vendredi 7 octobre 2022

L'île aux mensonges - Frances Hardinge.



Faith Sunderly, 14 ans, est la fille d'un révérend et éminent naturaliste. 

Accusé d'avoir trompé la communauté scientifique, il part s'exiler avec sa famille sur une île au large des côtes anglaises. Mais les rumeurs l'accablent et bientôt il est retrouvé mort. Suicide déshonorant comme le fait croire la respectable société victorienne ? Ou assassinat, comme en est persuadée sa fille ? 

Avec son insatiable curiosité, Faith mène seule son enquête, qui l'entraine de révélations en secrets précieusement dissimulés. Elle est prête à défier toutes les convenances sociales pour faire surgir la vérité. Mais cette vérité pourrait se révéler dangereuse...



L’histoire nous transporte sur l’île de Vane, dans l’Angleterre victorienne, où la jeune Faith et sa famille sont contraints de s’exiler pour une raison que Faith ignore. L’île lui semble bien inhospitalière et leur nouvelle maison manque cruellement de confort, entre le climat froid et l’humidité des lieux. Très vite, Erasmus Sunderly, son père et naturaliste de renom, est appelé à rejoindre l’équipe de fouilles archéologiques. La famille espère trouver ses marques sur l’île, malheureusement Faith s’aperçoit que les habitants qui les avaient accueilli se montrent vite froids et son père pointé du doigt. Puis un jour, son père disparaît avant d’être retrouvé mort. Pour l’île, il s’agit d’un suicide. Pour Faith, qui a passé la nuit avec son père en lui promettant de garder le secret, c’est un meurtre et elle entend bien rétablir la vérité pour sauver l’honneur de son père et la réputation de sa famille.



Mes débuts furent laborieux, n’ayant pas réussi à entrer véritablement dans le récit avant la dernière nuit de Faith avec son père. J’ai trouvé que le récit était long à se mettre en place mais une fois que c’est le cas, impossible de le lâcher ! L’enquête que nous offre l’auteure est bien menée avec une intrigue complexe qui mélange des thèmes aussi nombreux que variés : mystères, mensonges, naturalisme, science, religion, condition de la femme, enfance, trahisons, etc. C’est une intrigue qui mélange également différents genres, entre le thriller avec une ambiance sombre, pesante et gothique et une pointe de fantastique et une touche de féminisme.



Faith est une héroïne plaisante. C’est une jeune fille mature qui sait se débrouiller. Elle glane des éléments par-ci, par-là et comprend que sa famille aussi bien que l’île cachent bien des secrets. Elle est profondément attachée à son père – alors que celui-ci n’est pas toujours tendre avec elle, considérant qu’elle ne doit pas et ne peut pas réfléchir comme un homme, et le suivre dans ses traces car c’est une jeune femme – alors qu’elle méprise tout d’abord sa mère, avant de comprendre qu’elle n’a d’autre choix que de se servir des armes propres à son sexe pour se défendre et protéger sa famille. Faith est un personnage travaillé avec ses qualités comme ses défauts. Elle est curieuse et a soif de connaissance, tout en essayant de prime abord de contrôler sa curiosité qui n’est pas convenable pour les femmes à cette époque. Elle est intelligente et ne veut pas s’en cacher, même si les mœurs de l’époque tendaient à penser qu’une femme ne pouvait être douée de raison. Faith est un personnage tiraillé entre le poids de son éducation et ce qu’elle souhaiterait être.



Malgré tout, elle va défier les conventions sociales dans une société où l’intelligence et la curiosité sont l’apanage des hommes. Faith va mentir, tendre des pièges, manipuler, faire peur, dans le but d’obtenir la vérité et de se venger de la mort de son père. C’est un personnage que j’ai pris plaisir à suivre et qui va mener une enquête passionnante tout en évoluant au gré de l’histoire. La voir grandir en tant que personne mais aussi voir son regard se changer : reconnaître les erreurs de ce père qu’elle idolâtre, comprendre un peu mieux sa mère et protéger son frère. J’ai d’ailleurs beaucoup aimé la relation entre Faith et Howard, son jeune frère que la société n’accepte pas, tout comme sa sœur. Alors que la société veut modeler Faith dans sa vision de la femme, elle cherche à modeler Howard également qui est gaucher et à qui on force à écrire de la main droite.



Deux autres couvertures que j'aime beaucoup. La première reprend les couleurs associées
à Halloween et donne un effet très spooky. La seconde illustre parfaitement les thèmes
que l'on retrouve dans le roman, associant le fruit de l'arbre des mensonges à celui de l'arbre de la connaissance du jardin d'Eden.

J’ai beaucoup aimé la pointe de fantastique, qui ne jurait pas avec les thématiques autour des découvertes scientifiques de l’époque, à travers l’arbre que Faith découvre dans une grotte sombre et humide (et son père avant elle). Un arbre d’un genre unique, qui ne peut vivre que dans l’obscurité et dont les feuilles s’enflamment si elles sont au contact de la lumière du jour, un arbre portant des fruits semblables au citron mais au goût unique. Un arbre fait pour vivre en symbiote avec un être humain si celui-ci le nourrit… de mensonges. Lorsque cet arbre est nourrit, il porte un fruit qui – semblable au fruit du jardin d’Eden qui détient la connaissance – permet de faire découvrir une vérité à celui qui le mange… même si ce n’est pas sans conséquence. Ce fut intéressant de découvrir l’arbre en même temps que Faith et découvrir en même temps qu’elle les caractéristiques de l’arbre au fur et à mesure qu’elle va expérimenter ce spécimen unique et ses effets avec un esprit scientifique et analytique… et l’utiliser à ses fins pour découvrir l’identité du meurtrier de son père.



À travers son intrigue, l’auteure met en avant le pouvoir des mensonges et de la rumeur, comment les rumeurs se répandent au sein d’une société, comment elles poussent à la peur, à la dénonciation, à la destruction même d’une réputation. Comment une simple rumeur s’enfle et se transforme au point de devenir incontrôlable et avoir des conséquences imprévues et désastreuses. Le mensonge se nourrit de l’imagination de chacun et se répand dans les esprits. J’ai trouvé ce sujet encore d’actualité, surtout avec l’importance et l’omniprésence des réseaux sociaux et des fake news.



Enfin, on ne peut qu’apprécier l’élégante plume de l’auteure qui nous offre de belles et parfois saisissantes descriptions et qui nous plonge avec efficacité dans une Angleterre victorienne où les théories de Darwin sur l’évolution des espèces commencent tout juste à se faire connaître dans les milieux scientifiques, et n’en sont pas moins controversées puisqu’elles vont à l’encontre des écrits bibliques. C’est le temps des grandes découvertes, des grands explorateurs ; la science avance dans toutes les directions. Un monde en plein essor qui fascine Faith.



En résumé, un thriller victorien élégant aux limites du fantastiques, une ambiance sombre, gothique et parfois oppressante qui laisse toutefois la part belle à la science, sur fond de mensonges et un cadre féministe. Je ne partais pas convaincue, pourtant l’histoire est bien plus prenante que ne le laissait supposer les premiers chapitres !


Faith découvrait qu'un mensonge était comme u feu. Au début, il avait besoin d'être entretenu et alimenté, mais en douceur, avec circonspection. Un souffle léger attiserait les flammes naissantes, mais trop d'air les éteindrait. Certains mensonges prenaient si bien qu'ils se répandaient avec un crépitement allègre, sans qu'il fût besoin de les alimenter davantage. Mais, du coup, ils ne vous appartenaient plus. Ils vivaient leur propre vie et échappaient à votre contrôle.

25. Affronter le monstre.

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