand observateur de la nature qu’il a tant aimé, à la fois un conte célébrant la nature mais qui illustre également bien l’époque dans lequel il a été écrit…



Ici, point de Panpan le lapin, Fleur le putois ou Maître Hibou. Nous commençons l’histoire avec Bambi et sa maman et voir petit à petit le champ de Bambi s’élargir au fur et à mesure de ses découvertes, découvrir le monde de la forêt et faire connaissance avec ses nombreux habitants parlants, animaux comme arbres, qui forment une communauté hiérarchisée où l’on retrouve le voisin bavard, le voisin râleur, l'ermite, le discret, la forte-tête, le plaisantin, etc, et où les cervidés forment une sorte de royauté, qui sont admirés par tous, sans parler de l’amour naturel, fraternel qui faillit entre entre les différents animaux de la forêt.



J’ai beaucoup aimé suivre Bambi de sa naissance jusqu’à son passage à l’âge adulte, le voir découvrir le monde de la forêt et de ses habitants, s’initier aux découvertes de la vie. Il découvre le monde qui l’entoure, ses habitants, comment interagir avec eux. Avec l’aide de sa mère puis ensuite de son père, il va découvrir comment vivre dans cette nature, comment reconnaître les dangers en observant, en sentant, en écoutant, dans quels lieux aller librement et d’autres avec précaution, trouver sa nourriture, etc. Il va être témoin des saisons qui changent, comment survivre face à l’hiver. Il va découvrir tour à tour l’émerveillement, la joie, l’amour (l’amour qu’il éprouve envers sa mère, l’amour empreint d’une profonde admiration envers son père, son amour passionnée pour la biche Faline), les peurs, la douleur, la tristesse (la mort de sa mère, même si montrée hors champs et moins prenante que dans Disney, mais Disney nous a suffisamment traumatisé comme ça).



J’ai beaucoup aimé la relation entre Bambi et son père, l’Ancien. Sans même savoir qui il est pour lui, Bambi est frappé par cette figure ancienne, digne, sage, dont la simple présence est imposante. Il cherche à le rencontrer, lui parler, lui montrer ce qu’il vaut et l’Ancien finira par le prendre sous son aile et, en qualité de mentor, lui apprendre à écouter la nature, prévenir le danger et bien d’autres choses. Il y a beaucoup d’amour, d’admiration mutuelle et de dévotion entre ces deux personnages, ce qui m’a beaucoup touché.



Outre les magnifiques illustrations de Benjamin Lacombe, la présentation de chaque chapitre est sublime




Cette œuvre est un véritable hommage à la forêt, à la nature et les animaux qui la peuplent. Félix Salten nous offre des descriptions détaillées du cycle de la vie, de ses saisons et de ce monde merveilleux qu’est la forêt où les animaux vivent librement mais dont la sécurité n’est pas totale car il y a de nombreux dangers. L’auteur nous immerge dans le quotidien des animaux de la forêt auxquels on s’attache, on ressent leur douleur, leurs doutes, leurs peines comme leurs joies.



Une histoire qui, comme sa célèbre adaptation, ne nous fait pas porter un regard tendre sur les chasseurs… ce qui est plutôt ironique puisque l’auteur en était un lui-même. L’homme, ici, n’est pas mentionné en tant que tel. C’est IlLui, avec ses chiens qui lui vouent une admiration sans borne et une loyauté inébranlable, lui qui fait régner la terreur, avec son troisième bras capable de tuer en envoyant des coups de tonnerre. Sa simple mention paralyse ou fait trembler le peuple de la forêt. Il est impitoyable comme il est étrangement bienveillant mais celle-ci a un prix [spoiler] lorsque Gobo a été recueilli par l’homme pendant tout l’hiver avant d’être relâché dans la nature, Gobo s’imagine être éternellement sous sa protection, en ignorant qu’il y a plusieurs chasseurs et que même son humain ne saurait le reconnaître une fois adulte. S’apprivoiser à l’homme est dangereux pour l’animal car il perd un peu de sa nature également [/spoiler]



À travers la figure de l’homme qui inspire la crainte parmi les animaux qu’il chasse s’illustre la triste réalité de l’époque dans laquelle Salten a vécu, à savoir la montée de l'antisémitisme depuis la fin du XIXe siècle et les persécutions dont sont victimes les juifs. La présence de de l’Homme qui assombrit la vie sereine de la forêt évoque la montée du nazisme qui fera la chasse aux Juifs. C’est donc une histoire bien plus complexe qu’elle n’en a l’air. Elle est très riche en métaphores et en pistes de réflexion.



Pour autant, l’amour et l’espoir persistent. C’est une œuvre qui fait se côtoyer la vie et la mort, l’amour et la douleur, l’espoir et la peur. Bambi est une œuvre qui symbolise le cycle de la vie : la naissance, la découverte du monde, les rencontres, la peur de l’inconnu, l’insouciance de l’adolescence, l’émancipation, l’amour, les bonheurs comme les malheurs, la découverte du danger, comment le reconnaître et l’éviter, la découverte de la mort, la peine, la douleur, etc. Tout un panel d’émotions que tout être vivant ressent au cours de sa vie, que nous redécouvrons dans cet ouvrage à travers la vie de Bambi qui grandira de petit faon à jeune cerf. Cette œuvre est un hymne à la vie et ses dualités (vie/mort, bonheur/malheur, etc). Ces dualités sont d’ailleurs présentes dans chacune des illustrations de Benjamin Lacombe, qui passent des tons colorés, vifs et joyeux à plus sombres, dans les tons noirs, blancs et gris.



Car Bambi n’est pas seulement une histoire qui se lit mais aussi une histoire qu’on admire, car les illustrations de Benjamin Lacombe sont une pure merveille à découvrir et à observer. J’ai beaucoup aimé son style et le voir mettre en lumière l’œuvre de Salten, donner vie à la forêt et ses habitants, retranscrire la beauté de la nature mais aussi les aspects sombres de l’histoire. Les éditions Albin Michel et Benjamin Lacombe ont fait un travail d'orfèvre, c’est tout simplement magnifique ! De plus, cette édition est dotée d'une préface qui explique très bien les symboles qui se cachent dans l’histoire ainsi que le contexte dans lequel il a été écrit. C’était très enrichissant à découvrir.



Une jolie surprise que ce conte, une véritable célébration de la nature qui illustre à merveille le cycle de la vie et ses saisons, le tout sublimé par les illustrations de Benjamin Lacombe. Je recommande !




« - Est-il vrai, dit la première, est-il bien vrai que d'autres viendront à notre place quand nous serons parties, puis d'autres encore et encore…

- C'est sûr, chuchota la deuxième, on ne peut pas se le représenter… C'est au-delà de nos capacités…

- Ça m'attriste beaucoup » ajouta la première. 

Les deux feuilles se turent un moment. Puis la première se dit tout bas « Pourquoi devons-nous partir… ?

- Que nous arrive-t-il quand nous nous détachons ? demanda la seconde.

- Nous tombons…

- Et qu'y a-t-il en bas ?

- Je ne sais pas. Les avis sont partagés mais personne ne le sait.

- Est-ce que l'on sent encore quelque chose, est-ce que l'on est encore conscient quand on est en bas ?

- Qui sait ? Aucune de celles qui sont tombées n'est encore jamais revenue pour en parler. »

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