"- Samhain, Dieu des Morts ! clame la voix dans le brouillard. Je fauche et je moissonne, j'arrache et je tronçonne !" Ssss... woushhhh ! "Tous ceux qui depuis l'an dernier ont péri sont ici ! Et, en punition de leurs mauvaises actions, ils seront changés ce soir en animaux !"
Ssssswoummmmmm !
[...] Et des blés malmenés les esprits des défunts de l'année s'évadent, averse de cris qui asperge le sol. À l'instant même de le toucher ils se transforment en bêtes : ânes, poules et serpent qui braient, caquettent et décampent ; chiens, chats et vaches qui aboient, feulent et mugissent. Mais ils sont tous en miniature. Rapetissés, amoindris, rabougris, pas plus gros que des vers de terre, des doigts de pied, des bouts de nez raccourcis. Par milliers les épis de blé tourbillonnent comme la neige et retombent sous forme d'araignées qui, sans pouvoir implorer grâce, se dispersent dans l'herbe et grouillent sur les gamins.
lundi 28 septembre 2020
L'arbre d'Halloween - Ray Bradbury.
mercredi 23 septembre 2020
L'étrange cas du Dr Jekyll et de M. Hyde - Robert Louis Stevenson.
Robert Louis Stevenson |
Richard Mansfield dans son rôle de Jekyll/Hyde dans la pièce de 1887/1888 |
Jour après jour, à la fois par le côté moral et le côté intellectuel de mon esprit, je m'acheminais régulièrement vers cette vérité dont la découverte partielle allait me condamner à un si terrible naufrage. L'homme, en arrivais-je à conclure, n'est pas un être unique, mais un être double [...]
Je me disais : "Si chacun d'entre eux pouvait être localisé dans une personnalité distincte, la vie serait libérée de tout ce qui nous est insupportable ; le méchant suivrait sa voie sans crainte, délivré des aspirations et des remords de sa meilleure conscience ; et le juste s'avancerait fermement et sûrement sur le chemin de la perfection, faisant le bien dans lequel il trouve son plaisir et sans s'exposer davantage à la honte et aux remords par les actes de son mauvais génie. C'était le fléau de l'humanité que ces deux fagots de bois différents fussent attachés ensemble et que, dans l'angoisse qui fait le fond de notre conscience, ces deux frères ennemis dussent toujours et constamment lutter entre eux. Mais voilà ! Comment les dissocier ?
10. Le Dr Jekyll s'explique.
dimanche 20 septembre 2020
L'année du loup-garou - Stephen King.
Quand arrive la pleine lune, une peur sans nom s'empare des habitants de Tarker Mills, petite bourgade tranquille nichée au creux des profondes forêts du Maine. Tous entendent, derrière la plainte du vent, des grondements de fauve auxquels se mêlent encore les échos d'une voix humaine. Le monstre est là. Qui tuera-t-il ? L'horreur commença en janvier sous la lueur glacée de la pleine lune. Un premier hurlement insoutenable déchira la nuit. C'était le début de "L'année du loup-garou".
On peut être loup-garou et avoir envie d'aller à l'église ! |
C'est un récit qui se lit assez rapidement dans lequel Stephen King a su mettre en place une ambiance sombre, plombante et froide. Rien de bien traumatisant et à nous donner des cauchemars la nuit, mais pas non plus un récit à mettre dans les mains d'un jeune public, car l'histoire est délicieusement frissonnante. On ressent toute la menace de la lune, sa lumière brillante mais inquiétante, on devine le loup qui rôde et le danger qui plane, sans oublier les illustrations effrayantes et parfois sanglantes, qui donnent une autre dimension au récit. J'aurais toutefois apprécié que ces illustrations se soient situées après l'attaque du loup, certaines étaient au début du récit et spoilaient l'événement à venir. Aussi efficace ce récit soit-il, je n'aurais pas été contre un récit plus étoffé et approfondit pour rester plus longtemps dans cette traque au loup et la peur croissante des habitants, afin de mieux frissonner !
