dimanche 8 novembre 2020

Comme un Allemand en France - Aurélie Luneau, Jeanne Guérout et Stefan Martens.

Ils sont 80 000 en 1941, près d'un million à la veille du débarquement en juin 1944. Issus de tous les milieux et de toutes les régions, certains quittent leur foyer pour la première fois. Cinq années durant, ces Allemands qui occupent la France écrivent à leurs familles, se confient à leurs journaux intimes, croquent leur quotidien dans des calepins, photographient les paysages.

Avec le temps, leurs sentiments évoluent. Les lettres des premiers mois se veulent rassurantes, et même fanfaronnes ; peu à peu, le doute s'installe. Certains ont une foi absolue en Hitler. D'autres [...] sont gagnés par l'empathie et tissent des liens avec les Français.

Il a fallu deux années de recherche en Allemagne pour trouver, sélectionner et rassembler ces écrits complètement inédits en France. Ils renouvellent de manière passionnante notre regard sur cette période. Entre les lignes se dessine un nouveau visage de l'Occupant, plus complexe, plus subtil.

Sous la plume des Allemands, une autre guerre nous est racontée.


Avec le nombre d'ouvrages sur le sujet publiés depuis l'époque même de ce conflit, la Seconde Guerre Mondiale est l'un des épisodes de notre Histoire les plus documentés qui existe. De nos jours, encore, des témoignages se font connaître et des lettres et journaux refont surface. Ici, trois auteurs ont choisi de se pencher sur un sujet méconnu et de nous plonger dans l’intimité des soldats allemands envoyés en France pendant l’Occupation de 1940 à 1944.


C’est un bel ouvrage composé de fac-similés et de photographies d’époque qui illustrent et mettent en valeur les lettres. Les soldats étaient souvent munis de petits appareils photo, leur permettant d’envoyer de nombreux clichés à leur famille pour les rassurer et décrire leur quotidien. Nous découvrons de nombreuses photos des soldats, des villes et des campagnes françaises, de Paris et ses monuments. Il y a parfois même des photos de propagande pour montrer aux Français la bienveillance de l’occupant. Ces photographies donnent l’impression que les soldats font un voyage touristique, d’autant plus qu’ils sont préoccupés par l’achat de nourriture et de vêtements pour leurs familles, comme des souvenirs à leur envoyer.


L’ouvrage est divisé en cinq parties, correspondant aux années de guerre. Nous commençons bien-sûr avec 1940, « Le temps des vainqueurs » où les soldats endoctrinés donnent l’image d’une France peuplée d’habitants oisifs, sales ou paresseux, dont le salut ne peut venir que de l’Allemagne. Pour d’autres, au contraire, cette campagne militaire prend des airs de voyage touristique, ils achètent des vêtements et autres biens pour leurs familles. Il y a peu d’animosité entre l’occupant et l’occupé, Allemands comme Français sont soulagés que la guerre soit terminée et les soldats sont priés d’être courtois afin de mieux se faire accepter des Français. La France est un pays alors désorganisé par la guerre et l’exode des Français qui fuient les zones de combat. Résister à l’occupant est alors loin d’être leur priorité.


Ensuite, 1941, « Heureux comme un Allemand en France », une année charnière où les Français sont victimes de privations et d’interdits (couvre-feu à 23h, contrôle de l’ouverture/fermeture des lieux publics), et commencent à ressentir de l’hostilité envers les vainqueurs. Les Allemands s’installent, souvent chez l’habitant, il y a des rapports courtois mais on sent les premières agitations de la Résistance. Le climat change d’air, les Allemands se retournent contre leur allié russe et en payent le prix, le Japon attaque Pearl Harbor, ce qui déclenche l’entrée en guerre des États-Unis.


Nous passons à 1942, « La confiance ébranlée ». Les soldats allemands racontent être plus fréquemment victimes de l’hostilité de la population. Les persécutions contre les Juifs s’intensifient, de même que les actes de manifestations et les sabotages provoqués par la Résistance, mais les soldats en parlent peu, pour ne pas inquiéter leurs familles. L’Allemagne vit ses premières défaites mais les soldats s’accrochent à la foi d’une victoire de leur pays. Certains ont honte en voyant les discriminations contre Juifs. D’autres racontent leurs rencontres et relations avec les autres Français, donnant presque l’illusion que les auteurs des lettres ne sont pas des soldats mais des civils en vacances.


En 1943, ce sont « Les désenchantements ». Les bombardements s’intensifient sur le Reich pour démoraliser l’armée et détruire leur équipement, la France est également touchée par ces bombardements. Enfin, en 1944, « L’année des vaincus ». Dans cette partie, le débarquement allié occupe les esprits, de plus en plus de soldats sont envoyés en France, l’urgence est de réduire les actions de la Résistance. Les SS se livrent à des pillages et terrorisent les populations, et les soldats allemands refusent d’être associés à de tels actes. Après le débarquement, la libération de Paris, sonnant le glas d’un quotidien partagé entre Français et Allemands depuis 5 ans. Mais leur « aventure » ne s’arrête pas là, car les auteurs de l’ouvrage ont également publié la correspondance des soldats allemands qui se sont retrouvés prisonniers après la guerre.


