samedi 18 septembre 2021

Vampyria (T.1) La Cour des Ténèbres - Victor Dixen.


 « Tu vas t’épanouir à Versailles telle une fleur exotique. Les vampyres du palais raffolent de tout ce qui sort de l’ordinaire. Mais attention : la Cour des Ténèbres a ses codes, ses pièges mortels, et le moindre faux pas s’y paye au prix du sang… »

En l’an de grâce 1715, le Roi-Soleil s’est transmuté en vampyre pour devenir le Roi des Ténèbres. Depuis, il règne en despote absolu sur la Vampyria : une vaste coalition à jamais figée dans un âge sombre, rassemblant la France et ses royaumes vassaux. Un joug de fer est imposé au peuple, maintenu dans la terreur et littéralement saigné pour nourrir l’aristocratie vampyrique.

Trois siècles plus tard, Jeanne est arrachée à sa famille de roturier et catapultée à l’école formant les jeunes nobles avant leur rentrée à la Cour. Entre les intrigues des morts-vivants du palais, les trahison des autres élèves et les abominations grouillant sous les ors de Versailles, combien de temps Jeanne survivra-t-elle ?


Devant vous, la raison première de mon choix de lecture : la couverture. Elle attire aisément le regard avec cette poignée de porte dont la décoration ressemble à un masque à l’effigie du Roi Soleil, sur fond sombre, dont les extrémités montrent une bouche dévoilant des crocs ensanglantés et, au-dessus de la figure, une rose et une main décharnée, des détails qui ne sont pas là par hasard...

Ensuite, l’histoire.

Et si Louis XIV n’avait pas disparu en 1715 mais avait été transmuté en vampire ? Si, du Roi Soleil, il était devenu Roy des Ténèbres, transformant radicalement le visage du royaume… ainsi que sa noblesse et le peuple. C’est l’uchronie que nous propose Victor Dixen dans ce premier tome d’une série de deux, à ce jour.

En lisant le résumé, je m’attendais à l’histoire d’une jeune fille arrachée à sa famille pour étudier dans une académie pour nobles contre son gré, ce qui m’attirait un peu moins, mais il s’agit de bien plus. C’est une histoire de vengeance, d’une société figée dans le temps, d’un monde sombre et impitoyable, séparé entre mortels et vampires. C’est l’histoire de Jeanne, dont la famille de roturiers a été sauvagement assassinée devant ses yeux sous les ordres du Roy, pour avoir été alchimistes en secret. En fuite avec son frère, ils espèrent trouver refuge auprès de Diane de Gastefriche, fille du baron local, mais tout ne se passe pas comme prévu et son frère, ainsi que le baron et sa fille se retrouvent assassinés. Seule survivante du massacre, Jeanne tente un coup osé… elle prétend être Diane de Gastefriche afin d’être épargnée. Elle est récupérée par Alexandre de Mortange, vicomte et vampire de son état, qui la prend sous son aile, et devient pupille du Roy, destinée à rejoindre une académie formant les jeunes nobles avant leur entrée à la Cour… L’occasion parfaite pour Jeanne d’intégrer le nid de serpent pour pouvoir comploter sa vengeance : tuer le responsable du massacre de sa famille, le Roy.

J’ai pris beaucoup de plaisir à suivre l’histoire. L’intrigue est prenante et ne nous emmène pas toujours là où l’on pense. Je m’attendais à une intrigue construite autour d’une héroïne dans une école pour nobles mais il s’agit de bien plus. Nous sommes entraînés dans une histoire palpitante de survie, de vengeance, de découverte d’un monde à la fois familier et étranger où les vampires règnent en maîtres… et nous sommes loin des vampires classiques que l’on retrouve dans les romans Young Adult, pour mon plus grand plaisir. L’écriture est plaisante, et on va de rebondissement en rebondissement, même dans les temps les plus calmes se situant à l’académie par exemple, on suit l’histoire avec beaucoup de plaisir tant l’univers est intéressant et que l’on se demande où l’auteur va nous mener.

