J'ai acheté ce livre il y a quelques mois déjà et je voulais le lire dès que possible, je me suis retenue avec peine parce que je voulais le placer dans le Pumpkin Autumn Challenge, (Sous-menu "Les chimères de la Sylve Rouge" avec son mot-clé « Macabre »). La raison de mon enthousiasme est en partie du au fait que je suis l'auteure sur Twitter et Youtube depuis un moment, sous le pseudonyme du Bizzareum, où je suis avec intérêts ses tweets, vidéos et articles au sujet de l'archéologie, l'histoire, et la mort. Car Juliette Cazes a fait de la mort son sujet de prédilection. Après des études en archéologie et anthropologie, c'est naturellement qu'elle a gravité dans cet environnement, et depuis 2017 elle vulgarise ce sujet sur la toile. Funèbre ! regroupe sur papier quelques exemples introductifs sur le sujet des rites funéraires et donc la façon dont la mort, et plus exactement le soin apporté aux défunts, est perçue à travers le monde.
Juliette Cazes nous propose pour cela un véritable tour du monde des rites funéraires, dans lequel nous voyageons en Italie, en Bolivie, en Roumanie, au Tibet, en Nouvelle-Zélande, sans pour autant négliger la France à qui elle a consacré un chapitre : l’origine du mot « corbillard », d’où vient la tradition d’annoncer le décès de nos défunts ainsi que la célébration du 1er novembre, la tradition de porter du noir mais aussi de quand dates nos rites funéraires ?
Nous voyageons ensuite en Roumanie, où les vivants déposent des vivres dans le cercueil – pour que le défunt puisse se nourrir dans le chemin vers l'au-delà - des pièces pour payer sa traversée ainsi que des objets qu'il aimait de son vivant, ce qui n'est pas sans rappeler les rites funéraires antiques. Nous avons aussi les cages à cercueil en Écosse. Mais pourquoi donc enfermer ces pauvres défunts ? Les Écossais ont-ils peur d'une prochaine invasion de zombies ? Pas du tout, car ces mortsafes ont davantage le but de protéger le corps des défunts, par crainte de se faire voler son propre corps ! Avec la découverte et le développement de l'anatomie humaine, il est logique d'utiliser le corps des morts pour apprendre à soigner les vivants. Seulement, peu d'individus sont prêts à offrir leur corps à la science, d'où l'idée de dérober des cadavres. La population, terrifiée par ces trafiquants de cadavres, tente de se défendre : des cercueils plus lourds, des gardiens de cimetière, les cercueils dans des fosses plutôt que sous une pierre tombale, et des cages métalliques surmontant les tombes, donc les mortsafes.
Exemples de mortsafes qu'on peut trouver en Ecosse (source) |
Parmi les autres exemples à m'avoir marqué, il y a la cité des morts du Caire, Al-Qarafa, où les vivants cohabitent avec les morts. La pauvreté au Caire a fait qu'une certaine partie de la population doit vivre dans les cimetières. Les tombes sont donc aménagées et décorées, certaines ont l'eau et l'électricité, et on peut même y trouver des magasins ! Ces familles pauvres peuvent y vivre pendant des générations. Cela attise la curiosité des touristes, ce qui donne à l'auteure l'occasion de poser une réflexion intéressante sur ce dark tourism (une forme de tourisme controversée qui consiste en la visite, souvent payée, de lieux associés à la mort).
Je mentionnerai également le Japon où la technologie se mêle à la mort à travers deux exemples : celui d'un robot domestique de deuil, avec un masque en 3D représentant le visage du disparu, dont le logiciel est programmé pour fonctionner pendant 49 jours (suivant la pratique du deuil de 49 jours empruntée aux traditions bouddhistes), suite à un deuil mal vécu par sa créatrice, Etsuko Ichihara, pour dire adieu en douceur à sa grand-mère décédée. Ce robot a été développé pour être capable de reproduire les mimiques du langage et les intonations du défunt, ce qui a été accueilli par une vague d'incompréhension, sinon de malaise auprès des Occidentaux. Je mentionnerai également la création d'une cabine téléphonique par Itaru Saski pour lui permettre de parler à son cousin décédé, le kaze no denwa, et il permet également à d'autres visiteurs d'en bénéficier. Ce sont des discussions à sens unique mais semblant bénéfiques pour les visiteurs.
Il y a encore tellement d'autres exemples présentés dans cet ouvrage, et ce que nous présente l'auteure n'est qu'un échantillon parmi tout ce qui existe dans le monde, car il y a autant de pratiques funéraires qu'il y a de peuples et de cultures. Toutefois, Juliette Cazes nous présente ici un bon nombre d'exemples aux quatre coins du monde, nous permettant ainsi de nous ouvrir de nouveaux horizons et de nous faire découvrir différents peuples et leurs coutumes, ce que j'ai trouvé vraiment intéressant ! Si on peut retrouver des similitudes parmi certains rites funéraires, aucun rite funéraire ne se ressemble et ces rites reflètent bien la population qui les suivent et leur culture, notamment vis-à-vis de la mort. Car s'intéresser à la mort, c'est s'intéresser à la vie, et plus particulièrement les gestes des vivants à l'égard de leurs défunts.
