En expédition vers le pôle Nord, Robert Walton adresse à sa sœur des lettres où il évoque l'étrange spectacle dont il vient d'être le témoin depuis son bateau : la découverte, sur un iceberg, d'un homme en perdition dans son traîneau. Invité à monter à bord, Victor Frankenstein raconte qu'il n'est venu s'aventurer ici que pour rattraper quelqu'un - qui n'est autre que la créature monstrueuse qu'il créa naguère, et qui s'est montrée redoutablement criminelle.
Paru en 1818, Frankenstein est né deux ans plus tôt sur les rives du Léman, un jour où Lord Byron proposait à quelques amis, dont le poète Shelley et son épouse Mary, que chacun écrivit une histoire de spectre. Ce roman fantastique annonce la science-fiction et, depuis deux siècles, n'a cessé de susciter un sublime effroi - de terrifier, et surtout de séduire.
À l’instar de Dracula et autres figures mythiques de l’horreur, Frankenstein a été immortalisé par les films d’Hollywood, vivant beaucoup d’aventures et connu plusieurs et diverses versions, si bien que l’on peut douter de connaître la version originale, celle née de la plume de l’auteure. Rien ne laissait pourtant présager une lecture de ce roman, car la créature de Frankenstein n’a jamais attisé chez moi la moindre curiosité jusqu’à récemment. En revanche, plus j’en apprenais sur l’auteure, Mary Shelley, plus je trouvais sa vie fascinante, elle-même digne d’un roman, ce qui m’a amené à vouloir découvrir l’œuvre de sa vie, et quelle plus belle occasion de découvrir ce classique qu’avec le Pumpkin Autumn Challenge, dont le menu « Nom d’une dune » proposait l’un des mots-clés « science-fiction », dont Frankenstein est l’une des œuvres les plus représentatives.
Ce n’est pourtant pas avec Frankenstein que nous débutons le roman, mais avec Robert Walton, capitaine d’un navire voguant dans les eaux glacées du pôle nord, où il y fera une découverte surprenante, celle d’un homme à la dérive, sur un iceberg, et les restes de son traîneau. Recueilli à bord du navire, l’homme professe être Victor Frankenstein qui lui explique traquer un monstre et décide de conter son histoire à Walton, afin de lui expliquer les raisons de sa présence sur les plaines désertes du pôle nord, et des mésaventures que rien ne laissait présager au départ… Victor Frankenstein était alors un jeune homme heureux, ayant grandi dans un foyer aimant. Alors qu’il étudiait à l’université, il s’est pris de passion pour les sciences et la philosophie, s’interrogeant sur la vie et la mort, et son obsession de l’être parfait. Pétri d’orgueil, il avait alors décidé de créer l’homme parfait. La Créature est née, mais elle n’est rien de ce que Frankenstein escomptait et, pris de terreur, fuit son laboratoire, laissant dans la nature une Créature qui ne connaît rien du monde des hommes...
Lorsque l’on pense à Frankenstein, on imagine un savant fou, scandant des « IT’S ALIVE ! IT’S ALIVE ! » ou bien à une créature monstrueuse aux paroles inintelligibles. Pourtant, Victor Frankenstein n’est qu’un jeune étudiant, intelligent et sensible, orgueilleux et parfois égoïste, irresponsable, facilement en proie à ses tourments et aux lamentations suite à la création de sa Créature, et la Créature est un être éloquent, doué de sensibilité, d’intelligence et de bonté, que le rejet de son propre créateur puis des autres hommes, malgré ses bonnes intentions et tentatives de se rapprocher et se lier avec les autres, ont poussé à faire des actes cruels et de destruction. Mary Shelley
Il y a un aspect tragique quand on considère la Créature de Frankenstein, qui était toute disposée à la vertu et à la bonté, que la cruauté des hommes a détruit et jeta dans une vie de crime et de destruction. Je n’irai pas jusqu’à dire que la Créature est un ange de bonté, un être incompris, et que la faute revient aux hommes et à Frankenstein, bien que leur part de responsabilités soit lourde, car si ses malheurs et l’injustice dont elle est victime provoquent notre compassion, elle nous interpelle dans son basculement dans le mal. Incapable de gérer sa frustration et sa tristesse, la créature décide de se venger en s’en prenant aux proches de Frankenstein, au lieu de s’en prendre directement à ce père incapable, il s’attaque à son entourage.
Malgré tout, on ne peut pas s’empêcher de ressentir beaucoup d’empathie pour la Créature, incroyable de par son improbable création et les qualités dont elle est dotée, qui est sans cesse victime par l’injustice, les préjugés sur les apparences, le rejet, la solitude… C’est donc sans surprise que je me suis davantage attachée à elle qu’à son créateur, Vincent Frankenstein, qui s’est détourné de sa création au moment même où il atteint son but, après des mois de travail acharné (je n'irais pas jusqu'à dire que je déteste ce personnage, j'ai pris plaisir à le suivre et découvrir son histoire, bien que je lui préfère Robert Walton qui est amusant dans son admiration pour Frankenstein, haha, presque un vrai béguin).
