samedi 3 octobre 2020

Retour à Whitechapel - Michael Moatti.

Retour à Whitechapel - Poche - Michel Moatti - Achat Livre | fnac
Le 24 septembre 1941, pendant le Blitz qui écrase Londres sous des tonnes de bombes, Amelia Pritlowe, infirmière du London Hospital, apprend la mort de son père. Celui-ci lui a laissé une lettre posthume lui révélant que sa mère n'est pas morte d'une maladie pulmonaire, comme l'histoire familiale le prétend ; Mary Jane Kelly a été la dernière victime de Jack L'Éventreur. Amelia Pritlowe avait 2 ans.

À compter de ce jour, Mrs Pritlowe va se lancer dans une traque méticuleuse et acharnée, poussée par le besoin vital de découvrir la véritable identité de Jack L'Éventreur. Grâce aux archives d'une pittoresque société savante de riperristes , en confrontant témoins et survivants, elle va reconstruire dans ses carnets les dernières semaines de sa mère et la sanglante carrière de l'Éventreur.

En décryptant des documents d'époque, Michel Moatti recompose l'atmosphère nocturne et angoissante de l'East End du XIXe siècle. En redonnant vie aux victimes, en recomposant leurs personnalités sociales et affectives, il propose une solution à l'énigme posée en 1888 : qui était Jack the Ripper ?


L'an dernier, pour le challenge je découvrais Whitechapel, un roman dans lequel une jeune femme enquêtait sur Jack l'Eventreur. Cette année, pour le challenge, j'ai découvert Retour à Whitechapel, un roman dans lequel... une femme enquête sur Jack l'Eventreur ! Il ne s'agit pourtant que d'une coïncidence, je ne prévois pas de lire un troisième roman avec ces similitudes l'an prochain, quoique ce serait plutôt amusant à envisager !

Alors que Londres tremble sous les bombes allemandes, Amelia Pritlowe, infirmière, apprend, quelques temps après la mort de son père, dans une lettre que ce dernier lui a adressé, la vérité autour de sa mère. Il ne s'agissait pas d'une femme sans histoire, morte d'une pneumonie alors qu'Amelia avait 2 ans. Elle s'appelait Mary Jane Kelly, et elle était la dernière victime de Jack l'Eventreur. Bouleversée et déterminée à en apprendre davantage, Amelia rejoint une association de Ripperistes, des spécialistes amateurs, accède à leurs archives regroupant des documents d'époque, et achète un carnet dans lequel elle regroupe le résultat de ses recherches et ses réflexions alors qu'elle tente de reconstruire les meurtres de l'Eventreur et en particulier les dernières heures de la vie de sa mère...

Des cinq victimes canoniques de Jack l'Eventreur, Mary Jane Kelly est la plus jeune mais aussi celle dont on connaît le moins l'histoire, ce qui a donné lieu à des spéculations de la part d'historiens et qui se présente comme un bon point de départ pour un auteur de roman. On peut donc aisément lui inventer une fille et imaginer sa vie avant son meurtre, à partir des éléments que l'on connaît. Cela donne un aspect intéressant au roman : les romans retraçant les meurtres de Whitechapel sont nombreux, mais il est original de voir la fille fictive de l'une des victimes mener l'enquête, une enquête d'aspect personnel qui va se transformer en volonté farouche et de brin de vengeance lorsqu'elle découvre avec exactitude ce que l'assassin a fait avec le corps de sa mère (en effet, des cinq meurtres, celui de Mary Jane Kelly est le plus barbare, mais je vous épargnerai les détails). 

Monstre... Pourriture. J'irai gratter au fond de ta tombe avec mes ongles... Je vais te trouver, où que tu sois sous la terre... Je vais te trouver et te brûler les yeux. Je vais casser ce qui reste de tes os... Je descendrai dans ta fosse avec un maillet de bois et je frapperai jusqu'à faire éclater ton crâne...

Le roman alterne entre 1888 et 1941 et entre deux façons de présenter l'histoire. Les événements de l'histoire se déroulant en 1941 sont narrés par l'héroïne qui retranscrit son quotidien et ses recherches dans ses carnets ; pour la partie se déroulant en 1888, le format se présente comme des dialogues et des descriptions (les dialogues sont aussi présents dans les carnets de l'héroïne, mais de façon moins régulière). Nous sommes à la fois dans le Londres de 1941, ravagé par les bombes allemandes, dans lequel notre héroïne travaille à  la fois à l'hôpital pour soigner les blessés mais à la Filebox Society, composée de spécialistes amateurs sur les crimes de Whitechapel, dans laquelle elle épluche et étudie les documents d'époque : articles de presse, photos, cartes, etc, afin de mener une réflexion sur les dernières heures de sa mère. Nous sommes aussi dans le Londres de l'époque victorienne, dans les ruelles sombres de Whitechapel, quartier pauvre et honteux de Londres, nid de misère sociale, où la saleté, les maladies et la pauvreté se côtoient, où les femmes pauvres doivent faire commerce de leur corps pour s'en sortir ; c'est dans cette partie que l'auteur nous peigne les jury d'enquêtes relatifs à l'assassinat des cinq victimes, mais aussi les dernières heures, voire les derniers jours, des victimes puis leur meurtre.

On sent que l'auteur a fait un long travail de recherche pour reproduire le plus fidèlement possible Whitechapel et ses environs, la misère et la pauvreté sociales dont ont été victimes ses habitants. On découvre ou retrouve des personnages historiques qui ont été des acteurs, directs ou indirects, de l'affaire Jack l'Eventreur : les victimes bien-sûr, mais aussi les proches des victimes (notamment Mary Jane Kelly), l'inspecteur Abberline, le docteur Bagster Philipps (chirurgien et légiste de la police), les témoins, etc. Je salue le travail de recherche long et colossal qu'il a fait, mais également sa volonté de donner une voix aux victimes, de leur consacrer quelques pages ou chapitres (pour Mary Kelly) en dehors de leur meurtre.

