lundi 3 mai 2021

Le Lecteur de Cadavres - Antonio Garrido

Inspiré d’un personnage réel, Le lecteur de cadavres nous plonge dans la Chine Impériale du XIIIe siècle et nous relate l’extraordinaire histoire de Ci Song, un jeune garçon d’origine modeste sur lequel le destin semble s’acharner. 

Après la mort de ses parents, l’incendie de sa maison et l’arrestation de son frère, il est contraint de fuir son village avec sa petite sœur malade. Ci se retrouve dans les quartiers populaires de Lin’an, la capitale de l’Empire. où la vie ne vaut pas grand-chose. Il devient un des meilleurs fossoyeurs des « champs de la mort », puis, grâce à son formidable talent pour expliquer les causes d’un décès, il est accepté à la prestigieuse Académie Ming.

 L’écho de ses exploits parvient aux oreilles de l’Empereur. Celui-ci le convoque pour enquêter sur une série d’assassinats qui menacent la paix impériale. S’il réussit, il entrera au sein du Conseil du Châtiment, s’il échoue : c’est la mort.


J’ai trouvé cette petite pépite sur Twitter, évoquée par Juliette Cazes dont j’avais lu l’excellent Funèbre, sur les différents rites funéraires que l’on peut trouver à travers le monde. Rien ne laissait supposer le coup de cœur, pourtant voilà quelques jours que j’ai refermé ce livre et ce roman continue encore de hanter mes pensées, tant il m’a laissé forte impression.


Nous sommes en Chine, au XIIIe siècle, et Ci se prépare à une journée de dur labeur à travailler à la rizière pour son frère aîné, chez qui la famille vit, lui qui pourtant avait su se faire une place et un renom à l’académie de Lin’an et qui se préparait à un avenir brillant aux côtés du juge Feng, qui se préoccupe des affaires criminelles. Malheureusement, un décès dans la famille contraint cette dernière à rentrer au village familial et de suivre les rituels de deuil. Ci doit abandonner ses études et son père son prestigieux travail, pour vivre chez son frère aîné Lu, qui profite de son autorité sur sa famille. Ci se désespère de cette nouvelle vie jusqu’au jour où, alors qu’il travaillait à la rizière, il découvre un cadavre… 


Commence ensuite une longue descente aux enfers lorsque son frère est désigné comme étant le coupable, plongeant la famille dans le déshonneur, la disparition de celle-ci dans un terrible incendie qui ne laisse que Ci comme survivant, avec à sa charge sa jeune sœur à la santé fragile. Pour survivre et subvenir aux soins de sa sœur malade, Ci décide de voyager dans des eaux dangereuses et se mettre au service d’un fossoyeur, un charlatan qui se dit devin, pour travailler avec lui au cimetière en tant que “lecteur de cadavres” pour tenter de déterminer, à travers l’aspect et les blessures du défunt, la véritable cause de sa mort… Un talent qui ne manquera pas de le faire remarquer, d’abord par Ming, professeur à la prestigieuse académie de Lin’an, puis par l’empereur lui-même lorsque des meurtres inexplicables et barbares commencent à empoisonner sa cour… 


Le Lecteur de Cadavres pourrait tout aussi bien s’appeler Les Malheurs de Ci, tant notre personnage principal passe de mésaventure en mésaventure, car l’auteur colle beaucoup d’embûches à son héros qui traverse de nombreuses épreuves, qu’il se relève pour mieux voir une nouvelle complication se mettre en travers de son chemin. En toute honnêteté, j’aurais très bien pu détester cet aspect du roman, et craindre que cela devienne trop répétitif au point de devenir lassant. Il n’en fut rien car ce roman est véritablement passionnant. Malgré son nombre de pages, il se lit très facilement et on est rapidement happé par l’histoire, si bien que les pages se tournent facilement et qu’on est poussé par le désir de connaître la suite. De plus, l’aspect historique du roman est fascinant.


Quel exploit romanesque représentait pourtant ce roman qui s’inspire d’un personnage réel, mais dont nous ne connaissons rien, nous autres Occidentaux, et dont la biographie « ne se limitait qu'à une trentaine de paragraphes extraits d'une douzaine de livres » (p. 722), pourtant il a été réussi avec brio par l’auteur dont on ne peut que saluer l’énorme travail de documentation, tant pour le personnage de Ci Song que les domaines politique, culturel, social, judiciaire, économique, religieux, militaire, etc, de l’époque, et de rechercher toutes les références possibles sur la médecine, l’éducation, l’alimentation, les vêtements, etc. On ne peut que se sentir admiratif face à l’immense travail de recherche déployé par l’auteur qui a également mis à notre disposition, en toute fin de roman, différentes notes concernant la vie réelle de Cí Song, un glossaire des différents mots et significations spécifiques ainsi que les différents livres l'ayant aidé à l'élaboration de ce roman historique si dense.


