samedi 31 octobre 2020

Je suis ta nuit - Loïc le Borgne.

La France, un été, quelque part dans les années 80. Pendant un banal concours de basse-bouteilles, six 
enfants découvrent un cadavre mutilé, sans lèvres, sans sexe et sans doigts. Et ce n'est que le premier d'une longue série. 

Pierre et sa bande de copains inséparables sont obligés d'enterrer leur enfance et certains de leurs proches alors que le Puits et l'homme au chapeau haut-de-forme s'emparent peu à peu de leur innocence.



Paru à l'origine en 2008, Je suis ta nuit a fait l'objet de plusieurs rééditions, et c’est l’édition de cette année qui m’a sauté aux yeux avec cette magnifique couverture. Ajoutons à cela une intrigue prometteuse avec des références à Ça, et j’étais fin prête à me plonger dans ce livre en cette période d’Halloween.

Ils sont six. Six enfants vivant dans un village breton dans les années 1980. L’année scolaire touche à sa fin et il leur tarde de profiter des vacances d’été ! Leur insouciance ne tarde cependant pas à voler en éclat lorsqu’une série d’événements plus étranges les uns que les autres viennent perturber leur petite vie paisible. Ils l’ignorent à ce moment-là, mais le Bonhomme Nuit les a pris en cible. L’histoire nous est racontée du point de vue de l’un de ces enfants, Pierre, devenu adulte et père qui se remémore son enfance dans une lettre qu’il adresse à son fils endeuillé. L’auteur a mis en place une double chronologie : celle de l’adulte qui raconte son enfance avec le recul de l’âge et l’enfant pris dans l’action du passé. Pour marquer cette chronologie, l’auteur multiplie les références aux années 1980 avec les héros de cette époque, Luke Skywalker, Goldorak, etc. Même sans avoir grandi à cette période, je me suis plongée dans cette décennie et ses nombreuses (trop ?) références.

Si vous avez lu Ça de Stephen King, certains éléments de l’histoire vous sembleront familiers (un groupe d’amis avec plusieurs garçons et une seule fille, le narrateur qui donne un nom à son vélo, un monstre qui sévit et qui semble s’en prendre aux enfants, la force de l’imagination comme arme contre le méchant) et si l’auteur semble s’être effectivement inspiré du célèbre roman du maître King, il a su offrir aux lecteurs quelque chose d’original et terrifiant. Face à la réalité lisse et réconfortante de cette enfance dans les années 1980, l’horreur s’immisce peu à peu pour nous faire ensuite glisser dans l’horreur. L’intrigue commence avec la découverte d’un cadavre mutilé, puis un chien dangereux qui poursuit les protagonistes, le vin de la messe qui se change en sang, l’attaque par un corbeau, sans oublier les étranges comportements de certains habitants de la ville. Tous ces éléments sont liés, sans qu’on comprenne exactement comment jusqu’à la toute fin, et semble causé par un seul et même être, provenant d’une légende, celle du Bonhomme Nuit qui s’en prend aux enfants, comme une sorte de Croquemitaine.

L’une des forces du roman est son ambiance. C’est sombre, angoissant, voire terrifiant à certains moments. La peur s’installe petit à petit et l’horreur monte crescendo et ne retombe qu’à la fin du roman. Elle s’illustre par les manifestations causées par le Bonhomme Nuit, mais aussi par une horreur moins surnaturelle et qui est malheureusement présente dans la réalité, et qui hante les souvenirs de certains personnages. L’horreur présent dans ce roman m’a surprise dans le sens où je ne m’attendais pas à en trouver dans un roman jeunesse. Peut-on vraiment qualifier Je suis ta nuit de roman jeunesse ? Il peut être lu par des adolescents, mais ce n’est pas un livre que je mettrais dans les mains de jeunes enfants car l’horreur peut les choquer. Sans aller dans des détails gores, il y a des éléments qui peuvent surprendre un jeune public. Cependant l’histoire reste assez soft et ne devrait pas vous faire faire de cauchemars, même si elle aborde des sujets difficiles.

