« Vous parler des momies, c’est vous raconter les destins uniques d’hommes et de femmes à travers les époques et le globe.
Ce livre n’a pas vocation à entrer dans les détails biologiques des différents types de corps conservés ni à dresser une chronologie précise des phénomènes de momification, mais il vous invite à quitter ce monde pour un autre, le temps d’une lecture.
Car les corps qui habitent cet ouvrage sont des individus à part entière. Leurs histoires variées vous feront voyager et, je l’espère, vous passionneront autant que moi. »
Depuis 2017, Juliette Cazes vulgarise la mort sur son site à succès, Le Bizzareum. Des célèbres momies égyptiennes, aux têtes réduites d’Amazonie, de la pratique de l’auto-momification des moines japonais, aux corps retrouvés conservés dans la glace du Groenland, elle vous embarque autour du monde, à la découverte des momies dont le repos éternel ne manque pas de rebondissements !
Momie : - Corps d'un humain (ou d'un animal) mort ayant subi un traitement destiné à assurer sa conservation.
- Corps humain desséché, entouré de bandelettes et conservé par des procédés d'embaumement, qu'on trouve dans les sépultures d'Égypte.
- Corps qui s'est conservé naturellement, sans se putréfier (le plus souvent sous l'effet d'une forte chaleur sèche).
Deux
ans après son premier ouvrage, Funèbre !, Juliette
Cazes du Bizzareum revient cette année
avec une nouvelle publication qui reste dans ses thèmes de
prédilection et qui est consacrée aux momies. Une lecture plutôt
appropriée à l’approche d’Halloween… Pourtant, point de momie
vengeresse poursuivant ses malheureuses victimes dans la nuit, mais
un récit historiques et instructifs sur les momies à travers le
monde…
L’exemple
célèbre des momies égyptiennes…
Lorsque
l’on pense aux momies, cela nous évoque immédiatement les momies
de l’ancienne Égypte. Juliette
Cazes nous en
dit un peu plus sur les techniques d'embaumement pour conserver le
corps et la préparation du défunt pour sa nouvelle vie dans
l'au-delà, ainsi que sur les nombreux pillages. Bien-sûr, il faut
garder à l’esprit que les techniques d’embaumement n’étaient
pas toutes les mêmes en fonction du statut social de la personne
ainsi que de l'époque, l’Égypte antique étant une période
historique très vaste.
L’imaginaire
collectif tend à décrire les momies comme maudites ou conservées
précieusement dans des pyramides truffées de pièges pour les
protéger des pilleurs de tombes. Les pillages ne datent pas d'hier
et ont commencé dès l’Égypte antique, ainsi il arrivait
effectivement que les anciens Égyptiens usent de certains
stratagèmes pour empêcher cela. Pourtant, il n’existe pas une
momie qui n’ait pas été pillée et cela n’a pas uniquement
concerné les momies égyptiennes comme l’auteure nous le dévoilera
au cours d’autres chapitres. Les momies ont attiré très tôt les
pilleurs, que ce soit pour les objets funéraires, les bijoux et
autres objets de valeurs que les tombes contenaient, ou pour
obtenir un morceau du corps… voire le corps dans son intégralité
car on prêtait alors aux momies des vertus médicinales, ou tout
simplement pour attirer du public et parce que posséder un morceau
de momie renvoyait immédiatement à l’exotisme. Cela continue
encore malheureusement de nos jours, le trafic de momies continuant à
être d’actualité et il n’est pas rare de voir des ventes de
restes humains sur internet…
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Ici, pas d'Imhotep, ni même aucune momie vengeresse mais chaque momie présente dans l'ouvrage présente un intérêt ! |
Les
momies, une véritable source d’informations !
Les
momies ne sont pas l'apanage de l’Égypte ancienne, car on en
retrouve un peu partout dans le monde et celles-ci sont une véritable
source d’informations sur le peuple auquel le défunt a appartenu,
sinon l’époque dans laquelle il a vécu par le biais des
techniques d’embaumement, les objets qui accompagnent le défunt,
voire le corps en lui-même, surtout lorsque celui-ci est bien
conservé.
L’un
des exemples les plus frappants est celui de la marquise de
Dai en Chine, dont le corps est exceptionnellement préservé
avec sa peau encore élastique, les cheveux encore présents et le
visage expressif. La découverte de cette momie a permis de lever le
voile sur l’époque de la dynastie des Han ainsi que le mode de vie
de la marquise ainsi que son état de santé. Il en est de même avec
les corps gelés que l’on a retrouvé au Groenland qui ont permis
de nous renseigner sur les peuples inuits, ou encore sur des époques
plus proches de nous à travers l’expédition Franklin (une
histoire tragique et fascinante sur les
vaisseaux Erebus et Terror dont les
équipages ont trouvé la mort dans les contrées glaciales alors
qu’ils tentaient de traverser l’Arctique) et sur les
alpinistes Mallory et Irvine, disparus
en montagne dans les années 1920 après avoir tenté l’escalade du
mont Everest. Les corps conservés des défunts de l’expédition
mais aussi du corps de l’un des alpinistes ont permis de lever le
voile sur le mystère de leur disparition… ou du moins une partie
du mystère. Comment sont-ils morts, où ont-ils réussi à aller,
etc.
