En novembre, j’ai souvent l’envie de lire sur la Première Guerre Mondiale, sans doute à cause des hommages du 11 novembre et autres événements liés à cette journée d’armistice. À cette occasion, je me suis penchée sur Au revoir là-haut, que j’ai connu grâce à son adaptation au cinéma en 2017.
Nous sommes en novembre 1918, à la veille de l’armistice. Les soldats de chaque camp ne combattent plus et attendent, depuis leurs tranchées, que soit annoncée la fin du combat… jusqu’à ce que deux éclaireurs français ne soient lâchement assassinés par les « Boches ». En réaction, les Français reprennent les armes contre l’ennemi. Cependant, un soldat nommé Albert Maillard s’aperçoit avec consternation que les deux éclaireurs ont été visés dans le dos ; pas de doute, c’est l’un des leurs qui les a tué et a accusé les Allemands pour reprendre le combat. Alors qu’il en est arrivé à cette conclusion, Albert est poussé dans un trou d’obus par son lieutenant, Henri d’Aulney-Pradelle, le véritable responsable, qui cherche à faire taire Albert, pris au piège dans ce trou qui se recouvre de terre. Alors qu’il sent la mort approcher, il est sauvé in-extremis par un autre soldat de son régiment, Édouard Péricourt. Malheureusement, à peine l’a-t-il sauvé qu’Édouard se retrouve défiguré après s’être pris un éclat d’obus. L’armistice est signé quelques temps après. Albert se jure de rester auprès d’Édouard, hospitalisé et refusant la chirurgie pour réparer son visage. Alors que le monde autour d’eux tente de se reconstruire après la guerre, Albert et Édouard peinent à survivre dans une société qui glorifie ses morts et délaisse les survivants, traumatisés et abandonnés…
Le roman se situe entre la fin de la Première Guerre Mondiale et au début de l’entre-deux-guerres, en 1919 et 1920. Nous suivons différents personnages, certains récurrents à savoir les personnages principaux. Nous avons Albert Maillard, ancien soldat, un homme discret, qui s’inquiète et doute facilement mais loyal, que la guerre a rendu craintif et paranoïaque, qui multiplie les boulots pour survivre, et qui vit « en colocation » avec son compagnon d’infortune. Édouard Péricourt, ancien artiste, fils de la haute-bourgeoisie, homosexuel, devenu une « gueule cassée » après la guerre, et accro aux drogues pour soulager la douleur que son ami Albert peine à lui procurer. Marcel Péricourt, le père d’Édouard, qui éprouve des difficultés dans le deuil de son fils, compte-tenu des rapports conflictuels qu’il a entretenus avec lui, ainsi que Madeleine, sa sœur. Pradelle, sorti de guerre avec des médailles et des honneurs qu’il ne mérite pas. Aristocrate déchu, il signe un contrat avec l’État pour déterrer tous les corps des soldats enterrés à la va-vite pendant la guerre et construire des cimetières militaires. Ce n’est pourtant pas par respect aux morts que Pradelle accepte, mais par cupidité. Avec plus d’un million de morts, c’est une aubaine pour lui de faire fortune et de retrouver sa place dans la société, et pour cela il est prêt à tout…
Affiche du film (2017) |
Au Revoir Là-Haut est un roman que j’ai eu du mal à lâcher, tant les événements s’enchaînent et qu’on s’interroge sur l’issue de tout cela. La plume de Pierre Lemaître est très plaisante, se faisant tour à tour drôle, acerbe ou cynique, parois il fait des apartés pour s’adresser aux lecteurs. Que la situation soit tragique ou amorale, l’auteur parvient toujours à nous tirer un sourire, il affirme « s’être beaucoup amusé » en écrivant ce livre et on le devine très bien, cela se ressent même. L’auteur combine habilement la fiction (l’arnaque d’Albert et Édouard) et l’histoire, à savoir, d’une part, le délaissement de l’État envers les soldats qui ont survécu à la guerre, et d’autre part les magouilles de Pradelle qui s’inspirent de faits réels. Pradelle a employé un personnel incompétent (des Chinois ne comprenant pas le français) pour s’occuper des sépultures françaises, on retrouve des Allemands dans des tombes françaises, des cercueils trop petits ou remplis de terre, le nom sur la tombe ne correspondant pas à celui du soldat enterré, etc. De quoi inspirer du dégoût face à ce manque de respect envers les défunts et leur famille.