La fin peut paraître précipitée, ou plutôt manquant de suspense car on peut deviner assez facilement comment l'intrigue va se terminer mais l'auteur a fait le choix de nous dévoiler l'identité de la Bête avant la fin, pour mieux découvrir la psychologie du personnage et comment ce personnage a pu devenir le loup. C'était plutôt intéressant à découvrir [spoiler] le fait qu'il ignore d'abord être la Bête et se réveille avec du sang séché et ses vêtements déchirés, avant de s'en rendre compte, mais de se dire que c'est la volonté de Dieu. Son dernier meurtre où il s'en est pris à un homme coupable d'adultère l'illustre bien, comment ce personnage décide de punir à sa façon ceux qui ont péchés [/spoiler] ainsi que les manigances de notre héro pour découvrir qui est le loup-garou et comment se défendre. J'ai d'ailleurs beaucoup apprécié le héro, Marty, et l'initiative de l'auteur de mettre en scène un personnage handicapé en duel contre le loup-garou, et celui qui en viendra à bout, la preuve qu'on peut être en fauteuil roulant et botter les fesses d'un monstre ! C'est un jeune garçon courageux et capable, et j'ai aimé sa complicité avec son oncle Al.
Il ne s'agit certainement pas du meilleur King (on ignore le fait que je n'ai lu que deux ouvrages de l'auteur, ahem) mais l'auteur s'en est tout de même bien sorti et j'ai pris plaisir à découvrir sa revisite du mythe du loup-garou. Si le résultat n'a rien d'exceptionnel ou d'inoubliable, ce récit reste tout de même assez plaisant, et l'on découvre avec plaisir les illustrations qui accompagnent le texte, et je pense que L'année du loup-garou pourrait très bien convenir pour une première lecture du maître incontesté de l'horreur, surtout si on a des appréhensions !
Une chose inhumaine s'est abattue sur Tarkers Mills, invisible comme la pleine lune qui vogue tout en haut du ciel ténébreux. Elle a nom loup-garou, et sa survenue présente n'a pas plus de raison d'$etre que n'en aurait celle d'une épidémie de cancers, d'un assassin psychotique ou d'une tornade meurtrière. Son temps est venu, simplement, et le sort lui a fait choisir pour théâtre cette banale bourgade du Maine où l'événement de la semaine est le repas collectif dont les places vendues à l'encan servent à financer les œuvres de la paroisse [...] Dehors, la neige recouvre peu à peu les traces de la créature. Le vent crie d'une voix déchirante qui évoque des hurlements de plaisir. Mais d'un plaisir sans âme, sans Dieu, sans soleil - jouissance de gel opaque et d'hiver ténébreux.
Le cycle du loup-garou a débuté.
samedi 19 septembre 2020
Aquarium - David Vann.
Ce titre faisait partie de ma wish-list avant la mise en place de mon Challenge Océan, mais j'ai pensé que le challenge serait une bonne occasion pour découvrir ce roman qui m'a d'abord attiré par sa couverture ainsi que par le thème de l'aquarium, de la mer et des créatures marines. Je ne m'attendais cependant pas à ce l'aquarium et ses poissons aient une place centrale dans ce roman, juste un décor. À mon agréable surprise, ce ne fut pas le cas.
Caitlin,
la protagoniste, est en effet une habituée de l'aquarium qu'elle
visite tous les jours de la semaine, excepté le week-end, et elle
est très attachée aux poissons qu'elle ne cesse d'admirer. Un
point commun qu'elle partage avec le vieil homme qu'elle rencontre à
l'aquarium. Progressivement se développe entre eux une jolie
relation autour de ces poissons, et bientôt ce ne sont plus
seulement les poissons qui poussent Cailin à
rejoindre l'aquarium, mais son nouvel ami... puis,
lorsque Caitlin dévoile l'existence de son ami à
sa mère, tout est chamboulé dans sa vie, car sa mère connaît très
bien ce vieil homme, personnage d'un passé qu'elle a tenté de
laisser derrière elle...