Pour ma part, j’ai été agréablement surprise. Je n’allais pas qualifier ce roman de lecture inoubliable au début car nous suivons une longue succession d’événements fantastiques avec nos personnages comme témoins ou acteurs, mais tout s’intensifie de plus en plus lorsque [spoiler] un enfant du groupe meurt, un autre disparaît et un autre finit dans le coma suite à une attaque du Bonhomme Nuit [/spoiler] et que Pierre, un de ses amis, et son petit frère décident de passer à l’action et de trouver le Bonhomme Nuit, jusqu’à la confrontation finale. J'ai aussi beaucoup apprécié la manière dont le rôle de l'imagination a été exploitée, avec la croyance et la foi en leur imaginaire donnant une vraie force aux personnages, avec des références familières à Star Wars et Goldorak par exemple.

Le Bonhomme Nuit est un antagoniste intéressant. Bien qu’il soit peu présent physiquement dans le roman, sa présence se ressent dès le début : une rumeur qui se propage, son aura qui flotte, l’influence qu’il exerce sur certaines personnes qu’il possède et aveugle, ses sbires qui sèment la terreur en ville. Tout cela qui m’a mis l’eau à la bouche et m’a rendu impatiente de découvrir la confrontation entre lui et nos héros, et je n’ai pas été déçue. Le décor de la confrontation finale était grandiose, angoissant, j’ai aimé l’intérêt que porte le Bonhomme Nuit à Pierre et la raison de cet intérêt ainsi que la vérité autour de l'antagoniste m’a bluffé, bien que je commençais à le soupçonner. Il se présente comme une sorte de Croquemitaine qui traque les enfants qui connaissent son existence, et qui craint la lumière, et se nourrit de pensées négatives.

Sans m’attacher aux enfants, j’ai aimé les suivre tout au long du roman et que leurs réactions soient réalistes : leur insouciance, leur imagination débordante, leur amitié, mais aussi la peur qui les paralyse et le courage et la force de l’amitié qui les poussent à traquer le Bonhomme Nuit pour tenter de stopper l’horreur. J’ai été touchée par Maël et Pierre, l’amitié qui les lient, ainsi que la nostalgie de Pierre adulte car il sait ce qu’il lui reste aujourd’hui de cette époque et ce qui lui manque.

Ce qui m’a posé problème se situe à la fin, car j’ai eu cette impression de manque. Je m’explique : nous avons l’impression, au début du roman, d’une double intrigue qui se met en place entre celle du père qui raconte son enfance et ses confrontations avec le Bonhomme Nuit, et celle du fils à qui est destiné le récit. J’ai eu l’impression que ces deux intrigues allaient se rejoindre et que le fils allait devoir affronter le Bonhomme Nuit car il avait recommencé à sévir, mais le récit se conclut simplement sur la fin de l'histoire de l'enfance du narrateur, d’où mon impression de manque. J’ai également été surprise par la présence de la religion, nos héros étant croyants, mais il s’agit plus d’une surprise de trouver cet élément dans un roman contemporain qu’une critique. Dans l’ensemble, j’ai été convaincue par Je suis ta nuit qui se présente comme un roman à la fois touchant, nostalgique, angoissant et délicieusement creepy.


Notre découverte avait fait un sacré raffut, quand nous avions rejoint les adultes, et la nouvelle s'était répandue dans le village à la vitesse de Steve Austin, l'homme qui valait trois milliards. Et pas seulement à Duaraz : d'un bout à l'autre du département, d'après ce que j'avais pu voir dans Ouest-France le lundi. Un mort, c'est banal, mais il n'est pas souvent à poil et tout découpé, c'est ce que j'ai compris en lisant la page où l'on racontait notre macabre découverte. Dans l'article, on parlait de nous : le journaliste disait que le corps avait été retrouvé "par des enfants". J'étais déçu : il n'avait pas mis nos noms. Il parlait seulement de "traumatisme" et de "nuits blanches". Les adultes adorent empêcher les gosses de dormir.

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