Pierre Lemaître nous fait nous plonger dans la fin de la Grande Guerre, la désorganisation suivant l’armistice, et le début de l’entre-deux-guerre avec la misère que pouvaient vivre les soldats démobilisés, quand les pensions d'invalidité n'arrivent pas, pas de dédommagements, la maigre somme proposée à la démobilisation, des soldats qui meurent de faim parce que personne ne veut leur donner du travail ou parce qu'il sont trop handicapés pour travailler. Une France qui souffre, un État qui est désorganisé et ne peut subvenir à la réintégration de ses survivants. Il décrit et analyse bien les événements, les sentiments de ses personnages, mais aussi la société de l’époque. Il nous offre des personnages hauts en couleurs, les personnages secondaires sont aussi très travaillés, entre Marcel Péricourt, ce fonctionnaire de l’État nommé Merlin, Madeleine dont je ne dévoilerais rien de crainte de spoiler.
Parlons un peu de nos personnages principaux. J’ai beaucoup aimé le duo que forment Albert et Édouard, que le destin a réuni en compagnons d’infortunes lorsqu’Édouard a sauvé Albert et ce dernier qui décide de demeurer à ses côtés suite à ce sauvetage mais aussi et surtout parce qu’Édouard s’est retrouvé défiguré. J’ai aimé cette amitié et cette entraide entre eux, malgré les difficultés pour s’en sortir, pour Albert de s’occuper d’Édouard qui se présente malgré lui comme un poids, pour Édouard qui tombe en dépression. L’auteur nous fait le portrait d’un duo atypique, car ils sont comme le jour et la nuit. L'un brillantissime au point de mettre au point une escroquerie d'envergure nationale, l'autre craintif et inoffensif au point de s'excuser lorsqu'on lui marche sur les pieds. C’est pourtant une amitié touchante et hors du commun, car ils n’ont plus grand-chose dans la vie, à part la compagnie de l’autre, sans oublier la jeune Louise, une petite fille qui les accompagne parfois et qui s’est attachée à Édouard. Ce duo fonctionne très bien, au point où, même si leur escroquerie est amorale, on ne peut s’empêcher d’espérer qu’ils vont réussir… ou du moins s’en sortir et vivre une meilleure vie. À contrario, on brûle d’impatience de voir Pradelle, le responsable de leurs maux et pourri jusqu’à la moelle, être surpris dans ses magouilles et payer cher le prix de sa cupidité.
Le genre de chose qu'on aimerait bien faire à Pradelle...
Ce fut une lecture inoubliable. Jusqu’au bout, j'ai été tenue en haleine, justice sera-t-elle faite ? Édouard et Albert réussiront-ils l’arnaque du siècle ? On y croit, on espère, on est tenu en haleine. Il y a de nombreux rebondissements, les événements se succèdent, surprenants et vraisemblables. Le talent de l'auteur s'exprime à chaque page par le rythme donné à l'histoire qu'il raconte, il a un talent indéniable pour maintenir le suspens. C’est un roman si bien ficelé que j’ai eu du mal à le lâcher.
Au revoir là-haut aborde de nombreux thèmes mais celui qui revient constamment est celui du commerce que l’on peut faire de la guerre et même après la guerre car il y aura toujours des profiteurs qui trouveront le moyen de se faire de l’argent sur le malheur des autres, mais aussi sur l'injustice et de l'ingratitude du pays au retour des soldats de la Grande guerre. Des hommes qui ont gagné la guerre mais qui, revenus à la vie civile, ne reçoivent aucune reconnaissance et sont même rejetés. Cet après-guerre traduit un vrai paradoxe, où l’État est plus reconnaissant envers ses morts qu'envers ses survivants, une France ressortie vainqueur de la guerre mais qui est désorganisée, qui préfère glorifier ses héros morts au combat que les survivants, devenus encombrants, pour qui le pays peine à leur trouver de la place, les délaissant dans l’oubli et la misère.
Ceux qui pensaient que cette guerre finirait bientôt étaient tous morts depuis longtemps. De la guerre, justement. Aussi, en octobre, Albert reçut-il avec pas mal de scepticisme les rumeurs annonçant un armistice. Il ne leur prêta pas plus de crédit qu'à la propagande du début qui soutenait, par exemple, que les balles boches étaient tellement molles qu'elles s'écrasaient comme des poires blettes sur les uniformes, faisant hurler de rire les régiments français. En quatre ans, Albert en avait vu un paquet, de types morts de rire en recevant une balle allemande.
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