Les
momies, ces attractions !
On
trouve donc des momies un peu partout dans le monde (y compris en
France), bien que les rites funéraires et techniques d’embaumement
n’ont pas été les mêmes partout. Un élément que l’on
retrouve dans de nombreux cas, pourtant, est l’exposition de ces
momies.
Juliette
Cazes nous présente quelques exemples. Parmi ceux à
m’avoir marqué, il y a les momies fumées de Papouasie-Nouvelle
Guinée (fumées car le cadavre est installé sur une chaise
suspendue au-dessus d’un feu pour assécher le corps sans le
brûler. Ce corps est ensuite emmené sur une colline surplombant le
village, rejoignant ainsi les autres défunts dont le rôle est de
veiller sur les vivants). Je parlerai également du temple de de Wat
Phrabat Nam Phu en Thaïlande qui accueille les malades du
sida et expose les cadavres des malades décédés, ce qui peut nous
paraître choquant, bien que le temple expose ses défunts dans un
but de discours sanitaire et politique autour du sida (avec une fiche
sur chaque défunt sur la façon dont il a été infecté).
Qu’il
s’agisse des momies d’édifices religieux en France, des momies
fumées de Papouasie-Nouvelle Guinée, des corps du
temple de Wat Phrabat Nam Phu, de nombreuses momies se
dévoilent aux regard des curieux. C’est souvent un moyen pour
financer les lieux exposant les momies (souvent des églises, voire
un hôpital dans le cas du temple) et qui ont souvent besoin d’être
rénovés ou d’un soutien financier pour continuer à être ouvert
et fonctionnel. Il s’agit également d’un moyen de faire
découvrir un patrimoine, des traditions méconnues, souvent en
danger, d’éduquer sur des peuples méconnus ou sur l’Histoire,
ou tout simplement pour permettre au visiteur de faire face à sa
propre mortalité… sinon d’avoir sa dose d’exotisme ou d’avoir
sa curiosité assouvie.
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Momie d'enfant rapportée d'Egypte par Champollion (332 - 30 av JC, époque ptolémaïque), exposée au Louvre-Lens pour l'exposition temporaire "Champollion, la voie des hiéroglyphes" (28 sept. 22 - 16 jan 23), d'après l'une de mes photographies. |
Juliette
Cazes nous offre ici une réflexion intéressante sur
le dark tourism (une forme de tourisme assez macabre
qui propose la visite de lieux liés à la mort généralement) dans
lequel les visiteurs font souvent des selfies avec les momies et
recherchent une forme d’exotisme assez malsain, et pourtant la
problématique se pose : faut-il empêcher les touristes de visiter
certains lieux par soucis d’éthique et pour mieux préserver les
traditions, ou laisser faire puisqu’il s’agit d’un moyen de
faire connaître un patrimoine méconnu, des rites et traditions
parfois en perdition, et que l’argent de ce tourisme aide à
financer les dits-lieux.
Sujet
de dissertation, vous avez quatre heures !
Quand
la nature conserve…
Les
momies nous renvoient souvent aux techniques d’embaumement, et
pourtant elles n’ont pas toujours été le résultat de techniques
humaines et la nature a parfois joué un rôle dans la momification.
Dame Nature a de nombreux talents… et pas toujours là où on
l’attend !
Le
climat froid et glacial des montagnes et de certains pays du froid a
souvent permis la bonne conservation des corps (par exemple, ceux
de l’expédition Franklin ou du peuple inuit au
Groenland). Cependant, il arrive parfois que des zones plus humides
aient pu conserver certaines momies. J’ai un souvenir encore vif de
mes cours d’archéologies sur les momies des tourbières et qui ont
droit à leur propre chapitre dans l’ouvrage. Les tourbières sont
des zones humides et privées d’oxygène, ce qui empêche la
prolifération d’organismes responsable de la décomposition
d’autres matières organiques, ce qui fait que la végétation se
minéralise que très lentement, s’accumulant et formant un dépôt.
Les corps retrouvés dans ces tourbières (des bog bodies)
sont donc exceptionnellement conservés naturellement, au point même
d’avoir gardé leur chevelure. Ces momies portent souvent des
marques de coups et blessures, signes d’une mort violente. L’étude
de ces corps permet souvent de dater le décès, les causes de la
mort et sur le défunt en lui même (âge, sexe, état de santé,
etc).