Parce qu’elle l’effraie et qu’elle n’est pas conforme à ses vœux, Frankenstein n'assume pas l'échec de son expérience ni ne cherche à réparer le mal qu'il cause à cet être inexpérimenté et inconscient des usages humains. Il a tellement baigné dans son orgueil, sa certitude et sa volonté de créer un être pour savoir s’il pouvait le faire, qu’il ne s’est rendu compte des conséquences de ses actes qu’une fois sa créature achevée et éveillée. J’aurais souhaité, quitte à ce que Frankenstein rejette sa créature, il y ait un autre motif que sa laideur ou, mieux, qu’il essaye de ressentir un tant soit peu d’empathie pour sa créature, et je regrette beaucoup qu’il ait été si rebuté par l’apparence de sa créature que cela l’ait empêché de se rapprocher d’elle, d’essayer de réparer ses torts, lui qui s’est montré être, à de nombreuses reprises, loyal envers ses êtres chers, sensible, laissant libre cours à ses émotions.
Toutefois, Frankenstein et sa créature nous offrent une relation intéressante, complexe et tragique entre un créateur et sa créature, presque un père et un fils, dont le lien ne s’est pas formé et dont le manque d’amour donne place à une relation entre deux ennemis au fur et à mesure que l’on avance dans l’intrigue. Malgré cet antagonisme, le créateur ne peut vivre sans sa créature et, même après Victor Frankenstein, la Créature ne reste pas insensible à son absence et n’a plus de but dans sa vie, et décide de l’achever. L’un n’existe pas sans l’autre, c’est une relation que j’ai trouvé fascinante et complexe.
Frankenstein, interprété par Boris Karloff |
Un avertissement qui évitera peut-être des déceptions, car la culture a fait de cette histoire un récit d’horreur : Frankenstein n’est pas une histoire scientifique ou une histoire d’horreur, du moins selon les standards de l’époque (d’ailleurs, l’électricité et les orages, s’ils sont présents et ont participé à la création de la créature de Frankenstein, ne sont que peu mis en avant et Victor a choisit de ne pas décrire avec exactitude les étapes de la création, pour emporter son secret dans sa tombe et éviter ainsi que d’autres malheureux ne fassent comme lui), l’histoire est plutôt philosophique qui pousse davantage à réfléchir qu’à frémir. C’est une histoire sombre dans son thème, pas dans sa représentation, car elle aborde des sujets sensibles sur l’existence, le manque d’amour, le rejet de la société basé sur les apparences et des préjudices, et l’apprentissage dans un monde souvent impitoyable…
Mary Shelley aborde également divers thèmes qui se complètent ou s'opposent : la science et la religion - c’est au début dans un but louable de progrès que Frankenstein utilise la science pour apporter un bienfait à l’humanité, mais à se prendre pour Dieu, il provoque au contraire des effets néfastes ; la paternité et ses responsabilités (le rejet de Frankenstein, la Créature qui se retrouve sans personne pour la guider, et qui a dû apprendre à lire, parler, se nourrir, à survivre seule, ce qui était d'ailleurs intéressant à découvrir : son apprentissage et sa découverte du monde, et comment elle a du apprendre à s'en sortir seule et par quels moyens) ; les apparences et les préjugés ; la vertu et le vice.
Ce qui m’a également surpris dans ce roman, c’est l’omniprésence de la nature. Des plaines glacées et désertes du pôle nord aux hautes montagnes enneigées de la Suisse, la nature règne en maître dans l’histoire. Victor Frankenstein s’y réfugie souvent afin d’essayer de calmer ses tourments ou d’y réfléchir, et sa Créature s’y cache, loin du regard des hommes. Mary Shelley nous peint des paysages quasi idylliques de la Suisse et de la montagne, ses glaciers, ses lacs, ses plaines verdoyantes. Elle nous y fait voyager, et on devine sans peine qu’elle-même y a déjà voyagé souvent.
J'ai pris plaisir à découvrir ce roman et de connaître la véritable histoire de Frankenstein et sa créature, c'est un texte fascinant qui, même s'il est un classique, reste très accessible, avec une plume travaillée et fluide à lire et des thèmes bien trouvés.
La Créature, réclamant un câlin |
Pourquoi respecterais-je l'être humain quand il me méprise ? Qu'il vive donc en harmonie avec moi. S'il y consentait, loin de lui nuire, je lui ferais tout le bien possible, et c'est avec des larmes de joie que je lui témoignerais ma reconnaissance. Mais cela ne peut être. Les sentiments des humains se dressent comme une barrière pour empêcher un tel accord. Jamais pourtant je ne me soumettrai à un aussi abject esclavage. Je me vengerai du tord que l'on me fait. Si je ne puis inspirer l'amour, eh bien, j'infligerai la peur, et cela principalement à vous, mon ennemi par excellence. Parce que vous êtes mon créateur, je jure de vous exécrer à jamais. Prenez garde ! Je me consacrerai à votre destruction, et je ne serai satisfait que lorsque j'aurai plongé votre cœur dans la désolation, lorsque je vous aurai fait maudire le jour où vous êtes né.
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