samedi 22 octobre 2022

Momies ! : Corps conservés à travers le monde - Juliette Cazes.

 
« Vous parler des momies, c’est vous raconter les destins uniques d’hommes et de femmes à travers les époques et le globe. 

Ce livre n’a pas vocation à entrer dans les détails biologiques des différents types de corps conservés ni à dresser une chronologie précise des phénomènes de momification, mais il vous invite à quitter ce monde pour un autre, le temps d’une lecture.

Car les corps qui habitent cet ouvrage sont des individus à part entière. Leurs histoires variées vous feront voyager et, je l’espère, vous passionneront autant que moi. »

Depuis 2017, Juliette Cazes vulgarise la mort sur son site à succès, Le Bizzareum. Des célèbres momies égyptiennes, aux têtes réduites d’Amazonie, de la pratique de l’auto-momification des moines japonais, aux corps retrouvés conservés dans la glace du Groenland, elle vous embarque autour du monde, à la découverte des momies dont le repos éternel ne manque pas de rebondissements !



Momie : 

- Corps d'un humain (ou d'un animal) mort ayant subi un traitement destiné à assurer sa conservation.

- Corps humain desséché, entouré de bandelettes et conservé par des procédés d'embaumement, qu'on trouve dans les sépultures d'Égypte.

- Corps qui s'est conservé naturellement, sans se putréfier (le plus souvent sous l'effet d'une forte chaleur sèche).



Deux ans après son premier ouvrage, Funèbre !Juliette Cazes du Bizzareum revient cette année avec une nouvelle publication qui reste dans ses thèmes de prédilection et qui est consacrée aux momies. Une lecture plutôt appropriée à l’approche d’Halloween… Pourtant, point de momie vengeresse poursuivant ses malheureuses victimes dans la nuit, mais un récit historiques et instructifs sur les momies à travers le monde…


L’exemple célèbre des momies égyptiennes…


Lorsque l’on pense aux momies, cela nous évoque immédiatement les momies de l’ancienne Égypte. Juliette Cazes nous en dit un peu plus sur les techniques d'embaumement pour conserver le corps et la préparation du défunt pour sa nouvelle vie dans l'au-delà, ainsi que sur les nombreux pillages. Bien-sûr, il faut garder à l’esprit que les techniques d’embaumement n’étaient pas toutes les mêmes en fonction du statut social de la personne ainsi que de l'époque, l’Égypte antique étant une période historique très vaste.


L’imaginaire collectif tend à décrire les momies comme maudites ou conservées précieusement dans des pyramides truffées de pièges pour les protéger des pilleurs de tombes. Les pillages ne datent pas d'hier et ont commencé dès l’Égypte antique, ainsi il arrivait effectivement que les anciens Égyptiens usent de certains stratagèmes pour empêcher cela. Pourtant, il n’existe pas une momie qui n’ait pas été pillée et cela n’a pas uniquement concerné les momies égyptiennes comme l’auteure nous le dévoilera au cours d’autres chapitres. Les momies ont attiré très tôt les pilleurs, que ce soit pour les objets funéraires, les bijoux et autres objets de valeurs que les tombes contenaient, ou pour obtenir un morceau du corps… voire le corps dans son intégralité car on prêtait alors aux momies des vertus médicinales, ou tout simplement pour attirer du public et parce que posséder un morceau de momie renvoyait immédiatement à l’exotisme. Cela continue encore malheureusement de nos jours, le trafic de momies continuant à être d’actualité et il n’est pas rare de voir des ventes de restes humains sur internet…



Ici, pas d'Imhotep, ni même aucune momie vengeresse mais chaque
momie présente dans l'ouvrage présente un intérêt !


Les momies, une véritable source d’informations !


Les momies ne sont pas l'apanage de l’Égypte ancienne, car on en retrouve un peu partout dans le monde et celles-ci sont une véritable source d’informations sur le peuple auquel le défunt a appartenu, sinon l’époque dans laquelle il a vécu par le biais des techniques d’embaumement, les objets qui accompagnent le défunt, voire le corps en lui-même, surtout lorsque celui-ci est bien conservé.


L’un des exemples les plus frappants est celui de la marquise de Dai en Chine, dont le corps est exceptionnellement préservé avec sa peau encore élastique, les cheveux encore présents et le visage expressif. La découverte de cette momie a permis de lever le voile sur l’époque de la dynastie des Han ainsi que le mode de vie de la marquise ainsi que son état de santé. Il en est de même avec les corps gelés que l’on a retrouvé au Groenland qui ont permis de nous renseigner sur les peuples inuits, ou encore sur des époques plus proches de nous à travers l’expédition Franklin (une histoire tragique et fascinante sur les vaisseaux Erebus et Terror dont les équipages ont trouvé la mort dans les contrées glaciales alors qu’ils tentaient de traverser l’Arctique) et sur les alpinistes Mallory et Irvine, disparus en montagne dans les années 1920 après avoir tenté l’escalade du mont Everest. Les corps conservés des défunts de l’expédition mais aussi du corps de l’un des alpinistes ont permis de lever le voile sur le mystère de leur disparition… ou du moins une partie du mystère. Comment sont-ils morts, où ont-ils réussi à aller, etc.