Une jolie découverte que ce
roman ! Caitlin est une protagoniste mûre pour son
âge, avec des pensées presque poétiques sur l'océan et des
réflexions que l'on prêterait davantage à des adultes, ce qui m'a
surprise, mais peut-être est-ce du au vécu de Caitlin.
La jeune fille n'a pas une vie facile et vit dans une maison
misérable avec une mère qui l'élève seule et qui doit parfois
faire des sacrifices pour joindre les deux bouts, mais il y a encore
un aspect enfantin chez elle, innocent, notamment à travers sa
passion pour l'aquarium. D'ailleurs, ce qu'elle aime
demander aux personnes qu'elle rencontre pour la première fois,
c'est quel est leur poisson préféré et pourquoi et elle aime
davantage les poissons "mal aimés", les moins jolis, ceux
qui attirent moins le regard. J'ai aimé son amour et son attirance
pour la mer et les poissons, cet univers la fascine et elle est
irrésistiblement attirée par ce monde aquatique qui lui offre un
moyen d'évasion, loin de ce monde qui l'oppresse. On peut même dire
que Caitlin a l'océan dans son cœur, et elle
espère bien en faire sa carrière !
J'ai été surprise
de découvrir, dans l'histoire, une relation F/F (entre
filles/femmes), à travers la relation entre Caitlin et
son amie Shalini, jeune indienne arrivée récemment en
Amérique, mais j'ai été touchée par la complicité et la
proximité entre ces deux amies, si bien que leur professeur les
appelle "l'agglomérat Caitlin-Shalini". Ce sont
deux jeunes filles qui découvrent leur corps et s'ouvrent à leurs
émotions. Shalini est très douce, très tactile
avec Caitlin et cette amitié se transforme
doucement en amour, et bien que cette relation ne soit pas l'aspect
central du roman, j'ai apprécié voir cet amour tendre entre ces
deux amies. J'ai également beaucoup aimé sa relation proche avec sa
mère, elles comptent sur l'une et l'autre et elles n'ont qu'elles au
monde, avant l'arrivée du vieil homme, et le roman le transcrit
bien. Puis, on assiste à la transformation de la mère lorsqu'elle
découvre l'existence du vieil homme.
Et là, on assiste
avec stupéfaction, voire horreur, Sheri, la mère, se
transformer en bête incontrôlable. On découvre une femme
vulnérable, hystérique, furieuse, triste qui voit se réveiller les
traumatismes de son enfance. Ne comprenant pas le désir de sa fille
à vouloir continuer de voir le vieil homme à l'aquarium et se
rapprocher de lui, elle tente de lui dire puis de lui montrer par
tous les moyens à quel point cet homme a gâché sa vie. Ce sont des
scènes dures, et on vient à prendre Sheri en pitié
et à la mépriser à la fois. Pourtant, aucun personnage n'est blanc
ou noir dans ce roman. Si, au début, je croyais [spoiler] que
la mère avait été victime d'inceste/pédophilie à cause de cet
homme, son père, au vu des questions qu'elle a posées à sa fille,
il n'en est rien, ce qui ne veut pas dire que son traumatisme n'est
pas valide [/spoiler]. Sheri a
vécu une enfance puis une adolescence difficile, traumatisante. Ce
passé l'a marqué et elle a essayé de s'en défaire jusqu'à ce que
le vieil homme apparaisse, lui faisant perdre ses moyens. Oui, elle a
eu des moments horribles avec sa fille puis le vieil homme, je ne
savais plus moi-même quoi ressentir pour ce personnage, si ce n'est
de la pitié. Oui, le vieil homme a ses tords, il a commis des
erreurs difficilement réparables mais il essaye de changer cette
situation, de s'amender, pour faire au moins quelque chose de bien et
j'ai voulu qu'il ait cette seconde chance. J'ai beaucoup aimé la
dynamique entre Sheri, Caitlin, le petit-ami
de Sheri et le vieil homme. Il y a des hauts et
beaucoup de bas, mais le roman tourne autour du thème du pardon et
de la reconstruction d'un foyer, d'une vie et j'ai beaucoup aimé les
voir former cette dynamique.