Nous avons tendance à penser que la vie et la mort s'opposent radicalement, alors que la vie est liée à la mort. La mort est un élément qui accompagne les vivants, c'est un sujet de société, de morale, de loi, et même financier. La mort se présente donc comme un élément social chez les vivants. Par exemple, nous avons les Famadihana à Madagascar qui consistent en une cérémonie où l'on invite, où l'on se retrouve lors d'un repas ou encore les funerals with music à la Nouvelle-Orléans où les processions funéraires sont accompagnées d'un orchestre avec des danseurs qui escortent le défunt en musique, c'est une cérémonie très codifiée qui suit un protocole précis. Ce dernier exemple, ainsi que el dia de los muertos au Mexique que l'on commence à connaître en Occident, sont une façon de découvrir que la mort peut être gaie, festive et musicale dans d'autres contrées. Ce n'est pas meilleur que les funérailles en France ou ailleurs, ni incompréhensif, c'est tout simplement une autre façon de célébrer le défunt.
C'est aussi l'occasion de découvrir par quelles diverses façons les vivants s'occupent de leurs disparus, à la fois par amour et pour entretenir leur souvenir... mais aussi pour éviter son courroux ! Il n'est jamais bon de s'attirer les foudres de nos ancêtres, et tous les prétextes sont bons pour s'attirer leurs bonnes grâces. C'est pourquoi certains Boliviens possèdent le crâne d'un membre de leur famille (ce qu'on appelle les natitas), ou le crâne d'un défunt qu'ils ont adopté, et partagent leur vie avec, le crâne est considéré comme un membre à part entière de la famille, et dispose d'une niche avec des objets lui ayant appartenu, par exemple.
Pour citer encore quelques exemples, la Famadihana de Madagascar, où les corps des ancêtres sont exhumés le temps d'une cérémonie est aussi l'occasion de prendre soin du défunt et de changer son linceul, par crainte de son courroux. Ou encore la Roumanie où une partie de la population croit aux strigoï, ces défunts qui se relèvent d'outre-tombe pour se nourrir de l'énergie vitale des mortels, des sortes d'âmes troublées partageant quelques similitudes avec les vampires. Les Japonais sont également très prudents, car la mauvaise exécution des rites funéraires est préjudiciable, l'esprit du mort risquerait d'errer et de tourmenter ceux qui auraient manqué à leurs obligations ! Morts... mais donc jamais oubliés !!
C'est un livre fascinant et dépaysant que nous offre Juliette Cazes. Elle nous partage sa passion, et c'est communicatif ! Je me suis retrouvée à m'intéresser à ses propos, à découvrir avec fascination les différents rites dans le monde, à faire ce tour du monde des rites et découvrir diverses populations avec leur culture. Le texte est d'autant plus aéré et écrit avec simplicité, légèreté et parfois humour. J'ai également beaucoup apprécié la présence d'une bibliographie en fin d'ouvrage, par pays, permettant de découvrir les sources de l'auteure mais aussi de découvrir plusieurs titres si jamais on souhaite élargir le sujet et lire davantage. Si je ne devais reprocher qu'une seule chose, c'est le manque de photographies et d'images pour illustrer ses propos, mais sans doute que l'auteure a ses raisons et qu'il aurait été difficile de proposer d'illustrer certaines pratiques funéraires, par pudeur... cela n'empêche pas que j'ai passé un bon moment avec cet ouvrage, et que j'ai pu apprendre des choses bien intéressantes. Je conseille aux éventuels.les curieux.ses, vous ne serez pas déçus.es du voyage !
Pour faciliter le retour sur terre des esprits des défunts, plusieurs étapes incontournables sont mises en œuvre. Tous les sens - des vivants comme des morts - doivent être mis en éveil. Ainsi, dès le mois d'octobre, une ambiance festive commence à s'installer à travers le pays, avec des défilés de fanfares et de cortèges musicaux qui viennent flatter l'ouïe de chacun. La vue et l'odorat ne sont pas publiés, avec la présence un peu partout de fleurs colorées et parfumées, notamment les roses d'Indes, les œillets d'Inde et les tournesols. Ces décorations permettent aux âmes de retrouver le chemin entre le monde des morts et celui des vivants, mais aussi de leur montrer qu'elles sont attendues par leurs proches. Des bougies sont également posées devant les portes des maisons, à la fois pour guider les morts dans leurs déplacements et pour qu'ils aient la certitude qu'ils seront bien accueillis.
El dia de los muertos au Mexique - Faire la fête pour et avec les morts.
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