Les momies, ces attractions !


On trouve donc des momies un peu partout dans le monde (y compris en France), bien que les rites funéraires et techniques d’embaumement n’ont pas été les mêmes partout. Un élément que l’on retrouve dans de nombreux cas, pourtant, est l’exposition de ces momies.


Juliette Cazes nous présente quelques exemples. Parmi ceux à m’avoir marqué, il y a les momies fumées de Papouasie-Nouvelle Guinée (fumées car le cadavre est installé sur une chaise suspendue au-dessus d’un feu pour assécher le corps sans le brûler. Ce corps est ensuite emmené sur une colline surplombant le village, rejoignant ainsi les autres défunts dont le rôle est de veiller sur les vivants). Je parlerai également du temple de de Wat Phrabat Nam Phu en Thaïlande qui accueille les malades du sida et expose les cadavres des malades décédés, ce qui peut nous paraître choquant, bien que le temple expose ses défunts dans un but de discours sanitaire et politique autour du sida (avec une fiche sur chaque défunt sur la façon dont il a été infecté).


Qu’il s’agisse des momies d’édifices religieux en France, des momies fumées de Papouasie-Nouvelle Guinée, des corps du temple de Wat Phrabat Nam Phu, de nombreuses momies se dévoilent aux regard des curieux. C’est souvent un moyen pour financer les lieux exposant les momies (souvent des églises, voire un hôpital dans le cas du temple) et qui ont souvent besoin d’être rénovés ou d’un soutien financier pour continuer à être ouvert et fonctionnel. Il s’agit également d’un moyen de faire découvrir un patrimoine, des traditions méconnues, souvent en danger, d’éduquer sur des peuples méconnus ou sur l’Histoire, ou tout simplement pour permettre au visiteur de faire face à sa propre mortalité… sinon d’avoir sa dose d’exotisme ou d’avoir sa curiosité assouvie.



Momie d'enfant rapportée d'Egypte par Champollion (332 - 30 av JC, époque ptolémaïque),
exposée au Louvre-Lens pour l'exposition temporaire "Champollion, la voie des hiéroglyphes"
(28 sept. 22 - 16 jan 23), d'après l'une de mes photographies.



Juliette Cazes nous offre ici une réflexion intéressante sur le dark tourism (une forme de tourisme assez macabre qui propose la visite de lieux liés à la mort généralement) dans lequel les visiteurs font souvent des selfies avec les momies et recherchent une forme d’exotisme assez malsain, et pourtant la problématique se pose : faut-il empêcher les touristes de visiter certains lieux par soucis d’éthique et pour mieux préserver les traditions, ou laisser faire puisqu’il s’agit d’un moyen de faire connaître un patrimoine méconnu, des rites et traditions parfois en perdition, et que l’argent de ce tourisme aide à financer les dits-lieux.


Sujet de dissertation, vous avez quatre heures !


Quand la nature conserve…


Les momies nous renvoient souvent aux techniques d’embaumement, et pourtant elles n’ont pas toujours été le résultat de techniques humaines et la nature a parfois joué un rôle dans la momification. Dame Nature a de nombreux talents… et pas toujours là où on l’attend !


Le climat froid et glacial des montagnes et de certains pays du froid a souvent permis la bonne conservation des corps (par exemple, ceux de l’expédition Franklin ou du peuple inuit au Groenland). Cependant, il arrive parfois que des zones plus humides aient pu conserver certaines momies. J’ai un souvenir encore vif de mes cours d’archéologies sur les momies des tourbières et qui ont droit à leur propre chapitre dans l’ouvrage. Les tourbières sont des zones humides et privées d’oxygène, ce qui empêche la prolifération d’organismes responsable de la décomposition d’autres matières organiques, ce qui fait que la végétation se minéralise que très lentement, s’accumulant et formant un dépôt. Les corps retrouvés dans ces tourbières (des bog bodies) sont donc exceptionnellement conservés naturellement, au point même d’avoir gardé leur chevelure. Ces momies portent souvent des marques de coups et blessures, signes d’une mort violente. L’étude de ces corps permet souvent de dater le décès, les causes de la mort et sur le défunt en lui même (âge, sexe, état de santé, etc).