Avec la plume de David
Vann, j'ai été pris dans un tourbillon d'émotions. Tous ses
personnages sont délicieusement imparfaits, mais attachants pour la
plupart. On ne sait qui aimer, qui détester. On est pris entre la
révolte, la pitié, le doute. Quelle surprise ! Alors que le début
du livre nous entraîne dans un monde aquatique envoûtant, la suite
vire dans les abysses de la psychologie humaine entre une enfant
prise en otage entre deux personnes, une mère marquée par son passé
qui souhaite se venger, la quête d'un pardon difficile à obtenir
sans ce que soit impossible, les traumatismes du passé, une lente
reconstruction mais aucun personnage n'est vraiment seul et sans
aide. Bien-sûr, on finit par se douter de l'identité du vieil
homme, mais cela n'empêche pas ce tourbillon d'émotions qui nous
prend à la gorge ! J'ai été prise dans l'histoire, m'y plongeant
pour n'en ressortir qu'une fois la dernière page tournée, c'est une
intrigue dérangeante et prenante, sombre mais où l'on distingue une
petite lueur d'espoir, de renouveau.
En
résumé : un récit très beau, bouleversant et
poignant, sur le pardon et la rédemption campé par des personnages
hauts en couleur, le tout écrit avec une plume experte et
presque poète, dans un cadre aquatique fascinant.
L'unique raison qui me poussait à parcourir cette rue chaque après-midi, c'était le bleu au bout, la mer visible car nous trouvions toujours une colline. Ce bleu était la promesse de l'aquarium. Une allée menant à un sanctuaire. J'aurais pu m'inscrire à une activité périscolaire, mais je choisissais délibérément d'aller voir les poissons. Ils étaient les émissaires d'un univers plus vaste. Ils représentaient les possibles, une sorte de promesse.
lundi 14 septembre 2020
Les confidences d'Arsène Lupin - Maurice Leblanc.
*a wild Lupin appears* |
Les jeux du soleil : un baron est victime de sa femme qui s'est enfuie avec une somme de 3 millions, volée à son mari, ainsi qu'une collection de diamants, perles et bijoux. L'inspecteur Ganimard la pourchasse dans toute l'Europe sans que l'on parvienne à mettre la main sur elle. Lupin rend visite à l'intendant du baron... mais tombe plutôt sur un cadavre ! Lupin mène l'enquête et décide de rencontrer le baron, car il se pourrait que cette affaire de meurtre soit liée à la disparition de la baronne...
Caricature. Leblanc tenant une marionnette de Lupin (source) |
J'ai passé un bon moment avec cette série de nouvelles rapides à lire, pétillantes, divertissantes... ce n'est pas du grand Lupin comme on peut le retrouver dans certains romans, mais ça se laisse lire agréablement et Lupin reste toujours un plaisir à lire ! Toutes ces aventures ne lui apportent pas toujours la fortune, mais la gloire et la publicité oui, et surtout l'estime des femmes qu'il sauve toujours du déshonneur ou d'une situation délicate. Lupin apporte la justice, tel un détective, mais souvent en se servant... une somme d'argent bien coquette ou une pierre précieuse qu'il vole en compensation de son travail. J'ai été vite emportée dans cette lecture et la plume de l'auteur y est pour beaucoup. C'est soigné, fluide, avec humour et légèreté, l'action est subtile et les répliques tout simplement savoureuses... pauvre inspecteur Ganimard ! Toutefois, si ce dernier est souvent roulé dans la farine par Lupin, j'ai de l'affection pour le personnages de Ganimard. S'il ne parvient jamais à arrêter Lupin, il sait faire preuve de volonté, d'acharnement et raisonnement, ce qui fait de lui un bon adversaire pour Arsène Lupin, qui d'ailleurs, s'il admet aimer se moquer de Ganimard, il le tient en haute estime et lui porte bien de l'affection...