On
ignore comment et pourquoi ces corps se retrouvent dans ces
tourbières. Rituel consistant en un sacrifice au nom d’une
divinité, condamnation à mort, assassinat ou accident, les
tourbières cachent encore bien de nombreux secrets…
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Gravure représentant une expédition rapportant les restes de deux membres de l'équipage de l'expédition Franklin ayant mystérieusement disparue dans les années 1850 |
D’autres
formes de momification…
Si
je vous disais que l’on peut devenir momie ? Pas en se déguisant
pour Halloween, mais à travers un processus spirituel au Japon qui
s’apparente à l'auto-momification, le sokushinbutsu qui
est lié au bouddhisme et dans lequel les moines d’un certain âge
se préparent petit à petit à leur momification en se coupant
progressivement leur alimentation jusqu’à obtenir un état de
faiblesse avancé, puis se retirer dans une grotte et adopter la
position du lotus en attendant le trépas. Tout cela pour assurer la
préservation de leur corps et devenir Bouddha.
Les
momies, ce sont aussi les têtes réduites ! En Amazonie, le
peuple Shuars avait pour tradition de fabriquer des
têtes réduites (souvent les têtes de leurs ennemis, ceux des
autres tribus) que l’on appelle aussi une tsantsa. Nous
découvrons le processus pour obtenir une tête réduite, et comment
elles étaient confectionnées dans un but cérémoniel et destinées
à être bénéfiques à la communauté. Outre son rôle spirituel,
elles avaient également un rôle commercial car les Shuars en
vendaient aux Occidentaux qui voyaient en ces tsantsas un symbole
d’aventure, d’exotisme, d’exploration.
* * *
C’était
un plaisir de retrouver la plume de Juliette Cazes qui
est fluide, légère, parfois avec de l’humour, et surtout très
respectueuse des sujets dont elle parle. Les momies ne restent pas
moins des gens comme vous et moi, qui ont vécu il y a des siècles
et dont l’auteure parle toujours avec respect. On sent d’autant
plus le travail de recherche effectué pour cet ouvrage et nous
communique avec efficacité sa passion. On pourrait reprocher que
certains sujets ne sont pas autant développés qu’on aurait
souhaité, mais son but n’est pas ici d’entrer dans les détails,
notamment biologiques, et nous laisse le soin d’approfondir le
sujet tout en nous présentant des synthèses intéressantes et
instructives sur les momies dans différentes parties du monde.
Si
l’on ne retrouve pas de photographies, qui auraient pu être
appréciables, je peux comprendre la volonté de l’auteur de ne pas
en fournir (sans doute par pudeur, par copyright, par respect pour le
défunt, ou tout simplement par choix personnel), j’ai moi-même
hésité à utiliser des photos de momies pour cet article tant j'étais mal à l'aise à l'idée d'exposer sur mon blog les dépouilles de personnes ayant autrefois vécu.
D’ailleurs, les gravures de Mathilde Payen nous
accueillent à chaque début de chapitre et c’est un petit plus
très appréciable.
Enfin,
j’apprécie beaucoup les réflexions que Juliette
Cazes aborde sur les momies, sans tout à fait apporter une
réponse définitive pour nous laisser développer notre propre
opinion, et il est vrai que certaines questions poussent à la
réflexion. Faut-il privilégier la recherche scientifique ou bien la
sensibilité et les souhaits des descendants des ces défunts ?
Faut-il cacher ces corps par égard pour les défunts et les laisser
reposer en paix ? Les musées sont-ils légitimes dans leur
exposition des momies (surtout si ces momies viennent d’autres
pays), tout en reconnaissant que les musées sont parfois la seule
solution pour protéger les momies du pillage ? Risque-t-on de
transformer les momies en attractions macabres même si cela permet
de mettre en lumière un patrimoine et l’histoire ? Sans oublier le
problème des pillages ainsi que la banalisation de la vente de
restes humains. Tant de questions légitimes qui poussent à la
réflexion tout au long de la lecture, voire même après…
En
résumé, une lecture instructive (mais trop couuuurte, même en
ralentissant mon rythme de lecture, je n’ai tenu que deux jours
avec) sous la plume experte et agréable de Juliette Cazes qui nous
en apprend bien plus que l’on aurait cru au départ sur les
momies !
Pour en savoir plus :
Grâce au septième art, la momie a enfin voix au chapitre (…) et se réveille pour faire valoir ses droits et punir ceux qui ont osé la déranger. Je trouve intéressant que les momies soient souvent considérées au cinéma comme des monstres vengeurs, alors que, si l’on réfléchit, il s’agit plutôt de personnes qui se rebellent contre le tord qui leur est fait. D’ailleurs, ne prévient-on pas depuis l’Antiquité les pilleurs de tombes des risques qu’ils prennent à jouer avec l’autre monde ?
1. Les momies d’Égypte, les plus populaires.