On ignore comment et pourquoi ces corps se retrouvent dans ces tourbières. Rituel consistant en un sacrifice au nom d’une divinité, condamnation à mort, assassinat ou accident, les tourbières cachent encore bien de nombreux secrets…



Gravure représentant une expédition rapportant les restes de deux membres
de l'équipage de l'expédition Franklin ayant mystérieusement disparue dans les années 1850



D’autres formes de momification…


Si je vous disais que l’on peut devenir momie ? Pas en se déguisant pour Halloween, mais à travers un processus spirituel au Japon qui s’apparente à l'auto-momification, le sokushinbutsu qui est lié au bouddhisme et dans lequel les moines d’un certain âge se préparent petit à petit à leur momification en se coupant progressivement leur alimentation jusqu’à obtenir un état de faiblesse avancé, puis se retirer dans une grotte et adopter la position du lotus en attendant le trépas. Tout cela pour assurer la préservation de leur corps et devenir Bouddha.


Les momies, ce sont aussi les têtes réduites ! En Amazonie, le peuple Shuars avait pour tradition de fabriquer des têtes réduites (souvent les têtes de leurs ennemis, ceux des autres tribus) que l’on appelle aussi une tsantsa. Nous découvrons le processus pour obtenir une tête réduite, et comment elles étaient confectionnées dans un but cérémoniel et destinées à être bénéfiques à la communauté. Outre son rôle spirituel, elles avaient également un rôle commercial car les Shuars en vendaient aux Occidentaux qui voyaient en ces tsantsas un symbole d’aventure, d’exotisme, d’exploration.



* * *


C’était un plaisir de retrouver la plume de Juliette Cazes qui est fluide, légère, parfois avec de l’humour, et surtout très respectueuse des sujets dont elle parle. Les momies ne restent pas moins des gens comme vous et moi, qui ont vécu il y a des siècles et dont l’auteure parle toujours avec respect. On sent d’autant plus le travail de recherche effectué pour cet ouvrage et nous communique avec efficacité sa passion. On pourrait reprocher que certains sujets ne sont pas autant développés qu’on aurait souhaité, mais son but n’est pas ici d’entrer dans les détails, notamment biologiques, et nous laisse le soin d’approfondir le sujet tout en nous présentant des synthèses intéressantes et instructives sur les momies dans différentes parties du monde.


Si l’on ne retrouve pas de photographies, qui auraient pu être appréciables, je peux comprendre la volonté de l’auteur de ne pas en fournir (sans doute par pudeur, par copyright, par respect pour le défunt, ou tout simplement par choix personnel), j’ai moi-même hésité à utiliser des photos de momies pour cet article tant j'étais mal à l'aise à l'idée d'exposer sur mon blog les dépouilles de personnes ayant autrefois vécu. D’ailleurs, les gravures de Mathilde Payen nous accueillent à chaque début de chapitre et c’est un petit plus très appréciable.


Enfin, j’apprécie beaucoup les réflexions que Juliette Cazes aborde sur les momies, sans tout à fait apporter une réponse définitive pour nous laisser développer notre propre opinion, et il est vrai que certaines questions poussent à la réflexion. Faut-il privilégier la recherche scientifique ou bien la sensibilité et les souhaits des descendants des ces défunts ? Faut-il cacher ces corps par égard pour les défunts et les laisser reposer en paix ? Les musées sont-ils légitimes dans leur exposition des momies (surtout si ces momies viennent d’autres pays), tout en reconnaissant que les musées sont parfois la seule solution pour protéger les momies du pillage ? Risque-t-on de transformer les momies en attractions macabres même si cela permet de mettre en lumière un patrimoine et l’histoire ? Sans oublier le problème des pillages ainsi que la banalisation de la vente de restes humains. Tant de questions légitimes qui poussent à la réflexion tout au long de la lecture, voire même après…


En résumé, une lecture instructive (mais trop couuuurte, même en ralentissant mon rythme de lecture, je n’ai tenu que deux jours avec) sous la plume experte et agréable de Juliette Cazes qui nous en apprend bien plus que l’on aurait cru au départ sur les momies !


Pour en savoir plus :


Grâce au septième art, la momie a enfin voix au chapitre (…) et se réveille pour faire valoir ses droits et punir ceux qui ont osé la déranger. Je trouve intéressant que les momies soient souvent considérées au cinéma comme des monstres vengeurs, alors que, si l’on réfléchit, il s’agit plutôt de personnes qui se rebellent contre le tord qui leur est fait. D’ailleurs, ne prévient-on pas depuis l’Antiquité les pilleurs de tombes des risques qu’ils prennent à jouer avec l’autre monde ?

1. Les momies d’Égypte, les plus populaires.

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