dimanche 13 décembre 2020

Nous qui n'existons pas - Mélanie Fazi.


« Est arrivé un jour où la fiction n'a pas suffi. »

Aussi curieux que cela puisse paraître, il me semble qu'une des forces de l'œuvre de Mélanie Fazi est que précisément la fiction n'a jamais suffi. Qu'elle a toujours su trouver d'autres biais pour exprimer cette tension personnelle, intime, dont elle nous fait part dans ce livre, et qui est matière de toute sa création.




Je ne sais pas trop de quelle manière commencer cet article… c’est assez délicat de « juger » un livre aussi intime, cependant je tiens à en parler car c’est une lecture qui m’a marqué, dans laquelle j’ai su me reconnaître sans pour autant partager l’expérience de l’auteure car chaque individu est unique et qu’il y a autant d’expérience que de gens sur terre. Toutefois, les mots de l’auteure m’ont parlé, elle a su me toucher, et je me suis sentie… moins seule, dans ce que je ressens, ce que je vis.


Ce livre est un témoignage, dans lequel l’auteure parle d'elle-même, des autres, de ses questionnements, ses souffrances, sa solitude, son mal être, son mode de vie, sa sexualité, sa perception du monde et le décalage qui en résulte et qu’elle détecte très tôt vis-à-vis de son entourage, son expérience modelée par une différence présente en elle depuis longtemps, mais qui fut longue à identifier. Une différence parfois source de souffrance, de doutes, car elle se manifeste sur un « sujet » qui semble, à la majorité d’entre nous, si évident, si naturel. Il s’agit de l’envie d’être en couple, une envie que l’auteure ne comprend pas et ne « possède » pas. Mélanie Fazi considère en effet le fait de vouloir être en couple comme un concept étrange, car elle ne comprend pas l’attrait et le besoin de se mettre dans cette cas. Elle n’en a jamais ressenti le besoin, sa vie lui convient comme elle est, et elle ne trouve pas qu’il y a un manque dans sa vie.


Cependant, comme Mélanie Fazi nous le raconte, c’est une différence qui est difficile à vivre et à expliquer dans une société où vivre en couple est une normalité, quelque chose de banal et universel et que c’est davantage le fait de ne pas vouloir vivre en couple qui est considéré comme étrange. La majorité des individus aurait en effet tendance à croire que de ne pas se mettre en couple est un choix prit par dépit, parce qu’on se lasse de chercher la bonne personne, parce qu’on a vécu des déceptions amoureuses, parce qu’on a vécu quelque chose de traumatisant dans notre passé qui nous fait refuser cette intimité. Le fait est que... ce n’est pas forcément le cas. C’est quelque chose que l’auteure, ainsi que d’autres personnes, ne souhaitent pas, simplement parce que c’est pour une notion étrangère, voire absurde. C’est quelque chose qui ne les attire pas, et ce n’est pas forcément parce que quelque chose est arrivé. Ce n’est pas un manque non plus, puisque l’auteure n’a jamais ressenti de manque, comme elle n’a pas ce désir de se mettre en couple. Il ne s’agit pas non plus d’un blocage, car le blocage est une envie contrariée, ne pas pouvoir faire ce qu’on voudrait faire, ce qui n’est clairement pas le cas chez elle.


J’aurais aimé pouvoir dire : moi aussi, j’ai connu tout ça. J’aurais aimé me savoir « normale » et ne pas avoir à me cacher. La société n’est pas tendre avec ceux qui sortent du rang ; on n’a pas envie de subir les regards moqueurs ou navrés, d’être qualifiée de coincée, de frigide, de vieille fille.


L’amour romantique est un sujet universel, bien difficile à esquiver en société ! L’auteure nous évoque les remarques blessantes du quotidien sans mauvaise intention car les personnes autour de nous ne savent pas de quelle manière ces mots résonnent en elle, en nous. Par exemple, ses amies parlant de leur couple et s’attendant à ce qu’elle fasse de même, le médecin ou gynécologue qui demande la date du dernier rapport sexuel, des questions de contraception, et devoir expliquer pourquoi on en utilise pas. Il y a aussi ces personnes qui disent que c’est simplement parce qu’on a pas assez cherché, qu’on a pas encore trouvé le bon alors qu’on attend simplement qu’on nous dise : « Ce n’est pas un problème », qu’il était réellement possible de ne pas souhaiter ce genre de relation et que l’image populaire de la célibataire qui vit seule avec ses chats le fait par choix, parce que c’est ce qu’elle désire et que c’est ainsi qu’elle peut vivre en paix avec elle-même et non par dépit, non pas parce qu’elle a mal tourné ou parce qu’elle fait fuir le reste du monde.


