vendredi 4 décembre 2020

Peau d'Homme - Hubert et Zanzim.

 


« Les femmes de notre famille, nous avons un secret, nous avons en notre possession une peau d’homme. Nous l’appelons Lorenzo. Une fois la peau revêtue, nul ne peut se douter que tu n’es pas un garçon. Ainsi, tu pourras voyager incognito dans le monde des hommes. »







Je débute le Cold Winter Challenge avec Peau d’Homme. À l’origine, je voulais lire cette bande-dessinée pour le Pumpkin Autumn Challenge, ayant eu l’occasion de retrouver ce titre plusieurs fois parmi les lectures des participants.es. Je n’en ai cependant pas eu l’occasion de le lire, tout simplement parce que ce livre était sans cesse emprunté et sur liste d’attente mais tout vient à point à qui sait attendre, et j’ai pu l’emprunter pour le Cold Winter Challenge. Une fois ce titre lu, je peux comprendre l’engouement des lecteurs et des lectrices, car Peau d’Homme s’est révélé être un coup de cœur !


Dans l’Italie de la Renaissance, Bianca, une jeune femme de bonne famille, doit épouser Giovanni, un riche marchand, jeune et séduisant. Un mariage arrangé, comme cela se fait à l’époque. Si Bianca accepte de se plier à la décision familiale, elle exprime son regret de ne pas avoir pris le temps de connaître l’homme qu’on lui destine avant leur mariage qui approche à grands pas. La voyant si morose, sa marraine lui propose de passer quelques jours chez elle pour lui changer les idées. Ce séjour sera l’occasion de dévoiler à sa filleule un secret de famille transmis par les femmes : une peau d’homme, conservée dans une malle. Puisque Bianca regrette de ne pas connaître son fiancé, sa marraine lui en offre l’opportunité : en revêtant cette peau, Bianca devient un homme séduisant, à la peau halée et aux cheveux de jais nommé Lorenzo. Désormais un homme, Bianca est libre de visiter le monde des hommes et apprendre à connaître son fiancé dans son milieu naturel.




C’est sur ce concept original que les auteurs nous offrent une histoire dense et passionnante. En lisant cette histoire, je m’attendais alors à un récit où l’héroïne évolue dans l’univers des hommes pour y vivre des aventures rocambolesques avant d’avouer la vérité à son promis qui finit par l’aimer malgré ce secret. De ce côté-là, les auteurs ont su me surprendre ! Il ne s’agit pas seulement d’une histoire où Bianca découvre l’univers des hommes, c’est un prétexte pour véhiculer des messages intéressants et encore d’actualité sur la place de la femme, la recherche de sa sexualité, la liberté de vivre et d’aimer comme on le souhaite. Je ne m’attendais pas à trouver une telle richesse dans ce livre quand je l’ai commencé.


L’héroïne, Bianca, évolue dans une société où la femme n’a pas son mot à dire car la Bible dit qu’elle a été créée comme inférieure à l’homme. Dans ce contexte, difficile d’évoluer en tant que femme ! Pourtant, Bianca se révèle être une jeune femme instruite, intelligente, perspicace et elle a des idées qu’elle compte bien défendre et Lorenzo va l’aider en ce sens ! Après un premier essai peu concluant, Bianca découvre bien vite qu’elle ne peut résister à l’envie de redevenir Lorenzo car Lorenzo lui permet de s’affranchir des limites imposées aux femmes, et lui donne la liberté et la possibilité de découvrir l’amour et la sexualité... Lorsqu’elle revêt la peau d’homme, cela lui permet non seulement de découvrir un monde inconnu ainsi que son fiancé, mais aussi de réaliser le fossé entre l’attitude que la société exige des hommes et des femmes. En tant que Lorenzo, Bianca est libre d’aller et faire ce que seuls les hommes sont censés pouvoir faire, elle se révèle progressivement à elle-même. Elle devient alors, grâce à un caractère trempé, engagé et moderne pour l’époque, une femme qui revendique ses opinions en s’opposant à la condition du « sexe faible » : non, les femmes ne sont pas nées pour être soumises, non elles ne sont pas sources de vices mais plutôt le regard porté sur elle, non elles n’ont pas toutes le dégoût pour « la chose ».