L’ouvrage est également illustré de croquis des soldats, on y trouve également une chronologie et, avant chaque « chapitre », deux pages d’introduction pour nous permettre de remettre en contexte chaque année de guerre, de 1940 à 1944. Chaque lettre est également précédée d’une courte biographie de l’auteur et un portrait, et ce qu’il est advenu d’eux, nombreux sont ceux qui sont morts sur le front de l’Est. Nous avons très peu de lettres de soldats hauts gradés. Il s’agit essentiellement de découvrir le soldat allemand, non les SS. Ces soldats racontent leur quotidien, leurs pensées à leur famille. Les opérations militaires sont peu décrites (qu’il s’agisse des combats ou de leurs fonctions une fois installés chez l’habitant), censure oblige, et par volonté de ne pas inquiéter leur famille, ainsi on retrouve moins le côté militaire dans ces lettres et davantage le côté personnel car les soldats écrivent à leurs familles, il y a de la tendresse dans ces mots, pour leurs familles qui leur manquent tant.


J’ai trouvé intéressant de découvrir le quotidien et presque l’intimité, les pensées, de ces soldats allemands. Ce sont des hommes au positionnement variable, du francophile au soldat qui croit en l’idéologie nazie, des hommes qui croient à leur combat et d’autres qui deviennent pessimistes, désabusés. J’ai trouvé d’autant plus intéressant le changement de mentalité qui s’opère chez la plupart d’entre eux, le glissement qui s’opère peu à peu : du soldat victorieux en 1940, que reste-t-il en 1944 ? Face aux défaites que connaît le Reich à partir de 1941, aux discriminations contre les Juifs, certains ont honte de porter l’uniforme allemand, deviennent moins sûrs d’une victoire allemande, d’autres conservent leurs convictions jusqu’à la fin et foi en leur Führer. Les descriptions parfois bucoliques et poétiques de 1940 et 1941 font progressivement place à des réalités de plus en plus dures et terre à terre au travers desquelles la lassitude, voire le découragement, transpirent de plus en plus fréquemment, sans oublier leur hantise d’être transféré sur le front de l’Est, combattre les Russes…


J’ai trouvé d’autant plus intéressant le regard que portaient ces soldats à l’encontre des Français, un regard qui variait d’un soldat à un autre. Nous avons ici deux peuples différents qui se rencontrent et c’est une rencontre choc ! On découvre l’image que la plupart des Allemands se sont faits de la France, et qui décrivent une France oisive et décadente avec un peuple paresseux et crasseux, et les Françaises sont décrites comme des prostituées car elles se maquillent, à l’inverse de l’image de la femme allemande dans l’idéologie nazie qui veut que la femme ne travaille pas, ne se maquille pas et reste au foyer. Il y a aussi le choc de certains soldats en découvrant des personnes noires sur le sol français et au sein de son armée. Si certains méprisent les Français, d’autres admirent leur courage face à l’adversité. Des soldats prennent parfois en pitié des Français dans la misère, pendant l’exode de 1940, et leur donnent de la nourriture provenant de leurs rations. Pour la plupart des Allemands, c’est la joie de la découverte de la France, la « Grande Nation », mais surtout Paris, la beauté de ses cathédrales et de ses monuments, les plages françaises et la beauté de ses montagnes et de ses glaciers.


Si je m’attendais à rencontrer le mépris de certains Allemands sur les Français (compte-tenu des circonstances de la Grande Guerre, et leur défaite), j’ai tout de même été surprise par le ton méprisant et le ton péjoratif des soldats, surtout des plus jeunes, à l’égard des Français. Heureusement, et ce fut une agréable surprise, d’autres ont fait preuve d’une certaine sympathie, se sont liés avec les familles les hébergeant, et ont ressenti de la tristesse à l’idée de quitter un pays pour lequel ils se sont attachés. À noter que les soldats pouvaient disposer d’un magazine pour leur donner les bonnes adresses parisiennes, des conseils pratiques, un lexique pour comprendre les Français et que ces soldats ont pu, pour certains, discuter avec des Français et découvrir les préjugés qu’eux-mêmes avaient à l’égard des Allemands.


Comme un Allemand en France est un ouvrage historique riche et intéressant, dont j’ai beaucoup apprécié la lecture et qui m’a donné l’envie de me plonger dans d’autres ouvrages sur la Seconde Guerre Mondiale.


C'est vraiment étrange : le ciel, ici en France, est exactement comme celui de l'Allemagne, et l'herbe et les arbres ont les mêmes couleurs, et les oiseaux chantent comme ceux de chez nous en Allemagne. Il n'y a que les hommes qu'on ne peut pas comprendre. Si seulement tous les gens sur terre parlaient la même langue et pouvaient se parler ! Je me trouve en dehors de la ville, dans un bistrot à l'écart, et à part moi il y a encore quelques Français assis aux tables à côté, buvant leur apéritif. Il y en a un qui essaie de me parler - mais c'est impossible, même en agitant les mains ou en faisant des grimaces. Je voudrais lui poser tant de questions, et lui sans doute de même.

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