J’ai même pris plaisir à découvrir les enseignements que Jeanne va suivre : des leçons de bonnes manières, combat à l'épée, art de parler, galanterie, équitation… mais aussi sur la société des vampires. Lors de cette formation, Jeanne va faire la rencontre de plusieurs pensionnaires et tisser des liens avec eux, mais aussi découvrir le personnel des lieux comme les gardes, des enseignants, des gouvernantes. Elle va aussi faire la rencontre de certains vampyres dont la cruauté n'a d'égale que leur soif de sang. Ce roman est plein de surprises. L'univers est riche et bien développé. On ne peut pas le résumer à une simple histoire de vampires. Il y a un peu ça, évidement, mais aussi un aspect historique et même un aspect horrifique avec la présence des vampires bien-sûr, mais aussi des créatures sanguinaires, voire même des objets, qui ont soif de sang.

Outre l’intrigue, la force du roman est son univers.

J’avais peur d’un cadre moderne, voire futuriste, qui effacerait l’aspect historique de la société dans laquelle Louis XIV a vécu de son vivant. Toutefois, l’auteur nous décrit une société comme figée dans le temps de l’Ancien Régime. Une société qui a gardé les codes de l’époque de Louis XIV avec la population divisée dans une hiérarchie bien codée. Tout en haut de l’échelle, le Roy puis la Haute Noblesse composée de vampyres, la seule classe immortelle, puis la faculté hématique composée de docteurs se spécialisant dans la recherche, le sang, etc, puis la basse noblesse et enfin le peuple, les roturiers. Cette société, c’est la Magna Vampyria où les roturiers naissent et demeurent sous la protection des vampyres, en contrepartie ils leurs doivent une soumission totale, doivent respecter un couvre feu, chaque mois ils doivent payer l’impôt du sang (ils ont ainsi pour obligation de verser un peu de leur sang), en cas de refus, c’est la mort. Mais, comme souvent dans les dystopies mettant en scène une société divisant sa population, il existe des révolutionnaires œuvrant dans l'ombre. Pour l'heure, le sujet est encore peu développé, mais suffisamment abordé pour m'avoir intriguée.

C’est également une société où ce ne sont pas seulement le Roy et la Noblesse qui ont changé en devenant des vampyres. L’auteur a crée un univers riche, sombre et fascinant dans lequel des roses vampyriques ont été crées et s’ouvrent si on leur verse du sang, des épées qui attirent le sang de l’adversaire, des arbres gorgés de sang, des juments sanglantes qu’il est difficile de dompter et malheur au cavalier qui chute car elles n’en feraient qu’une bouchée ! Si l’univers de la noblesse et celui de la Cour pouvaient être impitoyables par le passé, c’est devenu bien pire maintenant que ses membres sont des vampyres, se nourrissant de sang humain et participant à de véritables chasses humaines. L’auteur nous annonce la couleur dès les premières pages de son roman, c’est une histoire sombre avec des scènes parfois horrifiques. Sans être impressionnable, j'ai d'ailleurs trouvé qu'il fallait avoir le cœur bien accroché sur certains passages.

Ensuite, les personnages.

Jeanne, l’héroïne. J’ai pris beaucoup de plaisir à la suivre, découvrir en même temps qu’elle l’univers dans lequel elle va devoir évoluer et les codes qu’elle doit apprendre pour survivre dans ce monde des Ténèbres. On ne peut qu’être touché par la tragédie qu’elle a vécu, la voir se relever et préparer doucement mais lentement sa vengeance. C’est un personnage intelligent, déterminée, forte et elle doit l’être dans l’univers dans lequel elle doit évoluer. Le paradoxe fait que j’ai trouvé intéressant de voir un personnage comme Jeanne, qui se démarque de beaucoup de romans YA. Elle est dépeinte comme un personnage ni blanc ni noir, capable de tout pour atteindre ses objectifs, quitte à trahir ses alliés et ses amies, voire même à tuer des tierces personnes, et de montrer combien dans une vengeance il faut être prêt à tout, autant je l’ai parfois trouvé insupportable dans sa manie à n’en faire qu’à sa tête, avec des décisions souvent contestables, et ne se soucier de rien d’autre que sa vengeance, sans égard pour ses alliés et ses amies qui ont placé en elle leur confiance, n’avoir la vengeance que comme fil conducteur. Après, il ne s’agit que du premier tome d’une série et c’est un personnage qui ne demande qu’à évoluer au fil de l’histoire, donc j’attends de voir ce que l’auteur a en réserve pour elle (mais pourquoi des cheveux gris ??) !