Je n'ai pas aimé de façon égale toutes les nouvelles, d'autres m'ont moins intéressé je dois l'avouer... mais j'ai beaucoup aimé Le piège infernal où l'on trouve Lupin en bien mauvaise posture et qui trouvera le salut de manière surprenante, et L'écharpe de soie rouge, notamment lorsque Lupin, pour demander de l'aide à Ganimard, ne trouve rien de mieux à faire que d'embaucher des personnes pour attirer son attention et qu'il les suive jusqu'au repère, ainsi que La mort qui rôde. Certaines histoires auraient certes gagné à plus de développement, mais ce n'est pas un énorme grief car cela ne m'a pas empêché d'apprécier ma lecture, et que ça reste le principe des nouvelles. De toute façon, après la lecture d'un roman tel que 813, cela me convenait très bien de lire quelque chose de plus léger et divertissant.
Arsène Lupin reste un personnage attachant, charmeur, classe et habile, l'univers de Maurice Leblanc reste soigné, avec une plume travaillée, de l'action, des enquêtes, de l'humour, des répliques savoureuses, un jeu du chat et de la souris entre Lupin et Ganimard, le tout offrant des nouvelles divertissantes et sympathiques !
Il [Lupin] lui offrit la main, et comme l'inspecteur restait abasourdi, la figure ravagée de colère, il s'exclama :
- Tu ne sembles pas comprendre... C'est pourtant clair... J'avais un besoin urgent de te voir... Alors, n'est-ce pas ? ...
Et affectant de répondre à une objection :
- Mais non, mon vieux, tu te trompes. Si je t'avais écrit ou téléphoné, tu ne serais pas venu... ou bien tu serais venu avec un régiment. Or je voulais te voir tout seul, et j'ai pensé qu'il n'y avait qu'à envoyer ces deux braves gens à ta rencontre, avec ordre de semer des peaux d'orange, de dessiner des croix et des cercles, bref, de te tracer un chemin jusqu'ici. Eh bien, quoi ? tu as l'air ahuri. Qu'y a-t-il ? Tu ne me reconnais pas, peut-être ? Lupin... Arsène Lupin... Fouille dans ta mémoire... Ce nom-là ne te rappelle pas quelque chose ?
- Animal, grinça Ganimard entre ses dents.
Lupin sembla désolé, et d'un ton affectueux :
- Tu es fâché ? Si, je vois ça à tes yeux... L'affaire Dugrival, n'est-ce pas ? J'aurais dû attendre que tu vinsses m'arrêter ? ... Saperlipopette, l'idée ne m'en est pas venue ! Je te jure bien qu'une autre fois...
- Canaille, mâchonna Ganimard.
- Et moi qui croyais te faire plaisir ! Ma foi oui, je me suis dit : "Ce bon gros Ganimard, il y a longtemps qu'on ne s'est vus. Il va me sauter au cou."
Ganimard, qui n'avait pas encore bougé, parut sortir de sa stupeur. Il regarda autour de lui, regarda Lupin, se demanda visiblement s'il n'allait pas, en effet, lui sauter au cou, puis, se dominant, il empoigna une chaise et s'installa, comme s'il eût pris subitement le parti d'écouter son adversaire.
- Parle, dit-il... et pas de balivernes. Je suis pressé.
L'écharpe de soie rouge.
samedi 12 septembre 2020
813 - Maurice Leblanc.
M. Formerie eut une phrase délicieuse, lorsque Lupin entra dans son cabinet en compagnie du sous-chef.
- Ah ! vous voilà ! Je ne doutais pas que, un jour ou l'autre, nous mettrions la main sur vous.
- Je n'en doutais pas non plus, monsieur le juge d'instruction, dit Lupin, et je me réjouis que ce soit vous que le destin ait désigné pour rendre justice à l'honnête homme que je suis.