« Et alors ? J’ai un corps et je n’en ai pas honte. En soi, il n’est ni bon ni mauvais. Ce n’est pas lui le problème : c’est ton regard qui est sale ! »


Devenir Lorenzo donne également à Bianca l’assurance de prendre des initiatives, d’être plus entreprenante mais aussi de revendiquer ses idées, poussant les gens autour d’elle à s’interroger et à évoluer. Ce qui ne veut pas dire que Bianca s’efface au profit de Lorenzo car c’est justement cette liberté qu’elle a goûtée en tant que Lorenzo qui va l’aider à exprimer son opinion et son mécontentement alors que les autorités religieuses durcissent le mode de vie de sa ville. Si Lorenzo devient un défenseur des droits, c’est Bianca qui devient une activiste forte et déterminée. C’est un personnage que j’ai beaucoup aimé, aussi bien en tant qu’homme que femme.


Son fiancé puis mari Giovanni n’est pas en reste pour autant. C’est avec lui que tout démarre. J’ai trouvé intéressant son évolution au cours de l’histoire. L’homme que Bianca découvre est d’abord imbu de lui-même, mais il va se révéler être un homme doux et touchant sous les yeux de Lorenzo et une relation très tendre et intime va se nouer entre Giovanni et Lorenzo, un autre élément à m’avoir surprise. J’ai pris beaucoup de plaisir à voir évoluer cette relation avec, en parallèle la relation Bianca/Giovanni, tout en m’interrogeant… Bianca va-t-elle révéler son secret à Giovanni ? Comment la relation entre Lorenzo et Giovanni va-t-elle évoluer et s’achever ? Combien de temps les escapades de Bianca en tant que Lorenzo allaient continuer ? Si je n’ai pas su deviner le dénouement et que j’aurais aimé… un peu plus de… mais au final, je ne suis pas mécontente et peut-être était-ce la meilleure façon de terminer le récit, avec nos deux personnages principaux libres de faire ce qu’ils souhaitent et en paix avec eux-mêmes et entre eux, et entretenir une relation entre complicité et affection...




Au-delà d’un récit féministe, les auteurs nous livrent également une histoire engagée, promulguant une liberté des mœurs et une liberté d’aimer au sens large, c’est une ode à la tolérance, à la découverte de la sexualité et du corps mais aussi à la vie et l’amour libres, car les protagonistes ne peuvent pas assumer pleinement leur sexualité ou leurs envies, sous peine d’être traités en hérétiques par une société puritaine qui n’accepte que le mariage religieux. Cette religion, c’est Fra Angelo, le frère de Bianca, qui la représente, un prédicateur souhaitant bannir toute forme de nudité et les œuvres d’art la représentant, un moralisateur rejetant le sexe, la luxure et la concupiscence, et qui s'attaque d'abord et avant tout aux femmes "pécheresses", et qui cherche par tous les moyens à imposer la "bienséance morale". Et, comme Bianca, on a envie de le secouer un bon coup en espérant lui remettre les idées en place, et s’insurger face à cet obscurantisme.


« - Les bravades, c’est bien joli, mais parfois il faut savoir faire profil bas.

- Et laisser les hypocrites et les bigots gagner parce que tout le monde baisse la tête ? »


Les auteurs n’ont pas cherché à faire d’opposition entre les hommes et les femmes, alors qu’il aurait été si facile de le faire, même accidentellement, et c’est un point que j’ai beaucoup apprécié. Le récit nous illustre bien une société et le rôle qu’elle veut attribuer aux femmes, mais aussi ce qu’elle attend des hommes et ce qu’elle ne souhaite pas voir.


Pour conclure : c'est en lectrice comblée que je referme ce livre, que j'ai déjà envie de relire et de partager mon amour pour cette œuvre. C'est une excellente découverte que je conseille à tous et à toutes !




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