Toutefois, je déplore un peu les facilités qu’elle rencontre. Elle commence son histoire de façon brutale et tragique et on ne peut que ressentir de l’empathie pour elle, mais chaque fois que son identité est compromise ou découverte, elle s’en sort, et le plus souvent parce que les personnages sont charmés par elle [spoiler] son amie Naoko découvre son mensonge ? Ce n’est pas grave, c’est son amie et elle va préserver son secret. Tristan, un garçon de l’académie, découvre qu’elle est roturière et non noble ? Ce n’est pas grave, il l’aime et il va même l’aider dans sa vengeance. Elle ment et invente une vie avec un personnage, le condamnant à une punition ? Ce n’est pas grave, il l’aime et ne lui en veut pas du tout [/spoiler], en soi ce n’est pas si grave que ça, c’est pas le pire défaut que j’ai pu trouver dans ce roman qui m’a beaucoup plu, disons que ce sont des petits points à m’avoir un peu frustré, voire agacé.

Les personnages secondaires ne sont pas en reste. J’ai notamment bien aimé Naoko, dont le sombre secret est original et intéressant (je me demande d’ailleurs si l’auteur en reparlera par la suite) et Proserpine/Poppy qui est une vraie bouffée d’air frais, avec son caractère pétillant. Je suis également curieuse d’en apprendre plus sur le vicomte Alexandre et son passé. Le Roy m'intrigue également. Sa présence a toujours été imposante et remarquable. Il me tarde de le voir un peu plus en scène, en découvrir plus sur sa transmutation en vampyre et ce qui se cache derrière ce masque qu’il ne cesse de porter. Bien sûr, qui dit intrigue dans une école dit élèves, amis comme rivaux et, on a pas pu y couper, j’y ai retrouvé le cliché de la garce qui met des bâtons dans les roues du personnage principal, ici j’ai nommé Hélénais. Ce personnage m'a malheureusement déçue : on est sur l'archétype de la pimbêche qui fait des crasses. Cette rivale servira surtout à l'héroïne d'aller de l'avant ou à se mettre en valeur. Or, je m'attendais à trouver un peu plus de nuances… Peut-être que la vipère gagnera en consistance dans la suite de la série, d’autant plus qu’on découvre quelque chose sur sa famille, un malheur qui a peut-être fait d’elle ce qu’elle est, qui expliquerait au moins pourquoi elle agit ainsi.

En bref, j'ai beaucoup aimé cette lecture. Elle mélange de nombreux aspects que j’aime beaucoup : une ambiance sombre dans un décor flamboyant, une histoire de vampires dans un contexte historique, des vampires aussi sombres que charismatiques, des monstres sous une apparence d’ange. L'auteur réussit le tour de force de renouveler le genre, non en adaptant les caractéristiques du personnage du vampire mais en le mixant à l'uchronie. Cela donne une atmosphère glauque à souhait, l'étrangeté étant renforcée par le fait que l'intrigue se situe à notre époque tout en étant restée figée en 1715. Une jolie découverte que ce roman ! Je pense d’ailleurs, si je parviens à le trouver en bibliothèque, ne pas attendre le prochain Pumpkin Autumn Challenge pour lire le second tome.


Jeanne et Diane – deux prénoms qui sonnent presque pareil, comme les deux faces d’une même pièce. Pendant la journée, il n’y a que le côté face qui existe : le masque derrière lequel je me cache. Mais la nuit, à l’abri des épais rideaux de mon lit à baldaquin, je redeviens le côté pile : celui dont on ne doit pas dire le nom. Là, dans l’obscurité complète où nul ne peut m’épier, je suis à nouveau Jeanne. J’ouvre ma montre à gousset silencieuse, arrêtée à jamais sur 7h38, tel le cœur de maman qui a cessé de battre pour toujours.

La liberté ou la mort, dit la devise gravée au creux du couvercle.

J’ai choisi la mort.

Parce que la liberté n’a pas de sens dans un monde dépeuplé de tous les miens.

Parce que la mort est le prix à payer pour tenter d’éradiquer le principal responsable de leur disparition : l’Immuable.

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