"Il se fiche de moi", pensa M. Formerie.
Et, sur le même ton ironique et sérieux, il riposta :
- L'honnête homme que vous êtes, monsieur, doit s'expliquer pour l'instant sur trois cent quarante-quatre affaires de vol, cambriolage, escroquerie, faux, chantage, recel, etc. Trois cent quarante-quatre !
- Comment ! Pas plus ? s'écria Lupin. Je suis vraiment honteux.
- L'honnête homme que vous êtes doit s'expliquer aujourd'hui sur l'assassinat du sieur Altenheim.
- Tiens, c'est nouveau cela. L'idée est de vous, monsieur le juge d'instruction ?
- Précisément.
- Très fort ! En vérité, vous faites des progrès, monsieur Formerie.
Les filles de Salem : Comment nous avons condamné nos enfants - Thomas Gilbert.
N'étant pas familière avec cette partie de l'Histoire, je ne prétends pas que c'est une histoire qui retrace fidèlement ce qu'il s'est réellement passé. Je pense plutôt que l'auteur s'est inspiré de ces faits pour raconter sa propre histoire, et que les vrais événements qui ont eu lieu à Salem sont plus complexes qu'il n'y paraît et qu'il s'agissait vraisemblablement d'un conflit entre voisins et entre deux puissantes familles qui a ensuite engendré ces procès. Comme je l'ai évoqué, ce n'est pas une partie de l'Histoire que je prétends bien connaître, mais si vous souhaitez en savoir plus, la chaîne Youtube Occulture traite le sujet de manière très instructive, après plusieurs et longues recherches. Je tiens donc à avertir les futurs.es lecteurs et lectrices que cette histoire n'est pas un ouvrage qui présente avec exactitude ce qu'il s'est passé à Salem en 1692, car l'histoire est plus longue et complexe, et que l'auteur a pu prendre des libertés historiques, ce qui n'enlève pas à cette bande-dessinée ses qualités.
mardi 8 septembre 2020
Funèbre ! : Tour du monde des rites qui mènent vers l'autre monde - Juliette Cazes.
J'ai acheté ce livre il y a quelques mois déjà et je voulais le lire dès que possible, je me suis retenue avec peine parce que je voulais le placer dans le Pumpkin Autumn Challenge, (Sous-menu "Les chimères de la Sylve Rouge" avec son mot-clé « Macabre »). La raison de mon enthousiasme est en partie du au fait que je suis l'auteure sur Twitter et Youtube depuis un moment, sous le pseudonyme du Bizzareum, où je suis avec intérêts ses tweets, vidéos et articles au sujet de l'archéologie, l'histoire, et la mort. Car Juliette Cazes a fait de la mort son sujet de prédilection. Après des études en archéologie et anthropologie, c'est naturellement qu'elle a gravité dans cet environnement, et depuis 2017 elle vulgarise ce sujet sur la toile. Funèbre ! regroupe sur papier quelques exemples introductifs sur le sujet des rites funéraires et donc la façon dont la mort, et plus exactement le soin apporté aux défunts, est perçue à travers le monde.
Juliette Cazes nous propose pour cela un véritable tour du monde des rites funéraires, dans lequel nous voyageons en Italie, en Bolivie, en Roumanie, au Tibet, en Nouvelle-Zélande, sans pour autant négliger la France à qui elle a consacré un chapitre : l’origine du mot « corbillard », d’où vient la tradition d’annoncer le décès de nos défunts ainsi que la célébration du 1er novembre, la tradition de porter du noir mais aussi de quand dates nos rites funéraires ?