L’autre force, ce sont ses personnages, notre héros en particulier. On ne peut qu’être admiratif face à Ci qui doit progresser dans un environnement pratiquement toujours hostile, devant se battre pour survivre, qui est prêt à tous les sacrifices pour sa sœur, et ce jusqu'à la dernière page et qui se sort de situations extrêmes grâce à une intelligence hors du commun, une détermination inébranlable et beaucoup de persévérance. Si sa naïveté lui vaut bien des déboires, sa résistance aux attaques physiques (pas ordinaire, puisqu'il est atteint d'une maladie neurologique rare, qui le rend insensible à la douleur au froid et au chaud, ce qui représente à la fois un avantage, lorsqu'il est attaqué par exemple, comme un inconvénient car il ne peut mesurer la gravité de ses blessures la plupart du temps, et les limites à ne pas franchir).

Nous avons également Xu, fossoyeur au cimetière, vivant sur un bateau avec ses nombreuses femmes, un charlatan avare, mais un personnage pas moins dénué d’intérêt malgré le manque d’humanité dont il peut faire preuve, car il est doué dans ce qu’il fait et, s’il n’a pas le talent de Ci, sait s’y prendre avec les cadavres. Je ne peux pas ne pas évoquer Ming, professeur de renom, admiré par ses élèves et surtout Ci, en qui il a vu énormément de potentiel et qui désire lui laisser sa chance, j’ai beaucoup aimé la dévotion qu’ils ont l’un envers l’autre, ce qui prend une signification toute particulière quand [spoiler] on apprend que la préférence de Ming va aux hommes et qu’il est tombé amoureux de Ci, dommage que l'auteur n'ait pas plus exploité cela, même si ce n'était pas le sujet du roman [/spoiler] ainsi que le juge Feng qui a joué de mentor au jeune Ci et dont le rebondissement le concernant m'a vraiment surprise et qui nous montre une facette du personnage qu'on aurait pas imaginé, et qui nous permet de le considérer, ainsi que la première partie du roman, sous un autre regard.


L'autre point positif, c'est quand une véritable enquête débute. L'histoire prend alors une toute autre tournure et devient un véritable roman policier. Enquête, interrogatoires, recherche d'indices, de mobiles et, bien sûr, étude des cadavres. Nous apprenons de nombreuses choses à travers Ci et ceux qui vont contribuer à le former, ce qui nous permet de comprendre ce qu’on peut “lire” sur un cadavre et comment : ce que disent les blessures et hématomes sur les causes de la mort, les indices dévoilés à travers la décomposition du corps, les traces dans les os, les entrailles et comment tout ceci nous donne des indices sur les causes de la mort, l’environnement où cela s’est produit, l’arme utilisée, différencier un suicide ou une mort accidentelle par un meurtre… Bien-sûr, il peut s’avérer nécessaire d’avoir le cœur bien accroché, tant pour certaines scènes d’autopsie mais aussi lors de la description de scènes de tortures dont on peine à imaginer qu’elles ont réellement existé. Ci Song a vraiment su comment analyser, faisant de lui, sans aucun doute, le précurseur de la médecine légiste.


Le suspens est intense, l’intrigue bien ficelée, avec beaucoup de surprises et de retournements de situation, mais en restant toujours logique. On a même des révélations qui m'ont fait apprécier, à rebours, pas mal de ce que je reprochais au début de l'histoire. Comme vous l'aurez compris, ce roman a été plus qu'une excellente découverte mais un coup de cœur pour son ensemble, aussi bien pour le style de l'auteur, l'histoire racontée, le personnage de Ci et le contexte historique qui nous permet d'en apprendre beaucoup sur une période et une civilisation qui nous restent méconnues...


Xu dominait l'observation des cadavres de la même façon qu'il exerçait avec habilité l'interprétation des expressions des vivants. Il savait retourner les corps, trouver des os brisés, deviner les coups de bâton, reconnaître les hématomes, prédire les causes et les origines, et même déterminer le métier des morts qui passaient entre ses mains, comme s'il avait interrogé un vivant. Cela faisait des années qu'il manipulait les cadavres au cimetière, qu'il aidait à l'incinération des défunts bouddhistes et, à ce qu'il disait, il avait même travaillé comme fossoyeur dans les prisons du Sichuan, où les tortures étaient quotidiennes. Une expérience qui faisait défaut à Ci.

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