Mary Jane Kelly, vue d'artiste
(The Penny Illustrated Paper,
24 novembre 1888)
Lorsque l'on lit un roman policier sur Jack l'Eventreur se pose la question de l'identité de l'assassin. L'identité du tueur de Whitechapel reste malheureusement un mystère non résolu. À partir de là, l'auteur.e peut soit faire le choix de terminer l'enquête sans révéler l'identité de l'assassin, soit l'imaginer. C'est ce qu'a choisi de faire Michael Moatti, sauf que, alors que je m'attendais à un personnage inventé ou un personnage historique pour lequel on jette le blâme juste pour les besoins du roman, l'auteur profite de son roman pour nous expliquer, en fin d'ouvrage, pourquoi, selon lui, tel personnage historique fut l'assassin. La révélation fut... surprenante, originale on peut dire. Jusqu'au bout, je me suis posée la question de la véritable identité de l'assassin et même si je n'adhère pas à la théorie de l'auteur (en même temps, je ne mène pas ma propre enquête et je n'ai pas les compétences d'un chercheur ou d'un enquêteur), je dois avouer que certains arguments de l'auteur sont plutôt intéressants, même s'ils ne me font pas dire que oui, c'est bien lui Jack l'Eventreur. J'ai d'autant plus trouvé dommage et frustrant que l'auteur ait davantage cherché à expliquer qui Jack était, et pas également "pourquoi". Pourquoi il tuait et surtout, surtout, pourquoi il s'est arrêté.

Toutefois, je peux accorder à l'auteur qu'il nous offre une théorie qui s'éloigne des fameuses théories du complot (l'assassin qui aurait fait partie de l'entourage de la reine par exemple), et que Jack revêt une personnalité moins fantasmé, mais pas inintéressante car cela change des hypothèses romanesques sur son identité. Jack est tout simplement à vomir, car l'auteur lui donne aussi la parole, on s'insurge, on se révolte et on espère que, même des années plus tard, justice sera faite.

L'enquête fut un plaisir à suivre, entre réalité et fiction, menée avec une redoutable efficacité ! Cela aide que cette partie de l'histoire m'intéresse beaucoup, et que je voulais en savoir plus et redécouvrir cette époque. Il ne s'agit pas d'une enquête classique, à savoir : interrogation des témoins, investigation des lieux, recherche des empruntes. Cinquante trois ans séparent, après tout, l'héroïne des meurtres, elle ne peut travailler qu'à travers l'étude des documents d'époque, mener sa propre réflexion et ses hypothèses, puis ensuite [spoiler] faire des séances d'hypnose pour se souvenir de la nuit du meurtre, alors qu'elle avait deux ans, et se trouvait la chambre au-dessus de celle de sa mère [/spoiler], ce qui n'empêche pas de suivre avec beaucoup d'intérêt l'enquête, d'autant plus que l'auteur a choisi d'alterner son récit en nous plongeant en 1888, nous permettant de connaître un peu mieux les victimes, puis des jury d'enquêtes qui font intervenir les témoins. Je salue également les dernières pages qui, après la fin de l'histoire, retracent le portrait des protagonistes de l'époque et nous apportent quelques éclaircissements !

J'aurais toutefois apprécié qu'Amelia interagisse davantage avec les membres de la société de ripperistes pour partager ensemble leur travail et leurs hypothèses, au lieu de ne le faire qu'avec une personne, néanmoins j'ai bien aimé cette forme d'amitié naître entre Amelia et Buir, ancien pharmacien et ripperiste, à qui elle choisi de dévoiler la vérité sur ses raisons d'enquêter, et l'aide et le soutien que Buir lui apporte. Si j'ai davantage apprécié les parties se déroulant en 1888, c'est bien en 1941 que le dénouement apparaît, que le fin mot de l'histoire sera donné et ce qu'Amelia va faire en réaction de cette découverte, et j'ai beaucoup apprécié cette partie !

Toutefois, je n'ai pas pu m'empêcher de trouver, au début de ma lecture, que le style était un peu froid pour un roman.  Aussi intéressant ce roman fut, je le trouve plus réussi au niveau documentaire qu'en tant que roman, mais Retour à Whitechapel est vraiment un ouvrage à découvrir pour toute personne qui s'intéresse au mystère de Jack l'Eventreur ! Je serais d'ailleurs tentée, dans un futur plus ou moins proche, de découvrir le tome deux (non relatif aux meurtres de Whitechapel), Blackout Baby. Malgré mes critiques, je trouve que Retour à Whitechapel pourrait faire un thriller bien intéressant sur nos écrans !

Un greffier se précipita pour apporter des photographies rangées dans des enveloppes de papier cristal. Le coroner McDonald s'en saisit et les regarda négligemment. 
- Vous remarquez, docteur McDonald, poursuivit Bagster Philipps, que la chambre possède deux fenêtres qui donnent sur le court. Deux carreaux de la petite fenêtre étaient brisés. La porte était fermée, et j'ai dû regarder par la fenêtre pour évaluer la situation. 
- N'avez-vous pas songé à intervenir, disons... rapidement et de manière médicale, docteur Philipps ? 
- Monsieur, j'ai compris que le corps férocement mutilé, que je voyais distinctement allongé sur le lit, n'avait pas besoin... de mes soins immédiats, si j'ose dire... J'ai souvent vu... 
- Restons-en aux faits, s'il-vous-plaît, docteur Philipps, se renfrogna le coroner, visiblement vexé de la répartie du chirurgien.

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