Nous voyageons ensuite en Roumanie, où les vivants déposent des vivres dans le cercueil – pour que le défunt puisse se nourrir dans le chemin vers l'au-delà - des pièces pour payer sa traversée ainsi que des objets qu'il aimait de son vivant, ce qui n'est pas sans rappeler les rites funéraires antiques. Nous avons aussi les cages à cercueil en Écosse. Mais pourquoi donc enfermer ces pauvres défunts ? Les Écossais ont-ils peur d'une prochaine invasion de zombies ? Pas du tout, car ces mortsafes ont davantage le but de protéger le corps des défunts, par crainte de se faire voler son propre corps ! Avec la découverte et le développement de l'anatomie humaine, il est logique d'utiliser le corps des morts pour apprendre à soigner les vivants. Seulement, peu d'individus sont prêts à offrir leur corps à la science, d'où l'idée de dérober des cadavres. La population, terrifiée par ces trafiquants de cadavres, tente de se défendre : des cercueils plus lourds, des gardiens de cimetière, les cercueils dans des fosses plutôt que sous une pierre tombale, et des cages métalliques surmontant les tombes, donc les mortsafes.
Exemples de mortsafes qu'on peut trouver en Ecosse (source) |
Parmi les autres exemples à m'avoir marqué, il y a la cité des morts du Caire, Al-Qarafa, où les vivants cohabitent avec les morts. La pauvreté au Caire a fait qu'une certaine partie de la population doit vivre dans les cimetières. Les tombes sont donc aménagées et décorées, certaines ont l'eau et l'électricité, et on peut même y trouver des magasins ! Ces familles pauvres peuvent y vivre pendant des générations. Cela attise la curiosité des touristes, ce qui donne à l'auteure l'occasion de poser une réflexion intéressante sur ce dark tourism (une forme de tourisme controversée qui consiste en la visite, souvent payée, de lieux associés à la mort).
Je mentionnerai également le Japon où la technologie se mêle à la mort à travers deux exemples : celui d'un robot domestique de deuil, avec un masque en 3D représentant le visage du disparu, dont le logiciel est programmé pour fonctionner pendant 49 jours (suivant la pratique du deuil de 49 jours empruntée aux traditions bouddhistes), suite à un deuil mal vécu par sa créatrice, Etsuko Ichihara, pour dire adieu en douceur à sa grand-mère décédée. Ce robot a été développé pour être capable de reproduire les mimiques du langage et les intonations du défunt, ce qui a été accueilli par une vague d'incompréhension, sinon de malaise auprès des Occidentaux. Je mentionnerai également la création d'une cabine téléphonique par Itaru Saski pour lui permettre de parler à son cousin décédé, le kaze no denwa, et il permet également à d'autres visiteurs d'en bénéficier. Ce sont des discussions à sens unique mais semblant bénéfiques pour les visiteurs.
Il y a encore tellement d'autres exemples présentés dans cet ouvrage, et ce que nous présente l'auteure n'est qu'un échantillon parmi tout ce qui existe dans le monde, car il y a autant de pratiques funéraires qu'il y a de peuples et de cultures. Toutefois, Juliette Cazes nous présente ici un bon nombre d'exemples aux quatre coins du monde, nous permettant ainsi de nous ouvrir de nouveaux horizons et de nous faire découvrir différents peuples et leurs coutumes, ce que j'ai trouvé vraiment intéressant ! Si on peut retrouver des similitudes parmi certains rites funéraires, aucun rite funéraire ne se ressemble et ces rites reflètent bien la population qui les suivent et leur culture, notamment vis-à-vis de la mort. Car s'intéresser à la mort, c'est s'intéresser à la vie, et plus particulièrement les gestes des vivants à l'égard de leurs défunts.
Nous avons tendance à penser que la vie et la mort s'opposent radicalement, alors que la vie est liée à la mort. La mort est un élément qui accompagne les vivants, c'est un sujet de société, de morale, de loi, et même financier. La mort se présente donc comme un élément social chez les vivants. Par exemple, nous avons les Famadihana à Madagascar qui consistent en une cérémonie où l'on invite, où l'on se retrouve lors d'un repas ou encore les funerals with music à la Nouvelle-Orléans où les processions funéraires sont accompagnées d'un orchestre avec des danseurs qui escortent le défunt en musique, c'est une cérémonie très codifiée qui suit un protocole précis. Ce dernier exemple, ainsi que el dia de los muertos au Mexique que l'on commence à connaître en Occident, sont une façon de découvrir que la mort peut être gaie, festive et musicale dans d'autres contrées. Ce n'est pas meilleur que les funérailles en France ou ailleurs, ni incompréhensif, c'est tout simplement une autre façon de célébrer le défunt.