Cela ne veut pas dire que les personnes comme l’auteure sont asociaux pour autant, comme Mélanie Fazi l’explique : elle a besoin de la présence des autres, de relation d’amitié, de moments partagés avec ses proches, tout comme elle a un besoin tout aussi important de solitude. La solitude n’est pas une chose nécessairement triste comme le veut l’image populaire, mais comme un besoin vital. C’est quelque chose de naturel pour elle.


Elle nous parle de son incompréhension, depuis l’enfance, de ne trouver que des récits qui se terminent en histoires d’amour, pourquoi les filles regardent les garçons (ou d’autres filles), comment la plupart des chansons aborde l’amour romantique car c’est universel, comment chaque histoire comprend une histoire d’amour pour être complète et que, si la romance n’est pas le cœur du sujet, les personnages seront déjà en couple ou désolés de ne pas l’être, que la plus belle chose qui puisse arriver au héro est de trouver son âme sœur, comment les personnages de fiction seuls le sont parce qu’ils ont “un problème”, qu’ils sont immatures, tordus, ridicules ou dangereux ou parce que la vie les a brisé. Que peut-on alors en déduire ? Quel message cela donne aux personnes comme Mélanie Fazi ?


L’auteure nous raconte alors comment elle a essayé de faire comme les autres filles, d’imiter leurs discours pour s’intégrer aux conversations ou d’essayer de se projeter dans ces situations qu’elles semblent toutes rêver, mais elle s’est rendue compte que cela sonnait faux, et que cette situation ne l’intéresse pas.


Elle nous parle alors de ses questionnements. Pourquoi tout ça semble naturel aux autres et pas à elle ? Pourquoi les autres y arrivent mais pas elle ? Elle nous évoque son angoisse lorsqu’elle s’est rendue compte que, plus elle avance dans l’âge, plus ce “problème” n’est pas réglé et cela lui pèse puis l’acceptation qu’elle n’aurait jamais envie d’être en couple, sans toutefois se défaire de cette envie de savoir : comment ça fait d’être en couple, d’aimer et de vivre avec quelqu’un, le plaisir qu’on a, pourquoi ce besoin. Elle nous parle de sa dépression, de ses séances avec une thérapeute ouverte et chaleureuse, à l’écoute, qui ne juge pas sa différence mais qui l’a encouragé à respecter cette particularité plutôt qu’à l’effacer.


Elle nous parle aussi de la découverte de son attirance pour les femmes, mais comment elle ne cherche pas de relation pour autant ou d’aventure d’un soir. Elle se pose des questions d’identité, sur l’homosexualité, mais aussi des questions de genre (comment elle se sent plus féminine en cessant de porter des robes et des talons par exemple). Elle nous confie ses doutes et ses questionnements, elle se demande comment se qualifier de lesbienne alors qu’elle n’a eu aucune relation avec une femme et n’en a aucune envie. Elle parle également des étiquettes. Certains se demandent à quoi bon s’affranchir d’une norme pour en endosser une autre, puis elle y répond : parce que c’est rassurant, tout simplement, de ne pas être seul, de ne pas être une bête curieuse, que ce qui nous arrive est normal, différent mais normal, l’étiquette donne le droit d’exister.


Lire ses mots m’a réconforté, m’a fait me sentir moins seule. Je me suis retrouvée plusieurs fois dans ses propos, dans son expérience, ses peurs, ses doutes, ses questions, son mal-être. Ce témoignage m’a parlé et m’a beaucoup touché, l’écriture et la publication de ce livre n’ont pas du être facile pour elle tant ce témoignage est intime, ce n’est pas aisé de se mettre à nu, ainsi je la remercie pour ce livre car grâce à elle et son témoignage, je me sens moins seule, et je sais qu’il y a des personnes comme nous qui existons et qui revendiquent leur différence.


J’ai aimé découvrir son rapport à l'écriture, aux livres, le cheminements de ses pensées, la manière dont elle nous présente les choses. En bref, c'est une autobiographie touchante,  juste, intime, pleine de sensibilité, qui fait la lumière sur de nombreux sujets qui ne sont pas facilement abordés.


La différence dont je vous parle tient à l’absence d’une petite chose très bête que tout être humain est censé posséder : une pulsion considérée comme la chose la plus universelle et la plus banale au monde. Celle qui pousse à chercher un partenaire, à désirer la vie de couple, les relations charnelles, celle qui incite à fonder une famille. La recherche de l’âme sœur, si vous voulez. Après tout, les contes de fées de notre enfance se terminaient toujours quand nos héros partaient vivre heureux et faire beaucoup d’enfants.

C’est un présupposé très fort, admis par tous : l’être humain a besoin de nourriture, d’oxygène et d’une vie de couple. Il en a toujours été ainsi.

Alors que faire, et comment vivre, quand vous ne vous y reconnaissez pas ?

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