C'est aussi l'occasion de découvrir par quelles diverses façons les vivants s'occupent de leurs disparus, à la fois par amour et pour entretenir leur souvenir... mais aussi pour éviter son courroux ! Il n'est jamais bon de s'attirer les foudres de nos ancêtres, et tous les prétextes sont bons pour s'attirer leurs bonnes grâces. C'est pourquoi certains Boliviens possèdent le crâne d'un membre de leur famille (ce qu'on appelle les natitas), ou le crâne d'un défunt qu'ils ont adopté, et partagent leur vie avec, le crâne est considéré comme un membre à part entière de la famille, et dispose d'une niche avec des objets lui ayant appartenu, par exemple.
Pour citer encore quelques exemples, la Famadihana de Madagascar, où les corps des ancêtres sont exhumés le temps d'une cérémonie est aussi l'occasion de prendre soin du défunt et de changer son linceul, par crainte de son courroux. Ou encore la Roumanie où une partie de la population croit aux strigoï, ces défunts qui se relèvent d'outre-tombe pour se nourrir de l'énergie vitale des mortels, des sortes d'âmes troublées partageant quelques similitudes avec les vampires. Les Japonais sont également très prudents, car la mauvaise exécution des rites funéraires est préjudiciable, l'esprit du mort risquerait d'errer et de tourmenter ceux qui auraient manqué à leurs obligations ! Morts... mais donc jamais oubliés !!
C'est un livre fascinant et dépaysant que nous offre Juliette Cazes. Elle nous partage sa passion, et c'est communicatif ! Je me suis retrouvée à m'intéresser à ses propos, à découvrir avec fascination les différents rites dans le monde, à faire ce tour du monde des rites et découvrir diverses populations avec leur culture. Le texte est d'autant plus aéré et écrit avec simplicité, légèreté et parfois humour. J'ai également beaucoup apprécié la présence d'une bibliographie en fin d'ouvrage, par pays, permettant de découvrir les sources de l'auteure mais aussi de découvrir plusieurs titres si jamais on souhaite élargir le sujet et lire davantage. Si je ne devais reprocher qu'une seule chose, c'est le manque de photographies et d'images pour illustrer ses propos, mais sans doute que l'auteure a ses raisons et qu'il aurait été difficile de proposer d'illustrer certaines pratiques funéraires, par pudeur... cela n'empêche pas que j'ai passé un bon moment avec cet ouvrage, et que j'ai pu apprendre des choses bien intéressantes. Je conseille aux éventuels.les curieux.ses, vous ne serez pas déçus.es du voyage !
Pour faciliter le retour sur terre des esprits des défunts, plusieurs étapes incontournables sont mises en œuvre. Tous les sens - des vivants comme des morts - doivent être mis en éveil. Ainsi, dès le mois d'octobre, une ambiance festive commence à s'installer à travers le pays, avec des défilés de fanfares et de cortèges musicaux qui viennent flatter l'ouïe de chacun. La vue et l'odorat ne sont pas publiés, avec la présence un peu partout de fleurs colorées et parfumées, notamment les roses d'Indes, les œillets d'Inde et les tournesols. Ces décorations permettent aux âmes de retrouver le chemin entre le monde des morts et celui des vivants, mais aussi de leur montrer qu'elles sont attendues par leurs proches. Des bougies sont également posées devant les portes des maisons, à la fois pour guider les morts dans leurs déplacements et pour qu'ils aient la certitude qu'ils seront bien accueillis.
El dia de los muertos au Mexique - Faire la fête pour et avec les morts.